Kenilworth/19

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Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Tome 15p. 243-251).


CHAPITRE XIX.

COMMÉRAGES.


Pistol. J’apporte des nouvelles, de joyeuses, de précieuses nouvelles.

Falstaff. Je t’en prie, dis-nous-les comme à des gens de ce monde.

Pistol. Foin du monde et de ses vils habitants ! Je parle de l’Afrique et de joies d’or.

Shakspeare. Henri IV, part. II, acte V, scène 3.


La grande salle de l’Ours-Noir à Cumnor, dans laquelle nous ramène le cours de notre histoire, pouvait se vanter de contenir le soir du jour dont il est question ici une réunion d’hôtes peu ordinaire. Il y avait une foire dans le voisinage, et le sémillant mercier d’Abingdon, et quelques autres personnages que le lecteur connaît déjà comme les amis et les pratiques de Giles Gosling, avaient déjà formé leur cercle accoutumé autour du feu et causaient des nouvelles du jour.

Un individu vif, remuant, ayant tout l’air d’un franc espiègle, et que sa balle et son aune de bois de chêne, garnie de pointes de cuivre, faisaient reconnaître pour un homme de la profession d’Autolycus[1], occupait presque toujours à lui seul l’attention de la compagnie, et contribua puissamment aux amusements de la soirée. On doit se souvenir que les colporteurs de cette époque étaient des hommes d’une bien autre importance que les colporteurs dégradés et dégénérés de nos temps modernes. C’était par le moyen de ces vendeurs péripatéticiens que se faisait presque entièrement le commerce, surtout celui des belles étoffes manufacturées à l’usage des femmes ; et quand un marchand de cette classe parvenait au point de voyager avec un cheval de bât, il devenait un personnage d’importance et une compagnie digne des fermiers ou propriétaires les plus considérables qu’il put rencontrer dans ses tournées.

Le colporteur dont il est question put donc, sans le moindre obstacle, prendre une part active aux joyeux propos dont retentissaient les plafonds de l’Ours-Noir de Cumnor. Il eut le privilège d’échanger des sourires avec la jolie mademoiselle Cécile, de rire aux éclats avec mon hôte, de se divertir sur le compte du malin M. Goldthred, qui, sans en avoir l’intention, se trouvait le plastron des plaisanteries de la soirée. Le colporteur et lui étaient engagés dans une dispute très chaude sur la préférence qu’on devait accorder aux bas d’Espagne sur les bas noirs de Gascogne, et mon hôte avait fait signe à toute la compagnie comme pour lui dire : « Vous allez rire tout à l’heure, messieurs, » quand un bruit de chevaux se fit entendre dans la cour, et le garçon d’écurie fut appelé à haute voix avec quelques-uns des jurons les plus à la mode alors, comme pour donner plus de force à l’appel. Aussitôt on vit sortir précipitamment Will Hostler, John Tapster, et toute la milice de l’auberge, qui avaient quitté leur poste pour recueillir çà et là les drôleries qui circulaient parmi les habitués. Mon hôte lui-même se rendit dans la cour pour faire à ces nouveaux venus les salutations d’usage ; puis bientôt après il revint, introduisant dans la salle son digne neveu Michel Lambourne, passablement ivre, et amenant sous son escorte l’astrologue Alasco, qui, bien qu’on retrouvât toujours en lui un petit vieillard, s’était cependant rajeuni de vingt années en remplaçant sa robe par un habit de voyage, et en peignant sa chevelure et ses sourcils ; on l’eût pris alors pour un homme de soixante ans ou un peu plus encore, vert et bien conservé. Il paraissait dans ce moment excessivement inquiet et avait fortement insisté auprès de Lambourne pour qu’ils n’entrassent point dans l’hôtellerie et pour qu’ils se rendissent directement au lieu de leur destination. Mais Lambourne ne voulait pas être contredit. « Par le Cancer et le Capricorne ! criait-il à tue-tête, par toute l’armée céleste, par toutes les étoiles que j’ai vues sous le ciel du midi et auprès desquelles ces étincelles du nord ne sont que des chandelles d’un liard, le caprice de personne ne fera jamais de moi un neveu dénaturé… Je veux m’arrêter ici pour saluer mon digne oncle… Jésus ! le sang ne doit jamais perdre ses droits entre amis… Un gallon de votre meilleur, mon oncle, et faites courir à la ronde la santé du noble comte Leicester. Quoi ! ne trinquerons-nous pas ? ne réchaufferons-nous pas notre vieille amitié ? ne trinquerons-nous pas, vous dis-je ?

— De tout mon cœur, mon neveu, » dit l’hôte qui évidemment voulait se débarrasser de lui ; « mais as-tu le moyen de payer toute cette bonne liqueur ? »

Une semblable question a plus d’une fois démonté plus d’un joyeux buveur, mais elle ne changea nullement les dispositions de Lambourne. « Vous mettez en doute mes moyens, mon oncle, » dit-il en tirant de sa poche une poignée de pièces d’or et d’argent. « Doutez donc des ressources du Mexique et du Pérou ; doutez du trésor de la reine. Dieu protège Sa Majesté : elle est la maîtresse de mon bon maître.

— Fort bien, mon neveu ; mon métier est de vendre du vin à qui peut le payer… ainsi donc, John Tapster, à l’ouvrage ! Mais je voudrais bien savoir gagner l’argent aussi facilement que toi.

— Eh bien ! mon oncle, dit Lambourne, je vais te dire un secret. Tu vois bien ce petit vieillard, il est aussi ridé, aussi sec qu’aucun morceau que le diable mit jamais dans son potage… et pourtant, mon oncle, entre nous, il a le Potose dans son cerveau… Corbleu ! il peut faire des ducats en moins de temps qu’il ne m’en faut pour lâcher un juron.

— Je ne veux pourtant pas avoir de sa monnaie dans ma bourse, Michel, dit mon hôte. Je sais ce que l’on gagne à contrefaire la monnaie de la reine.

— Tu es un âne, mon oncle, tout vieux que tu es. Ne me tire pas par les basques de mon habit, docteur, tu es aussi un âne bâté… Cela posé que vous êtes tous des ânes, je vous déclare que je n’ai parlé que par métaphore.

— Êtes-vous fou ? dit le vieillard ; avez-vous le diable au corps ? ne pouvez-vous nous laisser partir sans attirer sur nous les regards de tout le monde ?

— Que dis-tu ? reprit Lambourne ; tu te trompes. Personne ne te regardera, si je dis un mot. Par le ciel ! messieurs, si quelqu’un ose arrêter ses regards sur ce vieux gentilhomme, je lui arracherai les yeux de la tête avec mon poignard… Ainsi donc, asseyez-vous, mon vieil ami, et soyez joyeux. Tous ces gens-là sont mes anciens camarades et ne trahiront personne.

— Ne feriez-vous pas mieux, mon neveu, de vous retirer dans une pièce particulière ? dit Giles Gosling ; vous parlez d’étranges choses, et il y a des espions partout.

— Je m’en moque, dit le magnanime Lambourne ; nargue des espions ! Je sers le noble comte de Leicester. Voici le vin ; verse à la ronde, maître échanson, verse une rasade à la santé du noble comte de Leicester… oui, du noble comte de Leicester. Celui qui ne me fera pas raison est un porc de Sussex, et je le forcerai à le faire à genoux, dussé-je lui couper les jarrets et le fumer comme un jambon. »

Personne ne refusa une santé proposée sous une peine aussi terrible ; et Michel Lambourne, dont l’ivresse, comme de raison, n’avait pas été diminuée par cette nouvelle libation, continua ses extravagances en renouvelant connaissance avec ceux des hôtes avec qui il avait été lié autrefois, avances qui étaient accueillies avec une déférence à laquelle se mêlait une dose raisonnable de crainte ; car le moindre serviteur du comte favori, et surtout un homme de la trempe de Lambourne, était bien fait pour inspirer ces deux sentiments.

Cependant le vieillard, voyant l’humeur intraitable de son guide, cessa de lui faire aucune remontrance ; et, s’asseyant dans le coin le plus obscur de la salle, il demanda une petite mesure de vin d’Espagne, sur laquelle il eut l’air de s’endormir, se dérobant autant que possible à l’attention de la compagnie, et ne faisant rien qui pût rappeler son existence au souvenir de son compagnon de voyage. Celui-ci, de son côté, avait formé une intime liaison avec son ancien camarade Goldthred d’Abingdon.

« Ne crois jamais rien de ce que je te dirai, brave Michel, dit le mercier, si je ne suis pas aussi content de t’avoir vu que si je voyais l’argent d’une pratique. C’est maintenant que tu peux introduire adroitement un ami dans une mascarade ou dans une fête ; que tu peux, lorsque Sa Seigneurie vient dans ces cantons et a besoin d’une fraise d’Espagne ou de quelque chose semblable, lui glisser dans l’oreille : Il y a ici un de mes vieux amis, le jeune Lawrence Goldthred d’Abingdon, qui a de bonnes marchandises, des linons, des gazes, des batistes, etc. ; de plus, c’est un des plus braves qu’il y ait dans le Berkshire, et il se mesurera, pour Votre Seigneurie, avec tout homme de sa taille ; tu peux encore dire…

— Je puis encore dire une centaine de damnés mensonges, n’est-ce pas, monsieur le mercier ? mais on ne doit pas être arrêté par un mot, lorsqu’il s’agit de servir un ami.

— À ta santé, Michel, et de tout mon cœur, dit le mercier, et tu peux aussi dire au vrai quelles sont les nouvelles modes. Il y avait tout à l’heure ici un coquin de colporteur qui mettait les bas d’Espagne, ces bas passés de mode, au-dessus de ceux de Gascogne ; tu vois cependant comme le bas français fait bien sur la jambe et le genou, orné comme il l’est de jarretières bariolées et d’une garniture assortie.

— Parfait ! parfait ! répondit Lambourne : d’honneur, ta cuisse en manière de bâton, au milieu de cette touffe de bougran tailladé et de gaze de soie, ne ressemble pas mal à la quenouille d’une ménagère dont le lin est à moitié filé.

— Ne l’ai-je pas dit ? » s’écria le mercier, dont la pauvre cervelle était à son tour inondée par le vin. « Où est donc ce drôle de colporteur ? Il y avait, il me semble, un colporteur ici tout à l’heure. Mon hôte, où diable est allé ce colporteur ?

— Où tout homme sage devrait être, monsieur Goldthred ; il est renfermé dans sa chambre, faisant le compte de ses ventes d’aujourd’hui, et se préparant pour sa journée de demain.

— Au diable soit le rustaud ! dit le mercier. Ce serait vraiment une bonne action de le soulager de ses marchandises ; c’est un de ces mauvais porte-balle qui rôdent dans le pays et font tort aux marchands établis. Il y a encore de bons garçons dans le Berkshire, mon hôte, et votre colporteur peut être rencontré d’ici à Meiden-Castle.

— Oui, » reprit l’aubergiste en riant, « et celui qui le rencontrera pourra bien trouver son homme… c’est un gaillard de taille que le colporteur.

— Vraiment ? dit Goldthred.

— Oui, vraiment, répondit l’hôte ; et je gagerais que c’est le colporteur qui rossa si vigoureusement Robin Hood, comme dit la chanson :

« Robin Hood prit l’épée en main
Et le colporteur sa flamberge,
Et Robin Hood, près de l’auberge,
Fut si rossé par le matin,
Qu’il ne pouvait plus voir ni suivre son chemin. »

— Au diable soit le belître ! alors qu’on le laisser passer ; s’il est ce que vous dites, il n’y a rien de bon à gagner avec lui. Maintenant, dis-moi, honnête Michel, comment te va la toile de Hollande que tu m’as gagnée ?

— Fort bien, comme tu peux le voir, répondit Michel ; je te verserai une rasade pour l’étrenne. Remplis le flacon, maître sommelier.

— Si la gageure était à recommencer, je crois bien, mon cher Michel, que tu ne me gagnerais plus de toile de Hollande, dit le mercier ; car ce mauvais sujet de Foster ne fait que déblatérer contre toi, et jure que tu ne toucheras plus le seuil de sa porte, parce que tu pousses des jurons à faire écrouler la demeure d’un bon chrétien.

— Dit-il cela, ce misérable, ce vil hypocrite ? s’écria Lambourne ; eh bien, je veux qu’il vienne recevoir ici mes ordres, ce soir même, sous le toit de mon oncle, et je lui chanterai une telle antienne, que pendant un mois il croira avoir le diable à ses trousses, pour le seul fait de m’avoir entendu…

— Décidément le vin est le plus fort, dit le mercier. Quoi ! Tony Foster obéir à ton coup de sifflet ! ah, mon bon Michel ! va te coucher, va te coucher, te dis-je.

— A-t-on vu un pareil oison ? » s’écria Michel enflammé de colère. « Je te parie cinquante anges d’or contre la garniture des cinq premières tablettes de ta boutique, à partir d’en haut du côté opposé à la fenêtre, que je fais venir Tony Foster dans cette auberge avant que nous ayons bu trois fois à la ronde.

— Je ne veux point risquer un tel pari, » dit le mercier, quelque peu dégrisé par une offre qui annonçait de la part de Lambourne une connaissance trop exacte des secrets de sa boutique ; « je ne veux point d’une pareille gageure ; mais je parierai, si tu veux, cinq anges d’or de ma poche contre cinq de la tienne, que Tony Foster ne quittera pas sa demeure, et ne viendra pas dans un cabaret après la prière du soir, pour toi ni pour toute autre personne.

— Accepté, dit Lambourne. Venez, mon oncle, prenez les enjeux, et ordonnez à un de vos jeunes saigne-tonneaux, à un de vos apprentis sommeliers, de courir sur-le-champ à Cumnor-Place, et de remettre cette lettre à Foster, en lui disant que son ami Michel Lambourne désire lui parler ici, dans le manoir de son oncle, d’une affaire de la plus grande importance. En route, mon garçon, car le soleil est bas, et le misérable se couche avec les poules afin d’épargner la chandelle. En route. »

Après un court intervalle, qui fut rempli par des rasades et des bouffonneries, le messager revint annonçant que M. Foster allait venir à l’instant.

« Gagné ! gagné ! » s’écria Lambourne en se jetant sur les enjeux.

« Non pas, jusqu’à ce qu’il soit venu, » dit le mercier en l’arrêtant.

« Que diable ! il est à la porte, répondit Michel. Qu’a-t-il dit, mon garçon ?

— Plaise à Votre Seigneurie, répondit le messager, il a regardé par la fenêtre, un mousqueton à la main, et quand je lui ai eu donné connaissance de votre message, ce que j’ai fait en tremblant de peur, il m’a dit d’un ton terrible que Votre Seigneurie pouvait s’en aller aux régions infernales.

— Ou en enfer, je suppose, dit Michel ; c’est là qu’il envoie tous ceux qui ne sont pas de sa congrégation.

— C’est cela même, dit le jeune garçon ; je me suis servi de l’autre expression comme étant plus poétique.

— Le gaillard a de l’esprit, » dit Michel en parlant de l’enfant : « tu boiras un coup pour rafraîchir ton poétique gosier. Et qu’a dit ensuite Foster ?

— Il m’a rappelé, et m’a chargé de vous dire de venir le trouver, si vous aviez quelque chose à lui dire.

— Et puis ?

— Il a lu la lettre, qui a paru l’embarrasser, puis il m’a demandé si Votre Seigneurie était dans les vignes… et je lui ai répondu que vous parliez un peu espagnol, comme un homme qui a été aux Canaries.

— Au diable ! mauvais diminutif de pinte, qui naquit d’un mémoire enflé… au diable !… Mais que dit-il après ?

— Eh bien ! il a murmuré entre ses dents que, s’il ne venait pas, Votre Seigneurie lâcherait peut-être ce qu’il vaudrait mieux garder pour soi ; et, là-dessus, il a pris son vieux bonnet, son manteau râpé, et, comme je l’ai déjà dit, il sera ici dans un instant.

— Il y a du vrai dans ce qu’il a dit, » reprit Lambourne en se parlant à lui-même ; « ma cervelle m’a joué un de ses tours ; mais courage ! laissons-le venir ! Je n’ai pas roulé aussi long-temps dans le monde pour craindre un Foster, que je sois ivre ou non. Apportez-moi un flacon d’eau froide, pour baptiser ce vin que j’ai là-dedans. »

Tandis que Lambourne, que l’approche de Foster semblait avoir rappelé au sentiment de sa position, se préparait à le recevoir, Giles Gosling monta tout doucement à la chambre du colporteur. qu’il trouva se promenant d’un bout à l’autre de la pièce dans la plus grande agitation.

« Vous avez quitté bien brusquement la compagnie, dit l’aubergiste à son hôte.

— Il était temps de le faire, lorsque le diable est venu s’introduire parmi nous, répondit le colporteur.

— Il n’est pas trop poli de votre part de donner un pareil nom à mon neveu, dit Gosling, et il y a peu de charité à moi à vous répondre ; cependant, à quelques égards, Michel peut être considéré comme un agent de Satan.

— Bah ! je ne parle pas du fier-à-bras, répondit le colporteur ; c’est de l’autre, qui, d’après ce que j’en sais… Mais quand s’en vont-ils ? ou plutôt pourquoi sont-ils venus ?

— Diable ! voilà des questions auxquelles je ne puis répondre. Mais, voyez-vous, monsieur, vous vous êtes présenté avec un signe qui m’a fait reconnaître en vous un envoyé de ce digne M. Tressilian… C’est une jolie pierre, ma foi ! » Il prit la bague, la regarda, et la remettant dans sa bourse, ajouta que c’était une trop riche récompense, quelque chose qu’il pût jamais faire pour la digne personne qui la lui donnait. Il était fait, disait-il, pour gagner sa vie à servir le public, et il lui convenait peu de se mêler des affaires d’autrui. Il avait déjà dit qu’il n’avait pu rien apprendre, sinon que la dame était toujours à Cumnor-Place, plus étroitement enfermée que jamais, et qu’elle paraissait, à ceux qui par hasard l’avaient aperçue, pensive et mécontente de sa solitude. « Mais, ajouta-t-il, si vous voulez faire plaisir à votre maître, vous avez la meilleure occasion qui se soit présentée jusqu’à ce jour. Tony Foster va venir ici et nous n’avons qu’à laisser Michel Lambourne flairer un autre flacon de vin, et les ordres de la reine même ne le feraient pas déloger de son banc. Ainsi ils sont cloués là pour une heure au moins… Si donc vous voulez prendre votre balle, qui sera pour vous le meilleur passeport, peut-être obtiendrez-vous du vieux domestique, assuré de l’absence de son maître, de vous laisser tenter la fortune auprès de sa maîtresse, et alors vous pourrez en apprendre sur sa position plus que moi ni aucun autre ne pourrons vous en dire.

— C’est juste, parfaitement juste, » répondit Wayland (car c’était lui-même). « Le stratagème est excellent ; mais il me semble un peu dangereux… car si Foster revenait…

— C’est possible en effet, dit l’hôte.

— Ou bien, continua Wayland, si la dame allait se montrer peu satisfaite de mes démarches ?

— Ce qui est assez vraisemblable, répondit Giles Gosling. Je m’étonne que M. Tressilian se donne tant de peine pour une dame qui ne se soucie pas de lui.

— Dans les deux cas je serais honteusement éconduit, dit Wayland ; ainsi, tout bien considéré, je goûte peu votre expédient.

— Vous voudriez peut-être que je me misse de la partie, monsieur le brave serviteur, répondit l’autre ; ma foi ! c’est votre affaire et non la mienne ; vous savez mieux que moi les risques que vous pouvez rencontrer, et jusqu’à quel point vous êtes disposé à les braver. Mais n’attendez pas que d’autres hasardent ce que vous-même vous ne voulez pas risquer.

— Un instant, un instant, dit Wayland ; dites-moi seulement une chose : ce vieillard se rend-il aussi à Cumnor-Place ?

— Sûrement ; je le pense, du moins, répondit l’aubergiste ; le domestique a dit qu’il allait y transporter leur bagage ; mais le pot d’ale a eu le même effet sur lui que les flacons de vin de Canaries sur Michel.

— Il suffit, » dit Wayland en prenant un air résolu. « Je traverserai les projets de ce vieux coquin. L’effroi que m’inspirait son odieux aspect commence à diminuer, et la haine à prendre racine. Aidez-moi à charger ma balle, mon bon hôte… Et toi, vieil Albumazar, prends garde à toi…. Il y a une maligne influence dans ton horoscope, et elle part de la constellation de la Grande-Ourse. »

En disant ces mots, il prit sa balle sur ses épaules, et guidé par l’hôte vers la porte de derrière de l’Ours-Noir, il prit le chemin le moins fréquenté pour gagner Cumnor-Place.


  1. Nom d’un colporteur qui figure dans la pièce de Shakspeare intitulée le Conte d’hiver. a. m.