Légendes chrétiennes/Marie Petit-Cœur

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VI


marie petit-cœur.



Il y avait une fois, dans une paroisse de la Basse-Bretagne, une vieille église tombant en ruines, et l’on fit une quête pour la réparer. Chacun donnait quelque chose, peu ou beaucoup, suivant ses moyens. Une pauvre femme, restée veuve avec une petite fille de neuf ans, qu’on appelait Marie Petit-Cœur, parce qu’elle était jolie et compatissante, n’avait rien à donner aux quêteurs, quand ils se présentèrent à sa chaumière, et elle en était très-contrariée et toute honteuse.

— Comment, mère, lui demanda Marie Petit-Cœur, vous n’avez rien à donner pour la réparation de notre vieille église ?

— Hélas ! non, ma pauvre enfant.

— Rien ?…

— Rien !

— Vous avez bien un petit sou quelque part ? dirent les quêteurs.

— Je n’ai même pas un liard.

— Vous avez bien des œufs, au moins ?

— Un seul, que la poule a pondu aujourd’hui.

— Donnez-le-moi, mère, dit Marie Petit-Cœur, et je le ferai couver par la poule.

— C’est trop peu d’un seul œuf, ma pauvre enfant.

— Donnez-le-moi, quand même, mère, et laissez faire.

La vieille donna l’œuf à sa fille, et celle-ci alla le porter au nid de la poule, pour être couvé. Voilà que, par un miracle de Dieu, il sortit six petits poussins de cet œuf ! Quand ils furent un peu grands, la fille dit à sa mère :

— Écoutez, mère : il faut vendre les six petits poussins, et, avec l’argent que nous en aurons, nous pourrons aussi donner quelque chose pour faire réparer notre vieille église, comme tout le monde.

— Je le veux bien, ma fille, répondit la mère.

Marie Petit-Cœur alla donc au marché, à Lannion, avec ses six petits poussins dans un panier.

Quand elle fut sur la place du marché, voilà qu’une belle dame vint droit à elle et lui dit :

— Combien vos petits poussins, mon enfant ?

— Votre volonté, madame, car l’argent que j’en recevrai sera pour contribuer à réparer notre vieille église, qui tombe en ruines.

Et la dame lui donna un louis d’or et un morceau de pain blanc pour sa mère. Marie n’avait jamais vu de louis d’or, et elle pensa que c’était une pièce de quatre réaux (un franc), et elle était très-contente.

Comme elle s’en revenait à la maison, elle s’arrêta pour admirer de beaux bouquets de fleurs artificielles, qu’elle vit dans une boutique, et elle se disait en elle-même :

— Le beau bouquet ! et comme il ferait bien sur l’autel de la Sainte-Vierge, dans notre vieille église !

Comme elle restait longtemps à contempler le bouquet, la marchande la remarqua, et elle vint sur le seuil de sa porte et lui demanda :

— Est-ce que vous voudriez avoir un bouquet de là, mon enfant ?

— Oui bien, madame, pour le mettre sur l’autel de la Sainte-Vierge, dans notre vieille église ; mais je n’ai pas assez d’argent.

— Montrez-moi ce que vous avez.

— Voyez, madame.

Et Marie montra son louis d’or.

— Vous avez assez, reprit la dame ; donnez-moi votre pièce, et choisissez là les deux bouquets que vous préférerez.

Marie Petit-Cœur donna son louis d’or, sans regret, puis elle choisit deux bouquets et s’en retourna à la maison. En arrivant au bourg de sa paroisse, elle alla tout droit à l’église. Il n’y avait personne en ce moment, si ce n’est la servante du recteur, qui balayait l’église. Marie posa ses deux bouquets sur l’autel de la Vierge, puis elle se rendit auprès de sa mère.

— Eh bien ! ma fille, lui demanda la vieille, qu’avez-vous eu de vos poussins ?

— Voici, mère, répondit Marie en lui présentant le morceau de pain blanc.

— Quoi ! rien que cela, ma fille ?

— Non vraiment, mère.

— Vous les avez donnés à trop bon marché, ma pauvre enfant : on vous a volée.

— Non, non, mère, on ne m’a pas volée; vous le verrez bientôt.

Cependant le recteur vint à l’église, et il fut étonné de voir les deux bouquets sur l’autel de la Vierge.

— Qui a posé ces deux bouquets sur l’autel de la Sainte-Vierge ? demanda-t-il à sa servante, qui balayait toujours l’église.

— Je ne sais pas, monsieur le recteur, répondit la servante.

— Qui est-ce qui est venu dans l’église, depuis que vous y êtes ?

— Il n’est venu que la petite Marie Petit-Cœur.

— Marie Petit-Cœur ! Ce ne peut pas être cette pauvre fille qui a fait don à l’autel de la Sainte-Vierge de deux bouquets pareils.

— Je vous assure, monsieur le recteur, qu’il n’est pas entré d’autre personne qu’elle dans l’église.

Le recteur sortit et se rendit chez la mère de Marie Petit-Cœur. L’enfant lui conta tout, comment elle avait fait couver un œuf par la poule, afin d’avoir quelque chose à donner pour les réparations de l’église ; comment de ce seul œuf il était sorti six poussins, et comment enfin, étant allée vendre les poussins au marché de Lannion, une belle dame lui en avait donné un morceau de pain blanc pour sa mère et une pièce de monnaie jaune, avec laquelle elle avait acheté les deux bouquets.

Le recteur reconnut facilement que tout cela s’était fait par la grâce de la sainte Vierge Marie.

Marie Petit-Cœur vécut le reste de ses jours comme une vraie sainte, et quand elle mourut, on vit la sainte Vierge qui descendit du ciel pour venir poser une belle couronne de fleurs sur sa tête.


(Une servante de Trégrom, Côtes-du-Nord.)