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L’Âme bretonne série 4/Une cellule de l’organisme breton VI Les fêtes

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Édouard Champion (série 4 (1924)p. 41-47).


VI

LES FÊTES.


Elles sont fort nombreuses à Plougastel, comme partout, mais les seules intéressantes ici sont les fêtes domestiques et les fêtes religieuses.

1o Les fêtes domestiques. — Sans doute, la fête du leur-nevez (ou de l’aire neuve) n’existe plus : l’invention des batteuses à vapeur lui a porté un coup mortel. Mais d’autres fêtes domestiques sont restées très vivaces. Telles la radennadek ou fête de la coupe de la fougère, en septembre (cette fougère est quérie très loin, sur les dunes de Grozon, du Loc, de Penar-Vir) et la bizinadec ou fête de la coupe du goémon, en février et en mars ; telles encore la « fête du cochon » gwadiguenno, prétexte à ripailles, et la fête du meurs-ar-lard, très différente de notre mardi-gras français : on ne se déguise pas, on ne se masque pas ; mais le grand-père, l’ancêtre, réunit à table, ce jour-là, sa lignée au complet. C’est le festin de famille par excellence. Aussi les enfants partis au service ou établis hors de la commune demandent-ils un congé afin d’y assister. À ces fêtes régulières il faudrait joindre les fêtes occasionnelles, telles qu’anniversaires (célébrées, non en commémoration de la naissance, mais le jour même de la fête patronale du saint dont on porte le nom) ; baptêmes (où, en sus du repas qu’elle offre au parrain et à la marraine, la nouvelle accouchée fait porter un bol de lait doux à tous les enfants du voisinage) ; relevailles (où elle traite ses parentes et amies à la réserve des jeunes filles, non admises auprès d’elle ; cette visite à l’accouchée s’appelle kas ar kouign, mais le kouign ou gâteau y est remplacé par une pièce d’argent, un cadeau quelconque), etc., etc.

2o Les fêtes religieuses. — Très fidèlement, très strictement observées, l’institution des fêtes civiles ne leur a nullement préjudicié. Le 14 Juillet lui-même passe inaperçu à Plougastel : seuls les fonctionnaires illuminent et pavoisent. Il y a d’abord les « pardons », au nombre d’une douzaine et quelques-uns très pittoresques, comme ceux de Sainte-Christine, de Saint-Gwénolé, de Saint-Jean (connu aussi sous le nom de pardon des oiseaux[1] et où tous les oiseleurs de la région se donnent rendez-vous avec leurs pensionnaires ailés). Leur description nous entraînerait trop loin. Bornons-nous à dire quelques mots du Pardon de Plougastel-bourg, qui se tient le 29 juin, fête de St-Pierre. Comme tous les pardons, il est annoncé la veille par des feux de joie ; mais il est surtout remarquable par sa procession. Trois mille personnes y assistent. Toutes les croix et toutes les bannières de la paroisse ont été mobilisées pour la circonstance ; elles sont fort lourdes les unes et les autres, ce qui explique qu’il y ait, pour chaque croix et chaque bannière, trois porteurs qui se relaient pendant la durée du parcours. Honneur envié de porter une croix ou une bannière, mais honneur qui se paie ! À l’issue de la procession, les porteurs des croix d’or et de vermeil ne peuvent moins faire, par exemple, que de déposer chacun sur l’autel un louis de vingt francs enveloppé dans un morceau de papier sur lequel est écrit leur nom. Pour les croix d’argent, on en est quitte à meilleur compte : 10 francs, 15 francs ; pour les bannières, on s’en tire avec cinq francs.

Une procession bien remarquable encore est celle des Rogations. Elle dure trois jours. Le premier jour la procession se borne à faire le tour du bourg ; le deuxième, elle se rend à la Fontaine-Blanche ; le troisième, elle pousse jusqu’à Saint-Claude. Mais il ne suffit pas que les champs soient bénits : pour participer aux grâces de cette bénédiction, il faut que chaque famille soit représentée à la procession par l’un au moins de ses membres.

Sur Noël et les étrennes, je n’ai recueilli que des renseignements sans grand intérêt. Comme partout en Bretagne, la bûche de Noël (an euteu) passe pour jouir de vertus particulières et l’on croit que ses charbons refroidis préservent les maisons de la foudre ; comme partout aussi, des théories de pauvres et d’enfants vont de seuil en seuil souhaiter la bonne année. La messe de Noël porte cependant ici un nom spécial : elle s’appelle oferenn ar pelgent, c’est-à-dire, d’après Troude et par contraction, « la messe d’avant l’aube ». Bien que la paroisse soit presque aussi longue que large et qu’il faille, suivant un proverbe, huit jours à un piéton pour en faire le tour, la population valide de la péninsule tient à honneur d’y assister, même les lointains habitants de l’Armor. Il est vrai que les habitants des « sections » les plus éloignées font le réveillon au bourg : cabarets et restaurants ont « la permission de la nuit », et il s’y consomme pour la circonstance une quantité incroyable de fouaces frites.

Peu de chose à dire également de la Chandeleur, où, en mémoire de la présentation de Jésus au temple et de la purification de la Vierge, les fidèles défilent dans l’église une chandelle ou un rat-de-cave à la main ; du lundi de la Quasimodo (lun ar kaspoudou), qui se célèbre comme partout en Bretagne par un massacre général des pots ébréchés et des vaisselles hors d’usage ; de la fête des Rameaux (sul bleuniou), où il faut noter, cependant, la consommation extraordinaire de buis et de lauriers bénits que font les assistants : c’est qu’aucune parcelle de terre, aucun recoin du logis ne doit être oublié ; on plante une branchette consacrée dans chaque champ ; on en accroche une à la corniche de chaque lit et, non seulement les crèches et les étables, mais les ruches elles-mêmes participent à la distribution. En outre, à l’issue de la grand’messe, toute la population se rend au cimetière paroissial et fleurit d’un rameau bénit les tombes de ses défunts.

Mais voici des fêtes d’un caractère plus spécial : la Saint-Jean et la fête des Trépassés. Cependant et pour bien faire entendre ce qui va suivre, il est nécessaire d’entrer dans quelques explications.

Administrativement, la commune de Plougastel est soumise au régime de toutes les communes françaises : mais sa vraie vie, sa vie profonde, est encore toute spirituelle et les divisions administratives, ne pouvant prévaloir contre les anciennes divisions religieuses, y ont dû se calquer sur elles. L’étonnement est vif chez un étranger d’entendre dire en parlant d’un Plougastélois : « C’est un tel, de la breuriez de telle section. » Passe pour la section, mais la breuriez ? Voici : comme toutes les paroisses de quelque étendue, Plougastel fut divisée de bonne heure, pour les besoins du culte, en un certain nombre de chapellenies. Il y en avait six céans, — et il n’y eut longtemps non plus, à Plougastel, que six sections administratives correspondant à ces six chapellenies : la section de Plougastel-bourg (ou de Saint-Pierre-Plougastel ) ; la section de Saint-Jean ; la section de Saint-Claude (ou Douarbihan) ; la section de Sainte-Christine (ou d’Ellien) ; la section de Saint-Gwénolé (ou de Rozégat) ; la section de Saint-Trémeur (ou de Lanvriran). C’est en ces dernières années seulement qu’a été ouverte la septième section, dite de l’Armorique et sans chapelle propre. Du reste il n’y a plus aujourd’hui de chapelains qu’à Saint-Claude, à Saint-Jean et à Saint-Langny (trève de la section de Saint-Jean) ; encore sont-ce de simples prêtres habitués. Mais Plougastel-bourg possède pour lui seul un curé et quatre vicaires. Que de sous-préfectures ne sont pas si bien partagées ! Subdivision de la chapellenie ou section, la breuriez, elle, correspond entièrement à notre ancien mot frairie. L’association d’un certain nombre de ménages forme une breuriez, comme l’association d’un certain nombre de breuriez formait autrefois une chapellenie. Mais, alors que la chapellenie, muée en section, est devenue une division administrative, la breuriez ou frairie est restée toute spirituelle, a gardé son autonomie propre, ses cérémonies, son fonds social provenant de contributions volontaires. Nous la verrons à l’œuvre dans tous les actes de la vie religieuse, mais spécialement à l’occasion de la Saint-Jean et de la fête des Trépassés.

La coutume des feux de la Saint-Jean se retrouve dans toutes nos provinces. Elle est vieille comme la race, s’il est vrai qu’au solstice d’été, le 24 juin, les Celtes célébraient déjà par de grands feux la fête du renouveau, de la jeunesse ressuscitée du monde. Le sens de la cérémonie s’est perdu, mais la cérémonie elle-même s’est conservée. Les rites en sont particulièrement précis à Plougastel : chaque tertre y a son feu, son tantad, autour duquel, les prières dites, on processionne en rond, à la file indienne, les hommes d’abord, nu-tête, puis les femmes et les enfants. Ce tantad est l’œuvre collective de la frairie ; mais son ordonnateur est toujours un homme de cette frairie prénommé Jean. C’est lui qui allume le feu (comme c’est un Pierre qui est chargé du même office pour les tantads de la Saint-Pierre) ; c’est lui encore qui recueille la cendre et la met aux enchères le lendemain pour le compte de la fabrique. Et cette cendre trouve toujours acquéreur, car elle est « sainte » et, comme telle, constitue un amendement de premier ordre. De même les tisons de la Saint-Jean, que se disputent les assistants et qui sont conservés dans les maisons comme amulettes, passent pour écarter les dangers d’incendie. On croit encore, à Plougastel, que pour guérir ou préserver les nouveau-nés du « mal de la peur », il suffit de les balancer trois fois au-dessus de trois tantads ; la flamme de ces mêmes tantads communique à une certaine herbe qu’on y fait chauffer et qui porte le nom d’herbe de Saint-Jean une efficacité souveraine contre les ophtalmies ; enfin, quand le feu commence à s’assoupir, jeunes gens et jeunes filles le traversent d’un bond en récitant un ave, et pensent ainsi s’épargner dans la vie future autant d’années de purgatoire qu’ils ont fait de bonds et récité d’ave par dessus autant de tantads.

  1. Il ne mérite plus ce nom et, depuis que la loi sur la protection des oiseaux utiles à l’agriculture a été votée, on ne prend plus au traquet les linots, les bruands et les chardonnerets pour les vendre au pardon de Saint-Jean. Les Plougastélois estiment, d’ailleurs, que la réputation de ces oiseaux est usurpée et demandent l’abrogation de la loi.