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L’Âme de mon violon/2

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L’Âme de mon violon : simple chanson en six couplets
L. Vanier, libraire-éditeur (p. 24-48).
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Je n’ai rien oublié de nos heures passées,
Alors que ton avril au mien tendait ses fleurs
Pour le plaisir d’aimer sans arrière-pensées,
Souriante la lèvre et l’œil fou de lueurs.

Je n’ai rien oublié de mes heures bercées
Doucement, doucement aux rythmes doux, berceurs,
Que murmurait ta voix chaste de fiancée,
Ni la sérénité de nos deux âmes sœurs.

Et je revois encor le coin plein d’ombre fraîche
Près de la noria sonore où se dépêche
L’essaim de mes désirs autour de tes bras nus ;

Et joli le jardin ! et combien embellie
Sa légère feuillée au son des angélus
Que tintaient nos baisers sous le saule qui plie !

(Extraits des Raisins bleus et gris.)

FIANÇAILLES



I



Et le jour vint devant nos fiançailles
Sonner bien doux son carillon léger
À toute cloche où le plaisir tressaille
Si de l’espoir il est le messager.

Comme il tintait la plus vive allégresse
Je reconnus l’écho de mon bonheur,
Comme il tintait aussi ta chère ivresse
Je m’affolai du bon carillonneur.


Aux sons ailés de ses claires musiques
Ton frais jardin se pâma dont les lys
Symbolisaient en leurs grâces mystiques
Tout notre amour exilé des jadis,

Des jadis où, lointain, sans se connaître
Il se cherchait pour s’avouer demain
Et s’exalter et réunir nos êtres
Le soir venu que tintera l’hymen.


II



J’ai su ce que dit la rose,
Le jour où tu m’as parlé.

À l’oiseau qui, la nuit close,
La berce d’un chant perlé,
Elle dit, oh ! peu de chose,
Mais comme une lyre l’ose
Dire à son rêve étoilé.

J’ai su ce que dit la rose,
Le jour où tu m’as parlé.


III



Ton âme où chante une fauvette,
Rosier de mon ciel !
Ton âme fleurit et son miel
Enivra ma jeunesse en fête ;

Et ma pensée en vol câlin
Vint à tes corolles
Comme un vol de papillon vole
De fleur en fleur dans le jardin.


Ô quel butin pris avec zèle !
Quels trésors bénis :
Des chansons comme en ont les nids,
Des élans comme en ont les ailes,

Sourires clairs narguant les maux,
Toute une fortune
D’espoirs gais, de joie opportune
Comme une branche au renouveau,

Et, te parant, grâce plénière !
Mieux que des joyaux,
Cette candeur des blancs agneaux
Qui paissent l’herbe printanière.


IV



Vois, près de la grille :
Au soleil de juin
Ton cerisier brille
Rouge incarnadin

Des cerises mûres
Qui d’un air mutin
Criblent sa ramure.

Ses riants bouquets
S’y donnent l’allure
De compagnons gais.


Ses moineaux aux branches,
Sans souci du guet
Font ripailles franches ;

Et c’est la gaîté,
Là, qui s’endimanche
Pour plaire à l’été.

Une âme éveillée,
Ivre de clarté,
Chante en sa feuillée,

Et c’est comme un chœur,
Pour ma fiancée,
Des voix de mon cœur.


V



Comme la neige, blanche, insigne,
Rit sur le plumage du cygne,
Sur tes dents luisantes, Phyllis,
Éclate et rit le blanc des lys.

Ô quels trilles gais de clochette
Quand ton rire, prodigue, jette
En vrai Crésus, à pleines mains,
L’argent d’hier et de demain !


Le feuillage éploré du saule
Égayé par lui se console
Dès qu’à son ombre il tinte clair,
Ruisselantes perles en l’air.

Si je l’ouïs, vite il m’embrase
Tel un feu de joie et, sans phrase,
C’est ta gaîté qui brûle ainsi
Mes fagots tristes de souci.


VI



Ce soir, fleuri d’avril, où ton beau jardin tresse
Ses grappes de lilas sur le front du printemps,
Dans la pitié soudain nos deux cœurs palpitant
Se rapprochent émus et mieux que dans l’ivresse.

C’est qu’un petit enfant, aux bras d’une pauvresse,
Hâve et presque honteux d’être ainsi attristant,
Contre la grille passe et, douloureux, nous tend
Timide et gauche encor son geste de détresse.


D’où viennent-ils, hélas ! déguenillés, poudreux,
Harassés et mourant de faim, les miséreux ?…
Se peut-il qu’il y ait proche nous tant de peine !…

Mais te voyant si bonne, en leurs yeux luit l’espoir :
Le bon Dieu vous le rende ! et l’on dirait qu’à peine
Malheureux ils s’en vont, maintenant, dans le soir.


VII



Parmi les roses azalées
En bordures, dans les allées,
Ô promener, jamais lassé,
Mon bras à sa taille enlacé !

Tandis que sa voix dit des choses
Musicales et comme roses,
Les heures fuyant à l’envi,
Aller ainsi, toujours ravi ;

Puis, sous la tonnelle où voisinent
Dans l’ombre et lilas et glycines,
Ô nous asseoir et me griser
Du miel aimé de son baiser !


VIII



Dans ton verger, l’été, souvent
Après la pluie, après le vent,
Quand, sous la brise,
Les gouttes d’eau tremblent aux fleurs,
Le soleil vient, fou de lueurs,
Qui les irise,

Et — parures du frais décor
Où la rose d’août saigne encor —
Des pierreries,
Vrais diamants aux feux changeants,
S’enflamment d’ors verts et d’argents :
Pures féeries !


Apparais-tu ! perles, rubis,
Topaze, à mes yeux éblouis,
Glissent des branches,
Épanchant sur tes noirs cheveux
Leur souriante averse : aveux
De clartés franches,

Et je jalouse, malgré moi,
Cette griserie en émoi
Des gouttelettes
Qui s’évaporent dans l’amour
De ton parfum choisi toujours :
Ô violettes !


IX



Est-ce les lamelles en verre
D’un harmonica de bazar
Qu’un enfant joueur viendrait faire
Tinter ici, dis, par hasard ?

Non : c’est les flûtes, amoureuses,
Des bons crapauds s’interpellant
Qui carillonnent des berceuses ;
Et leur rythme s’en va galant.


Tu les croirais presque lointaines ?
Mais non ! elles sont au jardin,
Et proche la voix des fontaines
Alterne leur charme certain.

Écoute-les ! c’est l’heure douce
Où vers la nuit mon rêve aimé,
Inapaisé, comme elles, pousse
Ses soupirs de désir voilés.


X



Comme le soir descend dans une apothéose
Avec ses pourpres d’or jalouses de tes roses !…

Vers la nue, au couchant, vois, s’avance la nuit,
Et plus pâle est Phœbé près de Vénus qui luit.



Murmurez à nos amoureuses,
Pâles Nuits ! vos musiques lentes
(Concerts de strophes lumineuses
Qui disent en chœur des berceuses
À nos chimères chancelantes)
Vous qui brodez — sur quelles toiles
Aux sombres profondeurs pâmées —
Les mystérieuses étoiles
Dont les échos vibrent sans voiles
Dans les yeux de ma bien-aimée.


XI



Et ce fut sur nos fronts toute une folle averse
D’étoiles qui filaient dans l’or de leur ivresse.

Tu faisais des souhaits et j’en faisais aussi,
Mais les tiens et les miens n’avaient qu’un seul souci ;

Quand tu disais : — Qu’il m’aime toujours. — Moi de même
Je disais : — Oh ! toujours que Marguerite m’aime !

Qu’il soit toujours heureux dans mes bras ! — Dans mes bras !
Heureuse puisse-t-elle être jusqu’au trépas !


D’étoiles en souhaits, l’heure fixait si vite !…
Il se fait tard, enfants ! il faut que l’on se quitte ;

Demain vous aurez tout loisir de vous revoir ;
Minuit sonne aux clochers de la ville. Bonsoir !

Et nous de réclamer quelques instants de grâce :
La nuit était si belle au bord de la terrasse !…

Déjà partir, Margot, quand demain est si loin !
Je te garde en mon cœur, le ciel en est témoin…

Et seul, je m’en allais, sous le vol des étoiles,
Le cœur plein des rayons d’un astre aussi sans voiles.


XII



Ô l’ineffable rêve en ton cher paradis !…
Comme il s’évanouit le jour que, voix soudaine,
Nos fiers clairons, à l’Est, nous sonnèrent la haine
Du farouche ennemi rué sur le Pays !

Car c’était bien la Guerre et les maux qu’elle traîne
Avec son fol orgueil, ses espoirs, ses mépris,
Derrière les canons qui, déjà ! vers Paris
Roulaient à travers champs en Alsace et Lorraine,


Au fer qu’ils vomissaient au loin comme en un bruit
De tonnerre éclatant après l’éclair qui luit,
Mon angoisse s’émut de tes transes atroces…

Oui ! défendre le Sol menacé d’un danger !
Mais, las ! nous séparer avant l’heure des noces…
Et tes fleurs du jardin, ce jour vint les faucher.


XIII



Ma volonté s’épuisant à nos larmes
Je reste, là, dans tes bras sans pouvoir
Les délier ni répondre au devoir
Qui hautement m’appelle vers les armes ;

Et si je lutte encore quelquefois,
Plus suppliante et tenace et câline,
M’enlaçant mieux que tes bras, c’est ta voix
Qui me retient et sur ton cœur m’incline ;

Lors ton amour me sourit, triomphant
De voir ainsi défaillir à ses charmes
Tout mon vouloir ; car je demeure ! enfant…
Et l’heure meurt dans l’oubli des alarmes.


XIV



Nous étions au jardin ; un régiment passa :
Des mobiles d’ici — tambours, clairons en tête —
Qui partaient pour le Nord comme pour une fête !
Et je me trouvai lâche et mon sang se glaça…

Que ne suis-je avec eux parti ce beau jour-là !
Mon cœur ignorerait ce vent qui le soufflète
De vivaces regrets depuis que la défaite
Meurtrit notre Pays et de deuils le voila.


Pourquoi n’avoir pas dit : Il en est temps encore,
Ami ! vite, suis-les ; si tu pars, je t’adore !
Mais non, jalousement tu me veux tout à toi ;

Et comme je m’écrie en ma franche détresse :
Honte à qui, un tel jour, ne fait pas ce qu’il doit !
Ton baiser sur mon front endort une tristesse.