L’Âme de mon violon/1

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L’Âme de mon violon : simple chanson en six couplets
L. Vanier, libraire-éditeur (p. 16-22).
Cueillons les roses.
Th. de Banville.


Aimons-nous ; c’est la sagesse.
Le vin de mon cœur, maîtresse,
Verse-le avec largesse.

N’attends pas jusqu’à demain
Que la coupe dans ta main
Déborde sur le chemin,

Et, sous l’aurore et la lune,
Au mépris de la fortune
Qu’apporte l’heure importune,

Nous vivrons, blancs exilés
Des paradis étoilés,
Avec nos songes ailés.

Loin des horizons moroses,
Des temps perdus et des proses,
Viens !… il reste encor des roses.


AU BALCON



I



Ce jour que ton avril, au balcon, sous la vigne
Qui jusqu’à tes volets grimpe le long du mur,
Vint s’incliner vers moi, chère âme, avec ce signe
De sa lèvre baisant ses doigts — en plein azur

Le matin se leva comme brille la soie
En zézayant des mots chuchotés et luisants
Et si doux qu’au verger, dans les nids, une joie
Vint les redire en chœurs doucement caressants.

Et ce fut au jardin de mon cœur tout en fête
L’or d’une aurore bleue enflammant l’horizon,
Et ce fut ce jour-là que tu me fis poète.
Ô le joli balcon béni de ta maison !


II



Ôle joli balcon béni de ta maison
Où je vins en tremblant t’avouer les promesses
Que ma passion folle avec ses floraisons
Exaltait vers ta grâce émue et sa simplesse…

Coude à coude et nos fronts penchés sur le chemin,
Dans le silence ami d’une douceur si neuve
Nous écoutions, déjà, la voix des lendemains
Berceuse heureusement comme chante un bon fleuve.

Le printemps se fleurit de ta sérénité,
L’homme sembla meilleur, l’heure même ravie
Et le pur infini s’embellit de clartés
Pour mieux t’illuminer et sourire à ma vie.


III



Pour mieux l’illuminer et sourire à ma vie
Se levèrent tes yeux lentement vers mes yeux,
Tes yeux noirs veloutés auxquels la nuit confie
Le secret de son or étoile par les cieux.

Je leur confiai, moi, le trésor de mon âme,
À travers la rosée en pleurs d’un tel bonheur,
Et, muets, innocents mais vifs comme une flamme,
Nous vîmes nos aveux rosir notre candeur.

Ô ton premier regard si long dans sa tendresse,
Si calme, si profond, sur mes yeux appuyé !
Dès sa lueur sans feinte et ses franches caresses
Je compris qu’à tes jours les miens étaient liés.


IV



Je compris qu’à tes jours les miens étaient liés
Par le ruban tissé des seuls fils de ce charme
Qui, du cœur à l’esprit, et de la tête aux piés,
T’enveloppe et m’attire en chassant mes alarmes ;

Et je compris aussi qu’à mes jours, Marguerite,
Les tiens s’étaient liés, quand, furtive et légère,
Ta main, pressant ma main, souligna dans sa fuite
L’instant qui nous laissait l’heur d’une amour si chère.

Le soleil te nimbait déclinant au jardin
— Ô sa couronne d’or qui sur ton front s’arrête !
Et je te proclamais : ma reine ! étant certain
De rester le sujet féal de Pâquerette.


V



De rester le sujet féal de Pâquerette
Je n’eus aucun mérite et ne m’en vante pas,
Car tu portes en toi l’affinité secrète,
L’invisible lien qui m’attache à tes pas ;

Depuis combien de temps !… voici bientôt six lustres
Telle, dessous la treille ombreuse d’autrefois,
Je te vis et t’aimai — brillant d’un nouveau lustre,
Telle encore et je t’aime et plus belle te vois.

Oh ! le Ciel me combla de bien longues richesses
Qui fit vibrer nos deux âmes à l’unisson
Et nous permit, un soir, d’avouer leurs promesses
Sur le joli balcon béni de ta maison.