L’Âme de mon violon/Prélude

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L’Âme de mon violon : simple chanson en six couplets
L. Vanier, libraire-éditeur (p. 9-14).
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PRÉLUDE



L’heure est blonde et rieuse, à l’aube de la vie,
Quand, d’une aile enjouée, alerte elle confie
Au matin ses essors.
Au matin ses essors. Ô les premiers réveils
Et leur chant d’alouette ivre de rais vermeils !

Même de l’espérance insoucieuse, folle,
Vers les proches avrils et leur miel elle vole
En un vol si léger de joli papillon,
Que, la voyant passer, la fleur et le rayon
Jalousent, celui-ci sa lumière d’aurore,
Celle-là sa beauté fraîche qui vient d’éclore.

Heureuse, où t’en vas-tu, belle heure sans souci,
Toi qui sembles porter aux vieux soirs un défi,
Ignorante des maux et ne te doutant guère
Que ton aînée, ici, née à peine naguère,
Ayant bientôt vécu son passager moment
De terrestre bonheur, s’en ira tristement
Rejoindre, en l’infini du temps, ses sœurs, les tiennes,
Les heures d’autrefois, les heures anciennes
Qui, comme toi, volaient dans le vent du matin,
Fières de leur jeunesse et narguant le destin.


Puisque l’instant est court, ô dirige ton aile
Et ne la laisse pas errer par la venelle
Étroite et salissante où tant de mal se plaît
À charrier l’ordure et le vice et le laid ;
Mène-la par les champs des riants paysages
De la sérénité, sous l’envol des nuages

Qu’une pitié colore et berce un souffle pur ;
Mène-la vers l’Amour ! il est, proche l’azur,
Au pays de tendresse où sait fleurir sans cesse,
Fleur divine, éternelle et de très rare espèce,
La Rose, éclose rose, au parfum de bonté,
La Rose chère aux cœurs de bonne volonté.


Mon heure dont le vol, hélas ! déjà se lasse
Et, bien près de finir, au souvenir s’enlace,
Mon heure se souvient d’avoir cueilli jadis
La belle Rose, rose et plus pure qu’un lys :
Ses minutes depuis en furent parfumées
Comme ma joie aussi l’est de ma bien-aimée.

1er novembre 1900.


À travers les glaces sans tain
Des vitrines de mon grand-père
Je la guettais, soir et matin,
Celle qui toujours sut me plaire.

Souriante pomme d’api,
Fraîche enfant, mignonne écolière,
Elle passait, regard joli,
Et mon cœur me chantait : espère !

Son père lui donnant la main
Elle allait sans savoir, brunette,
Quel émoi fardait de carmin
Si subitement mes pommettes,

Quels pensers volaient si souvent
De mon collège à son couvent.

(Extraits de Couleur du Temps.)

DÉDICACE




L’âme de mon violon
Est un sourire et selon
Qu’il fleurit mélancolique,
Triste ou gai, gris, noir ou blond,
Sourit aussi ma musique.

Elle est parfois même un pleur,
Comme une rosée aux fleurs,
Et selon qu’il est de joie,
Ou d’amour ou de douleur,
Ma musique aussi larmoie.


Car la vie et ce qu’elle a
De ronces près des lilas,
Ses caresses, ses misères,
Tour à tour donnent leur la
À sa frêle voix sincère.

Ô Margot ! ma passion,
L’âme de mon violon
T’appartient : tu la fis naître !
Et depuis, vois, sa chanson
Est ma seule raison d’être.