L’Âme nue/Le Râle
LE RÂLE
La mort fauchait : la ville en deuil était déserte.
J’errais ; et tout à coup d’une fenêtre ouverte,
Un énorme soupir se jeta dans la nuit.
Il s’enfuit à travers la nuit, puis, puis, tout bruit
Se perdit par degrés dans l’horreur des ténèbres…
Un prêtre vint, rythmant les prières funèbres ;
Le râle reprit, court, sec, las, haché d’effort,
Sanglot de ne pouvoir reconquérir la mort,
Et sa douleur tombait dans la douleur nocturne
Comme des larmes d’eau qui pleurent dans une urne.
Et je me suis sauvé, mais je l’entends toujours.
Il me suit : dans mon pas qui sonne aux carrefours,
Dans le brusque frisson des feuilles que je touche,
Dans le bruit de mon geste ou le vent de ma bouche,
C’est lui, c’est toujours lui que j’entends, toujours lui !
Comme la vie est dure aux rêveurs de l’ennui ;
Mais quand la mort descend, comme la vie est douce !
Je songe à nos baisers qui déchiraient la mousse,
Aux parfums de tes seins, aux langueurs de tes sens,
Aux soirs tièdes, aux jeux des réveils caressants,
Au long chemin d’amour que faisaient nos deux âmes ;
Je songe à l’heure rose où nous nous épousâmes,
Aux amis sûrs, à leur clair regard, à leur voix ;
Aux beaux ciels, à l’aurore, à la mer, aux grands bois ;
Parfums, tons et saveurs, à toute l’harmonie ;
Je songe à l’art, au but, à l’œuvre non finie,
Aux douceurs de pleurer, au bonheur de souffrir :
Et j’ai, moi qui chantais la mort, peur de mourir !
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