L’Âme qui vibre/Vers le rêve

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E. Sansot et Cie (p. 143-154).
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Vers le rêve

VERS LE RÊVE

I

Pour qu’elle puisse s’envoler
Près de mon amante,
Écoutez-moi, je vais parler
De ma voix qui chante.

Écoutez bien, écoutez bien
Ce que je vais dire,
Et vous saurez après combien
Naïve est ma lyre :

« Madame, voilà plus d’un an
Que dure l’absence,
Je trouve que c’est suffisant,
Revenez en France.

Vous avez eu le temps de voir
Vos îles lointaines ;
Quittez l’étranger dès ce soir,
Ou je fais des miennes.

Un mois, deux mois… ça passe encor,
Mais tout une année !
C’est se moquer, mon agneau d’or,
De ma destinée.

Aussi je vous dis, galamment,
Laissez ce voyage,
Je ne réponds plus autrement
De mon saint veuvage… »

Mon agneau n’est pas revenu
Malgré ma menace.
Ma voix n’aurait-elle pas su
Retrouver sa trace ?

Pour qu’elle ne m’entende point
Crier de la sorte,
Mon Dieu ! qu’elle doit être loin
L’île qui la porte !

II

Pour t’attendre plus sûrement,
Je pars habiter la campagne.
Notre fillette m’accompagne,
Le chat me suit également.

Nous choisirons un humble chaume,
Loin de la route et près d’un bois,
Où l’odeur des champs, vers nous trois,
Montera le soir comme un baume.

Lorsque j’aurai tout préparé,
Je ferai belle la petite,
Et l’enfant comprendra bien vite
Pourquoi j’ai voulu la parer.

Nous quitterons notre chaumière
Avec au cœur un peu d’émoi.
Nous serons gais, ma fille et moi,
Le chat nous suivra par derrière.

Arrivés au bout du chemin,
L’enfant me dira : « Père, écoute ! »
Tes pas sonneront sur la route.
Alors nous te verrons soudain.

Et malgré l’épaisse poussière,
Florise te reconnaissant,
S’écriera : « Voilà ma maman !
Je veux l’embrasser la première. »

Et notre enfant ira tout droit
Se jeter contre ta poitrine,
Et moi je crierai : « Ma divine !
Enfin c’est toi ! c’est toi ! c’est toi ! »

Et le chat te fera la fête,
Et tu nous embrasseras bien,
Et tu diras : « C’est bien les miens,
C’est bien ma fille et mon poète ».

Et tu diras : « ô mes aimés !
Ô mon amant ! ô ma chérie !
Pardonnez-moi, je vous en prie,
Je ne repartirai jamais ! »

III

Puisque te voilà de retour,
Reprends ta place favorite.
Assieds-toi près de la petite
Et près de ton donneur d’amour.

Écoute l’enfant qui te cause :
— Maman, maman, dis-moi tout bas
Si de ton voyage là-bas
Tu me rapportes quelque chose ?

Où donc était-il ton pays ?
Il était loin, mère, sans doute,
Puisque tu fis dix mois de route
Pour revenir vers tes chéris ?

— Il était loin, oui, ma petite,
Mais il était plus triste encor !
C’est du grand pays de la Mort
Que je reviens t’embrasser vite.

— Que voit-on dans ce pays-là
Pour qu’il soit si triste, ma mère ?
On y voit donc tant de misère ?
On en voit donc tant que cela ?

— On n’y voit rien, petite reine,
Mais toutes les nuits on entend
Haineusement siffler le vent.
Et j’avais peur de tant de haine.

— Tu tremblais bien, pauvre maman !
Alors pourquoi mon petit père,
Lui, ne l’aurait-il pas fait taire
Puisqu’il te faisait peur ce vent ?

— Belle petite âme ingénue,
Ne parlons plus des anciens jours
Puisque me voici de retour.
Si je n’étais pas revenue ?

— Oh ! mais, petite mère, alors,
Si tu n’étais pas revenue,
J’aurais bien su trouver la rue
Qui conduit au pays des morts ! »

Alors ? Alors ? Alors ? Alors ?

IV

Elle aurait su trouver la rue
Qui conduit au pays des morts !
Alors, alors, alors, alors,
Pourquoi, moi, ne l’ai-je pas vue ?

— Ne te plains pas, ô mon amant !
Tu troublerais l’heure présente,
Elle est si douce à ton amante !
Oh ! laisse donc parler l’enfant !

— Maman, petite maman rose,
Je te demandais ce matin
Si, de ton voyage lointain,
Tu me rapportais quelque chose ?

— Je te rapporte mes doigts fins
Ô ma blanche petite agnelle !
Je te rapporte mes doigts fins
Qui te serviront de pantins.

— Ô ma petite maman rose !
Qu’il est joli, ce quelque chose !

— Je te rapporte mes yeux noirs
Ô ma gentille tourterelle !
Je te rapporte mes yeux noirs
Qui te serviront de miroirs.

— Ô ma petite maman rose !
Qu’il est joli, ce quelque chose !

— De plus, voici mes cheveux blonds,
Ô ma sainte petite hostie !
De plus, voici mes cheveux blonds,
Où tes perles s’enfileront,

— Ô ma petite maman rose !
Qu’il est joli, ce quelque chose !

— Et puis encor, voici mon front,
Ô petite enfant de Marie !
Où tes baisers, comme un ballon,
Où tes baisers rebondiront.

Et puis enfin ma voix mystique
Qui te servira de musique.

— « Papa ! papa ! cria l’enfant,
Viens voir tout ce que l’on m’apporte,
J’ai des joujoux de toutes sortes,
Papa ! papa ! maman ! maman ! »

Je vins, mais je ne vis personne,
Ni ma fille et ni sa maman.
Pourtant j’entendais, par moment,
Le bruit d’un baiser qui résonne.

Où sont-ils donc tous ces joujoux ?
Et d’où vient ce bruit qui m’enlève ?
Est-ce ma pauvre enfant qui rêve ?
Ou plutôt moi qui deviens fou ?