L’Âme qui vibre/Vers le regret

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E. Sansot et Cie (p. 107-142).
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Vers le regret

VERS LE REGRET

À la mémoire de mon amie,
À Marcelle LAFOREST

Oh ! moi, qui n’étais pas un faiseur d’élégie,
Moi qui chantais l’amour et les amants pervers,
Me voilà bien forcé de pleurer dans mes vers
Puisque j’ai du chagrin tout le long de ma vie !

PROLOGUE

La mort vient d’emporter dans un coup d’aile altier
La moitié de ma vie.
Depuis je cherche en vain pourquoi l’autre moitié,
Ne l’aurait pas suivie.

Pourquoi l’autre moitié, dans un amour dévot,
Près de sa sœur jumelle,
Ne serait pas allée au calme du caveau
Dormir à côté d’elle.

Pourquoi je suis resté comme un oiseau sans nid
Dans ma chambre sans femme,
Et pourquoi mon corps seul n’a pas vers l’infini
Accompagné mon âme.

J’aurais dû, quand je vis dans la fosse au repos
Descendre ma jeunesse,
Faire un pas et glisser moi-même sans un mot
Auprès de ma maîtresse.

La terre qu’on jeta sur son lit de noyer
Eût été moins sonore.
Et j’aurais fui la vie en écoutant rêver
Ma pauvre amante encore !

I

Ton corps est enroulé dans le drap de lin blanc,
Mais ta voix est sur terre et chante à mes oreilles.
Ne l’écoutez-vous pas qui rôde dans mes veilles
La voix qui m’a bercé trois ans comme un enfant ?

Je la reconnais bien, allez ! sa pauvre voix ;
Et comment pourrait-on, d’ailleurs, ne pas entendre
Une voix qui savait si doucement vous prendre
Et qui parlait de gloire et d’amour à la fois ?

D’où peut-elle venir ? Est-ce de son caveau ?
Ou bien des souvenirs gardés en mon armoire ?
Est-ce du ciel ? ou bien plutôt du purgatoire ?
Du purgatoire ? Oh ! non ! son séjour est plus haut.

Son séjour est celui du Père et de l’Esprit,
Elle grossit là haut le nombre des colombes ;
Elle doit être reine au pays d’outre-tombes,
Et la première assise auprès de Jésus-Christ.

Son règne est arrivé, Jésus changea sa croix
Pour un trône de paix, de fleurs et de lumière ;
Mais toujours bonne amante et toujours bonne mère,
Je reçois d’elle, en don, sa voix, sa pauvre voix.

C’est d’ailleurs mon seul bien, puisque je suis, hélas !
Depuis que tu quittas la terre aigre et rebelle,
Comme un aveugle ayant perdu son chien fidèle,
Ou son paralytique, ou ce que tu voudras.

Fais donc, ô toi qui vis déjà dans la Cité,
Ô ma divine amante ! ô ma reine ! ô ma sainte !
Fais donc, ô toi qu’un jour j’ai pu croire défunte,
Qu’à ton ordre du jour bientôt je sois cité.

II

Ta voix, ta bonne et douce et pauvre voix me vient
Du ciel ! Où donc est-il, alors, le ciel ? Au faîte
Des horizons, ou bien simplement dans ma tête ?
Ou bien simplement dans la Bible du chrétien ?

Où donc est-il ? Où donc est-il ? Et qu’est-ce enfin ?
Qu’est-il ce beau séjour où règne mon amante ?
Ce séjour où chacun vit heureux sous sa tente
Servi par un valet qu’on nomme séraphin.

Oh ! dites-moi, Seigneur, où se dresse l’hôtel
Que vous nous réservez au terme de la vie !
Dites-le moi, Seigneur ! car je meurs de l’envie
De revoir mon amante au pays éternel.

Faut-il un grand voyage, et faut-il être pur
Pour se mettre en chemin vers la terre promise ?
(Ô Seigneur, si j’implore ainsi votre entremise,
C’est que, de par moi seul, de rien je ne suis sûr.)

Ô Maître ! quelle est donc la route que je dois,
— Pour atteindre bientôt votre ville lointaine —
Que je dois prendre et suivre et semer de ma peine ?
Car je ne craindrai pas les peines ni les croix.

Je marcherai pieds nus, Seigneur, et, s’il le faut,
Les deux genoux rampants je gravirai les côtes ;
Je serai le forçat qui rachète ses fautes
Avant de pénétrer au palais du Très-Haut.

Je marcherai longtemps si telle est votre loi,
Sans me plaindre jamais et sans jamais maudire,
Où ma reine m’attend pour que je sois son roi.

Mais quel est le chemin, Seigneur, que je dois prendre ?

III

J’attends depuis six mois votre réponse en vain,
Et si vous l’avez fait jusqu’à ce jour attendre,
C’est que, pour votre ciel, il n’est pas de chemin.

C’est qu’il n’est d’autre ciel que le drap de lin blanc
Que l’on met à chacun pour le départ suprême.
Car vous ne ferez pas, Jésus la Bonté même,
Que je retrouve un jour, ne fût-ce qu’un instant,

La femme qui m’aima trois ans comme un enfant.

IV

La femme qui m’aimait ! Où donc est-elle maintenant ?
Où donc ? puisque mon ciel était une chimère.
Où donc est-elle, Dieu clément,
La femme qui vécut, pour moi, dans la misère
Et qui mourut à l’hôpital atrocement ?

N’est-il pas un pays où le bien fait sur terre
Soit rendu par centuple ainsi qu’on me l’a dit ?
Un pays en dehors de ton vieux paradis
Qui n’est qu’un beau mensonge entouré d’un mystère ?

S’il n’est pas ce pays où sa beauté fleurit,
Ce pays où le pauvre a sa part de jouissance,
Et que je vois comme un pays de récompense
Pour celui qui pleura plus souvent qu’il ne rit ;

S’il n’est pas ce pays de paix et de justice,
Si tous ceux qui s’en vont à jamais dans la mort
Ne doivent pas un jour faire escale en ton port
Pour la ville promise à leur dur sacrifice ;

S’ils n’ont d’autre horizon que l’horizon maudit
Du drap blanc dont on vêt leur éternelle absence,
S’ils n’ont que leur cercueil pour toute récompense,
Mon amante a pour elle un bien beau paradis.

Elle s’en est allée à son nouveau séjour,
Des fleurs dans les cheveux et dans ses mains de cire.
Belle comme au matin de son premier sourire,
Et comme au soir tombant de son dernier amour.

Si bien que n’ayant pas, au lugubre hôpital,
L’habitude de voir une morte aussi belle,
On vint tout un matin défiler devant elle.
On l’aurait plutôt cru prête à partir au bal.

Cependant, elle avait sur sa poitrine éteinte
Un crucifix de bois posé pieusement.
Car elle était chrétienne un peu, dans ses moments,
Et que, s’il est un ciel, Jésus la fera sainte.

Seul, un regret profond des jours trop tôt passés
Jaillissait de son front à mes yeux en délire.
Mais la paix de la mort pouvait pourtant se lire
Sur son cœur de silence et ses deux seins glacés.

Comme alors le soleil pénétrait par la porte,
Pour qu’au fond de sa tombe elle vît de beaux jours,
Nous l’avons, avec elle, enfermé pour toujours,
Ainsi que mes baisers sur ses lèvres de morte.

C’est donc une chapelle et non pas un tombeau
Que nous t’avons donnée au départ de la vie.
Si c’est là tout le ciel, ma défunte chérie,
Bien peu, pour s’endormir, en ont eu d’aussi beau.

V

Mais, si, pour reposer tranquille
Dans la paix de ton caveau noir,
Tu demandes, Petite, à voir
Ceux que tu laissas dans ta ville ;

Regarde, et sois heureuse enfin,
Regarde au sommet de la route
Deux êtres qui s’aiment, sans doute,
Puisqu’ils vont la main dans la main.

Tu sauras qu’à ton heure extrême
Leurs yeux n’étant pas dans les tiens
Pour te déverser leurs soutiens,
rls n’en ont eu que plus de peine.

Mon Dieu ! J’ai dit : « Ils n’en ont eu ! »
Comme si l’enfant, jeune à peine,
Avait pu comprendre sa peine.
J’ai dit pourtant : « Ils n’en ont eu ! »

C’est que, vois-tu, petite mère,
J’ai dû souffrir pendant un temps
Pour moi-même et pour notre enfant.
Ma douleur fut deux fois amère.

Mais maintenant, mais maintenant
Que tu viens de revoir sur terre
Tes enfants : la fille et le père,
Dors vite petite maman.

Dors, petite maman, dors vite,
Nous sommes-là pour te veiller,
Ne quitte plus ton oreiller,
C’est temps que tu dormes, petite.

Ton cœur a souffert et souffert,
Maintenant il te faut du calme,
Dors, tu dois bien, ma petite âme,
Avoir gagné ta croix de fer.

VI

Tu dois avoir gagné ta croix, je le sais bien,
Pourtant je la voudrais briser comme une paille,
Ta croix de fer qui me rappelle la bataille
Où la mort, dans un cri, t’arracha de ma main.

Cependant deux grands jours j’ai su lui tenir tête,
Je suis resté dressé deux jours entre elle et toi ;
Mais elle était la Force et moi j’étais le Droit :
Elle me vainquit donc et tu fus sa conquête.

C’est en signe vainqueur qu’elle a planté sa croix
Sur ta tombe où je vais passer tout mon dimanche.
C’est pour cela que je voudrais, telle une branche,
La faire à mon genou craquer comme du bois.

Mais je ne l’ai pas fait par crainte de mal faire,
Car j’aurais pu, sur toi, ranimer le courroux
De quelqu’un qui, peut-être, est au-dessus de nous,
Et ma vengeance, alors, a préféré se taire.

Et je ne l’ai pas fait car je sais que l’été
En oiseau quelquefois vient s’y poser et chante ;
Et que je me souviens que tu semblais contente
Quand un oiseau venait près de toi pour chanter.

Oh ! dans l’embrassement de ses deux bras funèbres,
As-tu la paix de l’âme et le repos du cœur ?
Oh ! je tremble en songeant que tu peux avoir peur
Quand les pins, sous le vent sifflent dans les ténèbres.

Mais attends que le siècle ait fait encore un tour,
Nous ne souffrirons plus alors notre torture,
Car, puisqu’en ses malheurs on croit à l’Écriture,
La trompette viendra nous réveiller un jour.

Nous nous reconnaîtrons malgré la foule et l’âge,
Moi, j’aurai le regard de ton amour hanté,
Tu n’auras qu’à tenir en main, de ton côté,
Le cœur que tu m’as pris au seuil de ton voyage.

Et nous nous en irons aux déserts les plus loins
Afin de nous conter dans le silence austère
L’histoire de nos jours passés six pieds sous terre,
Et de n’avoir que nous comme amis et témoins.

VII

Mais d’ici là, mon Dieu ! d’ici que ce jour vienne,
Je vais avoir le temps de mâcher mon chagrin,
Je vais avoir le temps de chercher, le matin,
La tête qui dormait les nuits près de la mienne.

Je vais avoir le temps de suivre tout au long
Tes heures d’hôpital et ta brève agonie,
Et de baiser longtemps, de ma bouche amaigrie,
Ce que j’ai pu garder de tes chers cheveux blonds.

Je vais avoir le temps de revoir dans mes veilles
Cette salle aux lits blancs qui prenait, dans le soîr,
L’aspect lugubre et froid d’un vaste reposoir
Où la mort s’entendait en prêtant bien l’oreille.

Et je me redirai tes paroles longtemps ;
Paroles de bonté pour tes compagnes blêmes,
Paroles où toujours tu t’oubliais toi-même
Afin de mieux pleurer sur les autres lits blancs.

Je me la redirai ton admirable plainte,
Lorsque penchant vers moi le corps que je devais
Plier dans le drap blanc moins de trois jours après,
Tu syllabais déjà de ta voix presque éteinte :

« Regarde, mon ami, là-bas, celle qui pleure,
« C’est une jeune fille, elle donne à chaque heure
« Un coup d’aile de plus vers le pays d’En-Haut.

« Regarde à mon côté, cette plus jeune encore,
« L’interne nous a dit que ce serait très beau
« Si la pauvre, demain, voyait poindre l’aurore. »

Et toi ! sur qui la mort s’apprêtait à descendre,
Combien de clairs matins te restait-il à voir ?
Combien te restait-il à contempler de soirs ?
Combien te restait-il de baisers à me rendre ?

Ô toi qui t’en allas au soleil de midi
Sans avoir attendu l’heure de ma visite !
Ô toi qu’indignement l’on traite de maudite
Bien que tu n’aies traité ton prochain de maudit !

Quel était donc l’amour qui brûlait dans ton âme,
Ô toi qui n’as jamais gémi contre le sort !
Pour qu’a trente ans à peine, aux portes de la mort,
On entendît ta voix pleurer sur d’autres femmes ?

VIII

Ô toi ! qui n’as pas eu pourtant de lit de mort !
Ô brebis qui n’a pas expiré près du pâtre !
Mais que j’ai retrouvée au grand amphithéâtre
Parmi des morts anciens et d’autres morts encor !

Ô toi ! que l’on put voir sinistre et toute nue
Sur la dalle où mourait ton flot de cheveux fous,
Et dont les doigts portaient la trace des bijoux
Que l’on t’avait ravis, sitôt l’âme rendue !

Ô victime innocente et douce de ton cœur !
Pardonne à ton amant d’avoir été te prendre
Au sein de ta province et de ton foyer tendre
Pour te conduire au jour de la ville où l’on meurt.

Pardonne à notre amour d’avoir su nous atteindre,
Car il était si grand, car il était si fort,
Que la terre qui pèse à présent sur ton corps
Ne l’a pas étouffé ni ne saurait l’éteindre.

Ô toi ! Morte à jamais toute vivante en moi !
Je te crie au travers de la mort que je t’aime,
Et que, mort à mon tour, je t’aimerai quand même,
Ô Morte que je sens toute vivante en moi !

IX

L’HORLOGE

L’horloge qui trouvait écho dans sa voix tendre,
Sonne toujours pareil sans se douter jamais
Que je suis maintenant seul à pouvoir l’entendre.

L’horloge ne sait pas qu’elle fait désormais
À chaque tintement pleuvoir un peu de cendre
Sur mon cœur où, déjà, la cendre fait sommet.

S’aperçoit-elle même, en frappant sa cadence,
Qu’autrefois on comptait ses coups de timbre à deux,
Mais que, depuis l’hiver, elle sonne en silence ?

Ô voix de ma jeunesse et de mon âge heureux !
Pourquoi n’es-tu plus là pour m’épeler les heures
Qui descendent le soir du cadran lumineux ?

Pourquoi, lorsque minuit par douze fois m’effleure,
Pourquoi ne plus entendre, ainsi qu’auparavant,
Ta voix répercuter ses coups dans ma demeure ?

Mon Dieu ! vous auriez dû me faire indifférent
Pour qu’au timbre argentin de l’horloge de ville
Mon cœur ne souffrît pas en se remémorant !

Vous l’auriez dû, mon Dieu ! car la douleur servile
Est là qui me tourmente et fait de moi son jeu
Sitôt qu’une heure tombe et chez moi se faufile.

Car la voix qui chauffait mon cœur comme du feu
Me reparle et me dit : « C’est telle heure qui sonne,
Si nous sortions un peu ? » Puis nous sortions un peu.

Et pendant que le chat sur mes genoux ronronne,
Douce, la voix reprend : « Il faut songer, petit,
« Que je suis ta maîtresse aussi bien que ta bonne.

« C’est le quart, tu devrais être déjà parti.
« Tes amis, au café, t’attendaient pour six heures,
« Tu viendras me reprendre à sept heures, petit ! »

Est-ce ta voix, ô morte ! Est-ce que je me leurre ?
Car je l’entends, tu sais, et je l’entends très bien,
J’entends la même voix dans la même demeure.

Écoute-là, plutôt : « Petit, tu ne fais rien,
« Tu me parais souffrir et me caches ta peine,
« Ne suis-je plus pour toi ton bon ange gardien ?

« Tu n’as pas travaillé depuis l’autre semaine ;
« Quel est donc le chagrin qui mûrit dans ton cœur
« Et la mauvaise main qui t’en lança la graine ?

« Quel est donc ton remords ou quelle est ta rancœur ?
« Tu ne me dis plus rien. Aurais-je cessé d’être
« Ta sœur de charité, ta sœur, ta grande sœur ?
...................

« Et c’était pour cela que tu voulais le mettre
« L’esprit à la torture et le cœur à l’effroi ?
« Et c’était pour cela Pour beaucoup moins, peut-être !

« Ô petit ! mon petit qu’un rien met en émoi !
« Laisse donc l’avenir apporter sa semence !
« Va ! le premier regret ne viendra pas de moi ! »

Et cette voix reprend parfois ses confidences :

« Sais-tu que je serai bien heureuse le jour
« Où les gloires auront germé de tes souffrances.
« Le jour où le laurier à ton front sera lourd,
« Et laissera, semblable au branchage du lierre,
« Ramper ses feuilles d’or au long de notre amour.

« Ah ! ce jour-là, mon cher petit, je serai fière ! »

La voix qui me lançait ainsi des grains d’espoir,
Se prenait, quand pour nous sonnait l’heure dernière
Et qu’au bras l’un de l’autre on berçait notre soir,
Se prenait, quand le calme étendait ses deux ailes
Sur notre enlacement et notre couple noir,
À me parler de sa petite tourterelle,
De l’enfant que j’avais fait jaillir de son sein
Pour jeter en pâture à la foule rebelle.
Et sa voix était douce, alors, comme sa main :

« Que fait notre Jésus par cette nuit sereine ?
« Dort-il, au moins, notre petit Nazaréen ?

« Mon Dieu ! si seulement j’étais un peu certaine
« Que cette paysanne embrassât notre enfant,
« Non pas, certe, en maman, mais au moins en marraine.

« Si je savais, vois-tu, qu’elle eût le sentiment
« De lui parler parfois de sa lointaine mère,
« Je sentirais mon cœur moins lourd assurément.

« Mais le jour de revanche est proche, je l’espère.
« N’est-ce pas qu’il viendra ce jour où nous aurons
« Entre nous deux l’enfant né sur notre calvaire ? »

Eh non ! ce jour ne viendra pas ! Ce : « nous aurons »
Me sonne en ce moment comme un glas aux oreilles,
Car jamais, maintenant, jamais nous ne pourrons,

Celle qui me parlait de lui pendant mes veilles,
Et moi sur qui le sort posa son doigt fatal,
Surveiller tous les deux notre enfant qui sommeille :

La maman étant morte un jour à l’hôpital.

Et par dessus les toits, et par dessus la ville,
L’horloge chaque jour me rappelle l’antan :
Et plus je suis troublé, plus l’horloge est tranquille,
L’horloge que rudoie et balance le temps.

X

J’AI REVU L’HÔPITAL

J’ai revu l’hôpital et c’était dans la nuit.
Je m’en allais tout seul promener mon ennui
Sans songer que par là ma maîtresse était morte.
J’allais, quand j’aperçus les globes de la porte.
Oh ! le frisson d’hiver, qu’en mon cœur tressaillant,
Fit courir, tout le long, l’aspect de ce mur blanc !
Oh ! ma douleur subitement ressuscitée !
Oh ! ma douleur, que mon âme avait abritée
Pendant dix mois, tant bien que mal, et qui venait
De refleurir, comme font les bourgeons en mai !

Les deux globes de feu répandant leur lumière,
Me montrèrent bientôt la maison tout entière.
C’est alors, qu’impudent, le souvenir tout nu
Se dressa comme une ombre et que j’ai tout revu.

D’abord, la salle froide à la porte vitrée
Où l’interne signa sa feuille de rentrée ;

Et le long corridor, péniblement suivi ;
Et les trente degrés de l’étage gravi ;
Et le dortoir immense, où jeune fille et femme,
Rejetaient vers le ciel leurs poumons et leur âme ;
Et la garde en bonnet, qui, malgré sa bonté,
N’a pas su remplacer la sœur de charité,
La garde qui lança, de sa voix la plus calme :
« Monsieur, vous pouvez dire au revoir à madame ».
Et le départ, et ses yeux de douleur si pleins
Qu’au-dessus des lits blancs, ils pleuraient dans les miens.
Puis enfin, dans la nuit à mes chagrins propice,
Mon ombre qui rôda tout autour de l’hospice ;
Et le triste retour à la maison surtout.
Et puis, ce n’est pas tout, et puis, ce n’est pas tout :
Et le jeudi suivant, la première visite,
Si lente, si cruelle et pourtant si petite ;
Et la visite encor le dimanche d’après ;
Et la pauvre sachant très bien que je viendrais
Le premier de tous ceux ayant là des parentes,
M’attendant sur son lit, assise et grelottante.
« Tu sais, me disait-elle, en ranimant sa voix,
« Tu sais que l’on m’appelle, ici, Madame Trois,
« Car mon lit, dans le rang, regarde, est le troisième. »
Et puis elle appuyait sa tête sur la mienne.

Elle vécut encor cinq longs jours d’hôpital,
Puis elle apprit enfin qu’elle était au plus mal.
Alors elle me dit de sa voix de mourante :
« Attends au moins un an, pour prendre une autre amante ! »
Et, comme l’heure allait sonner du dénoûment,
Les yeux un peu mouillés, tremblante et doucement,
Portant ses doigts jolis sur sa bouche encor belle,
Elle fit un baiser : « Pour ma fille » dit-elle.

Et puis ce fut la mort, la mort au fard hideux,
Qui noircissait sa lèvre et qui cernait ses yeux.
Et puis ma bouche à moi sur sa bouche quand même,
Car, jusque sur la mort, quand j’aime, il faut que j’aime ;
Et puis l’amphithéâtre où le gardien des morts,
De cadavre en cadavre a retrouvé son corps…

Souvenir ! souvenir à la douleur hurlante !
Je vous sentis couler comme une huile bouillante,
Je vous sentis couler si fort que, dans le soir,
J’ai percé les murs blancs d’un cri de désespoir.

XI

TOUSSAINT

C’est le jour où tous ceux qui sont restés debout,
Vers ceux qui sont couchés, s’en vont les mains fleuries.
Le jour où l’on va voir des tombes bien garnies,
Et non les en-allés qui dorment au-dessous.

Je n’irai pas la voir, pendant ce jour, la mienne.
Pour s’aller promener, il est d’autres jardins.
Je laisserai couler le flot des citadins,
Qui, de ce jour, ont fait une fête païenne.

C’est la fête des morts, dites-vous ? Mais c’est faux !
Mais c’est faux ! car les morts n’auront jamais de fête !
Car c’est vous, les vivants, qui la leur avez faite,
Afin de vous offrir un passe-temps nouveau !

Mais pourquoi donc, mon Dieu ! dépenser tant de vie !
Que m’importe, après tout, ce que font les vivants ?
Puisque je n’irai pas, ce jour, grossir leurs rangs,
Puisque je resterai dans ma chambre garnie.

Et puis, pour la revoir, ai-je besoin, d’ailleurs,
D’aller au cimetière ou d’attendre une fête ?
A-t-elle été pour rien l’amante d’un poète ?
Et n’est-elle enterrée au caveau de mon cœur ?

XII

L’ANNIVERSAIRE

Il va venir… il va venir… à petits pas,
Ô mes amis ! ne parlez pas, ne parlez pas !
Ô mes oiseaux de mon jardin il faut vous taire !
Il va venir, il va venir l’anniversaire !
Oh ! pas de bruit, oh ! pas de bruit car il est là,
Et je ne voudrais pas que du bruit le troublât.
Je veux le voir monter de son puits tumulaire,
Et l’attendre, en Romain, comme un jour ordinaire.
Je ressentirai mieux, ainsi, sans m’effrayer,
Jusqu’où l’intensité d’un regret peut aller.
Mais pour cela, mes doux oiseaux, il faut vous taire.

Oh ! le voilà, le voilà son anniversaire !
Il est tout pâle, il est tout triste, il est tout blanc
D’avoir, pour me rejoindre, erré pendant un an.
Ah ! comme il m’environne et comme il me pénètre !
Il a, dans un brouillard, enfermé tout mon être,

Et je me sens en lui si bien enseveli
Que je voudrais me perdre à jamais dans son pli.
Comme il me couvre bien de ses ailes entières !
Et qu’il a su fermer pleinement mes paupières !
Ô toi ! mon généreux et mon plus tendre ami !
Toi, qui, dans mon passé, m’a si bien endormi !
Ne garde pas ainsi, dans ta main menaçante,
Tour mieux l’interroger, ma tête languissante ;
Je suis trop faible encor pour soutenir l’assaut ;
Mais courbe tes bras forts pour m’en faire un berceau.

— Je courberai mes bras puisque tu le demandes
Et je te donnerai mes baisers pour offrandes ;
Et je te donnerai, couché dans mes bras forts,
Près de ton corps à toi, le rêve de son corps ;
Et je ferai pour toi tout ce que l’on peut faire
Car, pour toi, je veux être un bon anniversaire.

— Je crois sincèrement, ô mon grand donateur,
Avoir bien mérité tes marques de faveur.
Car si, depuis un an, je suis tombé sans cesse
Dans mes péchés, dans mes défauts, dans ma faiblesse,
Et si j’ai traversé mes chagrins en chantant,
Je ne l’ai jamais fait de mon cœur consentant.
Si, poussé, certains soirs, par un vent de tourmente,

J’ai volé des baisers au hasard de l’amante,
Je les ai toujours pris sans cœur reconnaissant.
Comme un moineau siffleur prend du pain au passant.

Oh ! j’ai péché, bien sûr ! Car je suis, dans la vie,
Celui qui ne sait pas résister à l’envie ;
Je suis le pénitent qui, malgré ses grands mots,
N’a jamais fait honneur à son ferme propos ;
Je suis le faible d’âme et la proie éternelle
De tout ce qu’un hasard fait luire à ma prunelle ;
Et je serai toujours, poursuivant mon destin,
L’esclave involontaire et soumis de l’instinct.

C’est pour cela que j’ai péché plus qu’on ne pense.
C’est pour cela, peut-être aussi, que j’ai trouvé
Dans le cœur de chaque homme une même indulgence.
C’est pour cela que, ton jour étant arrivé,
Et ne voulant, pas plus qu’eux tous, être sévère,
Tu me pardonneras, ô mon anniversaire !

Et, m’ayant pardonné, tu me dorloteras
Afin de m’endormir au berceau de tes bras.
Et tu feras revivre et chanter dans mes rêves
Le temps où je trouvais toujours les nuits trop brèves ;
Le temps où mon baiser,
En s’envolant joyeux, savait où se poser,

Où mon étreinte était généreuse et sincère,
Et le temps où mon front, fatigué d’incertain,
Sentait passer sur lui la douceur d’une main.

Tu peux bien m’exaucer, ô mon anniversaire !