L’École de la paix sociale/13

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§ 13

L’état présent de prospérité et de souffrance.


L’étude des monuments de l’ancienne Égypte prouve de plus en plus la longue durée des époques pendant lesquelles les premières races qui peuplèrent cette contrée, surent conserver les avantages de la prospérité fondée sur la paix. L’histoire moderne, et surtout celle des quatre siècles écoulés depuis la Renaissance, met en pleine lumière l’infériorité relative qu’ont offert à cet égard les Européens. On commence à entrevoir les causes de cette infériorité.

Les habitants de l’ancienne Égypte y avaient directement importé la pratique du Décalogue. Chacun d’eux avait sur la loi morale des convictions énergiques, inculquées par la tradition des ancêtres. Dans de telles conditions, la fécondité inouïe du territoire développa rapidement la population, puis la richesse, la science et la force qui sont les principaux résultats de la prospérité. Ayant ainsi devancé les autres races d’hommes, ils restèrent longtemps à l’abri de la guerre que celles-ci entreprirent plus tard, sous l’inspiration des convoitises suscitées par la richesse du Delta, quand les Égyptiens s’affaiblirent par la corruption. Depuis cette première époque de prospérité, ta fonction bienfaisante des pasteurs s’est progressivement amoindrie, et, à vrai dire, elle ne s’exerce plus aujourd’hui que sur l’empire chinois (C.e., V, 12). Les grands empires qu’ils ont fondés dans l’Asie méridionale, comparés à l’ancienne Égypte, ont été relativement éphémères. Il en a été de même pour ceux que les beaux exemples de l’ancienne Égypte ont créés dans le bassin de la Méditerranée.

Il en sera de même, selon toute apparence, pour les trois grands empires, l’Angleterre, la Russie et les États-Unis, qui, depuis l’âge de la houille, ouvert en 1830, se développent rapidement sous les climats froids et tempérés contigus à la région boréale (C.e., V, 9 à 11). C’est le résultat que font prévoir les événements accomplis depuis la Renaissance, si les gouvernants de ces empires ne comprennent pas la nécessité de se soumettre à l’ensemble des dix commandements et de s’interdire surtout l’effusion du sang humain. Pour atteindre ce but, ils doivent se méfier d’eux-mêmes, et ne pas oublier qu’ils ne possèdent pas les éléments de paix que les pasteurs de la Mongolie et les Lamas du Thibet ont conservés jusqu’à ce jour aux Chinois.

La souffrance actuelle des Européens et du puissant essaim qui grandit depuis trois siècles sur le sol de l’Amérique, a pour explication des causes nombreuses qui dérivent de certains faits primordiaux. Les races qui gouvernent depuis la chute de l’empire romain, n’ont point reçu directement la tradition des races pacifiques qui fondèrent la prospérité de l’ancienne Égypte. Ces traditions ont été d’ailleurs fort amoindries par les régimes de violence qui précédèrent leur établissement définitif dans l’occident de l’Europe.

Pendant les quatre siècles qui suivirent la conquête, les habitudes de violence s’amoindrirent grâce à la doctrine du christianisme ; mais elles furent réveillées, à partir du ixe, par la corruption des chefs du clergé, issus pour la plupart des familles dirigeantes chez lesquelles se perpétuaient ces habitudes.

Depuis la Renaissance, le développement de la population et les progrès de la richesse, de la science et de la force augmentent le mal qui régnait au moyen âge. Les riches abandonnent les coutumes de patronage pour se livrer au luxe et aux plaisirs sensuels ; les lettrés s’appuient sur les découvertes des savants pour ruiner, dans l’estime des peuples, les plus bienfaisantes pratiques du Décalogue ; les gouvernants enfin abusent de la force publique qui leur est confiée pour opprimer ceux qu’ils devraient protéger et pour envahir le territoire des nations voisines. Heureusement ces transformations, qui ont maintenant pour résultat la pénurie du pain quotidien, la révolte des peuples et la guerre, pourraient aisément aboutir à l’abondance, à l’amour des gouvernements et à la paix.