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L’École primaire sous l’ancien Régime

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L’École primaire sous l’ancien Régime
Revue pédagogique, second semestre 190751 (p. 249-262).

L’École primaire
sous l’ancien Régime.


Dans une étude précédente, nous avons exposé ce qu’était la situation du maître d’école sous l’ancien régime[1]. Ce que fut l’école primaire et particulièrement l’humble école de paroisse, tel est le sujet que nous allons aborder.

Sans doute, on a déjà beaucoup parlé des « petites écoles » d’autrefois. De patients historiens locaux ont dressé la statistique des établissements d’instruction primaire existant alors en diverses provinces ; mais ils ont dit fort peu de chose de ces écoles elles-mêmes et de l’enseignement qu’on y donnait. Si nous voulons les faire revivre, nous recourrons aux anciens traités que nous appellerions aujourd’hui « de pédagogie pratique », et surtout aux règlements publiés par les évêques, alors les seuls directeurs de l’enseignement populaire. C’est en compulsant ces sources principales que nous essayerons d’étudier l’organisation matérielle et pédagogique de l’école primaire de l’ancien régime, aujourd’hui si peu connue et cependant si curieuse.

I. — La maison d’école.

L’école dans l’église. — Au temps de Charlemagne, les prêtres réunissaient chez eux les enfants de la paroisse qu’ils « endoctrinaient » gratuitement en retour de la dîme devenue obligatoire. Charlemagne mort, ils renvoyèrent leurs élèves laïques, et le peuple fut abandonné à son ignorance. C’est alors que des clercs non pourvus de bénéfice s’avisèrent de tenir école, mais Page:Revue pédagogique, second semestre, 1907.djvu/264 Page:Revue pédagogique, second semestre, 1907.djvu/265 Page:Revue pédagogique, second semestre, 1907.djvu/266 Page:Revue pédagogique, second semestre, 1907.djvu/267 Page:Revue pédagogique, second semestre, 1907.djvu/268 Page:Revue pédagogique, second semestre, 1907.djvu/269 moins exigeante : pour cent enfants, il faut « une chambre de 26 pieds en longueur, 17 à 18 en largeur et 12 de hauteur, de peur que les chaleurs ne causent quelque puanteur et ensuite une maladie, notamment dans Paris où l’air est fort grossier ». L’auteur demandait ainsi un peu plus de deux mètres cubes d’air par élève. Bien que trouvant son école « grande et spacieuse », il recommande de la percer de fenêtres à vitres ou au moins à châssis de papier bien clairs, d’en établir de trois côtés, de quatre s’il est possible, « car, en été, on ne peut avoir trop d’air pour évaporer toutes les mauvaises odeurs des enfants ». L’aération, si nécessaire dans un pareil entassement d’élèves, se faisait aussi par la cheminée, large de douze pieds au moins et sans jambages. Un banc semi-circulaire, haut de quatorze pouces, permettait aux écoliers de s’y chauffer à tour de rôle par bandes de dix à douze. Ceux qui avaient fourni le combustible se chauffaient les premiers, les pauvres ensuite.

Le mobilier scolaire. — Le mobilier se composait de tables de quinze pouces de large, posées sur des tréteaux ou empiétées de bons pieds de chêne. Elles étaient réservées aux « écrivains ». « Il est à souhaiter, dit le même auteur, qu’il y ait autant de places que d’écrivains pour éviter les confusions que font ordinairement les paresseux qui passent volontiers deux ou trois jours sans écrire et donnent pour excuse que les places étaient occupées par d’autres. » Des bancs disposés le long des murs étaient destinés aux débutants encore au syllabaire.

Dans l’école de Juvigny (Manche), on voyait deux grands bancs de seize pieds de long et à dos de chêne pour les filles, deux autres de quinze pieds, sans dos, pour les garçons, deux autres petits bancs de huit pieds, une table de longueur de seize pieds. Dans les écoles de village, on ne trouvait qu’une grande table ordinaire autour de laquelle se rangeaient les écrivains, de sorte que la moitié d’entre eux tournaient le dos au maître.

Ajoutons à cela l’estrade du maître et une armoire pour serrer les livres en dehors des heures de classe.

L’École chrétienne recommandait l’usage de sentences instructives et de prières collées sur des cartes attachées au mur, et l’affichage du « Règlement de l’école, afin que les enfants puissent le lire et l’apprendre ».

Avec la clochette du maître et ses instruments de discipline, tel était tout le mobilier scolaire proprement dit.

Le tableau noir est oublié dans cette énumération. Il existait pourtant dans les écoles modèles. Une seule fois, l’auteur de l’Ecole paroissiale le mentionne, et combien discrètement ! Pour la première leçon d’arithmétique, dit-il, le maître « pourra se contenter de bien faire connaître une partie des caractères et les marquer avec de la craie blanche sur une tablette noircie… » Le chanoine Cherrier conseille de se servir, « à défaut d’ardoise, d’une table ou d’un tableau fait de planches bien unies peintes en noir, mais à l’huile, afin que cette couleur ne se décharge pas lorsqu’on effacera les caractères[2] ». Un évêque de Saint-Omer entrevit le parti que l’on pouvait tirer du tableau noir pour l’enseignement simultané : « Afin que les enfants puissent plus facilement, et tous en même temps, apprendre à connaître les lettres, la maîtresse leur en présentera, avec une baguette, la forme tracée en gros caractères, sur une planche exposée aux yeux de toutes[3]. » Malgré les progrès de l’enseignement à la fin du xviiie siècle, le tableau demeurait inconnu dans les petites écoles, à tel point qu’on en a attribué l’invention à Roch-Ambroise Sicard, instituteur des sourds-muets et auteur d’un Manuel de l’enfance publié chez Leclère, en l’an V. Sicard décrit en effet minutieusement le tableau noir. « Ces sortes de planches, ajoute-t-il, servent aux procédés des géomètres comme aux leçons des sourds-muets. »

Le mobilier religieux devait comporter : un crucifix de deux pieds et demi de hauteur, tourné vers le tabernacle de l’église paroissiale ; des tableaux à double face représentant la vie des saints, des images de la Vierge, de saint Joseph, du patron du Page:Revue pédagogique, second semestre, 1907.djvu/272 Page:Revue pédagogique, second semestre, 1907.djvu/273 Page:Revue pédagogique, second semestre, 1907.djvu/274 Page:Revue pédagogique, second semestre, 1907.djvu/275 suivies qu’en hiver. En Champagne, l’école était fermée de Pâques à la Toussaint. Dans les Alpes, où chaque paroisse se composait de cinq ou six hameaux, il y avait au chef-lieu une école dite d’été qui fonctionnait toute l’année ; elle était dirigée par un maître de profession. Des classes d’hiver fonctionnaient dans les hameaux ; l’enseignement y était plus élémentaire et les rétributions moins élevées. D’après l’enquête de 1833, les classes ne duraient effectivement que trois mois dans l’Aube, l’Aisne, l’Ain, le Doubs, les Hautes-Alpes, l’Aveyron et le Cantal, quatre ou cinq mois dans les Ardennes, la Meurthe, la Charente, six mois dans les Basses-Alpes.

Le congé du jeudi était général. Dans le diocèse de Rouen, suivant le Règlement de 1520, il y avait aussi congé le samedi ; ce jour-là, passé midi, les ouvriers suspendaient leurs travaux et les marchands fermaient leurs boutiques. — Enfin, nos ancêtres avaient une foule de fêtes, fêtes de corporations, confréries, pèlerinages, que les écoliers chômaient très volontiers.

Bref, le maître d’école allait à sa classe quand il n’était pas retenu ailleurs et les parents lui envoyaient leurs enfants quand ils n’avaient plus besoin de leurs services.

III. — Procédés d’enseignement.

L’École paroissiale. — Nous avons cité plusieurs fois déjà le livre de l’École paroissiale qui fut longtemps comme le code pédagogique de nos devanciers. L’importance de cet ouvrage dans l’histoire intérieure des petites écoles paraît avoir été méconnue. Suivant M. Compayré, la première édition en fut publiée en 1655. Celle que nous avons compulsée est datée de 1669 ; elle parut à Paris, chez Pierre Trichard, rue Saint-Victor, proche Saint-Nicolas du Chardonnet, au chef Saint-Jean, sous le titre de : Instruction méthodique pour l’école paroissiale dressée en faveur des petites écoles, dédiée à M. le Chantre de l’Église de Paris, par M. I. D. B., Prestre ; elle forme un in-12 de 400 pages.

Ce manuel est l’œuvre d’un maître d’école de Paris, lequel « fait part au public de ce que l’usage et l’expérience lui ont appris dans cet exercice ». Au synode du 6 mai 1672, le promoteur des écoles le recommandait aux maîtres et maîtresses de sa juridiction et surtout « l’Instruction familiaire qui en est la quatrième partie[4] ». Mais on ne le suivait pas seulement dans la capitale. Démia s’en inspirait pour l’organisation des écoles de Lyon. « Chaque maître et maîtresse, dit-il, se conformera, Page:Revue pédagogique, second semestre, 1907.djvu/372 Page:Revue pédagogique, second semestre, 1907.djvu/373 Page:Revue pédagogique, second semestre, 1907.djvu/374 Page:Revue pédagogique, second semestre, 1907.djvu/375 Page:Revue pédagogique, second semestre, 1907.djvu/376 Page:Revue pédagogique, second semestre, 1907.djvu/377 Page:Revue pédagogique, second semestre, 1907.djvu/378 Page:Revue pédagogique, second semestre, 1907.djvu/379 Page:Revue pédagogique, second semestre, 1907.djvu/380 Page:Revue pédagogique, second semestre, 1907.djvu/381 Page:Revue pédagogique, second semestre, 1907.djvu/382 Page:Revue pédagogique, second semestre, 1907.djvu/383 Page:Revue pédagogique, second semestre, 1907.djvu/384 concile de 1581, l’archevêque Charles de Bourbon interdit de pareils divertissements[5]. Enfin, à Paris en 1725, un règlement menaça de 10 sols d’amende ceux qui mèneraient les enfants par la ville les jours de Saint-Nicolas et de Sainte-Catherine, « avec violons ou autrement[6] ».

Il y a moins de cinquante ans encore, dans le pays de Caux, la fête des écoliers avait lieu le jour de la Saint-Jean. Ce jour-là, tout était permis. La classe quittait ses airs moroses et s’enguirlandait de fleurs et de feuillages ; un roi et un dauphin, une reine et une dauphine, choisis par les enfants, avaient tous les honneurs de la cérémonie. Le maître n’était plus rien, et le premier acte des écoliers en liberté était de briser toutes les verges qu’ils pouvaient trouver dans l’école. Grâce aux cotisations que chacun, les princes en tête, lui avait offertes, le maître servait une collation à tous ses élèves. On partait alors en bruyante promenade, le roi et la reine ouvrant la marche, bras dessus bras dessous, leurs sujets les suivant de près ou de loin. On se rendait chez quelque gros fermier, la bourgeoise faisait distribuer des rafraîchissements, des fruits, du lait caillé ; puis les rires et les chants reprenaient de plus belle. La soirée s’écoulait beaucoup trop vite, et l’on rentrait au village juste pour sonner l’angélus.

D’implacables règlements ont supprimé Saint-Jean comme Saint-Nicolas et Sainte-Catherine. Leurs jeunes disciples le regrettent sans doute, mais ce jour de liberté n’était-il pas trop payé de la contrainte inflexible d’une année entière ?

A. Lechevalier.
Instituteur à Cuverville-en-Caux.



  1. Revue pédagogique, avril-mai 1906.
  2. Méthodes nouvelles pour apprendre à lire, p. 153-155. Le professeur Prémontval expose dans ses Mémoires (La Haye, 1749) qu’il se servait « d’une planche noire de six pieds en tous sens et d’un bon pouce d’épais, inclinée de façon à recevoir une lumière douce,… en sorte que l’on pût voir soit le chiffre, soit la figure que l’on y traçait avec de la craie » (Rev. péd., 15 mars 1904, p. 236-237).
  3. Règlement pour l’école de charité de Merville, 20 janvier 1781 (Fontaine de Resbecq, ouv. cité, p. 87).
  4. Statuts et règlements des petites écoles de Paris, 1672. Instruction à Messieurs les maistres et maîtresses d’écoles de la Ville, Cité, Université, Fauxbourgs et Banlieuë de Paris.
  5. Farin, Histoire de Rouen, 1738, t. II, p. 24.
  6. V. Dictionnaire de pédagogie, v° Distributions de prix.