L’Écumeur de mer/Chapitre 8

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Traduction par A. J. B. Defauconpret.
Furne, Gosselin (Œuvres, tome 10p. 81-89).

CHAPITRE VIII.


Allons, Jessica, rentrez. Peut-être je reviendrai tout de suite ; faites ce que je vous ordonne, fermez la porte après vous. On retrouve sain et sauf ce qu’on a bien enfermé ; c’est un proverbe qui n’a jamais vieilli dans les esprits sages.
Shakspeare. Le Marchand de Venise.


La précipitation avec laquelle mademoiselle de Barberie avait congédié son amant, était due autant au besoin qu’elle éprouvait de réfléchir sur les événements qui venaient de se passer, qu’au mécontentement que causait une visite faite à une heure aussi indue et d’une manière si équivoque. Mais, comme tous ceux qui cèdent à l’impulsion du moment, lorsqu’elle fut seule, elle se repentit de sa précipitation, et elle se rappela mille questions qui auraient pu éclaircir les mystères de cette affaire. Il était trop tard, car elle avait entendu Ludlow prendre congé de François, et distingué le bruit de ses pas lorsqu’il traversait le petit bosquet au-dessous de ses fenêtres. François reparut à sa porte pour lui demander si elle avait encore quelques ordres à lui donner ; elle le congédia, et se crut seule pour le reste de la nuit ; car les dames de cette époque, en Amérique, n’avaient pas l’habitude d’exiger les soins de leurs femmes de chambre pour leur toilette ordinaire.

Il était encore de bonne heure, et l’entrevue qui venait d’avoir lieu ôtait à Alida toute envie de dormir. Elle plaça les lumières dans un coin éloigné de l’appartement, et s’approcha d’une fenêtre. La lune avait changé de position, et jetait une lueur différente sur les eaux ; le mugissement des vagues sur le rivage, l’air pesant qui venait de la mer, et l’ombre des arbres des montagnes étaient encore à peu près les mêmes. La Coquette était à l’ancre près du cap, comme auparavant, et les eaux près du Shrewsbury grillèrent encore pendant quelque temps au sud, jusqu’à ce que leur surface fût cachée par l’ombre d’un promontoire élevé et presque perpendiculaire.

La tranquillité était profonde, car, à l’exception de la famille qui occupait le domaine près de la ville, il n’y avait aucune habitation à quelques milles à la ronde. Cependant la solitude de ce lieu n’était troublée par la crainte d’aucun danger. On n’y conservait aucune tradition de violence ou de crimes. Le caractère paisible des colons qui habitaient l’intérieur du pays avait passé en proverbe ; leurs habitudes étaient simples ; d’un autre côté, on n’avait jamais vu sur l’Océan ces barbares qui rendaient alors quelques-unes des mers de l’ancien hémisphère aussi terribles qu’elles sont belles.

Malgré ce caractère de tranquillité connu et habituel et l’heure avancée, Alida n’était que depuis quelques minutes sur le balcon, lorsqu’elle entendit un bruit de rames ; ce bruit était mesuré, il avait lieu à quelque distance, mais il était trop familier pour être méconnu. Elle s’étonna de la précipitation de Ludlow, qui n’avait pas l’habitude de s’éloigner aussi rapidement des lieux où elle habitait, et elle s’avança sur le balcon afin d’apercevoir la chaloupe qui s’éloignait. À chaque instant, elle espérait voir la petite barque sortir de l’ombre que projetait la terre, et s’élancer sur la surface lumineuse qui s’étendait presque jusqu’au croiseur. Elle attendit longtemps ; aucune barque ne parut, et cependant elle ne distinguait plus de bruit. Une lumière était toujours suspendue à la vergue d’artimon de la Coquette, signe que le commandant était hors du vaisseau.

La vue d’un beau bâtiment à la clarté de la lune, avec ses esparres symétriques, ses forêts de cordages et les mouvements majestueux de ses flancs qui se balancent sur les vagues d’une mer calme, est toujours un imposant spectacle. Alida le comprenait mieux que tous ceux qui dormaient autour d’elle, et ses pensées s’arrêtèrent insensiblement sur les dangers d’un marin, sa vie errante, et cependant sa demeure si limitée, ses qualités franches et mâles, son dévouement à ceux qui habitent la terre ferme, ses relations interrompues avec le reste des hommes, et enfin elle songea à ces liens domestiques affaiblis par leur état et à cette réputation d’inconstance qui était, suivant toute apparence, une conséquence naturelle de leur profession. Elle soupira, et ses yeux errèrent du vaisseau à l’Océan, pour lequel il avait été construit. Depuis la côte éloignée de Nassau, jusqu’à celle de New-Jersey, la vaste mer n’était traversée par aucun objet apparent ; les oiseaux aquatiques eux-mêmes reposaient leurs ailes fatiguées, et dormaient tranquillement sur les eaux. Cet immense espace ressemblait à un désert, ou plutôt à une copie plus palpable, plus matérielle du firmament, qui s’y réfléchissait.

Nous avons dit que des chênes et des sapins couvraient une partie de la côte sablonneuse qui formait le cap. La même verdure procurait un sombre ombrage aux eaux du Cove. Au-dessus de cette ligne de bois qui entourait les bords de la mer, Alida crut voir un objet en mouvement. Elle pensa d’abord qu’un arbre desséché, comme il en existait plusieurs sur la côte, était placé de manière à tromper les regards et jetait l’ombre de ses branches dégarnies sur la côte, de manière à imiter les légers agrès d’un vaisseau. Mais lorsqu’elle vit les esparres sombres et symétriques passer en glissant au-delà d’objets stationnaires que son œil connaissait, il lui fut impossible d’élever aucun doute sur leur caractère. La jeune fille s’étonna, et sa surprise n’était pas sans un mélange de craintes. Il lui sembla que le vaisseau s’approchait témérairement, et peut-être par ignorance de la côte, d’un écueil qui n’était pas sans dangers, même dans un moment de calme, et qu’il se dirigeait sans crainte directement vers la terre. Les mouvements mêmes du vaisseau étaient extraordinaires et mystérieux. On ne voyait point de voiles, et cependant les hautes et légères esparres furent promptement cachées derrière un bosquet qui couvrait une colline près des bords de la mer. Alida s’attendait à chaque moment à entendre les cris des marins en détresse ; et lorsque les minutes s’écoulèrent sans que la tranquillité de la nuit fût troublée par ces sons effrayants, elle commença à penser à ces corsaires sans lois, qui abondaient parmi les îles Caraïbes, et qui quelquefois, disait-on, entraient, pour radouber leurs vaisseaux, jusque dans les goulets les plus secrets du continent d’Amérique. Les actions, la réputation et le sort du célèbre Kidd, étaient encore des événements récents, et bien qu’ils fussent dénaturés par les exagérations du vulgaire, comme le sont tous les faits de cette espèce, les mieux instruits en croyaient encore assez pour rendre la vie et la mort de ce corsaire l’objet de bruits singuliers et mystérieux. Dans ce moment Alida eût rappelé avec joie le commandant de la Coquette, pour lui apprendre quel ennemi était près de lui ; puis, honteuse des terreurs qu’elle se persuadait qu’il fallait attribuer plutôt à la faiblesse de l’esprit des femmes qu’à une apparence de réalité, elle essayait de croire qu’elle avait été témoin des manœuvres ordinaires d’un pilote côtier, qui, familier avec sa situation, n’avait pas plus besoin de secours qu’il n’était un sujet d’alarme. Au moment où cette rassurante conviction tranquillisait son esprit, elle entendit distinctement des pas qui se dirigeaient vers son pavillon et semblaient s’approcher de la porte de la chambre qu’elle occupait. Oppressée plutôt par l’agitation de son esprit que par cette nouvelle cause d’effroi, la jeune fille quitta le balcon et s’arrêta pour écouter. La porte s’ouvrit mystérieusement, et pendant un instant Alida ne vit plus rien qu’à travers un nuage confus, dans le centre duquel paraissait la figure d’un flibustier menaçant.

— Lumières du nord et le clair de lune ! murmura l’alderman van Beverout, car c’était en effet l’oncle de l’héritière dont la visite inattendue avait causé tant d’alarmes. Vous détruisez votre beauté, ma nièce, en contemplant ainsi les nuages et en faisant de la nuit le jour ; alors nous verrons combien il se présentera de maris ! Des yeux brillants et des joues fraîches, voilà ton fonds de commerce, mon enfant, et elle le hasarde imprudemment celle qui est hors de son lit lorsque dix heures ont sonné.

— Votre discipline priverait plus d’une beauté des moyens d’user de son pouvoir, dit Alida en souriant, autant de la folie de ses craintes récentes, que par affection pour celui qui venait de lui faire cette réprimande. On assure que dix heures est un temps consacré pour la nécromancie des dames d’Europe.

— Ne parle ni de sorciers ni de sorcellerie ! ces noms rappellent les rusés Yankees, race qui tromperait Lucifer lui-même, s’il leur laissait faire les conditions de leur marché. Voilà le patron qui désire laisser entrer une famille de ces coquins parmi les honnêtes Hollandais de son manoir, et nous venons de terminer une dispute sur ce sujet en faisant une épreuve légale.

— Il est permis d’espérer, cher oncle, que ce n’est point une épreuve par le fer.

— Paix et branches d’oliviers ! non, non ! Le patron de Kinderhook le dernier homme dans les Amériques qui souffrira jamais des coups de Myndert van Beverout. J’ai tout simplement défié le jeune homme de tenir une belle anguille que les noirs venaient de tirer, de la rivière pour rompre notre jeûne du matin, afin qu’il pût voir s’il pouvait faire des affaires avec des coquins qui lui glisseraient de même entre les doigts. Par les mérites du paisible saint Nicolas ! le fils du vieux Heindrick van Staats y a mis toute son adresse. Il a saisi le poisson, comme on dit que ton oncle saisit le florin de Hollande, quand mon père le mit entre mes doigts, dans le courant du mois, afin de savoir si l’amour de l’économie devait encore rester dans sa famille pendant une autre génération. Le cœur m’a manqué un instant, car le jeune Oloff a le poing comme un étau, et je crus que les noms respectables des Harmans, des Bips, Cornélius et Dircks, inscrits sur le journal de son manoir, seraient souillés par la compagnie d’un Increase ou d’un Peleg ; mais, au moment où le patron pensait tenir la vipère d’eau par la gorge, le poisson fit un bond inattendu et glissa par la queue à travers ses doigts. Cette expérience est aussi sage que spirituelle.

— Il me semblerait plus convenable, maintenant que la Providence a réuni toutes les colonies sous un seul gouvernement, que tous les préjugés fussent oubliés. Nous sommes un peuple sorti de plusieurs nations, et nous devrions réunir nos efforts pour conserver entre nous la bonne intelligence et oublier nos faiblesses réciproques.

— Bien dit, pour la fille d’un huguenot ! Je me défie d’un homme qui amène les préjugés à ma porte. J’aime un commerce libre et un calcul prompt. Montrez-moi un homme dans toute la Nouvelle-Angleterre qui puisse dire plutôt la couleur d’un livre de compte que celui que je pourrais nommer, et je reprendrai gaiement le sachet pour retourner à l’école. Je n’en aime que mieux un homme, lorsqu’il fait attention à ses intérêts. Et cependant la simple honnêteté nous enseigne qu’il doit exister une convention entre les hommes que ne doivent braver ni ceux qui ont de la conscience, ni ceux qui tiennent à leur réputation.

— Laquelle convention posera les limites aux facultés de chaque homme, et par ce moyen un esprit lourd pourra rivaliser avec celui qui est doué d’imagination. Je crois, mon cher oncle, qu’on devrait conserver une anguille sur chaque côte où il arrive un commerçant.

— Préjugés, opinions fausses, mon enfant ; tu les dois au sommeil qui te gagne. Il est temps que tu ailles chercher ton oreiller, et demain matin nous verrons si le jeune Oloff du Manoir aura plus de succès auprès de toi qu’avec le prototype des Jonathas. Éteins ces brillantes chandelles, et prends une lampe modeste pour t’éclairer jusqu’à ton lit. Des fenêtres aussi éblouissantes, lorsqu’il est près de minuit, donnent à une maison une mauvaise renommée dans le voisinage.

— Notre réputation pourra en souffrir dans l’opinion des anguilles, répondit Alida en riant ; mais il y a peu d’habitants ici qui pourraient nous taxer de dissipation.

— On ne sait pas, on ne sait pas, murmura l’alderman, en éteignant les deux chandelles de sa nièce, et en mettant la petite lampe à leur place. Cette brillante lumière invite à veiller, tandis que la sombre lueur que je te laisse est le meilleur somnifère. Embrasse-moi, malicieuse, et ferme bien tes rideaux, car les nègres se lèveront bientôt pour charger la périagua, afin d’aller à la ville avec la marée. Le bavardage de ces coquins pourrait troubler ton sommeil.

— En vérité, on croirait que rien ici n’invite à une aussi active navigation, reprit Alida en embrassant son oncle. Il faut que l’amour du commerce soit bien fort, lorsqu’il trouve un aliment dans une solitude semblable à celle-ci.

— Tu as parfaitement deviné, mon enfant. Ton père, M. de Barberie, avait ses opinions particulières sur ce sujet, et certainement il n’a pas manqué d’en transmettre quelques-unes à son enfant. Cependant, lorsque le huguenot fut chassé de son château et de ses terres argileuses de Normandie, il n’avait aucun dégoût pour un compte courant, pourvu que la balance fût en sa faveur. Nations et réputations ! je trouve peu de différence dans le commerce, qu’il soit fait avec un Mohawk pour son paquet de fourrures, ou avec un seigneur qui a été chassé de son domaine. L’un ou l’autre essaie de mettre le profit de son côté, et la perte du côté de son voisin. Dors bien, ma fille, et rappelle-toi que le mariage est une affaire capitale du succès de laquelle dépend la somme totale du bonheur d’une femme. Bonne nuit.

La belle Alida reconduisit son oncle jusqu’à la porte du pavillon qu’elle ferma au verrou ; et, trouvant son petit appartement trop sombre à la faible lueur de la lampe qu’il avait laissée, elle se hasarda à mettre sa flamme en contact avec la mèche des deux chandelles qu’il venait d’éteindre. Plaçant les trois lumières les unes auprès des autres sur une table, la jeune fille s’approcha de nouveau d’une fenêtre. Il s’était écoulé plusieurs minutes pendant la visite inattendue de l’alderman, et elle était curieuse de voir ce qu’était devenu le mystérieux vaisseau.

Le même silence régnait toujours autour de la ville, et l’Océan, qui semblait sommeiller, faisait encore entendre un sourd murmure. Alida chercha de nouveau la chaloupe de Ludlow, mais son œil parcourut en vain le large et brillant espace qui se trouvait entre la côte et le croiseur. On voyait aux rayons scintillants de la lune une légère agitation sur l’eau, mais non pas celle qu’une barque eût produite. La lanterne brillait toujours au haut du vaisseau. Alida pensa un instant qu’elle entendait de nouveau le bruit des rames, et beaucoup plus près qu’auparavant ; cependant tous les efforts de ses regards perçants ne purent découvrir la position de la chaloupe. Mais à tous ces doutes succéda un effroi qui provenait d’une source nouvelle et bien différente.

L’existence du passage qui unissait l’Océan avec les eaux du Cove était alors peu connue, excepté de ceux que leur profession retenait près de ce lieu. Ce passage étant la plupart du temps fermé, la variété de son courant et le peu d’usage qu’on pouvait en tirer dans toutes les circonstances empêchaient ce lieu d’être d’un intérêt général parmi les pilotes côtiers. Lorsqu’il était ouvert, la profondeur de l’eau était incertaine ; car une ou deux semaines de calme, ou des vents d’ouest, permettaient aux marées de balayer son canal, tandis qu’un seul coup de vent de l’est suffisait pour remplir le passage de sable. Il n’est pas étonnant qu’Alida ressentît une surprise qui n’était pas exempte de crainte superstitieuse, quand à cette heure, et dans une telle solitude, elle vit un vaisseau glisser, sans aide de voile ni d’avirons, hors du bosquet qui bordait l’Océan du côté du Cove, jusque dans le centre de la crique.

Ce singulier et mystérieux bâtiment était un brigantin d’une construction mixte, qui est très en usage dans les mers les plus classiques et les plus anciennes de l’autre hémisphère, et qu’on suppose réunir les avantages d’un vaisseau carré et de forme longitudinale, mais qu’on ne peut voir nulle part déployer la même beauté de formes et la même symétrie que sur les côtes de cet État. Le premier et le plus petit de ses mâts à toutes les machines compliquées d’un vaisseau, avec les esparres inférieures et supérieures, les vergues larges, quoique légères et maniables, dont la forme et la disposition parent à toutes les vicissitudes et à tous les caprices des vents ; tandis que le dernier et le plus grand des deux mâts s’élève de la carène comme le tronc droit d’un pin, simple dans ses cordages, et déployant une voile unique de toile qui à elle seule suffit pour aider le bâtiment à fendre rapidement les eaux. La coque était basse, gracieuse dans ses contours extérieurs, sombre comme l’aile du corbeau, et modelée pour voguer sur les eaux comme une mouette de mer sur les vagues. On apercevait plusieurs lignes confuses et délicates parmi les esparres qui étaient disposées pour étendre dans les airs les plis plus larges des voiles, lorsque cela était nécessaire ; mais ces lignes ou petits cordages, qui ajoutaient en plein jour à l’élégance du vaisseau, étaient alors à peine visibles, à la faible lueur de la lune. Enfin, comme le vaisseau était entré dans la crique avec la marée, et que son élégance semblait aérienne, Alida commençait à croire qu’elle était le jouet de sa propre imagination. Ainsi que beaucoup d’autres, elle ignorait la formation du passage, et, dans de telles circonstances, il n’était pas surprenant qu’elle s’abandonnât à ses suppositions chimériques.

Mais cette illusion ne dura qu’un instant. Le brigantin tourna dans sa course, et, glissant dans la partie de la crique où l’irrégularité des terres offrait la meilleure protection contre les vents et les vagues, et peut-être contre les regards curieux, ses mouvements cessèrent. Un bruit sourd se fit entendre jusqu’à la villa, et Alida apprit ainsi qu’une ancre venait d’être jetée dans la baie.

Quoique cette côte de l’Amérique du Nord semblât peu faite pour inviter à la piraterie, et qu’on la crût en général fort sûre, cependant l’idée que la cupidité pouvait être encouragée par la solitude de la villa de son oncle ne manqua pas de se présenter à l’esprit de la jeune héritière. Son tuteur, ainsi qu’elle, avait la réputation d’être riche et des spéculations manquées en pleine mer pouvaient conduire des hommes désespérés à commettre des crimes dont ils auraient rougi dans des moments plus prospères. On disait que les flibustiers avaient depuis peu visité la côte d’une île voisine, et l’on commençait alors, pour cacher ses trésors, ces excavations qui, à différents intervalles, ont été continuées jusqu’à nos jours.

Il y a des situations où l’esprit donne insensiblement crédit à des impressions que la raison désapprouve. En cette circonstance, Alida de Barberie, dont les facultés élevées avaient quelque chose de cette résolution qui est le partage d’un autre sexe, se sentit disposée à croire à la vérité de contes dont jusqu’alors elle n’avait fait que rire. Les yeux fixés sur le vaisseau sans mouvement, elle se recula de la fenêtre, et enveloppa sa taille du rideau, indécise si elle devait donner l’alarme à sa famille, et poussée par l’instinct qu’elle pouvait être vue, quoiqu’à une si grande distance.

Elle avait à peine eu le temps de se dérober ainsi aux regards que le bosquet fut agité, et qu’elle entendit un bruit de pas sous sa fenêtre ; puis quelqu’un santa si légèrement sur le balcon, et du balcon dans l’appartement, qu’on eût pu croire à l’apparition d’un être surnaturel.