L’Éducation de la Jeune Fille par elle-même/Chapitre 3

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Société Saint-Augustin (p. 15-20).

Troisième causerie.

le gouvernement de soi-même.


Les deux secrets principaux du gouvernement de soi-même résident dans le développement du jugement et de la volonté.

Le jugement se développe par des exercices répétés d’observation des choses et des hommes, par la réflexion et la méditation.

Avant d’accomplir un acte ou de prendre une décision, il faut se rendre compte de sa concordance avec les lois divines, de son opportunité, de sa portée relative, de sa place dans l’ordre des choses, etc.

Pour être maîtresses de nos actes, gardons tout notre calme, tout notre sang-froid, toute notre présence d’esprit ; ne décidons pas sur des choses importantes dans un moment d’enthousiasme, d’abattement ou de mauvaise humeur.

Si l’action est jugée bonne, nécessaire ou opportune, il faut l’exécuter sans délai : la volonté se développe en agissant.

Nos actions se répartissent en deux catégories : celles qui nous sont inspirées par nos sentiments et celles qui sont le résultat d’une décision mûrement délibérée ; ces dernières seules, par leur répétition, nous forgent la volonté.

Donnons un exemple concret.

La timidité provient généralement de l’imagination. Il suffit de nous raisonner, de nous dire que nous sommes aussi instruites, aussi habiles que telle de nos compagnes qui n’est pas timide, et que nous sommes à même de faire autant et peut-être mieux qu’elle. Persuadons-nous que la mentalité moyenne n’est pas supérieure à la nôtre et qu’il suffit de nous comporter comme si nous étions au milieu de nos sœurs, de nos compagnes, comme si nous nous adressions à d’autres nous-mêmes.

Répétons-nous ces suggestions, puis disons-nous : « J’ai bien réfléchi, maintenant je vais de l’avant. » On agira, on répétera ses actions jusqu’à réussite complète.


Le rôle de la réflexion et celui de l’action sont mis en évidence dans cet exemple. Il nous sera facile de procéder de la même manière dans des cas analogues. Aussi, en agissant nous deviendrons de plus en plus maîtresses de nous-mêmes.

La volonté acquerra de cette façon un grand empire sur les autres facultés de l’âme ; elle réglera l’imagination, entraînera le cœur, maîtrisera les mouvements de la nature, fera plier les inclinations les plus fortes, détruira les habitudes les plus invétérées. La volonté sous-entend la liberté qui nous rend maîtresses de nos actes et l’intelligence qui nous apprend les causes, les conséquences et les moyens à employer pour les réaliser. Il importe d’insister sur ce point : on admet volontiers que l’on est doué du libre-arbitre, mais, en réalité, on n’agit pas aussi délibérément qu’on le croit. Que de fois le principe de nos actes, au lieu d’être un effort délibéré et libre, n’est-il qu’une inclination naturelle, une passion, une habitude ou quelque disposition purement inconsciente ! C’est ainsi que très souvent les natures passionnées paraissent énergiques et sont considérées comme ayant « du caractère », alors qu’elles sont uniquement le jouet de leurs passions, d’un aveuglement ou d’un parti-pris qui empêchent une délibération intelligente. Efforçons-nous de ne prendre jamais de décision qu’à la lumière d’une réflexion consciente.

Les idées nouvelles sont promotrices de progrès, mais il convient de ne les accueillir qu’avec prudence ; une trop grande précipitation est souvent funeste, elle risque surtout de l’être à notre âge, où le jugement n’a pas encore toute la maturité requise et où l’expérience fait souvent défaut. Avant de les faire nôtres et d’en essayer une application qui peut être grosse de conséquences, prenons conseil de personnes expérimentées à même d’en apprécier la réelle valeur éducative.

Ne comptons pas uniquement sur notre mémoire ; nous l’avons déjà dit et nous le redirons encore, annotons sur des fiches que nous relirons souvent ce que nous voulons ne pas oublier et nous rappeler à propos ; relisons souvent celles qui nous rappellent nos points faibles.

Pour réussir l’œuvre de notre perfectionnement, il est nécessaire d’être un peu stratège. Sans doute un caractère généreux, se rendant compte de ses défauts, voudrait s’attaquer à tous à la fois et mener de front leur réforme radicale et complète. Théoriquement aucun défaut ne doit être toléré, aucune vertu exclue, car les vertus se soutiennent mutuellement et en négliger quelqu’une serait faire tort aux autres. Mais un combat général, disséminant les forces, n’aurait pas chance d’aboutir à une victoire décisive. Mieux vaut procéder avec méthode, renforcer d’abord les points faibles, corriger notre défaut dominant en nous efforçant de lui substituer la vertu opposée et ne passer à un autre qu’après succès complet.

Des obstacles sérieux se présenteront. Que même les rechutes ne nous découragent pas. Efforçons-nous de les éviter par une vigilance continuelle, en les prévenant dans leurs causes même lointaines, en veillant sur nos paroles, sur notre imagination, sur notre cœur.

Les surprises de l’ennemi peuvent causer de grands déboires : il arrive, par manque de clairvoyance, que bien des efforts restent stériles. Si nous échouons, si nous ne parvenons pas rapidement au succès, c’est souvent parce que nous avons manqué de prévoyance et de prudence.

Les difficultés qu’on ne peut éviter, il faut les vaincre par une lutte courageuse et persévérante. La continuité dans l’effort assure toujours la victoire. Par la persévérance la volonté devient de plus en plus forte. Prenons donc comme principe de discipline personnelle de pousser jusqu’au bout l’exécution de tout ce que nous aurons mûrement résolu de faire.

Travaillons d’après un horaire bien établi. Chaque soir, rendons-nous compte du travail de la journée ; demandons-nous si nous n’aurions pas pu faire mieux ; fixons notre programme pour le lendemain, et étudions les moyens de le réaliser le mieux possible.

Varions aussi nos occupations, elles nous paraîtront plus agréables et nous les accomplirons mieux.

Ces moyens naturels peuvent être employés par tout le monde ; mais le chrétien dispose de moyens surnaturels, tels que la grâce, la prière et les sacrements, qui ont une efficacité particulière. Nous serions bien mal avisées si nous n’y avions recours le plus possible parce qu’ils peuvent contribuer pour une part décisive à notre perfectionnement moral.

Donc, réfléchissons avant d’agir, agissons avec prudence, esprit de suite, persévérance. Notre volonté deviendra de plus en plus forte et, aidées de la grâce, nous deviendrons capables de nous gouverner nous-mêmes.

Livres à lire :

Antonin Eymieu. Le gouvernement de soi-même, 2 vol. — Paris, Perrin et Cie. 7 fr.

Guibert. La formation de la volonté. — Paris, Bloud, 0, 60 fr. — Du même. Le caractère. — Paris, Poussielgue, 1 fr.

Desers. L’éducation morale et ses conditions. — Paris, Lethielleux, 2, 50 fr.

Gillet. L’éducation du cœur. — Lille, Paris, Bruges, Desclée, De Brouwer et Cie, 3 fr.