L’Église et la République/Chapitre VII

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CHAPITRE VII


Suite du Ministère Combes.
Les Préliminaires de la Séparation.
Examen du Concordat.

M. Combes avait paru jusque-là disposé à gouverner sous le régime de 1801. À vrai dire il y avait éprouvé de grandes difficultés. Il observait strictement le Concordat que la curie violait sans cesse. Elle avait refusé plusieurs évêques à l’Empire, un plus grand nombre à la République. Elle refusait tous ceux que lui présentait M. Combes.

Le Nonce l’allait trouver dans son cabinet.

— Indiquez-moi d’autres noms, nous discuterons et nous nous entendrons dans une conversation préalable.

Et le Nonce déclarait que c’était pour lui une question de principe. C’en était une aussi pour le ministre. M. Combes, revenant au droit, refusait de soumettre à Rome le choix des évêques, qui appartient uniquement au gouvernement français.

Tous ses candidats étaient rejetés sans indication de motifs et huit sièges épiscopaux demeuraient vacants.

Après la note du Pape aux puissances et l’affaire des deux évêques, M. Combes cessa de croire qu’il fût possible de maintenir le Concordat.

Il reçut dans sa maison de Pons, où il passait les vacances, un rédacteur de la Nouvelle Presse libre, de Vienne, et lui confia que les événements avaient changé ses idées.

— La séparation est proche, lui dit-il, je la tiens maintenant pour inévitable. L’idée de la séparation de l’Église et de l’État a fait depuis deux ans des progrès énormes, et moi-même qui, comme on sait, n’en étais pas partisan au début, j’ai dû m’en accommoder.

Il ajouta que le projet Briand lui semblait une excellente base de discussion, et qu’il désirait seulement que certaines dispositions du projet fussent « formulées dans un sens plus large et plus libre ».

Ces déclarations qu’il avait faites en son propre nom, il les renouvela au mois de juin, comme président du Conseil, dans son discours d’Auxerre.

Il nous faut maintenant dire ce que fut le Concordat à son origine, ce qu’il est devenu, et rechercher les raisons qu’il y a pour la France ou de le maintenir ou de le dénoncer.


Etablie par l’Assemblée Nationale en 1790, la Constitution civile du clergé fut quatre ans en vigueur, si l’on peut parler de la vigueur des lois dans un état révolutionnaire, au milieu de conspirations, d’insurrections, de massacres et de supplices. Elle causa le schisme, partagea l’Église de France entre réfractaires et jureurs, c’est-à-dire entre les prêtres de l’ancien régime et les prêtres du nouveau régime[1].

La loi du 3 ventôse an III (21 février 1795), votée par la Convention sur les conclusions de Boissy d’Anglas, rompit tous les liens qui rattachaient l’Église à l’État. Rompre leurs liens, c’était bientôt fait, mais comment les séparer ? Ils se tenaient à la gorge. Après la séparation comme avant, ce fut une lutte atroce. En l’an IV, Stofflet se battait en Anjou, Charette en Vendée, les colonnes mobiles refoulaient les brigands et passaient par les armes les prêtres de la chouannerie. Les ecclésiastiques réfractaires étaient recherchés, jugés, guillotinés. Les compagnies de Jéhu et du Soleil terrorisaient le Sud-Ouest ; le comte d’Artois était à l’île d’Yeu avec la flotte anglaise.

Dans cette terreur et parmi ces violences, quels effets pouvait produire la séparation légale ? Ce qui est certain, c’est qu’après cinq ans de guerre civile, le clergé réfractaire, proscrit, traqué, emprisonné, se trouva le plus fort. Il avait contre lui les législateurs et les lois. Il avait pour lui le peuple des campagnes, ému de ses malheurs. Il avait pour lui la pitié et la vénération des simples, la faveur des agioteurs, des acquéreurs de biens nationaux devenus contre-révolutionnaires, l’appui des royalistes qui bâtonnaient les jacobins et la bienveillance des belles thermidoriennes. En vendémiaire an V, trente-deux mille communes avaient rétabli le culte et rouvert leurs églises, desservies pour la plupart par des prêtres réfractaires.

Précisément à cette époque (fin 1796 ou commencement 1797), le jeune général Bonaparte écrivait au général Clarke :

« On est redevenu catholique romain en France. Nous en sommes peut-être au point d’avoir besoin du Pape lui-même pour faire seconder chez nous la Révolution par les prêtres et, par conséquent, par les campagnes qu’ils sont parvenus à gouverner de nouveau. »

On voit ici jaillir l’idée du pacte qu’il devait conclure cinq ans plus tard ; on surprend et la justesse des raisons et la duplicité des moyens. Le jeune général s’aperçoit du danger. Une Église romaine s’élève qui menace la Révolution, la République, et qui préparera peut-être le retour des Bourbons. Il faut, pour conjurer le péril, former un nouveau clergé gallican, reprendre sur un nouveau plan l’œuvre ruinée des constituants. Et puisqu’on ne peut, sans le Pape, faire une Église constitutionnelle, il en faut faire une avec le Pape. On a chance d’y réussir. Il ne s’agit que de tromper « le vieux renard ». Première pensée du Concordat.

Dans l’esprit de Bonaparte, le Concordat c’était la restauration de l’Église gallicane. On ne garde point de doutes sur les intentions du premier Consul quand on a lu l’article XXIV des Organiques.

« Ceux qui seront choisis pour l’enseignement dans les séminaires souscriront la déclaration faite par le clergé de France en 1682… Ils se soumettront à enseigner la doctrine qui y est contenue ; et les évêques adresseront une expédition en forme de cette soumission au conseiller d’État chargé de toutes les affaires concernant les Cultes. »

Or, la déclaration de 1682, remise en vigueur par le Concordat, porte que le Pape n’a nulle autorité sur les choses temporelles, qu’il ne peut, ni directement, ni indirectement, déposer les rois ; que les décrets de Constance sur l’autorité des conciles gardent toute leur force et toute leur vertu ; que le Souverain Pontife ne peut gouverner l’Église que suivant les canons et qu’il ne peut porter nulle atteinte aux constitutions et aux droits reconnus de l’Église gallicane ; enfin que ses jugements en matière de foi sont attaquables tant qu’ils n’ont pas été confirmés par le jugement de l’Église.

Le Consul rétablissait de la sorte toutes les libertés de l’Église gallicane. Et qu’était-ce donc que son Concordat, sinon la Constitution civile de 1790 restaurée, avec des changements, il est vrai, qui en altéraient profondément l’esprit ? On ne pouvait s’attendre, en effet, à ce qu’un soldat dominateur, athée et superstitieux, rétablît l’Église Nationale dans la même intention où dix ans auparavant l’avaient instituée des législateurs philosophes et religieux, nourris de morale évangélique.

Mais, de fait, le jeune Consul rétablissait la Constitution civile de 1790. Il la rétablissait avec le serment, avec les prêtres jureurs. Il obligeait les évêques à jurer non plus seulement de rester fidèles à la Constitution, mais de se faire les espions du gouvernement civil, d’être délateurs et sycophantes : « Je jure et promets à Dieu, sur les Saints Évangiles, de garder obéissance et fidélité au Gouvernement établi par la Constitution de la République française. Je promets aussi de n’avoir aucune intelligence, de n’assister à aucun conseil, de n’entretenir aucune ligue, soit au dedans, soit au dehors, qui soit contraire à la tranquillité publique ; et si, dans mon diocèse ou ailleurs, j’apprends qu’il se trame quelque chose au préjudice de l’État, je le ferai savoir au gouvernement. »

Sans m’arrêter sur ce point, j’avouerai que l’on ne discerne pas, avec les seules lumières naturelles, en quoi ce serment était plus canonique que le premier.

Le Consul rétablissait la Constitution civile de 1790, avec le prêtre salarié. Il obligeait le Pape à reconnaître que le clergé n’avait plus par lui-même ni existence propre, ni biens. Il ajoutait aussitôt que les ministres du culte recevraient du gouvernement un traitement convenable sans qu’on pût voir en aucune manière dans ce traitement ni une indemnité, ni une restitution, ni la rente des biens retournés à la Nation, puisque le clergé, premier état du Royaume, ayant cessé d’exister, le clergé de la République ne le continuait pas, ne le représentait pas, ne lui succédait pas, et n’étant lui-même ni un État, ni un ordre, ni un corps, n’avait point la capacité d’hériter et de posséder.

La Constituante avait supprimé les ordres monastiques ; le Concordat maintient la suppression de ces ordres, dont il ne fait pas même mention. La Constituante avait supprimé les offices ecclésiastiques, les prébendes, les prieurés et les canonicats ; le Concordat maintient cette suppression, hors un chapitre honoraire par cathédrale qu’il accorde aux évêques. La Constituante avait retiré aux curés les registres des naissances, des mariages et des décès ; le Concordat ne rend pas aux paroisses le contrôle de la vie civile. Enfin, si le Concordat restaure la dignité archiépiscopale, abolie avec les privilèges de l’ancien régime, les noms de « Monsieur » et de « Citoyen » que recevront désormais les évêques et les archevêques, l’habit noir à la française qu’ils porteront avec la croix pectorale sentent l’Église constitutionnelle de 1790.

Grand sujet d’étonnement que cette Constitution civile, cause, dit-on, de tous les maux qui désolèrent pendant dix ans l’Église et la République, source inépuisable de désordres et de violences, mortelle à la Religion, odieuse aux Français, à la Patrie, en horreur au Saint-Siège, soit devenue une œuvre d’harmonie et de paix, approuvée des bons citoyens, agréable au Pape, dès que le premier Consul l’eut transformée en instrument de règne.

On admire en effet qu’un Pape ait approuvé en 1801 des usages et des mœurs qu’un Pape détestait en 1790. Pourtant il ne faut pas trop admirer. Sur quelques points le Concordat diffère beaucoup de la Constitution civile. Et ces points ne sont pas tous sans importance. Il en diffère d’abord par un préambule fort remarquable où l’on lit : « Le Gouvernement de la République reconnaît que la Religion catholique, apostolique et romaine, est la religion de la grande majorité des citoyens français. » Le législateur constate un fait dont il ne tire aucune conséquence. Et l’on se demande pourquoi il a parlé. C’était pour ne rien dire et contenter le Pape. C’était pour sauvegarder la liberté de conscience et ménager les prétentions du Saint-Siège. Et cette déclaration avait bien son prix pour l’Église romaine puisqu’elle permit à Louis XVIII, en 1814, quand il octroya une charte à son peuple, d’y déclarer la religion catholique religion de la nation française, ce qui réduisait à rien les droits des deux autres religions reconnues et ramenait le pays à l’unité d’obédience. Le Concordat diffère encore de la Constitution civile sur un point d’un intérêt plus constant et plus pratique.

Les constituants, parmi lesquels il y avait des jansénistes, espéraient rétablir les mœurs de la primitive Église. Ils tenaient pour exemplaires les Églises électives d’Utrech, de Deventer et de Harlem. Ils avaient décidé que les évêques seraient élus par les fidèles et ils ne souffrirent pas que ces élections fussent soumises à l’approbation de l’évêque de Rome. Il suffisait, pour eux, qu’il en fût respectueusement averti. Le premier Consul en ordonna tout autrement à ce sujet. S’il refusa de même la nomination des évêques au Saint-Siège, il voulut que cette nomination fût faite non par le peuple, mais par lui-même. En vertu du Concordat, les curés étaient nommés par les évêques et les évêques par un soldat. Mais au Pape revenait l’institution canonique. Le Concordat restituait ainsi au Saint-Siège une prérogative que l’Assemblée constituante lui avait enlevée. Bonaparte comptait bien obliger le Pape à donner l’institution canonique à tous les évêques nommés par lui. Et, pour commencer, il obligea Pie VII à la donner à dix évêques constitutionnels, c’est-à-dire à des intrus, à des schismatiques, à des excommuniés, et à la retirer à quarante évêques qui avaient refusé le serment pour obéir au Saint-Siège. Le Pape but cette honte. Il institua les boucs, destitua les agneaux. Et, ayant renié la justice et accompli l’iniquité, il redevint le chef spirituel de l’Église de France. Non seulement il obtenait que ses droits à donner l’institution canonique fussent inscrits dans les lois de l’État français, mais il établissait, par un précédent mémorable, qu’il pouvait donner ou refuser l’institution sans alléguer aucun motif, puisque son premier acte avait été d’accorder l’investiture à des intrus et de la retirer à des pasteurs fidèles, à des confesseurs de la foi, à des martyrs de 93, et que l’État laïque ne lui avait pas demandé ses raisons[2].

Dès lors, que fait le ministre des Cultes de l’État français en nommant un évêque, sinon pétrir l’argile épiscopale, fournir la matière plastique d’un évêque ? Seul, le souffle du Souverain Pontife peut animer cette argile, et lui donner une âme sacramentelle. Le ministre des Cultes le sait. Aussi est-il inquiet de voir sa créature demeurer inerte et comme une forme sans esprit, en attendant l’institution de vie. Il est vrai qu’il en était de même sous l’ancien régime, et que le Pape refusait parfois d’instituer les évêques du roi. Mais le roi trouvait que c’était un abus intolérable. La Constitution civile du clergé avait pourvu à cette difficulté.

Pie VII remportait donc de grands avantages et, si, en échange, il avait accordé plus qu’il n’aurait dû, il pouvait alléguer qu’il avait cédé à la force et fait pour le bien de l’Église des concessions toujours révocables.

Le Concordat fut proclamé loi de la République le 18 germinal an X. Cette loi comprenait, en outre du Concordat proprement dit, les articles organiques du culte catholique. On y avait joint aussi les articles organiques des cultes protestants, pour que, en dépit du préambule qui reconnaissait le catholicisme comme la religion de la grande majorité des Français, il parût bien que la liberté de conscience restait en vigueur dans la République.

Lamartine a dit un jour à la Chambre des députés que le Concordat fut une œuvre rétrograde et une faute politique. Il parlait noblement. Le Concordat, dépouillé de la pompe romaine et de la majesté consulaire, n’est qu’une bouffonnerie italienne jouée par un cadet d’Ajaccio avec un prêtre romain. Bonaparte sentait lui-même le comique de cette pièce. Quand il reçut du cardinal Caprara, dans une assemblée solennelle, un exemplaire authentique de la Convention, enfin signée, on le vit rire aux éclats et faire des grimaces. Pourtant le plus fin de la comédie lui échappait. Il pensait avoir dupé le vieux renard, et c’était lui qui était la dupe.

L’imprudent Consul croyait rétablir à son profit l’Église gallicane, et il organisait en France une province de l’Église romaine. Il faisait un clergé sans force pour lui résister et sans force pour résister au Pape, un clergé, misérable et servile, soumis à deux maîtres et contraint sans cesse de trahir l’un pour contenter l’autre. Il organisait le clergé qui, après avoir chanté des Te Deum pour toutes ses victoires, se détournera de lui dans les jours sombres, prendra la cocarde blanche en 1814, soulèvera contre lui la Vendée en 1815.

Cet homme pénétrant ne tarda pas à s’apercevoir qu’il avait été joué. Il ne cessait de dire à l’abbé de Pradt, son aumônier : « La plus grande faute de mon règne c’est d’avoir fait le Concordat ».

Encore se flattait-il en disant qu’il avait fait le Concordat. Si vraiment une convention de cette espèce veut l’entente et le consentement des deux parties contractantes, la loi du 18 germinal an X n’est pas un Concordat[3]. Elle contient, il est vrai, les 17 articles de la Convention passée entre le gouvernement français et le Pape Pie VII, le 26 messidor an IX. Mais elle contient aussi les 76 articles organiques du culte catholique. C’est une question de savoir si le Pape a connu ces articles. On peut en douter. Dans tous les cas, il ne les a pas acceptés. Ses successeurs ne les ont pas acceptés davantage. De Pie VII à Pie X, tous les Papes ont protesté contre les Organiques.

Dans sa communication du 26 juillet 1904 au chargé d’affaires de France, le cardinal Merry del Val a dit avec raison que le Saint-Siège n’avait « jamais cessé de protester contre les articles organiques », et il rappela qu’ils étaient un acte unilatéral du gouvernement français, acte bien distinct du Concordat.

Il ne faudrait donc pas dire que la loi du 18 germinal an X est un concordat. Il faudrait dire seulement que, sur les 93 articles de cette loi concernant le culte catholique, il se trouve 17 articles d’un concordat commencé.

On ne peut lire ces articles organiques sans une vive surprise. C’est un extraordinaire mélange de droit civil et de droit canon. J’ai dû tout à l’heure, pour montrer l’esprit du Concordat, citer, non pas un article du Concordat lui-même, mais un des Organiques, le 24e, qui renferme en lui toute la doctrine de l’Église gallicane, de saint Bernard à Bossuet. Et cet article, qui prononce sur l’autorité des Conciles et les droits de l’évêque de Rome en matière de foi, Pie VII ne l’a pas approuvé, Pie VII ne l’a pas vu ! Les articles organiques se composent principalement de police et de théologie. C’est le sac où Bonaparte a mis, en riant, tout ce qu’il voulait cacher au Pape.

Chose remarquable : les prescriptions contenues dans la convention du 26 messidor an IX, que le Pape approuva, ont leurs sanctions dans les Organiques du 18 germinal an X que le Pape n’approuva pas. Il résulte de cette disposition que le gouvernement français ne put jamais user d’une de ces sanctions légales, sans soulever les protestations de la curie. Et si l’État doit appliquer les Organiques puisque c’est sa loi, l’Église doit réclamer contre cette application, car elle en a constamment répudié le principe. Tel est le régime de concorde institué en 1801[4].

Bonaparte n’avait pas besoin, il faut le reconnaître, de textes approuvés par le Pape pour contenir le clergé dans l’obéissance. Il pouvait, à son gré, emprisonner, déporter les prêtres, enlever le Pape, prendre Rome. Mais il ne songea pas assez que ce ne serait point toujours l’usage, et il prépara de grandes difficultés à ses successeurs.

L’article 70 de ces étranges Organiques dit que « tout ecclésiastique, pensionnaire de l’État, sera privé de sa pension s’il refuse, sans cause légitime, les fonctions qui pourront lui être confiées. » L’article 6 des Organiques dit qu’ « il y aura recours au Conseil d’État dans tous les cas d’abus de la part des supérieurs et autres personnes ecclésiastiques. »

En cet endroit, le Concordat (pour lui laisser son nom dérisoire) s’inspire non plus des mœurs de la Révolution, mais des institutions de l’ancien régime : il prétend investir le Conseil d’État du droit des parlements, dont la compétence s’étendait sur les matières ecclésiastiques. Bonaparte pensait-il qu’un évêque put jamais reconnaître au Conseil d’État une autorité disciplinaire et s’incliner devant le blâme d’une compagnie de laïques ? Et, quant à la suppression des traitements, ne prévoyait-il pas que la libéralité des fidèles y pourvoirait au décuple ?

Le Concordat ne saurait en aucune manière engager le Pape. Tout au moins, ce serait une loi française. Il aurait un sens, un effet, si nous avions une Église gallicane, un Conseil d’État gallican, un gouvernement gallican. Mais nous n’avons rien de cela, et la signification même de ces choses est perdue. Je doute que les remarques que j’en fais soient bien entendues, si ce n’est, par aventure, de quelque prêtre érudit et de quelque vieux magistrat.

Ah ! si comme l’espérait le léger Consul, l’Église gallicane avait été rétablie, l’épée du Concordat aurait aujourd’hui sa pointe tournée contre Rome, un Concile National aurait condamné vingt fois, depuis quarante ans, le Pape usurpateur, le Pape coupable de promulguer de nouveaux dogmes et de proclamer sa propre infaillibilité, au mépris des canons de l’Église.

Bonaparte et ses graves collaborateurs se sont trompés au point qu’on ne reconnaît plus leurs intentions. Faire une Église gallicane en 1801 ! Mais ce général rêvait ! Quand l’Église était un ordre dans l’État, quand elle possédait le tiers du sol et quatre milliards de biens, quand elle commandait au bras séculier, elle avait les moyens d’être gallicane. Encore arriva-t-il parfois que le Gesù la mit dans sa poche. Enfin elle était l’Église de France. Mais un clergé sans argent et sans terres ne sera jamais qu’un tas d’idolâtres romains ou de pauvres diables schismatiques.

Libre et séparé de l’État, le clergé de France allait au schisme. Le Concordat l’a rendu idolâtre.

  1. Sur la constitution civile du clergé, voir le livre charmant et profond, d’un grand sens historique : Edme Champion. La Séparation de l’Église et de l’État en 1794. Introduction à l’Histoire religieuse de la Révolution française. 1903.
  2. Ces conséquences ont été exposées avec force et clarté par M. A. Debidour, dans un livre excellent, qui m’a été très utile : Histoire des rapports de l’Église et de l’État en France de 1789 à 1870, par A. Debidour, 1898.
  3. « Convention. C’est le titre donné à cet acte lors de sa rédaction. Bulla confirmationis conventionis, etc. On a, depuis, imaginé de donner fort improprement à cet acte le nom de Concordat. » Ainsi parle un ecclésiastique de la Petite Église. (De la nouvelle Église de France. Paris, 1816, p. 6, note.)
  4. M. Aulard a établi, dans un article (Aurore du 16 août 1904), que le projet des Organiques avait été communiqué au cardinal-légat Caprara par Bonaparte lui-même, qui avait admis Caprara à y faire des corrections ; mais celui-ci n’en avait donné au Pape qu’un résumé incomplet et inexact.