L’Égoïste (Meredith)/Chapitre 05

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Traduction par Maurice Strauss.
Charles Carrington (p. 55-69).
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CHAPITRE V


Clara Middleton.

La belle rencontre de Sir Willoughby Patterne avec Sir Middleton, eut lieu à Cherriton Grange, la résidence d’un homme de marque du comté.

Ce fut là que cette jeune lady de dix-huit ans fut vue d’abord, émergeant à l’horizon. Elle avait de l’argent, de la santé et de la beauté, trinité de constellations parfaite qui fait de tout homme un astronome. Il la regarda, espérant qu’elle le regarderait. Mais sitôt qu’il eut jeté les yeux sur elle il pensa qu’il devrait faire quelque chose pour être payé de retour. Il faisait partie d’une bande, beaucoup étaient devant lui, tous se montraient empressés. Il eut à débattre en lui-même, comment il s’y prendrait pour lui faire connaître qu’il était Willoughby Patterne, avant que ses gants fussent trop salis pour contenter sa délicatesse, car, à la ronde, elle pressait la main tendue de ses cavaliers — des mâles obscurs dont chaque attouchement laissait des traces. Sa splendeur était vraiment par trop généralement gracieuse pour lui plaire. Néanmoins, il en ressentit un grand empressement à se lancer dans le feu de l’action, quoiqu’il ne sût alors rien, sinon qu’il y avait un concours, un prix à décrocher et que lui seul était Willoughby Patterne, parmi ces douzaines d’hommes acharnés après la jeune lady.

Mieux versé dans la science que ses rivaux, il appréciait le compliment de la Nature dans la belle qui fait son choix. À présent, nous savons scientifiquement que dans cette partie de la lutte universelle, le succès est départi au meilleur. Vous déployez un plus beau plumage que vos compétiteurs, vous arborez un plus beau toupet, vous flûtez une note nouvelle, à stridence plus longue, c’est vous qui serez choisi dans le tas qu’elle aura passé en revue. Le superlatif lui est magnétique. Il se peut qu’elle regarde autre part, mais le superlatif n’a qu’à faire un signe, c’est vers lui qu’elle se glisse. Il ne lui est pas possible de se servir elle-même, c’est dans sa nature. Et sa nature est une garantie pour la noblesse de la race qui sortira d’elle. En vous complimentant elle promet une descendance supérieure. Ainsi la science, ou, pour dire mieux, une intimité avec la science, facilite la fréquentation de l’aristocratie. En conséquence une attaque qui réussit et la distinction qu’elle fait de vous dans un lot de compétiteurs, affirment que vous êtes le meilleur homme. Qui plus est, par là le monde en est informé.

Willoughby étala ses aimables superlatifs sous les yeux de Miss Middleton ; il avait une jambe. Il était l’héritier d’heureux concurrents. Il avait une manière, un ton, un tailleur artiste, une autorité en convenances. Parmi cette multitude en ardeur de la chasse, il avait l’attrait de la nouveauté. Ce qui, ajouté à son indéviable énergie quand il s’agissait de gagner un prix, le rendait irrésistible. Il n’épargna aucune peine car il était avide d’être le premier au poteau d’arrivée. Il courtisa son père, sachant que les hommes semblablement, et, surtout les parents, font aller leurs préférences à l’offre la plus large, la poche la plus profonde, les terrains les plus étendus, la considération la plus respectée. Les hommes, d’après leur mode, aussi bien que les femmes, distinguent le meilleur, aident à son succès. Ainsi fit certainement le docteur Middleton, dans la crise de la mémorable question posée à sa fille dans le mois qui suivit la réception de Willoughby à Upton Park. La jeune fille fut étonnée du tourbillon dont il l’entourait et s’inclinait comme un jeune plant. Elle implora un sursis ; à peine si Willoughby pouvait attendre. Sans hésitation elle affirma qu’elle n’aimait personne mieux que lui ; il consentit un examen calme de la situation, lui fit comprendre que celle-ci était fausse tant qu’il resterait fiancé, mais elle ne voulut pas l’avouer. Elle invoquait un grand désir de voir un peu le monde avant de se lier. Il en fut alarmé et rendit responsable le merveilleux Dieu de l’Amour sous la forme la plus subtile de la divinité.

Volontiers il aurait déféré à ses vœux, alangui et résigné, si sa mère n’avait exprimé le désir de voir avant sa mort la future lady Patterne, prendre en mains la direction du château. L’amour, malicieusement, apparaissait sous le masque de l’amour filial, mais l’argument de l’urgence semblait raisonnable. Ainsi jugea le docteur Middleton, croyant sa fille éprise. Elle n’éprouvait aucune aversion, mais elle avait un désir virginal de voir un peu le monde — Grâce ! pour un an ! implorait-elle. Willoughby réduisit cette année à six mois, et en gratitude elle consentit à rester fiancée, ce qui ne fut pas un vain murmure. Elle fut invitée à se déclarer captive par la prononciation de vœux — cérémonie privée, mais effective. Elle avait de la beauté et de la santé et des richesses pour dorer ces dons ; non pas qu’il jugeât indispensable que sa fiancée eût de l’argent, mais cela aide par son lustre à éblouir le monde ; et surtout la meute des rivaux tendant leurs gosiers endoloris pour aboyer à la lune. Il fallait qu’elle fût captive.

Il fit les fiançailles sans qu’il y eût de quoi murmurer. Ce fut le solennel engagement d’une fidélité. Pourquoi pas ? Après lui avoir dit : Je suis vôtre, ne pouvait-elle ajouter : Je suis tout à fait vôtre, et : À vous pour toujours ; je le jure, jamais je ne m’en départirai, je suis votre femme de cœur ; votre tout ; voyez l’engagement écrit ci-dessus. » Mais très avisée elle y ajoutait : « En ce qui me concerne » générosité frigorifique ; mais lui, à son tour, l’obligeait à lui faire répéter le catéchisme d’amour et il eut des réponses ferventes qui l’attachèrent à elle si indissolublement qu’elle ne put douter d’être aimée. Je suis aimée ! exclamait-elle aux échos de son cœur, en foi simple, en étonnement naïf. À peine si elle avait rêvé d’amour et voici qu’il se dressait sur son chemin. Elle y avait songé sans ardeur et ça y était. Elle avait pensé à l’amour comme étant un des biens éloignés du monde puissant, quelque chose qui se trouvait peut-être dans les forêts, par delà les mers agitées, voilé, barré, par des périls séduisants, un secret angoissant, mais trop lointain pour la faire palpiter. La principale idée qu’elle s’en faisait, c’est que l’amour enrichit le monde.

Ainsi Miss Middleton acquiesça au principe de la sélection.

Et le meilleur homme de la multitude, sonnait haut et clair de son cor triomphant.

Il apparaissait le plus adroit ; il justifiait le dictame de la science. La survivance des Patterne était assurée. Mrs Mountstuart Jenkinson qui l’admirait, disait : J’aurais considéré l’aubaine rien que pour la santé, mais elle a tout, lignée, beauté, sang ; elle est ce que l’on appelle une héritière, et la plus accomplie de son sexe. Avec un art raffiné il fit comprendre à la lady qu’il avait extrait Miss Middleton d’un tas sans qu’un souffle de ce tas eût offensé sa délicatesse. Il le disait, lançant un sarcasme aux jeunes femmes modernes qui s’en vont de par le monde grignotant et grignotées, jusqu’à ce qu’elles connaissent un sexe aussi bien que l’autre et qu’elles sachent évaluer les phases du marché aussi bien que les hommes. Pures ? Peut-être ! Mais non pas innocentes. Décidément pas notre idéal féminin. Miss Middleton était différente, le véritable idéal, fruit du matin garanti par sa fleur.

Les femmes ne défendent point leurs jeunes sœurs quand celles-ci font ce qu’elles ont fait sans doute, lever un voile pour être vues, regarder dans un monde où l’innocence est une sécurité aussi précaire que la coiffe d’un enfant pour éviter un naufrage. Les femmes du monde ne pensent pas à blâmer cette sensuelle stipulation d’une fleur parfaite, d’une virginale pureté, qui se ressent de l’orientale origine de la maîtresse passion de leurs seigneurs. Mrs Mountstuart congratula Sir Willoughby du prix qu’il avait gagné en la belle Orientale d’Occident.

— Que je la voie ! disait-elle. Et Miss Middleton fut introduite et passée au crible de l’observation.

Elle avait la bouche qui, au repos, sourit. Les lèvres au centre de l’arc, se rencontraient pleines et s’amincissaient vers une fossette relevée ; les sourcils également ascendaient légèrement vers les coins extérieurs et semblaient, comme la lèvre dans la joue limpide, animer les tempes comme par un jet de lumière, ou l’ascension, à peine indiquée, d’un trait de couleur. Sans prétendre à la rigide régularité, ses traits s’harmonisaient, le nez ne trônait pas avec l’ordinaire dignité d’une duègne parmi de jeunes évaporées, cependant il était d’un dessin pur, non pas érigé en arête aiguë interrogative, ni invitant aux ébats folâtres. Le reflet des trembles dans la rivière, attendant la brise, pourrait fournir à quelque imaginatif amant une évocation de sa figure, une pure, douce et blanche face, d’un tendre incarnat aux joues où les gentils reliefs étaient atténués même durant la sérénité. Ses yeux étaient bruns, bien sertis entre les cils soyeux, souvent ombrés, mais jamais torpides. Ses cheveux d’un brun plus clair, gonflés au-dessus des tempes, depuis la courbe au sommet, imposaient le triangle du fabuleux, farouche visage du pays des bois, du front à la bouche et au menton, évidemment en accord avec son goût, et le triangle lui allait bien : mais sa figure n’exprimait point une sauvagerie inapprivoisable ou de faiblesse ; sa bouche égale, bien fermée, jetait sa courbe au-dessus du petit menton arrondi et la préservait de cet effet, ses yeux ne battaient que durant l’émotion, ils restaient fixes quand la pensée était sollicitée ; alors l’édifice en hêtraie hivernale de ses cheveux perdait son apparence nymphéale et fantasque et par des lignes plus simples ajoutait à son attitude de studieuse concentration. Observez le faucon, les ailes éployées au-dessus de la proie qu’il guette et vous pourrez vous faire une idée de ce changement de physionomie de cette jeune lady que Vernon Whitford comparait à la Montagne Écho et que Mrs Mountstuart Jenkinson déclarait être « une friponne mignonne en porcelaine. »

L’opinion de Vernon dut naître en constatant sa vibration prompte et très musicale. Il préférait la société du savant père à celle de cette fille de moins de vingt ans fiancée à son cousin ; mais le charme de sa langue vivace et de sa voix était aussi opposé à son esprit intelligent et compréhensif, esprit naturel, esprit limpide, que le levain de la pâte à l’esprit citadin.

Dans ses éloges, il ne mentionna point l’esprit de Miss Middleton, pourtant il s’aventurait à en parler à Mrs Mountstuart, ce qui porta cette lady à dire :

— Ah ! bien, je n’ai pas remarqué son esprit. Peut-être êtes-vous en état de le dépeindre.

Personne n’avait remarqué l’esprit. L’entendement corrompu du public exigeait une collision de sons, à ce que suppose Vernon. Quant à lui, pour se prouver leur excellence, il se rappela quantité de choses dites par Miss Middleton ; elles vinrent à lui en essaim ; et tant qu’il se défendit de les répéter à haute voix, elles eurent une singulière puissance de signification. Ce ne pouvait être tout à fait de la faute de la jeune fille, sans doute il y mettait du sien. Peut-être aussi cela provenait-il de la prestesse qu’elle mettait à attraper la couleur et l’ombre d’une éphémère conversation. Probable qu’en se rappelant tout ce qui avait été dit, l’esprit se serait nettement dégagé, mais comment faire pour retenir la portion lourde ? Comme il ne pouvait servir de rien d’argumenter sur un sujet le concernant personnellement et vraisemblablement seul, Vernon résolut de le garder pour lui. Le panégyrique de sa beauté, une qualité qu’il ne lui trouvait pas si évidente, l’irritait. Pour flatter Sir Willoughby, on avait pris l’habitude de la citer comme un type de beauté, justement le genre qui faisait le mieux ressortir son type viril. Elle fut comparée à ces fleurs délicates, les dames de la cour de Chine, sur papier de riz. Un petit accoutrement français l’aurait campée à l’aise sur la margelle d’une fontaine parmi les luths et les joueurs de flûte dans l’enchantement des bergères couvertes de soie, qui vivent sans avoir jamais existé. Lady Busshe alla se ressouvenir des femmes de Léonard, des anges de Luini. Lady Culmer avait vu des esquisses au crayon faites par des demoiselles de l’aristocratie de France et qui lui ressemblaient. Quelqu’un parla d’une antique statue, une figure soufflant dans une flûte, et la bouche au trou de la flûte offrait une vague ressemblance avec l’arc de sa bouche, mais cette comparaison fut rejetée comme grotesque.

Pour une fois, Mrs Mountstuart Jenkinson échoua. Sa « mignonne friponne en porcelaine » déplut à Sir Willoughby. « Pourquoi friponne ? » disait-il. La réputation de la lady d’atteindre toujours la cible le courrouçait et la grâce de sa fiancée l’enhardissait dans la contradiction. Clara était jeune, saine, belle ; elle était digne d’être sa femme, la mère de ses enfants, son pendant. Sûrement l’un à côté de l’autre ils avaient haute mine. En se promenant avec elle, en s’inclinant vers elle, se rendant compte par l’exquise dissemblance, l’homme voyait son dédoublement de mâle en femelle. Elle le complétait, ajoutait les lignes adoucies qui manquaient à son portrait pour que le monde pût l’admirer. Il lui avait fait une furieuse cour, et il la courtisait avec convenance, en virile possession de lui-même, enjolivé par les soins et le tact qui plaisent aux femmes. Jamais il ne semblait se dépriser en l’exaltant, ce qui est un secret inestimable quand on courtise des jeunes filles qui ont du discernement ; l’amant double la conscience qu’elles ont de leur valeur en ne diminuant pas la sienne. Ce furent des jours de bonheur et de fierté, quand, monté sur Black Norman, il chevauchait vers Upton Park, et que sa lady aux aguets connaissait son approche par les battements plus précipités de son cœur.

Son intelligence, à elle, également, était accueillante. Elle connut ses goûts et lui fit fête. Elle fixait dans sa mémoire ses phrases heureuses, observa ses manières, ses préférences, comme aucune femme n’eût pu le faire. Il témoigna à Vernon sa reconnaissance pour avoir dit qu’elle avait de l’esprit. Elle en avait, d’une saveur si exquise, que plus il pensait à l’épigramme lancée sur elle et plus il en était mécontent. Avec de l’esprit pour le comprendre et un cœur pour l’adorer, elle était en possession d’une dignité rare chez les jeunes ladies.

— Pourquoi friponne ? insistait-il auprès de Mrs Mountstuart.

— J’ai dit — en porcelaine, répondait-elle.

— Friponne me rend perplexe.

— Porcelaine complète le sens.

— Elle a le sens affiné de l’honneur.

— Je suis sûre qu’elle est un modèle de correction.

— Sa conduite est excellente.

— Des manières de princesse.

— Je la trouve parfaite.

— Et tout de même il est possible qu’elle soit une mignonne friponne en porcelaine.

— Jugez-vous au physique ou bien au moral, Madame ?

— Par tous deux !

— Et particulièrement ?

— Impossible de distinguer.

— Friponne et dame de Patterne ne vont guère ensemble.

— Pourquoi pas ? Ce sera une nouveauté dans le voisinage, une animation pour le château.

— Pour être franc, friponne ne s’accorde pas avec moi.

— Prenez-la en complément.

— Elle vous plaît ?

— J’en raffole. Je suis sûre que toute ma vie durant je m’amuserai en sa société. Croyez-en mon avis : ménagez la porcelaine et jouez avec la friponne.

Sir Willoughby s’inclinait, peu convaincu. Il n’y avait rien de fripon en lui, il ne pouvait y en avoir dans sa fiancée. La lutinerie, l’artifice, le caprice, il les abhorrait, étrangers à sa nature, et il plaidait qu’il n’était pas possible qu’il eût choisi pour sa compagne une personne entachée de ces défauts. Son ange gardien n’eût point ratifié ce choix. Une fréquentation plus assidue de Miss Middleton confirma ses premières impressions, ce qui est probant. La conduite de Clara confirmait, jour par jour, son opinion initiale à savoir qu’elle était essentiellement femme, en d’autres mots, un parasite et un calice. Il entreprit de se faire connaître à elle, sans aucune réserve, et sa timidité avec lui décroissant, elle devint plus réfléchie.

— Je juge au moral ! disait-il à Mrs Mountstuart.

— Ah vraiment ! Vous avez pénétré le moral d’une jeune fille ?

— À peu près !

— Ainsi disait l’homme qui plongea dans un puits pour y attraper la lune.

— Comme les femmes ravalent leur sexe !

— Du tout. Son caractère n’est pas encore formé. C’est vous qui le formez. Soyez prudent et avenant : la réalité sera votre meilleur guide ; les jeux de physionomie, les manières d’une jeune fille décèlent mieux son caractère que toutes vos épreuves. C’est une charmante jeune femme… Précisément…

— Quoi ? Précisément ? demandait Willoughby avec impatience.

— Une friponne en porcelaine.

— Je ne comprendrai jamais.

— Je ne peux vous y aider.

— Le mot : friponne ?

— Mignonne friponne !

— Vous vouliez dire fragile.

— J’en suis incapable !

— Du vice innocent ?

— Joliment modelé en une précieuse substance.

— Vous pensez à ces figurines de Saxe, et vous trouvez qu’elle leur ressemble.

— C’est ça !

— Elle est donc artificielle ?

— La voudriez-vous naturelle ?

— Elle me plaît des pieds à la tête, ma chère Mrs Mountstuart.

— Tant mieux ! Parfois c’est elle qui vous mènera, généralement ce sera vous qui la mènerez, et tout ira bien, mon cher Sir Willoughby.

Comme tous les diseurs concis, Mrs Mountstuart détestait l’analyse de sa phrase. Elle frisait le vague, était émue pour être saisie et non point disséquée. Ses instructions pour pénétrer le caractère de Miss Middleton, elle les mettait en pratique pour étudier Sir Willoughby, dont les jeux de physionomie et les manières révélaient ce qu’elle le croyait être, un gentleman splendidement fier et de haute intelligence.

Le conseil de Mrs Mountstuart fut plus sage que son procédé, car elle s’arrêta court où il refusait de commencer. Il plongeait sous la surface avant de lire la table des matières. Il avait gagné la main de Miss Middleton ; il crut avoir captivé son cœur ; mais il n’était pas si certain de la possession de son âme ; il courut après. Notre gentleman énamouré n’avait point reçu d’encoches de la Nature, pour marquer ses découvertes dans les profondeurs. C’est l’inconvénient des plongées, que lorsqu’on ne s’éclaire pas, il faut beaucoup labourer, ce qui jette le trouble au fond si gentil. Les traits de Miss Middleton étaient visibles, jusqu’à déceler la source de ses moindres impressions. Il put voir qu’elle avait de l’énergie avec un naturel amour de la liberté, ce qui impliquait le besoin d’espace, si elle était laissée à elle-même. Ces traits, malheureusement, au lieu de s’en servir comme une porte d’entrée dans l’intérieur, il s’en servit comme d’un miroir pour s y refléter lui-même.

Ces traits de grande douceur devaient tenter, en effet, un amant accepté à s’y accrocher. Mais il avait découvert que sur deux ou trois points leurs opinions différaient. Que sa fiancée pensât autrement que lui, ce fut odieux pour sa tranquillité. Obstinément, il revenait à la charge pour lui démontrer son erreur sous des aspects variés. Il entendait modeler son caractère de telle manière qu’il épousât le sien, et il trahit quelque surprise en la voyant se faire l’avocate de ses idées. Elle dit immédiatement : « Willoughby, il est encore temps » et le blessa, car il l’aurait voulue ductile entre ses doigts. Il la sermonna sur le thème de l’amour infini. Comment, était-il encore temps ? Ils étaient liés, unis dans l’éternité, ils ne pouvaient être séparés. Elle écoutait avec gravité, comprenait l’infini comme une vie étroite où une voix bourdonne, ne cesse jamais. Tout de même elle écouta. Et elle devint une auditrice attentive.