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L’Émigré/Lettre 156

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P. F. Fauche et compagnie (Tome IVp. 182-184).


LETTRE CLVI.

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Le Marquis de St. Alban
à la
Cesse de Loewenstein.


Lisez, ma chère Comtesse, et vous verrez à quelle loi je suis forcé d’obéir. Vous hâteriez vous-même mon départ, si je balançais, et je me figure vous obéir en m’arrachant à vous. Je n’hésite pas, ô ma divine amie ! mais mon cœur est déchiré, et mon esprit presque égaré en consommant un aussi douloureux sacrifice. Il faut que je vous fuie, au moment où l’espoir brille à mes yeux. Ah ! combien la perspective du bonheur se recule dans un affreux lointain !… Mais quoi, est-il vrai que je vous quitte ? est-il donc dans l’univers entier une force qui puisse m’y contraindre ? Malheureux que je suis ! elle existe cette force, c’est mon roi, c’est l’honneur !… Vous m’appelez je crois, ma chère Comtesse, vous me retenez et me dites : « quel engagement avez-vous pris ? n’avez-vous pas déjà assez fait ?… vos blessures sont à peine guéries… » Ah ! si vous m’appeliez !… J’en frémis… que deviendrais-je ? mais vous ne seriez plus alors cette céleste Victorine que j’adore ; cette Victorine sur qui la voix du devoir a tant d’empire, et qui sait elle-même combattre et vaincre. Daignez prendre pitié de moi, et relevez mon courage abattu de ses propres efforts ; que les témoignages de votre bonté me rassurent sans cesse, me soutiennent pendant une aussi cruelle absence. Promettez-moi, je vous en conjure à genoux, qu’à dater du moment de mon retour, une semaine ne s’écoulera pas sans que je sois le plus fortuné des hommes. Agréez mon admiration et tous les sentimens d’un cœur rempli de vous.

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