L’Évolution Française sous la Troisième République/Chapitre II

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chapitre ii

les premières années de la république (suite).

M. Thiers, chef d’État et premier ministre. — Le message du 12 novembre 1872. — Une première crise présidentielle. — La fusion et le drapeau blanc. — Comment les monarchistes ont aidé à faire la République. — Violents débats. — La discipline des républicains et les élections législatives.

La position de M. Thiers avait ceci d’exceptionnel que, chef de l’État, il était en même temps premier ministre. Il avait pris l’habitude d’intervenir dans la moindre discussion et posait à tout moment la question de confiance. Sur beaucoup de points, il s’était trouvé d’accord avec la grande majorité de l’Assemblée ; mais lorsqu’il rencontrait quelques contradicteurs, ses vieilles habitudes d’autocrate reprenaient le dessus, et il ne ménageait guère son dédain à ceux qui ne partageaient pas son opinion. Irrévérencieusement, on a dit de lui qu’il avait « l’humeur d’une femme nerveuse, ou d’un vieil enfant gâté[1] ». On doit reconnaître, sans aller aussi loin, que son langage, bien souvent, blessait et choquait l’Assemblée.

L’Assemblée, blessait et choquait à son tour le Président. Il eût désiré moins de bruit et plus de besogne. Selon un barbarisme expressif de M. Jules Grévy[2], on « incidentait » constamment. C’était, en séance, un croisement perpétuel d’interpellations, une agitation stérile, un « bruit assourdissant ». Le caractère de M. Thiers s’aigrissait d’autant plus dans cette atmosphère desséchante, qu’il avait conscience d’être en parfait accord avec le pays dans les efforts qu’il faisait pour écarter les questions politiques et mettre à l’ordre du jour les questions d’affaires. Et toujours il trouvait devant lui la coalition des monarchistes et des radicaux, inquiets, avant tout, de ne pas laisser se faire l’apaisement et de maintenir l’opinion dans un état d’incertitude, d’inquiétude favorable aux espérances des partis[3]. Le chef de l’État ne songeait qu’à accréditer son gouvernement par la sagesse et la modération, tant auprès de la France qu’auprès des nations étrangères, et s’irritait que son programme simple et patriotique ne ralliât pas les suffrages, et qu’on pût songer à son parti avant de songer à sa patrie.

Certes, il avait grandement raison ; mais les hommes ne se laissent pas toujours conduire par les mobiles les plus élevés, ni par les règles de la plus pure logique. Il y avait certainement dans l’Assemblée, — l’avenir le prouva, — les éléments d’une majorité modérée. M. Thiers ne prit pas assez à cœur de la grouper et de la rendre viable. Il avait formé son ministère d’une manière peu conforme aux coutumes parlementaires et incarnait une république très spéciale, celle qui a pour pierre angulaire un homme providentiel. Il ne s’apercevait pas qu’il avait cessé d’être cet homme providentiel depuis que la vie nationale avait repris son cours normal. On l’entretenait, il est vrai, dans une dangereuse illusion en recourant à lui en toutes circonstances, comme on eût fait pour un dictateur. Des élections d’un caractère un peu avancé ayant eu lieu coup sur coup dans le Nord, la Somme et l’Yonne, un cortège de délégués appartenant aux diverses nuances de la droite s’en vint solennellement trouver le chef de l’État, à la préfecture de Versailles, pour l’inviter à prendre des « mesures préservatrices ». La République de M. Thiers était donc, au premier chef, un gouvernement personnel.

Le 19 janvier 1872, l’Assemblée s’étant refusée à sanctionner le principe de l’impôt sur les matières premières, le chef de l’État donna sa démission ; il fallut qu’un nouveau vote annulât le précédent, et que les députés tentassent auprès de. M. Thiers une démarche qui ressemblait à un acte de contrition. Un peu plus tard vint la loi de réorganisation militaire. Il s’y intéressa activement et en discuta les articles avec passion. Pour tout ce qui concernait l’armée, ses prétentions habituelles s’exagéraient encore[4] de ce que ses travaux historiques lui avaient appris sur la stratégie napoléonienne. « Il s’occupait minutieusement de tous les détails de l’administration de la guerre ; l’armée de Paris ne faisait pas un mouvement sans ses ordres[5]. » Quant aux dépêches, elles passaient toutes sous ses yeux. Il voulait savoir, minute par minute, l’état de la France et celui de l’Europe. « Tant que Jules Favre fut ministre des affaires étrangères, dit M. Jules Simon[6], il le logea chez lui pour avoir plus vite les nouvelles sous la main : il avait tous les jours des conférences avec le ministre de l’intérieur, le ministre des finances. Il faisait venir le gouverneur de la Banque, les grands financiers[7]. » On le voit, l’ancien ministre de Louis-Philippe, devenu chef de l’État, ne pratiquait pas la maxime célèbre avec laquelle il avait paralysé l’initiative gouvernementale de son souverain : « Le roi règne et ne gouverne pas. » C’était pourtant à l’abri de ce principe, qui cache sous son apparent illogisme une sagesse profonde, que la présidence de la République devait acquérir le prestige dont elle a bénéficié par la suite.

Il ne paraît pas certain, malgré tout ce qu’on a dit pour le prouver, que M. Thiers ait conçu, dès le début, le ferme propos d’établir la République. C’était là évidemment une des solutions auxquelles s’arrêtait son esprit ; mais ce n’était pas la seule, et tout indique que les monarchistes, en lui refusant sans cesse les moyens de gouverner, lui inspirèrent la résolution de chercher dans une République définitive l’appui que ne lui donnait pas la République provisoire. Cette solution, d’ailleurs, s’imposait à bien des hommes que leur passé séparait des doctrines républicaines, mais qui plaçaient au-dessus de tout le reste le souci des intérêts nationaux. Au cours de la longue discussion sur la revision des actes de l’administration avant et pendant la guerre, le duc d’Audiffret-Pasquier, le général Chanzy, et d’autres encore, avaient très nettement indiqué quelle politique pratique ils entendaient suivre, ne s’inspirant que des besoins immédiats de la France et ajournant toute question susceptible d’entraver le relèvement du pays. D’autres, envisageant la succession des gouvernements en France, allaient plus loin. « Dans le cours d’un siècle presque entier de révolutions successives, écrivait M. Casimir-Périer[8], toutes les formes de gouvernement ont été essayées tour à tour, sauf une seule, celle d’une République régulière, loyalement acceptée de la majorité de la nation, servie sans prévention d’une part, sans faiblesse de l’autre. C’est une épreuve qui reste à faire : faisons-la courageusement et honnêtement. »

Tel est le programme auquel s’arrêta M. Thiers.

Le message de rentrée du 11 novembre 1872, conçu en termes d’une netteté lumineuse, convia l’Assemblée à une « grande et décisive session » au cours de laquelle seraient imprimés à la République « les caractères désirables et nécessaires ». — « La France, disait M. Thiers aux agitateurs de droite et de gauche, ne veut pas vivre dans de continuelles alarmes » ; et chacun comprit que cette simple constatation d’un fait indéniable constituait une mise en demeure à l’égard des représentants de la nation.

L’émotion et le retentissement provoqués par ce message furent considérables ; M. de Kerdrel se fit l’interprète des sentiments qui agitaient l’Assemblée, en demandant la nomination d’une commission destinée à élaborer une réponse au manifeste présidentiel. En attendant, on vota, après d’orageuses discussions, un ordre du jour qui blâmait les doctrines exposées à Grenoble par Gambetta et exprimait, d’autre part, la traditionnelle confiance dans le gouvernement[9]. Bientôt la commission fit connaître ses conclusions. M. Thiers avait déclaré : « La République sera conservatrice, ou elle ne sera pas », et il avait en même temps réclamé la prompte organisation des pouvoirs publics. La commission concluait à la préparation d’une loi « sur la responsabilité ministérielle » et, en manière de contrepoids, à l’adoption de mesures « contre le radicalisme ». Il n’était pas nécessaire d’être très perspicace pour deviner que cette seconde conclusion était la seule à laquelle on attachait quelque importance. Il faut créer « un gouvernement de combat » ; tout le rapport de M. Batbie est dans ce mot. Le ministère ne pouvait accepter une semblable mise en demeure ; il eut gain de cause, mais sa majorité ne fut que de 37 voix[10].

Ce débat a une importance sur laquelle on s’est mépris et que ne présentèrent par la suite ni le fameux amendement Wallon, ni le vote des lois constitutionnelles. C’est en réalité ce jour-là que la République libérale et parlementaire reçut de l’Assemblée sa véritable consécration ; l’appui de l’illustre citoyen en qui le pays avait placé sa confiance et dont les défauts et les petitesses ne sauraient diminuer le mérite assura la victoire, que facilitèrent d’autre part les querelles intestines des partisans de la monarchie.

Il semble qu’on l’ait compris à droite ; à partir de ce jour, M. Thiers devint l’ennemi commun. Les royalistes de la Chambre introuvable s’écriaient, en 1816, que M. de Richelieu, M. Decazes et Louis xviii conspiraient à « perdre tout ». Les conservateurs de l’Assemblée nationale virent en M. Thiers un « traître à la cause conservatrice ».

L’extrême gauche la répudiait de son côté, cette République modérée ; à ses yeux, ce n’était pas la vraie République ; Garibaldi, du fond de son île, protesta contre l’étiquette dont M. Thiers avait revêtu son gouvernement. On fit circuler des listes de pétitionnement en faveur de la dissolution de l’Assemblée ; à Versailles, combinaisons, commissions, motions, interpellations recommencèrent de plus belle. Les partis s’accusaient réciproquement d’avoir déchiré le « pacte de Bordeaux », lequel prit de la sorte, par un singulier effet de mirage, une importance rétrospective. Ainsi s’acheva l’année 1872, fertile d’ailleurs en événements de tout genre : au mois de septembre avait eu lieu une entrevue des trois empereurs ; un congrès radical cosmopolite pour « l’affranchissement du travail » s’était tenu à la Haye, et l’arbitrage de la Suisse avait mis fin au fameux conflit dit de l’Alabama, entre l’Angleterre et les États-Unis. Quand on réfléchit à ce que sont devenus la Triple Alliance, le socialisme et l’arbitrage, on se prend à songer que nos députés ne donnaient pas leur attention aux objets les plus dignes de la retenir.

Ce fut le pays qui se chargea de fournir quelques indications électorales susceptibles d’éclaircir cette obscure situation ; sa volonté présente se bornait à ceci : éviter toute révolution nouvelle. Comme les conservateurs ne lui donnaient, à cet égard, nulle sécurité, il nomma des républicains. Marseille envoya M. Lockroy, et le Rhône, M. Ranc. La Gironde, le Jura, la Nièvre, le Loir-et-Cher et la Haute-Vienne choisirent des républicains de nuance plus ou moins avancée. Mais l’événement le plus important fut l’élection de M. Barodet à Paris. Ancien maire de Lyon, M. Barodet était le candidat des « rouges », comme on disait alors ; il eût pour concurrent le ministre des affaires étrangères, M. de Rémusat, esprit fin et distingué, mais peu connu de la foule et méconnu des partis intransigeants. La rencontre de ces deux concurrents d’ordre si divers et, il faut bien le dire, de valeur si inégale, surexcita au plus haut point l’opinion publique. Le duel électoral de M. Jacques et du général Boulanger, le 27 janvier 1889, peut seul donner une idée de la fiévreuse intensité de la lutte[11].

M. Barodet fut élu, comme le général Boulanger devait l’être plus tard, par cette portion de la population parisienne dont les qualités et les défauts sont si étrangement combinés que jamais les étrangers n’ont pu la comprendre. Héroïque en temps de guerre, susceptible de marquer, pendant une crise, autant de calme qu’elle apporte, dans ses plaisirs, de turbulence joyeuse, elle excelle à saisir les nuances et à s’en amuser. Elle ne fait pas opposition au gouvernement ; elle le taquine, le vexe, l’embarrasse ; elle n’est ni logique, ni persévérante, ne s’inquiète jamais du lendemain et saisit mal les relations de cause à effet. Elle n’est pas sans analogie avec la foule antique, dont elle a, non les appétits sanguinaires, mais les injustices et les légèretés.

Longtemps ce Paris-là s’est imposé à la province, et par la province, à l’Europe. La centralisation, chère au régime impérial, ajoutait encore à son influence, et on peut dire que la troisième République est surtout remarquable par l’importance qu’elle a rendue à la vie et aux institutions provinciales. Dès le début, la « peur de Paris » s’est manifestée parmi les modérés de l’Assemblée nationale. On ne voulait pas y ramener le gouvernement ; on reculait devant le danger d’étendre les franchises municipales, et les élus de Paris n’ont cessé d’avoir dans le Parlement et devant le gouvernement une situation à part, faite d’un peu de respect et de beaucoup de méfiance.

Et, malgré que l’expérience ait rassuré les timides, malgré que les événements aient démontré la fausseté des indications données par le baromètre parisien, on n’a pas perdu l’habitude, dans les moments de trouble, d’incertitude, d’angoisse, de se tourner vers la grande ville en se demandant : « Qu’en pense Paris ? » Et Paris répond par un mot d’ordre auquel la France n’obéit plus.

La crise que chacun pressentait, et qui éclata le 24 mai 1873, eut ceci de paradoxal que, d’une part, entendant l’appel de M. Thiers, le pays lui envoya, pour fonder la République, des hommes de gauche dont la venue hâta sa chute, et que, d’autre part, en lui donnant un successeur moins attaché à la forme républicaine, les monarchistes contribuèrent à l’affermissement du régime dont ils voulaient empêcher l’établissement définitif.

Un léger dissentiment entre M. Jules Simon, ministre de l’instruction publique, et ses collègues, provoqua, à la veille de la rentrée de Pâques, un remaniement ministériel. MM. Casimir-Périer et Bérenger entrèrent au conseil. La droite en conçut des inquiétudes, et le conflit s’engagea sous la forme déjà usuelle de l’interpellation. Le duc de Broglie conduisit l’assaut. M. Thiers exposa une dernière fois sa politique et fit voir la nécessité de la République découlant de l’impossibilité de la monarchie. Il ne rallia personne, même parmi les hésitants, mais il eut du moins la bonne fortune de pouvoir se retirer sur une parole précise et franche dont l’avenir devait souligner la parfaite sagacité.

L’Assemblée repoussa l’ordre du jour pur et simple[12], demandé modestement par les ministres, et mit une certaine insistance à réclamer sous une forme indirecte, mais pressante, cette démission qu’elle refusait d’agréer quelques mois plus tôt. La lettre vint ; M. Thiers, peut-être, s’attendait à provoquer une nouvelle démarche aussi flatteuse pour son amour-propre qu’utile à ses projets : mais la proposition de refuser la démission du chef de l’État ne réunit qu’une respectable minorité. La gauche alors se retira, ne laissant que 392 votants, et 390 voix nommèrent le maréchal de Mac Mahon Président de la République française. Les monarchistes ne se doutaient guère qu’ils venaient de consacrer l’existence et d’assurer le fonctionnement du régime républicain.

Pour la première fois depuis Louis xviii on voyait, en France, une transmission de pouvoir s’opérer dans le calme le plus complet, avec une surprenante rapidité, sans qu’il y eût le moindre arrêt ni même la moindre hésitation dans la machine gouvernementale. Le pays était trop déshabitué d’un pareil spectacle pour ne pas apprécier hautement le régime qui l’en rendait témoin. En élevant au rang suprême un maréchal de France, créé duc de Magenta par l’Empire et bien connu pour ses opinions résolument conservatrices, la droite avait prétendu lui confier la singulière mission, sinon d’étouffer la République, du moins d’arrêter la diffusion des idées et des doctrines républicaines. Or, la masse de la nation raisonna tout autrement et, voyant un soldat loyal accepter la présidence, conclut qu’entre ses mains la République ne courait aucun danger[13].

Il y eut une détente dans le pays et comme un mouvement de sympathie générale. Les électeurs ne prêtèrent qu’une attention distraits aux harangues de leurs représentants qui se vantaient, à droite, d’avoir arrêté la France sur le bord des abîmes, et se lamentaient, à gauche, de voir la République aux mains des réactionnaires. On put croire un instant qu’une politique de parti allait prévaloir dans les conseils du Président[14] ; mais ces craintes ne tardèrent pas à se dissiper, et l’on fêta brillamment, sans arrière-pensée, le shah de Perse qui passa en revue, à Longchamps, notre jeune armée au moment où les derniers soldats prussiens quittaient la France ; dans l’enthousiasme avec lequel fut reçu le monarque oriental entrait, pour beaucoup, la joie de la libération.

Le 5 septembre, on versa les 263 millions complétant, en capital et en intérêts, les cinq milliards de la contribution de guerre. La Banque de France restait avec une encaisse métallique de plus de 700 millions ; depuis deux ans le monde commercial avait marché de surprise en surprise. L’élasticité française dépassait toute attente ; le billet de banque n’avait subi aucune dépréciation, et la prime de l’or demeurait insignifiante[15].

Entre temps, un événement considérable s’était produit. Le 5 juillet, le comte de Paris s’était rendu à Frohsdorff pour y sceller la réconciliation des deux branches de la Maison de France et y saluer, en son cousin, le seul représentant du principe monarchique. Le prince fit cette démarche avec à-propos, tact et simplicité, et, à l’émotion qu’elle produisit en France, on put se rendre compte que, du jour au lendmnain, les chances de restauration avaient doublé[16]. Les républicains en conçurent quelque inquiétude : certains songèrent à M. Thiers, dont ils avaient méconnu les services ; d’autres, plus radicaux, se rapprochèrent du prince Napoléon, dont l’anticléricalisme les charmait.

Mais on ne tarda pas à se rendre compte qu’en réalité, derrière cette infime question du drapeau, qui surgit à l’improviste et que les chefs du parti monarchiste s’ingénièrent à éluder plutôt qu’à régler, se cachaient des divergences profondes et des antagonismes irréconciliables. M. Chesnelong ne rapporta de ses longs entretiens avec le comte de Chambord ni une solution, ni même une espérance de solution. Rien n’était accepté ni refusé : l’équivoque demeurait entière. On savait simplement que le prince était assez attaché à son drapeau et avait assez manifesté son sentiment pour que l’acceptation du drapeau tricolore eût, de sa part, toutes les apparences d’une concession faite à la Révolution. Jugerait-il à son tour que « Paris vaut bien une messe » ? Toute la question était là ; et, pour qui connaissait la rigidité de ses principes, il était peu vraisemblable que le comte de Chambord cédât. En effet, il déclara, dans une lettre célèbre, qu’il s’en tenait au drapeau blanc et fit évanouir ainsi le rêve de restauration que ses fidèles avaient conçu.

Une légende s’est formée à ce sujet. On a représenté le prince comme une victime de la maladresse de son entourage, comme n’ayant pas su se rendre compte par lui-même de l’état de la France. Il est permis de se demander aujourd’hui si, tout au contraire, il n’a pas aperçu, beaucoup plus clairement que ses partisans, l’ensemble des choses, ainsi qu’il arrive souvent à ceux qui regardent de loin et de haut. Quelques critiques qu’ait méritées son programme exposé en un magnifique langage, mais d’une façon bien vague, dans ses lettres et ses mani- festes, on ne peut méconnaître que le comte de Chambord ne se soit fait de sa mission une conception à la fois très haute et très juste. Il voulait être le roi de tous et préférait ne pas régner que de régner, comme Charles x, Louis-Philippe et Napoléon iii, sur une fraction de la nation. Il devinait ce besoin d’entente, d’union et d’apaisement qui s’est fait jour depuis. À aucun prix il ne voulait être une combinaison, sentant fort bien que le temps des combinaisons était passé, et que rien de durable ne pouvait se fonder désormais en dehors du consentement unanime, libre et réfléchi, des masses profondes de la nation. Ce consentement n’existait pas. Peut-être le comte de Chambord conserva-t-il l’espoir qu’il existerait un jour[17]; mais cette illusion dut se dissiper rapidement. La France, en tous les cas, peut lui savoir gré de n’avoir pas prolongé, par une restauration sans avenir, les incertitudes et les expédients des régimes précédents. Quand il mourut, dix ans plus tard, il emporta dans la tombe le respect de tous les partis ; grâce à lui, la Maison de Bourbon ne connut pas ces aventures et ces compromissions qui, trop souvent, ont marqué le déclin et la disparition des grandes races royales.

À l’heure où les destinées de la France se débattaient ainsi entre Salsbourg et Versailles, le procès retentissant du maréchal Bazaine se jugeait à Trianon ; au cours d’une audience, l’accusé, pour se défendre, argua qu’il avait agi en présence du néant, alors qu’il n’existait plus de gouvernement, plus d’Empire, plus rien… « Pardon, interrompit le duc d’Aumale qui présidait, il restait la France. »

C’est à quoi pensaient précisément les bons citoyens inquiets de ne pas laisser le pays devenir la proie des factions. En présence d’un pouvoir sans durée déterminée, bonapartistes et légitimistes rivalisaient de zèle pour travailler à son affaiblissement. La majorité d’âge du prince impérial, célébrée à Chislehurst le 16 mars 1874, et quelques succès électoraux[18] qu’ils venaient de remporter, enhardissaient les premiers ; les seconds avaient foi en la Providence et se déclaraient sûrs du lendemain. La confiance qu’inspirait le caractère du chef de l’État avait fait naître l’idée de « proroger ses pouvoirs », et le vote du 20 novembre 1873 organisa la présidence septennale.

La situation se retrouvait la même que sous M. Thiers. Le maréchal se voyait, comme son prédécesseur, dans l’obligation de maintenir la République et de chercher à l’organiser ; avec une netteté et une persévérance dignes d’éloges, il ne cessa d’insister sur ce point. Lors d’une visite au tribunal de commerce de Paris, comme on lui exprimait les inquiétudes des industriels parisiens : « L’Assemblée nationale, dit-il, m’a remis le pouvoir pour sept ans. Mon premier devoir est de veiller à l’exécution de cette décision souveraine. Soyez donc sans inquiétude ; pendant sept ans je saurai faire respecter de tous l’ordre de choses légalement établi. » Ce langage, le maréchal le rappelle dans une lettre, puis dans un ordre du jour à l’armée, à l’issue d’une revue au bois de Boulogne, puis encore à l’approche des vacances dans un message très net, presque autoritaire d’allures, enjoignant à l’Assemblée d’en finir avec ses tergiversations. Au cours d’un voyage dans l’Ouest, il répond au président du tribunal de commerce de Saint-Malo ces paroles brusques et significatives : « Vous avez dit tout à l’heure qu’il n’y avait pas de gouvernement ; vous vous trompez, il y en a un : c’est le mien. » À Lille, un peu plus tard, il fait appel « aux hommes modérés de tous les partis » et renouvelle, dans son message de rentrée, les mêmes déclarations.

L’inébranlabilité du maréchal finit par donner à son ministère un peu de l’esprit de suite et de stabilité qui semblait lui faire défaut[19]. Le vice-président du conseil[20] proclama, dans une circulaire aux préfets, que le septennat, tout comme jadis la charte de 1830, était désormais « une verité », et plus tard, accentuant ses déclarations, il déclara, à la Chambre, que « libre de tout engagement envers aucun parti, c’est avec le concours de tous qu’il désirait et entendait gouverner[21]. Le garde des sceaux, M. Depeyre, se hasarda à rappeler aux procureurs généraux que « les pouvoirs du maréchal et leur durée » étaient « au-dessus de toute contestation ». De telles déclarations scandalisaient les royalistes ; le nom de la République, pourtant, en était toujours absent ; l’employer semblait passer les forces des ministres, qui prenaient, pour éviter d’avoir à l’écrire ou à le prononcer, les plus étranges circonlocutions[22].

Ce ne furent pas leurs successeurs qui mirent fin à cette situation singulière. Le ministère ayant été renversé au mois de mai 1874[23] et les laborieuses négociations de M. de Goulard en vue de constituer un ministère libéral avec l’appui des deux centres n’ayant pu aboutir[24], le général de Cissey prit la présidence d’un cabinet d’affaires ou figuraient un certain nombre de membres du précédent cabinet et quelques nouveaux venus[25]. Le maréchal, dont la conviction ne s’était pas démentie, attendait toujours cette constitution dont on lui avait confié la garde avant qu’elle fût née, et l’Assemblée, dont le prestige et l’autorité décroissaient rapidement, perdait un temps précieux en discussions oiseuses. La question de l’électorat municipal souleva des tempêtes[26]. M. de Lacombe proposait « le grand collège de 1820 », et M. Chesnelong parlait des « notables » et des « plus imposés », auxquels il eût consenti à adjoindre des « délégués » du suffrage universel.

M. Casimir-Périer ne réussit pas dans sa tentative pour dégager l’Assemblée du chaos ; les propositions les plus imprévues se succédaient : restauration de la monarchie, nomination du maréchal au poste de lieutenant général du royaume, prorogation des pouvoirs du Parlement pour sept années, séparation de l’Assemblée en deux Chambres distinctes. Les monarchistes s’affolaient des récentes élections au conseil municipal de Paris, où la démocratie extrême, représentée par MM. Floquet, Clemenceau, etc., comptait cinquante élus sur quatre-vingts. On affectait de voir partout l’influence occulte de M. Thiers et de parler du maréchal comme d’un simple gérant. On était en somme « dans une sorte d’anarchie légale où les minorités, dans un intérêt de parti, prétendaient garder un droit permanent de sédition morale[27] ».

MM. de Laboulaye et Wallon présentèrent deux amendements ; le premier, ainsi conçu : « Le gouvernement de la République se compose de deux Chambres et d’un président », fut rejeté ; le second fut adopté à une voix de majorité : son texte, plus précis que le précédent, n’en différait que par une nuance subtile. « Le Président de la République, disait l’amendement Wallon, est élu par le Sénat et la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale. Il est nommé pour sept ans et rééligible. »

Les adversaires du régime républicain ont affecté de considérer le vote sur l’amendement Wallon comme ayant tranché la question de la forme du gouvernement, et ils se sont plu à répéter que la République n’avait été votée qu’à une voix de majorité. Les pages qui précèdent ont fait justice, à l’avance, d’une semblable interprétation[28].

La crise d’enfantement de la Constitution fut laborieuse ; on allait à l’imprévu, au milieu des surprises et des inconséquences. La loi sur le Sénat, acceptée en détail, fut rejetée en bloc ; la dissolution, proposée à nouveau, n’eût été, en un pareil moment, qu’un aveu formel d’impuissance ; on la repousse. De l’excès du mal naquit enfin un mouvement de réaction ; les hommes raisonnables et modérés se ressaisirent, et, le 25 février 1875, les lois constitutionnelles furent votées, non sans combat, non sans un grand nombre d’amendements, de contre-propositions, d’interruptions, d’incidents[29]. Tous les moyens furent bons pour entraver le vote ou le retarder. Mais l’Assemblée, si divisée jusque-là, trouva soudain en elle la force d’imposer une solution sage et modérée. La gauche, avec un remarquable esprit de discipline, s’abstint de répondre aux attaques de ceux qui lui reprochaient, comme M. de Castellane, de « trahir le suffrage universel » en donnant pour base électorale au futur Sénat le suffrage à deux degrés. Pour beaucoup, en effet, c’était là un sacrifice véritable. « C’est pourtant dur, disait un des radicaux qui l’avaient consenti, de voir nos principes soutenus par nos adversaires et battus par nous. »

Parmi les plus sages fut Gambetta. Aucun compromis, de ceux qu’il pouvait loyalement consentir, ne lui coûta pour atteindre le but qui, à cet instant, dominait tous les autres. Comme l’a fort bien dit M. de Pressensé[30], c’est ce jour-là que Gambetta « fut vraiment le second fondateur de la République. La victoire qu’il remporta sur l’Assemblée, il avait commencé par la remporter sur lui-même en sacrifiant tout ce qui, dans son programme, n’était pas immédiatement réalisable. » Quand la Constitution fut votée, il fallut un gouvernement pour l’appliquer ; la crise ministérielle, en se prolongeant, menaçait de tout compromettre ; Gambetta ne craignit pas de négocier avec M. Bocher, président du centre droit, pour aider avec lui à la constitution d’un cabinet, M. Bocher refusant le pouvoir pour lui-même[31]. Enfin ce fut encore Gambetta qui osa, en plein faubourg de Paris, expliquer l’œuvre qu’on venait d’accomplir et revendiquer hautement, dans cette œuvre, sa part de responsabilité. Il définit le Sénat « le Grand Conseil des communes de France », et fit agréer par ses électeurs des institutions entachées d’un caractère nettement libéral et antijacobin.

Le centre droit n’était pas en retard sons le rapport de la sagesse ; il avait voté, MM. de Broglie, Decazes et d’Audiffret en tête. Le duc d’Audiffret-Pasquier, porté par une grosse majorité à la présidence de l’Assemblée, y prononça un discours qui eut un grand retentissement. Dans leurs circulaires MM. Dufaure et de Cissey recommandèrent le respect de la Constitution. Les lois complémentaires faisaient l’objet des travaux d’une commission parlementaire. M. de Lavergne, son président, analysait en ces termes les derniers événements : « Nous avons été conduits, disait-il, par un concours de circonstances impérieuses, à donner au gouvernement la forme républicaine. Tous les bons citoyens doivent s’y rallier, puisque l’Assemblée souveraine a prononcé… Montrons, par la sagesse et la fermeté de nos décisions, que nous savons dominer nos divisions pour maintenir au dedans l’ordre et la liberté, comme pour conserver la paix au dehors. » Paroles sans enthousiasme, mais sans subterfuge, qu’on devait retrouver, seize ans plus tard, sur les lèvres des « ralliés » de 1892.

M. Laboulaye, rapporteur des lois complémentaires, ne cachait pas les emprunts faits à la monarchie. Il reconnaissait qu’on attribuait à la République « les garanties de la monarchie constitutionnelle, telle que nous l’avons pratiquée pendant plus de trente ans », et il ajoutait : « Si parmi les républicains il en est qui trouvent qu’on aurait dû aller plus loin, ils feront bien de considérer que la France, après avoir traversé l’Empire, a besoin de reprendre l’habitude d’un gouvernement constitutionnel. Acclimater chez nous la liberté politique est une œuvre délicate et qui demande beaucoup de ménagements. » Tel n’était pas l’avis de M. Louis Blanc, qui s’en allait, dans les réunions publiques, « proclamer les droits de l’absolu », ni de M. Naquet, qui exprimait aux électeurs d’Arles, de Marseille et de Toulon, les craintes que lui inspiraient les transactions constitutionnelles récemment consenties.

L’attention générale se concentrait déjà[32] sur les élections qui approchaient. Malgré l’intervention de Gambetta, favorable au scrutin de liste, on avait établi le scrutin d’arrondissement. L’Assemblée, tout d’abord, fit choix de soixante-quinze sénateurs inamovibles. Une entente entre l’extrême droite et la gauche[33] écarta presque tous les modérés et favorisa les candidats républicains. Puis ce fut le tour des sénateurs à mandat temporaire. Les proclamations adressées aux électeurs témoignaient en général d’un prudent libéralisme. MM. Léon Say, Feray et Gilbert-Boucher énonçaient en Seine-et-Oise le programme suivant : « Adhérer sans réserve à la constitution ; regarder la clause de révision comme une porte ouverte aux améliorations du gouvernement républicain, et non comme un moyen de le renverser ; faire tous nos efforts pour préserver notre pays d’une révolution, quelle qu’elle soit. » Mêmes idées exprimées, dans l’Aisne, par MM. Waddington, Henri Martin et de Saint-Vallier.

En opposition avec ce langage si clair se dessinait la politique provisoire, agitée, nerveuse, de M. Buffet. Il voyait, à chaque instant, la guerre civile prête à éclater ; à ses yeux, les bandes insurrectionnelles n’attendaient qu’une « défaillance » des pouvoirs publics. Rien ne justifiait ces craintes : le général Chanzy, l’amiral Pothuau, MM. Casimir-Périer, Laboulaye, de Maleville, L. de Lavergne venaient d’être élus sénateurs. L’amnistie demandée par M. Naquet avait trouvé des adversaires dans tous les partis ; la conciliation et l’apaisement se manifestaient de toutes parts ; mais M. Buffet ne percevait pas ces choses. Son humeur inquiète se traduisit tout à coup par une mise en demeure à M. Léon Say d’avoir à désavouer la liste sénatoriale sur laquelle figurait son nom[34]. Cette algarade amena une

crise imprévue : le ministre des finances voulut se retirer, suivi par M. Dufaure. Le maréchal s’en alarma et ne craignit pas, cette fois, d’intervenir directement par-dessus la tête de ses ministres : il exposa la politique du cabinet dans une proclamation peu constitutionnelle, mais bien écrite ; il se déclarait le gardien de la Constitution en même temps que des intérêts conservateurs. M. Léon Say resta.

Les élections sénatoriales eurent lieu le 30 janvier 1876. M. Buffet échoua dans les Vosges, son pays natal ; une quarantaine de bonapartistes réussirent dans la Gironde, la Charente-Inférieure, la Corse ; quelques radicaux furent élus dans les Bouches-du-Rhône, le Var et la Drôme ; les légitimistes purs furent évincés ; tout le reste appartenait à l’élément modéré. M. de Freycinet passa le premier à Paris, où Victor Hugo n’arriva que le quatrième, malgré son épître grandiloquente « du Délégué de Paris aux Délégués des trente-six mille communes de France ». En somme il sortait, de cette grande consultation nationale, un Sénat dont la composition déjouait assurément plus d’un calcul et trompait plus d’une illusion, qui restait, néanmoins, « l’expression assez approximative d’une situation compliquée, la représentation vivante des courants sérieux et permanents de l’opinion[35] ».

L’agitation électorale ne fit que s’accroître aux approches des élections législatives. Gambetta déploya, à cette occasion, une merveilleuse et féconde activité : il parla à Arles, à Lille, et partout prépara le triomphe de ses idées par l’habileté et la modération avec lesquelles il les défendait. Le scrutin du 20 février accentue et dépassa celui du 30 janvier, bien que n’ayant pas eu dans toute la France le caractère qu’on eût désiré, dans l’intérêt de la République. Il fut fait, dans quelques départements, à Paris surtout, « une part démesurée aux éléments violents et exclusifs[36] ». Néanmoins, l’impression d’ensemble qui s’en dégagea fut « une impression de paix et d’ordre dans le régime établi[37] ». Gambetta fut élu à Paris, à Lille, à Marseille et à Bordeaux. M. Thiers et M. Dufaure le furent également, l’un à Paris, l’autre à la Rochelle. Le duc Decazes, ballotté à Paris par le candidat impérialiste, M. Raoul Duval, passa au second tour ; les scrutins du 5 mars achevèrent le succès des républicains. Le grand vaincu du jour était M. Buffet, qui avait pris une part si personnelle à la lutte. Ses amis échouaient au nord et au midi. Il se retira, suivi de M. de Meaux, et M. Dufaure prit le pouvoir[38].

Le 8 mars 1876, dans le salon d’Hercule à Versailles, le président de l’Assemblée nationale déclara que, les bureaux du Sénat et de la Chambre des députés étant constitués, les pouvoirs de l’Assemblée avaient pris fin. Au nom du maréchal, M. Dufaure, recevant l’autorité exécutive, promit « qu’il ne s’en servirait, avec l’aide de Dieu et le concours des deux Chambres, que conformément aux lois, pour l’honneur et l’intérêt de notre bien-aimé pays ».

  1. Joseph d’Arçay, Notes inédites sur M. Thiers. Paris, 1888.
  2. M. Grévy était alors président de l’Assemblée.
  3. « L’Assemblée, a écrit depuis Jules Ferry, était une grande école de réticences. Rien ne s’y faisait que par les détours. » (Correspondance de Jules Ferry. — Lettre en date du 17 novembre 1877.)
  4. On prête au général Le Flô, ministre de la guerre, ce mot charmant d’ironie : « Les connaissances militaires de M. Thiers sont une gêne considérable par les égards qu’elles exigent et les susceptibilités qu’elles engendrent. »
  5. Jules Simon, Le gouvernement de M. Thiers.
  6. Jules Simon, Le gouvernement de M. Thiers.
  7. « Deux ministères seulement restaient en dehors de son ingérence et de sa surveillance, ajoute spirituellement M. Jules Simon : la justice, parce qu’il ne fait pas bon se mêler des affaires de M. Dufaure ; l’instruction publique et les cultes, parce qu’il se reposait pour ces deux points sur la prudence et la compétence du ministre. »
  8. M. Casimir-Périer était fils du ministre de Louis-Philippe et père du futur président de la République.
  9. Il y eut à droite et à gauche 300 abstentions.
  10. 335 voix de droite lui donnèrent tort.
  11. Les conservateurs ne voulurent pas voter pour le ministre des affaires étrangères de la République, ami personnel du chef de l’État. Ils improvisèrent au dernier moment la candidature du général Stoffel, sur laquelle se détournèrent 27,000 voix. M. Barodet fut élu par 180,000 voix ; son concurrent n’en réunit que 135,000.
  12. « L’Assemblée, disait l’ordre du jour motivé, saisie des projets constitutionnels présentés en vertu d’une de ses décisions… considère qu’il importe, pour rassurer le pays de faire prévaloir dans le gouvernement une politique résolument conservatrice et regrette que les récentes modifications ministérielles n’aient pas donné aux intérêts conservateurs la satisfaction qu’ils avaient le droit d’attendre. » — L’ordre du jour pur et simple ayant été repoussé à seize voix de majorité, l’Assemblée déclara qu’elle siégerait dans la soirée et s’ajourna « pour attendre les communications du gouvernement ».
  13. En Europe, on affecta, surtout dans les cours du Nord, de considérer l’élection du 24 mai comme une nouvelle révolution. La Prusse ne se contenta pas d’une notification du chef de l’État ; elle exigea de l’ambassadeur français de nouvelles lettres de créance. L’Angleterre, plus faite au parlementarisme, n’éleva aucune difficulté, et force fut bientôt à l’Europe tout entière de reconnaître qu’effectivement rien n’était changé en France.
  14. Des poursuites un peu tardives furent ordonnées contre un député, M. Ranc, pour sa participation à la Commune, et des mesures de police injustifiées furent prises, à Lyon, contre les enterrements civils. Le maréchal avait appelé le duc de Broglie au quai d’Orsay ; M. Magne aux finances ; M. Beulé à l’intérieur ; M. Ernoul à la justice ; M. Batbie à l’instruction publique.
  15. Il est juste de faire honneur de ce résultat, pour une large part, au régime précédent et à sa politique commerciale.
  16. Tandis que M. Lucien Brun, suivi bientôt du MM. de Sugny et Merveilleux du Vignaux, se rendait à Frohsdorff, les légitimistes s’occupaient de faire préparer les « voitures du Roi ». Ces voitures, qui restèrent longtemps sans destinée dans un atelier de carroserie, furent enfin achetées par la cour de Grèce et servirent lors du mariage du duc de Sparte avec la princesse Sophie, sœur de Guillaume ii.
  17. Sa préoccupation ultérieure semble avoir été de réserver l’avenir ; à plusieurs reprises, il engagea ses partisans à ne pas l’enchaîner par leurs actes.
  18. L’année 1873 vit grossir les rangs bonapartistes par les élections de M. de Bourgoing dans la Nièvre, de M. Le Provost de Lannay dans le Calvados, du duc de Mouchy dans l’Oise, et du duc de Padoue, qui réunit quarante-cinq mille voix en Seine-et-Oise.
  19. Au moment du vote du septennat, on l’avait remanié : il comprenait maintenant, avec le due de Broglie, MM. le duc Decazes, de Fourtou, de Larcy. Magne et Depeyre.
  20. Le chef du gouvernement, le premier ministre, ne portait alors que le titre de vice-président du conseil, la présidence étant exercée plus effectivement qu’aujourd’hui par le Président de la République. M. Dufaure fut le premier président du conseil.
  21. Documents officiels.
  22. Le marquis de Noailles, notre ambassadeur à Rome, ayant parlé de la République dans une lettre adressée aux électeurs de Bayonne, on osa demander sa révocation au gouvernement, qui, cela va sans dire, ne l’accorda point.
  23. Par 381 voix de gauche et d’extrême droite contre 317.
  24. Voir le détail de ces négociations, qui dépeignent l’état d’esprit des différents groupes en présence, dans les Souvenirs de la présidence du maréchal de Mac Mahon, par Ernest Daudet.
  25. M. de Cumont, qui ne s’illustra pas à l’instruction publique, et M. Tailhand, qui fit entendre dans l’Ardèche le langage le plus naïvement inconstitutionnel.
  26. M. Jules Ferry prit à cette longue discussion une part considérable.
  27. Ch. de Mazade, Revue des deux Mondes, Chronique.
  28. Un fait qui, d’ailleurs, donne à l’amendement Wallon son véritable caractère, c’est que le ministère vota contre ; s’il s’était agi de modifier la forme du régime existant, le tact le plus élémentaire eût forcé les ministres tout au moins à s’abstenir.
  29. La majorité fut de 181 voix sur 689 ; on voit ce qui reste du prétendu établissement de la République à une voix de majorité.
  30. Variétés morales et politiques, par E. de Pressensé. 1 volume, Paris, 1886.
  31. Le cabinet qui se constitua fut celui de M. Buffet, dont M. le duc Decazes, le général de Cissey, l’amiral de Montaignac, MM. Caillaux, Dufaure, de Meaux, Wallon, Léon Say, furent les collaborateurs.
  32. À part la discussion sur la liberté de l’enseignement supérieur, qui se termina par l’institution de jurys mixtes pour la collation des grades universitaires (voir les discours remarquables prononcés par Jules Ferry, les 11 et 12 juin 1875), la session fut verbeuse et vide. On invalida M. de Bourgoing, quatorze mois après son élection ; l’enquête avait révélé des menées bonapartistes d’un caractère inquiétant. Les symptômes d’apaisement, par ailleurs, se multiplièrent dans le pays. Le maréchal continuait de circuler en France, répondant d’une façon familière et heureuse aux discours qu’on lui adressait. Le cardinal Donnet, les généraux Lebrun et Ducrot firent entendre des paroles de paix, et à Arcachon, M. Thiers donna la formule du jour : « La République est votée, dit-il ; il n’y a plus qu’une chose : la faire réussir. »
  33. Voir le détail des négociations relatives à cette entente, dans les Souvenirs de la présidence du maréchal de Mac Mahon, d’Ernest Daudet.
  34. Le préfet de police, M. Léon Renault, candidat à la députation dans l’arrondissement de Corbeil, ayant expliqué à ses electeurs les motifs de son adhésion à la République, M. Buffet lui demanda sa démission.
  35. Ch. de Mazade, Revue des Deux Mondes, Chronique.
  36. Ch. de Mazade, Revue des Deux Mondes, Chronique.
  37. Id.
  38. Il eut pour collaborateurs le duc Decazes, le général de Cissey, l’amiral Fourichon, MM. Léon Say, Waddington, Teisserenc de Bord, Christophe et Ricard. Ce dernier, que la mort frappa peu après, fut remplacé par M. de Marcère.