L’Œuvre du patricien de Venise Giorgio Baffo/L’auteur n’admet pas l’âme

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Traduction par Guillaume Apollinaire d’après la traduction d’Alcide Bonneau de Raccolta universale delle opere di Giorgio Baffo, éd. 1789.
L’Œuvre du patricien de Venise Giorgio Baffo, Texte établi par Guillaume ApollinaireBibliothèque des curieux, collection Les Maîtres de l’amour (p. 245-246).

L’AUTEUR N’ADMET PAS L’ÂME

Saint Augustin nous conte, ce grand docteur,
Que l’âme de quiconque raisonne et vit
Est ce qui rembourre le corps, en lui s’inscrit,
Et agit avec lui dans tout ce qu’il fait ;

Mais, qu’il m’excuse, il pense en vrai coïon,
Et les docteurs, par Dieu, n’écrivent rien de tel ;
Toute chose qui circonscrit la matière
De la matière doit avoir les dimensions.

(Tercets variés de quatre façons)

1. Tels disent : elle est un mode ; tels, une harmonie,
D’autres un nombre ; en somme, vous trouverez
Autant d’opinions que de gens qui l’ont définie.

Mais écoutez-moi à mon tour, et puis décidez :
Je dis : je ne sais pas ce qu’elle est,
Tout au plus crois-je savoir ce qu’elle n’est pas.

2. Me plaît davantage Aristote, qui a dit
Que l’âme humaine est une Entéléchie,
Mot que personne encore n’avait employé.

Pas un diable ne l’a compris, d’où je conclurais
Qu’il l’a nommée ainsi pour dire en beau style
Qu’il ne savait lui-même ce que diable elle était.

3. Puis, de noms et de choses on m’a enseigné
Ce qui est une définition ; examinez-la,
Le nom seul ici se trouve défini.

Donc lorsqu’on dit : l’âme est cette bourre
Avec laquelle mon corps est rembourré,
Je demande : cette bourre est-elle de soie ou de toile ?

4. Enfin, si je puis dire mon opinion,
Une définition ne me semble pas bonne,
S’il faut à son tour l’expliquer.

Pour définir le cas, même à un habitant
De la lune, je pourrais dire :
C’est avec quoi je pisse et vais dans la moniche.