L’Œuvre du patricien de Venise Giorgio Baffo/La feinte pruderie aide à se faire enfiler

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Traduction par Guillaume Apollinaire d’après la traduction d’Alcide Bonneau de Raccolta universale delle opere di Giorgio Baffo, éd. 1789.
L’Œuvre du patricien de Venise Giorgio Baffo, Texte établi par Guillaume ApollinaireBibliothèque des curieux, collection Les Maîtres de l’amour (p. 153-158).

LA FEINTE PRUDERIE AIDE À SE FAIRE ENFILER

Canzone

Je vois un jour de ma fenêtre
Une petite coquette ;
Je la salue aussitôt
Et elle me tourne les épaules.

Cette façon méprisante,
Me fait sourdre un projet ;
Je veux savoir qui est l’amant
De ce bienheureux minois.

Je le demande à une voisine,
Laquelle sans tarder me répond
Que cette fille est une bigote
Qui se cache des hommes ;

Qu’elle ne reçoit jamais personne,
Sinon des moines en quantité,

Qui lui prêchent le jeûne,
L’innocence et la chasteté.

En écoutant toutes ces choses
Je n’en croyais que peu ou rien,
Sachant fort bien que les fillettes
Ont à cœur de paraître sages,

Mais que quasiment toutes
Ont pour le bonheur d’être aimées,
Et que, fussent-elles laides,
Elles ont beaucoup de vanité.

Ce raisonnement me semblait
Aussi juste que sensé,
Et je me mis en position
De réaliser mon projet.

Je me sentais en dedans de moi
Une bougresse d’envie
De lui pouvoir, un jour,
Mettre le cas dans la Moniche.

Comme j’allais sortir
Pour essayer ma fortune,
De loin je vois venir
Cette fillette qui courait.

Je m’arrête et avec ma modestie,
Je lui demande : « Comment allez-vous ? »
Tout comme si j’étais un chien,
Elle ne s’arrête même pas.

Il me vient tout de suite à l’idée
De voir où elle allait ;

Que pouvait-il résulter
De ce que je l’aurais suivie ?

Assez longtemps elle chemine
Sans jamais se retourner,
Mais j’étais juste derrière elle
Et je l’entends dire : « Oh Dieu ! »

Ce soupir, à l’instant même
Me rend hardi et courageux,
Jusqu’à donner à cette jolie frimousse
Un petit baiser plein de feu.

Elle devient rouge comme une braise
Et m’appelle impertinent ;
Mais je reste ferme : en cet endroit
Il ne se trouvait personne.

Je ne perds aucunement courage,
Je déboutonne ma culotte,
Et, en signe de mon hommage,
Montre mon cas et même les témoins.

Elle voulait s’éloigner,
Mais je l’empoigne par un bras,
Et rien ne lui servit de crier,
Dans les mains je lui mis mon cas.

La fille alors en un moment
Change toute d’opinion ;
Elle montre d’être contente
Si je l’enfile, mais en cachette.

Moi je restai comme de pierre
En m’apercevant du changement,

Et en voyant que cette fille
Le prenait très bien dans le ventre.

Il commençait à faire noir,
Et chez moi l’ardeur augmentait ;
Je la collai le long du mur,
Sans avoir aucune frayeur.

Entre les jambes elle avait
Une belle et gracieuse moniche,
Qui à la regarder me semblait
Dessinée avec un pinceau.

J’avais mon cas tout préparé ;
Je me mets en position,
À l’instant même je l’embrasse,
Et le lui mets dans la rainure,

Qu’elle eût jamais été baisée
Auparavant, je ne le croyais ;
Cette petite en vérité,
Je la supposais pucelle.

Mais je vis que je me trompais
Et que je formais des idées biscornues,
Parce qu’au moment que je l’enfilai,
Elle serra très bien les cuisses.

Elle était quelque peu ouverte,
Avait une moniche large,
Si bien qu’alors je la reconnus
Pour une belle et bonne putain.

Et cependant j’étais heureux,
Car son minois était gentil ;

Enfin j’en viens à jouir,
Puis je m’essuie l’oiseau.

Je lui offre deux pièces de vingt sous :
Elle refuse résolument,
« Parce qu’il n’y a qu’avec les truies,
Me dit-elle, qu’on en use de la sorte.

« Je ne suis pas fille à faire cela,
« Moi aussi j’ai de l’honneur,
« Et si je me suis fait enfiler,
« Je ne l’ai fait que par amour.

« Si vous voulez coucher avec moi
« Cette nuit, vous en êtes le maître,
« Et nous ferons jusqu’au jour
« Bien des choses, mais en cachette.

« S’il me faut dire la vérité,
« Je suis une pauvre fillette,
« Et en feignant la dévotion
« Je mène une bienheureuse vie. »

Je saisis donc la bonne occasion,
Mais sous condition qu’elle se taise ;
Elle se met en marche et, derrière elle,
Jusqu’à la maison je l’accompagne.

Arrivés, nous courons au lit ;
Et je me mets à la chevaucher ;
Elle montrait du goût pour moi,
Quand j’étais pour l’enfiler.

Elle avait deux tétins
Qui faisaient s’amouracher d’elle,

Et quantumque tout petits.
Ils étaient à croquer.

Un bout de temps je reste en moniche
Et j’y éprouve grand plaisir ;
Puis après, cette mignonne
Je la bulgarise.

Tout d’abord mal consentante
Elle se montre vis-à-vis de moi ;
Je dus même peiner un peu,
Mais enfin je la bulgarise.

Je me lève dès le matin,
Et me rhabille, pour m’en aller,
Mais j’avais dans l’échine une faiblesse
Telle que je peinais à marcher.

Je me décide pourtant à partir,
Et remercie la Signora
De ce qu’avec tant de courtoisie
Elle m’a prêté sa cochette.

En cheminant tout doucement
Je pensais à cette bigote,
Et je découvrais que l’oiseau
Elle le prendrait soir et matin ;

Qu’au fond cette petite était
Une bougresse très effrontée,
Et pour preuve que c’est bien vrai,
Je l’ai foutue et bulgarisée.