L’Œuvre du patricien de Venise Giorgio Baffo/Riposte de l’auteur 2

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Traduction par Guillaume Apollinaire d’après la traduction d’Alcide Bonneau de Raccolta universale delle opere di Giorgio Baffo, éd. 1789.
L’Œuvre du patricien de Venise Giorgio Baffo, Texte établi par Guillaume ApollinaireBibliothèque des curieux, collection Les Maîtres de l’amour (p. 230-233).

RIPOSTE DE L’AUTEUR

Oh ! serais tu ce brave viédaze
Antonio Franza, surnommé Parolino,
Qu’un sbire et une putain, dans leurs ébats,
À Lendenara un jour ont engendré ?

Je te connais, c’est toi qui as été chassé
De Berlin au bout de trois jours, comme escroc,
Qui as été fouetté à Prague comme ruffian ;
Ils t’en ont flanqué une volée de bougre.

Puis de Brunswick tu fus exilé pour tricherie,
Ce en quoi tu es brave comme un Mars,
Mais à Paris on t’a rabattu le caquet.

Toi poète ! coïon, va te faire bulgariser.
Que je ne te reprenne pas à faire tant le brave,
Castrat, bouc foutu, voleur au jeu !

À UN AMI SUR LE MÊME SUJET

Canzone

Sachez qu’il m’a été écrit
Par certain poète une insolence
Sans que moi je lui aie dit
Jamais une impertinence.


Je croyais qu’il était
Au nombre de mes amis,
Et de ceux qui volontiers
Prêtaient l’oreille à mes caprices.

Je vois à présent, et cela me déplaît,
Qu’au moment même qu’il faisait
Si grand éloge de mon style,
Juste alors il me coïonnait.

Si bien que je ne sais plus,
Quand m’applaudit une personne,
Si elle me loue pour de bon,
Ou si au rebours elle me coïonne.

Moi, autrement, je me complais
À écrire ainsi, et m’en amuse,
Et que viennent donner du nez
Tous ceux qui voudront dans mon cul.

Fasse qui voudra grand tapage
De ce que mes vers sont des coïons,
Il me suffit qu’ils aient plu
Au Vicini, au Frugoni,

Et que tant d’autres grands poètes,
Littérateurs des plus fameux,
D’avoir en main mes sonnets
Soient tous tant qu’ils sont désireux.

On dirait que tout le monde ait faim
De goûter à ma marchandise,
Cavaliers, sages, nobles Dames,
Pour les avoir se démènent.


Que tout le monde me coïonne,
Cela ne se peut pas faire ;
Ma marchandise est donc bonne,
Puisque chacun la recherche.

Inutile ici de mentir,
Ma veine est assez plaisante,
Et mes vers, suffit de le dire,
Ont couru par tout le monde.

De mon critique je ne vois pas
Que personne ait un seul sonnet,
Et si quelqu’un en a eu, je crois,
Qu’il s’en serait fait un mouchoir.

Il faudrait un grand talent
Et beaucoup de rares qualités,
Pour traiter d’imbécile
Un poète qui a plu à tant de gens ;

S’il sait de plus que je suis un homme
Qui ne possède aucune science,
Il aurait dû, ce coïon,
Respecter ma Fortune.

La Fortune est une Déesse,
Et qui acquiert sa faveur,
En ce bas monde est heureux
Et est adoré de toutes gens.

De faire le métier de poètes,
Je ne le conseillerai jamais ;
Ils restent pauvres toute leur vie,
Et de plus on les coïonne.


Tout impotent se met en tête
De critiquer tel ou tel ;
Mais il reste à voir si, de fait,
Cette critique est bonne.

Parce que si elle n’est pas juste,
Ni d’une Muse agréable,
Tous tant qu’ils sont les coups de verge
Tombent sur celui qui les donnait.

Vous me direz, j’en suis certain,
Que j’ai trop de prétention,
Mais à ce vilain grossier museau
Je parle ainsi pour me défendre.