L’Œuvre du patricien de Venise Giorgio Baffo/Sur la foire de Venise

La bibliothèque libre.
Traduction par Guillaume Apollinaire d’après la traduction d’Alcide Bonneau de Raccolta universale delle opere di Giorgio Baffo, éd. 1789.
L’Œuvre du patricien de Venise Giorgio Baffo, Texte établi par Guillaume ApollinaireBibliothèque des curieux, collection Les Maîtres de l’amour (p. 58-59).

SUR LA FOIRE DE VENISE

Fichez-moi le camp, salopes, qu’est-ce que ce chahut ?
Toute la soirée se promener à l’Ascension,
Vêtues de robes négligées
Pour faire tressauter l’oiseau trois milles au loin ?

Étrangers, ouvrez l’œil attentivement,
Et ne vous laissez pas tromper par l’apparence ;
Sinon, chair de vache, de prime abord,
Vous paraîtra culotte de jeune veau.

Chez la Marion, la Hollandaise, la Trombettina,
Gardez-vous d’aller : ce n’est pas bonne marchandise ;
Non plus chez la Margherita, la Meneghina,

La Zane, la Schizza, l’Allemande la Cappona ;
En somme, toutes ces filles de belle mine
Sont pleines de vérole, au cul et à la moniche.

SUR LE MÊME SUJET

Qui veut goûter d’un noble passe-temps
Aille se promener le soir sur la Piazza :

Là se voit le grand monde changé en bordel,
Et le luxe et la luxure faire carnaval.

Là sont hommes et femmes tous en tas ;
Tels sont debout, tels sont assis, tels se promènent,
Tel boit son café, tel hume son sorbet,
Tel voudrait mettre son nez à toutes les femmes.

Tel veut savoir qui est celle-ci, et tel celle-là,
Qui est son cavalier et qui est son amant ;
Tel s’inquiète si elle est niaise ou accorte.

Mais il manque quelque chose à ces délices,
Et le spectacle serait beaucoup plus beau,
S’il était possible de les enfiler toutes.