L’Œuvre du patricien de Venise Giorgio Baffo/Tout n’est que misères ; unique bien la moniche

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Traduction par Guillaume Apollinaire d’après la traduction d’Alcide Bonneau de Raccolta universale delle opere di Giorgio Baffo, éd. 1789.
L’Œuvre du patricien de Venise Giorgio Baffo, Texte établi par Guillaume ApollinaireBibliothèque des curieux, collection Les Maîtres de l’amour (p. 176-182).

TOUT N’EST QUE MISÈRES ; UNIQUE BIEN, LA MONICHE. I.

Avoir à aller au lit quand il se fait tard ;
Avoir à se vêtir, à se déshabiller ;
Penser, quand il fait jour, à son dîner ;
Payer ses gages à sa chambrière ;

Mettre tel habit au printemps,
Tel autre quand le soleil nous fait cuire,
Un troisième quand on commence à vendanger,
Un quatrième quand la neige est par terre ;


Pisser, chier, tomber malade ;
Qu’un jour telle chose vous semble bonne,
Et qu’un autre elle ne soit que foutaise ;

C’est là une si bougresse d’existence,
Qui, caquesangue de Dieu ! je me tuerais,
Si en ce monde il n’y avait plus la Moniche.

MÊME SUJET. II.

Si en ce monde il n’y avait plus la Moniche,
Caquesangue de Dieu ! je voudrais mourir,
Si je ne pouvais plus aller me divertir
Avec quelque bonne bougresse de putain.

Ne m’importe qu’elle soit gentille femme
Ou qu’on puisse l’appeler la déesse d’Amour,
Pourvu qu’elle ait sous les jupons
Quatre doigts de moniche, pourrie ou saine.

Tout le reste de ce que le monde estime et approuve,
Gloire, talent, vertu, désir d’honneur,
La prudence en la paix, le courage à la guerre,

La piété, la constance et même l’amour
De la patrie, par Dieu ! sans la Moniche,
Ce ne sont que tourments, ce ne sont que douleurs.

MÊME SUJET. III.

Ce ne sont que tourments, ce ne sont que douleurs,
Toutes ces choses qu’estime le pauvre monde ;

Il n’est plaisir au-dessus du plaisir du cas,
Plaisir bien au-dessus de tous les plaisirs.

Quel grand bonheur, quel contentement éprouve
Le cœur de l’homme quand il entre au bordel,
Et que, les jambes écartées, sur le matelas
Il trouve sa mignonne toute amoureuse !

Rien ne vaut cela ; de plus parfait bonheur
L’âge ancien n’en a pas eu, ni le nouveau,
Qu’il dise ce qu’il voudra, ce monde injuste,

Que celui que ressent l’homme auprès d’une jolie
Femme, quand après avoir délacé son corset,
Elle se retrousse d’elle-même la jupe.

MÊME SUJET. IV.

Elle se retrousse d’elle-même la jupe,
Quand elle est sur le point de se faire enfiler,
Et de ses œillades sait vous inviter,
Qu’elle soit une bougresse, ou un tendron.

Et c’est tout un qu’elle soit laide ou belle ;
Lorsqu’à découvert on peut lui regarder
La moniche qui fait frétiller le cas,
Qui est celui qui n’y fourre le gland ?

Je ne crois pas que ce sévère Xénocrate
Ait jamais vu un si charmant spectacle :
Le Dieu archer l’aurait vaincu,

Bien qu’habitué à crever, entre les deux fesses,

L’œil noir d’un derrière tremblotant,
Il eût en haine l’incomparable Moniche.

MÊME SUJET. V.

Eût en haine l’incomparable Moniche,
Quelque antique philosophe dit-on ;
Mais c’est le rarissime Phénix
Qu’en ce monde jamais personne n’a pu voir.

Qui méprisa la Moniche, le cœur me dit
Qu’il n’avait ni cas ni bourses,
Et je crois que sous les chemises
La Nature n’aurait rien su faire de mieux.

Jupin lui-même s’est changé en pluie d’or
Et est venu ici-bas, du haut des sphères,
Pour posséder le grand trésor de la Moniche.

Quelle raison l’a porté à se faire voir de nous,
À travers les mers, changé en un taureau,
Si ce n’est l’immense pouvoir de la Moniche ?

MÊME SUJET. VI.

Si ce n’est l’immense pouvoir de la Moniche,
Il n’existe au monde de pouvoir supérieur,
Et si la Mort n’était elle-même une femelle,
La Moniche pourrait en repousser le coup.

Si les damnés pouvaient avoir une Moniche

Pour amuser leur cas, derrière ces fameuses portes,
On verrait cette grande Cour transformée
En Palais du rire et de la joie.

Pour le dire, si au monde il n’y avait eu
La Moniche que si fort estima Samson,
Aux Philistins il ferait encore la guerre.

La Moniche a été aimée de Salomon,
Et il foutait si volontiers,
Qu’à ses ordres il avait mille Moniches et plus.

MÊME SUJET. VII.

À ses ordres avait mille Moniches, et plus,
Quelque autre Empereur, ai-je lu,
Et il estimait plus ce gentil pertuis,
Que d’avoir sur la tête mille couronnes.

Qu’est-ce que fit donc Louis de Bourbon ?
Il en faisait venir, pour son déduit,
Du fin fond du Monde, parce qu’à son oiseau
Ne suffisaient point celles de son pays.

Jamais ne s’est trouvé Prince ni Monarque
Qui se soit contenté de la Reine seule,
Eux aussi savent bien enfiler des putains.

Et ce caprice qui tous nous bouleverse,
Fait également que le cas princier va
Plus qu’en Moniche royale, en concubine.

MÊME SUJET. VIII.

Plus qu’en Moniche royale, en concubine
Se conçoivent au monde les grands Souverains,
Et c’est là un des merveilleux arcanes
De la Moniche, cette reine des membres.

Ô vénérable Moniche, qui raffines
Plus que tous arts et sciences les goûts des humains,
Tu es celle qui répare les dommages
Et empêche la ruine du Monde.

La peste, la faim, la guerre cruelle
Font mourir chaque jour tant de personnes,
Que sans habitants resterait la terre,

Si ne venait l’assistance des Moniches
Qui, voulant sur terre des cas,
Ressuscitent les gens en une minute.

MÊME SUJET. IX.

Ressuscite les gens en une minute
La Moniche, et guérit les maux que produiraient
La Guerre, la Peste et la Famine,
S’il n’y avait plus de Moniches au monde.

Par elle les Rois gardent en tête leurs couronnes,
Elle rend populeuse toute Monarchie,
Et au monde il n’y aurait plus de joie,
S’il n’y avait plus de Moniches.


Donc puisqu’il en est ainsi, je vous assure
Que je serai toujours ami de la Moniche,
Tant que je pourrai avoir le cas dur ;

Et quiconque en serait prié par une femme,
Celui-là est un grand coïon, je vous le jure,
S’il refusait d’aller dans la Moniche.