L’Abbé (Montémont)/18

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L’Abbé ou suite du Monastère
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 14p. 177-193).


CHAPITRE XVIII.

holy-rood.


Le ciel est couvert, Gaspard, et l’Océan tourmenté dort d’un sommeil agité sous la pâle lueur d’un rayon mourant du soleil. Un semblable sommeil plane sur les pays mécontents, tandis que les factions doutent encore si elles ont assez de force pour se combattre.
Albion, poëme.


Le jeune page, s’arrêtant à l’entrée de la cour, pria son guide de lui permettre de respirer un instant. « Laissez-moi seulement jeter les yeux autour de moi, mon ami, dit-il ; vous ne considérez pas que je n’ai jamais vu ce spectacle. Voilà donc Holy-Rood, le séjour de la valeur, des grâces, de la beauté, de la sagesse et de la puissance.

— Oui, vraiment, répondit Woodcock ; mais je voudrais pouvoir vous chaperonner comme un faucon, car vos yeux ont l’air de chercher une autre querelle ou une seconde fanfaronne. Je voudrais vous voir enfermé sain et sauf, car vous ressemblez à un faucon sauvage. »

En effet, ce n’était pas un spectacle ordinaire pour Roland que le vestibule d’un palais traversé par des groupes divers, les uns rayonnants de gaieté, les autres pensifs et paraissant accablés des affaires publiques et des leurs. Ici un homme d’état à cheveux gris, au regard réservé et imposant, avec son manteau fourré et ses pantoufles noires ; là un soldat couvert de peau de buffle et d’acier, avec une longue épée retentissant sur le pavé, la lèvre supérieure ombragée d’une moustache et le sourcil froncé, l’air habitué à se défier du danger peut-être parce que le danger fut quelquefois plus fort que lui ; plus loin on voyait passer l’homme de confiance de milord, le cœur rempli d’orgueil, et la main prête à exécuter ses ordres sanglants, humble devant son maître et les égaux de son maître, insolent à l’égard de tous les autres. À ces portraits on pourrait ajouter le pauvre solliciteur au regard inquiet, à l’air abattu ; le fonctionnaire enorgueilli de son pouvoir éphémère, coudoyant des hommes qui valent mieux que lui, et peut-être ses bienfaiteurs ; le prêtre ambitieux recherchant un meilleur bénéfice ; le fier baron venant solliciter une concession de domaines de l’Église ; le chef de brigands venant implorer le pardon des injustices qu’il a infligées à ses voisins, et le franklin dépouillé venant chercher vengeance des torts qu’il a éprouvés. En outre, on voyait la revue des gardes et des soldats, l’expédition des messagers et leur réception. On entendait au dehors le hennissement et le trépignement des chevaux ; au dedans le cliquetis des armes, et le bruit des éperons. Enfin c’était une confusion animée et brillante, où la jeunesse n’apercevait qu’élégance et splendeur, mais où l’expérience n’eût découvert qu’apparence, vanité, fausseté, que des espérances qui ne se réaliseront jamais, que des promesses qui ne seront jamais remplies, que l’orgueil sous le masque de l’humilité, et l’insolence sous les traits d’une bonté franche et généreuse.

Fatigué de l’attention empressée que le page donnait à une scène dont la nouveauté était pour lui une source d’émotions délicieuses, Adam Woodcock s’efforçait de le faire avancer, de crainte que son trop grand étonnement n’attirât les regards des spirituels et caustiques habitués de la cour. Cependant le fauconnier fut lui-même accosté par un domestique portant une toque d’un vert foncé, surmontée d’une plume, et un habit de même couleur, garni de six larges galons d’argent et bordé de violet. Ils se reconnurent tous deux en même temps.

— Quoi ! Adam Woodcock à la cour ?

— Eh quoi ! Michel l’Aile-au-Vent[1] ! Et comment se porte la chienne bariolée ?

— Elle s’use comme nous de fatigue, mon cher Adam ; quatre pattes ne peuvent pas porter un chien éternellement. Mais nous la conservons pour la race, et ainsi elle échappe à la mort. Pourquoi êtes-vous à regarder ici ? Je vous promets que milord vous a désiré et demandé plusieurs fois.

— Lord Murray m’a demandé, s’écria Woodcock ; le régent du royaume ! Je brûle du désir de rendre mes hommages à ce bon seigneur. Je m’imagine que Sa Seigneurie se rappelle les plaisirs du Carnawath-Moor, où mon faucon de Drummelzier a battu tous ceux de l’île de Man et lui a fait gagner cent couronnes, qu’a payées un baron du Sud, appelé Stanlay.

— Pour ne pas vous flatter, Adam, reprit Michel, il ne se souvient ni de vous ni de votre faucon. Il a pris lui-même un vol bien plus élevé, et il a aussi atteint sa proie. Mais venez, suivez-moi ; j’espère que nous serons camarades comme anciennement.

— Fort bien, dit Adam, vous voulez que je vide un pot avec vous ? Mais il faut d’abord que je mette ce jeune étourdi en un lieu de sûreté, où il ne puisse rencontrer ni fille à poursuivre, ni garçon à battre.

— Est-ce là le caractère du jeune homme ? demanda Michel.

— Oui, par mon capuchon, tout gibier lui est bon, répliqua Woodcock.

— Eh bien, il ferait mieux de venir avec nous, car nous ne pouvons faire à présent une partie convenable ; je voudrais seulement rafraîchir nos lèvres et les vôtres aussi. J’ai besoin d’apprendre des nouvelles de Sainte-Marie avant que vous voyiez milord, et je vous ferai connaître de quel côté vient le vent. »

En parlant ainsi, il ouvrit une porte latérale du palais ; et enfilant plusieurs sombres passages avec l’air d’un homme qui connaissait les détours les plus secrets de l’édifice, il le conduisit dans une petite chambre garnie de nattes, où il plaça du pain, du fromage et un flacon d’ale mousseuse devant le fauconnier, qui aussitôt fit honneur au flacon, et vida presque d’un seul coup la mesure. Ayant repris haleine et essuyé la mousse restée sur ses moustaches, il observa que les inquiétudes que lui avait causées son jeune compagnon lui avaient furieusement desséché le gosier, « Eh bien, redoublez, » dit son hôte en remplissant le flacon avec une cruche qui était près de lui. « Je connais le chemin de l’office. Mais à présent faites attention à ce que je vous dis. Ce matin le comte de Morton est venu trouver milord dans une colère terrible.

— Quoi ! ils entretiennent donc leur vieille amitié ? dit Woodcock.

— Oui, oui, mon ami. Pourquoi non ? dit Michel, il faut bien qu’une main gratte l’autre[2]. Mais milord Morton était de très-mauvaise humeur, et, pour vous dire la vérité, il est, dans ces occasions, dangereux comme un démon. Il dit à milord, car j’étais dans la chambre, où je prenais des ordres relativement à une couple de faucons qu’il faut aller chercher à d’Arnoway, et qui valent bien vos faucons à longues ailes, l’ami Adam.

— Je le croirai quand je les verrai s’élever aussi haut, » répliqua Woodcock, toujours jaloux de sa profession.

« Quoi qu’il en soit, poursuivit Michel, milord Morton, dans sa colère, demanda à milord le régent si lui, Morton, était traité suivant ses mérites. « Mon frère, dit-il, aurait dû avoir sa nomination en qualité de commanditaire de Kennaquhair, et tous les domaines de l’abbaye auraient dû être érigés, à son bénéfice, en une seigneurie relevant du roi. Cependant ces perfides moines ont eu l’insolence de choisir un nouvel abbé pour opposer ses prétentions aux droits de mon frère : de plus, les coquins de vassaux du voisinage ont brûlé et pillé tout ce qui restait dans l’abbaye, de sorte que mon frère n’aura pas une maison qu’il puisse habiter lorsqu’il aura chassé ces chiens de prêtres fainéants. » Milord, le voyant ainsi irrité, lui répondit avec douceur : « Ce sont de tristes nouvelles, Douglas ; mais j’espère qu’elles sont fausses. Halbert Glendinning est parti hier pour le Sud, avec une troupe de lanciers, et assurément, si l’un ou l’autre de ces incidents s’était présenté, que les moines eussent osé nommer un abbé, ou que l’abbaye eût été brûlée comme vous le dites, il aurait pris des mesures sur-le-champ pour punir une telle insolence, et il nous aurait dépêché un messager. » Le comte de Morton lui répliqua… Mais, je vous prie, Adam, de remarquer que je vous dis cela par amitié pour vous et pour votre maître, parce que vous êtes mon ancien camarade, et que sir Halbert m’a fait du bien et peut m’en faire encore : en outre je n’aime point le comte de Morton, et en effet on le craint plus qu’on ne l’aime : ainsi ce serait infâme de votre part de me trahir… « Mais, dit le comte au régent, prenez garde, milord, d’accorder trop de confiance à ce Glendinning. Il sort du sang roturier, qui ne fut jamais fidèle aux nobles ! (Par Saint-André, ce sont ses propres paroles.) D’ailleurs, dit-il, il a un frère qui est moine à Sainte-Marie : il ne marche plus que d’après ses conseils, et il se fait des amis sur la frontière, entre autres Buccleuch et Fernieherst. Il se joindra à eux lorsqu’il y aura apparence de quelque changement dans les affaires. » Le régent lui répliqua, comme un noble lord qu’il est : « Fi donc, comte ! je réponds de la fidélité de Glendinning ; et quant à son frère, c’est un visionnaire qui ne songe qu’à l’étude et à son bréviaire. Si les événements sont arrivés tels que vous les annoncez, je m’attends à recevoir de Glendinning le capuchon d’un moine pendu, et la tête d’un rustre séditieux : il en aura fait sévère et prompte justice. » Le comte de Morton quitta l’appartement, mécontent, à ce qu’il me parut. Mais depuis ce temps, milord m’a demandé plus d’une fois s’il n’était pas arrivé de messager de la part du chevalier d’Avenel. Je vous ai dit tout cela, Adam, afin que vous conformiez vos paroles à ce qui est le plus utile à votre but ; car il me semble que le régent ne sera pas content si ce que le comte de Morton annonçait est arrivé, et si votre maître n’a pas pris des mesures sévères. » Il y avait dans ce récit certains traits qui firent pâlir le hardi Adam Woodcock, malgré les secours que son audace naturelle avait reçus de l’ale brune d’Holy-Rood.

« Que voulait dire ce farouche lord Morton, par une tête de rustre ? » demanda le fauconnier mécontent à son ami.

« Non, c’était le régent qui disait que, si l’abbaye avait été dévastée, il espérait que votre maître lui enverrait la tête du chef des séditieux.

— Est-ce là l’action d’un bon protestant ? s’écria Woodcock ; ou d’un vrai lord de la congrégation ? nous étions leurs mignons lorsque nous renversions les couvents de Fife et de Perth.

— C’est vrai, répondit Michel ; mais alors la vieille Rome était encore la plus forte, et nos maîtres avaient résolu qu’il ne lui resterait pas en Écosse un abri où elle pût reposer sa tête. Mais aujourd’hui que les prêtres ont fui de tous côtés, et que leurs maisons et leurs terres ont été données aux grands seigneurs, ils ne peuvent souffrir que nous travaillions à l’œuvre de la réformation, en détruisant les palais des zélés protestants.

— Mais je vous dis que l’abbaye de Sainte-Marie n’est pas détruite, » s’écria Woodcock avec une agitation croissante : « on a bien brisé quelques vitraux peints, ce qu’aucun noble n’aurait souffert dans sa maison ; quelques saints en pierre ont été renversés, comme le vieux Weddrington, à Chevy-Chase[3] ; mais quant à ce qui est d’avoir brûlé l’abbaye, nous n’avions pas seulement une allumette, excepté la mèche qu’avait le dragon pour mettre le feu à l’étoupe qu’il devait lancer contre saint George ; non, j’ai eu soin de cela.

— Adam, je me flatte que vous n’avez pas mis la main à cette belle œuvre ; voyez-vous, Adam, je ne voudrais pas vous épouvanter, et surtout arrivant de voyage ; mais je vous promets que le comte Morton nous a amené d’Halifax une demoiselle comme vous n’en avez jamais vu[4] ; elle vous jettera les bras autour du cou, et votre tête restera dans ses bras.

— Bah ! répondit Adam, je suis trop vieux pour qu’une demoiselle me fasse tourner la tête, je sais que lord Morton irait aussi loin que tout autre pour une jolie fille ; mais qui diable l’a entraîné jusqu’à Halifax ? et, en supposant qu’il y ait trouvé une femme disposée à s’en laisser conter, qu’aurait-elle à faire avec ma tête ?

— Beaucoup, beaucoup ! répondit Michel ; la fille d’Hérode, dont les jambes et les pieds firent tant d’exercice[5], ne faisait pas sauter la tête d’un homme plus joliment que cette demoiselle de Morton : c’est une hache, mon ami, une hache qui tombe d’elle-même comme le châssis d’une fenêtre, et qui épargne au bourreau la peine de la mouvoir.

— Sur ma foi, c’est une invention bien ingénieuse, dit Woodcock ; que le ciel nous en préserve ! »

Le page, ne voyant pas de fin à la conversation des deux vieux amis, et inquiet, d’après ce qu’il avait entendu, pour la sûreté du nouvel abbé, interrompit alors leur entretien.

« Il me semble, Woodcock, qu’il vaudrait mieux remettre au régent la lettre de votre maître. Sans doute il y expose ce qui s’est passé à Kennaquhair de la manière la plus avantageuse à tous ceux qui y sont intéressés.

— Le jeune homme a raison, dit Michel ; milord est très-impatient.

— Ce garçon a tout l’esprit qu’il faut pour se tirer d’affaire, » dit le fauconnier en sortant de sa gibecière la lettre de sir Halbert, adressée au comte de Murray : « Heureusement que je n’en manque pas non plus ! Ainsi, M. Roland, vous aurez la bonté de présenter vous-même cette missive au régent : la présence d’un jeune page ornera mieux la salle de réception que celle d’un vieux fauconnier.

— Fort bien dit, rusé compère, répliqua son ami ; mais, il n’y a qu’un instant, vous étiez si empressé de voir notre bon lord ! Quoi ! voudriez-vous mettre ce garçon dans le filet, afin d’y échapper vous-même ? Croyez-vous que la demoiselle embrasse plus volontiers son jeune cou que le vôtre, qui est vieux et hâlé ?

— Bah, bah ! dit le fauconnier, ton esprit s’élève bien haut ; mais il ne tombe pas juste sur le gibier. Je vous dis que le jeune homme n’a rien à craindre ; il n’a point coopéré à l’action. C’était bien la farce la plus rare qu’aient jamais jouée des étourdis : j’avais fait la ballade la plus extraordinaire… Si j’avais seulement pu la chanter jusqu’à la fin. Mais chut ! tace, comme on dit en latin…

Conduisez le jeune homme à la salle d’audience, et je resterai ici, la bride à la main, prêt à enfoncer mes éperons, en cas que le faucon se dirige vers moi. J’aurai bientôt mis, je pense, Soltra Edge entre le régent et moi, s’il a dessein de me jouer un vilain tour.

— Tenez donc, mon jeune ami, dit Michel, puisque le rusé compère veut que vous preniez votre essor avant lui. »

Ayant parlé de la sorte, il s’engagea dans une suite de passages détournés, suivi de près par Roland ; et bientôt ils arrivèrent au détour d’un grand escalier en pierre, dont les degrés étaient si larges et si longs, et en même temps si bas, que la montée en était extraordinairement facile. Arrivés au premier étage, le guide tira de côté et ouvrit, en la poussant, la porte d’une antichambre si obscure, que son jeune compagnon trébucha et manqua de tomber sur une marche basse, maladroitement placée sur le seuil même. « Prenez garde, » dit Michel d’une voix mystérieuse, et après avoir regardé prudemment autour de lui, pour voir si personne n’était à portée de l’entendre, « prenez garde, mon jeune ami, car ceux qui tombent sur le plancher se relèvent rarement. Voyez-vous cela ? » ajouta-t-il d’un ton encore plus bas, en lui montrant sur le parquet des taches d’un rouge noirâtre, éclairées par le jour provenant d’une petite ouverture, et qui, en traversant l’obscurité générale de l’appartement, s’y reflétait avec un éclat bigarré. « Voyez-vous cela, jeune homme ? marchez avec précaution ; quelqu’un est tombé ici avant vous.

— Que voulez-vous dire, » demanda le page en frissonnant sans savoir pourquoi : « Est-ce du sang ?

— Oui, oui, » répondit le domestique, toujours à voix basse, et en saisissant le jeune homme par le bras ; « c’est du sang, mais ce n’est pas le temps de me questionner, ni même d’y regarder. C’est du sang lâchement et honteusement répandu, et vengé de même : le sang du signor David, » ajouta-t-il avec encore plus de précaution. »

Le cœur de Roland palpita lorsqu’il se vit, sans s’y attendre, sur le lieu du massacre de Rizzio, catastrophe qui avait glacé tout le monde d’horreur, même dans ce siècle grossier, et qui avait causé autant de consternation que de pitié dans toutes les chaumières et dans tous les châteaux de l’Écosse, sans en excepter celui d’Avenel. Mais son guide l’entraîna sans lui permettre d’autres questions, et de l’air d’un homme qui s’était déjà trop arrêté sur un sujet si dangereux. À l’autre bout du vestibule, il frappa doucement à une petite porte, qu’un huissier ouvrit avec beaucoup de soin.

« Voici, lui dit Michel, un page qui apporte au régent des lettres du chevalier d’Avenel.

— La séance du conseil est levée, répondit l’huissier ; mais donnez-moi le paquet, Sa Grâce le régent recevra tout à l’heure le messager.

— Je dois le lui remettre en mains propres, répliqua le page ; tels sont les ordres de mon maître. »

L’huissier le regarda de la tête aux pieds comme surpris de sa hardiesse, et lui dit d’un ton sévère : « Oui-da, mon maître ! vous chantez bien haut pour un jeune coq, et pour un coq de village surtout.

— Si le temps et le lieu étaient propices, dit Roland, tu verrais que je puis faire autre chose que de chanter. Mais fais ton devoir, et va dire au régent que j’attends son bon plaisir.

— Tu es bien impertinent de me parler de mon devoir, répliqua l’huissier ; mais je trouverai le temps de te montrer le tien. En attendant, reste jusqu’à ce qu’on ait besoin de toi. » À ces mots, il ferma la porte sur Roland.

Michel qui, pendant cette altercation, s’était éloigné de son compagnon, selon la maxime établie chez les courtisans de tous les rangs et dans tous les siècles, transgressa cette prudente règle de conduite au point de se rapprocher de lui.

« Vous êtes un jeune homme hardi, lui dit-il, et je vois fort bien que mon vieil ami avait raison dans sa prudence. Voilà cinq minutes que vous êtes à la cour, et vous avez si bien employé votre temps que vous vous êtes fait un ennemi puissant et mortel de l’huissier de la chambre du conseil. Ma foi, mon ami, autant aurait valu offenser le vice-sommeiller.

— Peu m’importe qui il est ; je forcerai bien ceux à qui je parle à me répondre avec civilité. Je ne suis pas venu d’Avenel pour être méprisé à Holy-Rood.

— Bravo, mon garçon ! voilà de bien belles dispositions, si vous pouvez les conserver. Mais silence ! la porte s’ouvre. »

L’huissier reparut, et dit, d’un ton et d’un air plus civils, que Sa Grâce le régent recevrait le messager du chevalier d’Avenel ; et en conséquence il introduisit Roland dans la salle d’où le conseil venait d’être congédié, après avoir terminé ses délibérations. On y voyait une grande table en chêne entourée de chaises de même bois, et au bout de laquelle était un grand fauteuil couvert de velours cramoisi. Des écritoires, des papiers y étaient placés dans un désordre apparent. Deux conseillers privés qui étaient restés les derniers prirent leurs manteaux, leurs toques et leurs épées, et après avoir salué le régent, se retirèrent lentement par une grande porte, située en face de celle par où le page venait d’entrer. Le comte venait sans doute de dire quelque bon mot ; car le sourire de ces deux conseillers exprimait cette sorte d’approbation cordiale dont les courtisans paient les plaisanteries que daigne faire un prince.

Le régent lui-même riait de bon cœur, et leur dit : « Adieu, milords, et ne manquez pas de me rappeler à la mémoire du coq du Nord. »

Il se tourna lentement vers Roland, et tous les signes de sa gaieté réelle ou factice disparurent de son visage aussi rapidement que de la surface d’un lac profond et paisible on voit s’effacer le cercle qu’y a formé le jet d’une pierre lancée par le passant ; en une minute ses nobles traits eurent repris leur expression naturelle de gravité et même de mélancolie.

Cet homme d’état distingué, car ses plus ardents ennemis lui accordaient ce titre, possédait toute la dignité extérieure et presque toutes les nobles qualités qui doivent être l’apanage du rang suprême ; et s’il eut succédé au trône comme héritier légitime, il est probable qu’on l’aurait célébré comme un des plus sages et des plus grands rois d’Écosse. Mais arriver au pouvoir en déposant et en faisant emprisonner sa sœur, sa bienfaitrice, c’est un crime qui ne saurait être excusé que par ceux aux yeux desquels l’ambition peut justifier l’ingratitude. Il était simplement vêtu de velours noir, taillé à la mode de Flandre : son chapeau à haute forme était retroussé d’un côté et retenu par une agrafe en brillant qui formait le seul ornement de son costume. Il avait un poignard à sa ceinture, et son épée était placée sur la table même du conseil.

Tel était le personnage devant lequel Roland Græme se présentait en ce moment avec un sentiment de crainte respectueuse, bien différente de la hardiesse et de la vivacité ordinaires de son caractère. Dans le fait, la nature et l’éducation lui avaient donné de l’assurance ; mais il n’était nullement incivil, et la supériorité morale des talents élevés et de la renommée lui imposait plus que des prétentions fondées sur le rang ou sur la pompe extérieure. Il aurait, sans être ému, soutenu la présence d’un comte, qui n’aurait eu d’autres distinctions que sa ceinture et sa couronne ; mais il se sentait saisi d’un profond respect à la vue d’un illustre guerrier, d’un homme d’état éminent, dirigeant une nation puissante, et chef de ses armées. Les hommes les plus illustres et les plus sages sont flattés de la déférence que leur témoigne la jeunesse, déférence si agréable et si légitime en elle-même. Murray reçut avec beaucoup de courtoisie la lettre des mains du page rougissant, et répondit avec bonté aux compliments que Roland s’efforçait, en balbutiant, de lui offrir de la part de sir Halbert d’Avenel. Il s’arrêta même un instant avant de rompre le fil de soie qui servait de cachet à la lettre, pour lui demander son nom, tant il était frappé de la beauté de ses traits et du charme de sa personne !

« Roland Græme ! » dit-il en répétant les paroles que le page venait de prononcer avec hésitation, « quoi ! vous êtes de la famille des Graham du comté de Lenox ?

— Non, milord, répondit Roland ; mes parents demeuraient sur le territoire contesté. »

Murray, sans faire d’autres questions, se mit à lire sa dépêche. Pendant cette lecture, son front prit une expression sévère de mécontentement, comme celui d’une personne surprise et troublée tout à la fois. Il s’assit sur le siège le plus proche, fronça les sourcils, lut la lettre deux fois, et garda le silence quelques minutes ; enfin levant la tête, ses yeux rencontrèrent ceux de l’huissier, qui s’efforçait en vain de quitter le regard curieux avec lequel il avait parcouru les traits du régent, pour prendre cette expression insignifiante qui, en voyant tout, semble ne rien remarquer. On peut recommander l’usage de cette expression de physionomie à tous ceux qui, sous un titre quelconque, sont admis auprès de leurs supérieurs au moment où ceux-ci jugent à propos de ne pas se tenir sur leurs gardes.

Les grands hommes sont aussi jaloux de leurs pensées que la femme du roi Candaule était jalouse de ses charmes : ils sont aussi disposés à punir ceux qui, même involontairement, ont surpris leur esprit dans son déshabillé.

« Quittez l’appartement, Hyndman, » lui dit le régent d’un ton sévère, « et portez ailleurs votre esprit d’observation. Vous êtes trop connaisseur pour votre poste qui, par une disposition spéciale, est destiné aux hommes d’une intelligence moins pénétrante. C’est bien ! maintenant vous avez l’air d’un sot (car Hyndman, comme on peut le supposer aisément, ne fut pas peu découragé de ce reproche), gardez cet air confus, et cela pourra vous conserver votre emploi. Retirez-vous. »

L’huissier partit déconcerté, et entre autres causes de haine qu’il accumulait contre Roland, il n’oublia pas que celui-ci venait d’être témoin de cette peu gracieuse réprimande. Lorsqu’il eut quitté l’appartement, le régent s’adressa derechef au page.

« Votre nom, dites-vous, est Armstrong ?

— Non, milord, je me nomme Roland ; mes parents portaient le surnom d’Heathergill[6], et demeuraient sur le territoire contesté.

— Oui, je savais que c’était un nom du territoire contesté. Avez-vous quelques connaissances à Édimbourg ?

— Milord, répondit Roland (qui aima mieux éluder cette question que d’y répondre directement, et qui jugea prudent de garder le silence sur son aventure avec lord Seyton), je ne suis à Édimbourg que depuis une heure, et c’est pour la première fois de ma vie.

— Comment ! et vous êtes page de sir Halbert Glendinning, reprit le régent.

— J’ai été élevé comme page de lady Avenel, dit le jeune homme, et j’ai quitté son château il y a trois jours, pour la première fois de ma vie, au moins depuis mon enfance.

— Un page de dame ! » répéta le comte se parlant à lui-même. « Il est étrange qu’il m’envoie le page de sa femme pour une affaire d’un si haut intérêt. Morton dira que cela ne fait qu’un avec la nomination de son frère à la place d’abbé, et cependant un jeune homme sans expérience servira mieux en quelque sorte mes projets… Eh ! qu’avez-vous appris dans votre noble apprentissage ?

— À chasser au courre et au vol, milord.

— Au courre le lapin, et les merles au vol, » reprit le régent en souriant ; « car tels sont les amusements des dames et de leurs favoris. » Les joues de Græme se colorèrent d’un rouge vif en répondant avec une sorte d’affection :

« À chasser les bêtes fauves de la première tête, et à abattre des hérons du vol le plus élevé, milord, lesquels, dans le langage du Lothian[7], peuvent s’appeler lapins et merles. Je puis aussi brandir une épée et manier une lance, comme nous disons sur nos frontières : mais peut-être les nomme-t-on ici des joncs et des roseaux ?

— Ton discours retentit comme le métal, dit le régent, et je t’en pardonne la hardiesse en faveur de la vérité. Tu connais donc ce qui concerne le devoir d’un homme d’armes ?

— Autant que l’exercice peut l’apprendre sans un service réel en campagne, répondit Roland ; car notre maître ne permettait à aucun de ses gens de faire des excursions, et je n’ai jamais eu la bonne fortune de voir une bataille.

— La bonne fortune ! » répéta le régent avec un sourire amer : « croyez-moi, jeune homme, la guerre est le seul jeu où les deux partis ont perdu lorsqu’il est terminé.

— Pas toujours, milord, » dit le page avec son audace ordinaire, « si la renommée ne ment pas. »

— Que voulez-vous dire ? » reprit le régent qui s’animait à son tour et qui soupçonnait peut-être une allusion indirecte au rang suprême auquel il était lui-même parvenu à la faveur des guerres civiles.

« Je veux dire, milord, » répondit Roland sans changer de ton, « que celui qui combat vaillamment doit gagner de la gloire s’il survit, une mémoire immortelle s’il succombe : ainsi la guerre est un jeu où aucune des parties ne peut perdre. » Le régent sourit et secoua la tête. En ce moment la porte s’ouvrit, et le comte de Morton se présenta.

« Je viens à la hâte, dit-il, et j’entre sans me faire annoncer, parce que mes nouvelles sont importantes. Comme je vous le disais, Édouard Glendinning est nommé abbé, et…

— Silence ! milord, répondit le régent ; je le sais, mais…

— Et peut-être vous le saviez avant moi, milord, » dit Morton dont le front rouge et sombre semblait rougir et s’obscurcir encore lorsqu’il parlait.

« Morton, s’écria Murray, ne me soupçonnez point, ne touchez pas à mon honneur. J’ai assez à souffrir des calomnies de mes ennemis, je ne veux pas combattre les injustes soupçons de mes amis. Nous ne sommes pas seuls, » dit-il en se rappelant le page, « sans quoi je vous en dirais davantage. » Il conduisit le comte de Morton dans une des embrasures profondes que les fenêtres formaient dans le mur massif : elle offrait un lieu retiré pour converser à part. Roland observa qu’ils s’y entretenaient d’un air très-animé. Murray paraissait grave et sérieux, Morton jaloux et offensé ; mais il sembla céder par degrés aux assurances du régent.

À mesure que la conversation devint plus sérieuse, ils prirent insensiblement un ton plus haut, ayant peut-être oublié la présence du page, ce qui était d’autant plus facile que sa position dans l’appartement le mettait hors de la vue, de sorte que Roland se trouva forcé d’entendre leur conversation plus qu’il ne s’en serait soucié. Tout page qu’il était, une curiosité déplacée pour les secrets d’autrui n’avait jamais été comptée au nombre de ses défauts : de plus, bien qu’il eût naturellement de l’audace, il pensait qu’il n’y avait pas de sûreté à entendre l’entretien secret de deux hommes puissants et redoutés. Cependant il ne pouvait ni se boucher les oreilles, ni quitter convenablement l’appartement ; et tandis qu’il songeait au moyen à employer pour faire remarquer sa présence, il avait déjà entendu tant de choses, que se montrer tout à coup eût été aussi maladroit, et peut-être aussi dangereux que d’attendre tranquillement la fin de la conférence. Ce qui était parvenu à ses oreilles n’était cependant qu’une partie incomplète de leur conversation ; et quoiqu’un politique plus habile et mieux informé des événements du temps eût eu peu de peine à en découvrir le sens, cependant Roland ne put faire que des conjectures générales et fort vagues sur le sujet et la portée des discours des deux interlocuteurs.

« Tout est préparé, dit Murray, et Lindsay va partir ; il ne faut pas qu’elle hésite plus long-temps. Vous voyez que j’agis d’après vos conseils, et que je m’endurcis contre toute autre considération.

— Il est vrai, milord, répliqua Morton ; quand il s’agit de gagner du pouvoir, vous n’hésitez pas et vous marchez hardiment au but. Mais êtes-vous aussi jaloux de défendre ce que vous avez gagné ? Pourquoi cette légion de domestiques autour d’elle ? Votre mère n’a-t-elle pas assez d’hommes et de femmes pour la servir, sans qu’il vous faille souffrir cette suite inutile et dangereuse ?

— Fi ! Morton, fi ! une princesse ! ma sœur ! puis-je faire moins que de lui accorder les égards qui lui sont dus ?

— Oui, c’est ainsi que partent toutes vos flèches : elles sont décochées avec force, dirigées avec adresse ; mais toujours un souffle de folle affection les rencontre en chemin, et les détourne de leur but.

« — Ne parlez pas ainsi, Morton, j’ai à la fois osé et exécuté…

— Oui, assez pour conquérir, mais pas assez pour conserver. Ne croyez pas qu’elle pense et qu’elle agisse de même. Vous l’avez profondément blessée dans son orgueil et dans sa puissance. C’est en vain que vous tenteriez maintenant de verser quelque baume sur sa blessure, vos efforts seraient inutiles. Au point où en sont vos affaires, il faut perdre le titre de frère affectionné pour prendre celui d’homme d’état hardi et résolu.

— Morton, » s’écria Murray avec quelque impatience, « je ne puis souffrir ces reproches : ce que j’ai fait est fait ; ce que je dois encore faire, je le ferai ; mais je ne suis pas de fer comme vous, je ne puis oublier… Mais il suffit, j’exécuterai mon dessein.

— Et je garantis que le choix de ces consolations domestiques tombera sur… » Ici il chuchota des noms qui échappèrent à l’oreille de Roland. Murray lui répondit sur le même ton ; mais il éleva tellement la voix vers la fin de sa phrase, que le page entendit ces derniers mots : « Et je suis sûr de lui, d’après la recommandation de Glendinning. »

« Un homme bien digne de confiance, après la conduite qu’il vient de tenir à l’abbaye de Sainte-Marie ! Vous avez appris que l’élection de son frère a eu lieu. Sir Halbert, votre favori, milord, se distingue comme vous-même par son affection fraternelle.

— Par le ciel ! Morton, cette raillerie demanderait une réponse sévère ; cependant je la pardonne, parce que votre propre frère est intéressé dans tout ceci. Mais cette élection sera annulée. Je vous le dis, comte de Morton, tant que je tiendrai le glaive de l’État au nom de mon royal neveu, ni lords ni chevaliers, en Écosse, ne disputeront mon autorité. Si je supporte les insultes de mes amis, c’est parce que je les connais pour tels, et je pardonne leurs folies en considération de leur fidélité. »

Morton murmura quelques mots qui semblaient être des excuses, et le régent lui répondit d’un ton plus doux puis il ajouta : « D’ailleurs, indépendamment de la recommandation de Glendinning, j’ai un gage de la fidélité de ce jeune homme : sa plus proche parente s’est placée entre mes mains pour m’assurer de son zèle, et consent à être traitée comme il le méritera par sa conduite.

— C’est quelque chose, répondit Morton ; mais par amitié et par intérêt pour vous, je dois encore vous prier de vous tenir sur vos gardes. Les ennemis sont encore en mouvement, comme les taons et les frelons aussitôt que le souffle de la tempête s’est apaisé. George Seyton traversait ce matin la chaussée avec une vingtaine d’hommes à sa suite, et il a eu une querelle avec mes amis de la maison de Leslie ; ils se sont rencontrés dans High-Gate, et se battaient avec chaleur, quand le prévôt est arrivé avec ses gardes, qui ont interposé leurs hallebardes, comme on sépare un chien et un ours.

— Le prévôt agissait par mes ordres, dit le régent ; quelqu’un a-t-il été blessé ?

— George de Seyton lui-même, par Black Ralph Leslie : le diable emporte la rapière qui ne l’a pas traversé d’outre en outre ! Mais Ralph a eu la tête ensanglantée par un coup d’un jeune page que personne ne connaît. Dick Seyton de Windigowl a eu le bras percé, et le sang de deux braves des Leslie a coulé aussi : voilà tout le sang noble qui a été répandu dans la mêlée ; un vassal ou deux de chaque côté ont eu les os brisés et les oreilles coupées. Les servantes de cabaret, qui seules sont en danger de perdre par leur déconfiture, ont retiré ces drôles en leur chantant le coronach des ivrognes.

— Vous traitez bien légèrement cette affaire, dit le régent ; ces discussions et ces querelles seraient une honte pour la capitale du Grand-Turc : que sera-ce dans un pays chrétien, dans un état réformé ? mais, si je vis, de pareils abus seront bientôt redressés ; et l’on dira, en lisant mon histoire, que, si ce fut ma cruelle destinée de m’élever au pouvoir en détrônant une sœur, je l’employai du moins, après l’avoir obtenu, pour l’intérêt de l’État.

— Et pour celui de vos amis ajouta Morton ; c’est pourquoi je me flatte que vous allez donner à l’instant des ordres pour annuler l’élection de ce lourdaud d’abbé, Édouard Glendinning.

— Vous serez satisfait sur-le-champ ; » Et s’avançant hors de l’embrasure, il se mit à appeler : « Holà ! Hyndman… » lorsque tout à coup ses yeux tombèrent sur Roland Græme : «Par ma foi ! Douglas, » dit-il en se tournant vers son ami, « nous avons été trois au conseil.

— Oui ; mais comme l’on ne peut tenir conseil qu’à deux, il faut disposer de ce gaillard.

— Fi donc, Morton ! un jeune orphelin ! Écoute, mon enfant, tu m’as parlé de quelques-uns de tes talents : as-tu celui de dire la vérité ?

— Oui, milord, quand elle peut m’être utile.

— Elle te sera utile ; la moindre fausseté serait ta ruine. Qu’as-tu entendu et compris de notre entretien ?

— Fort peu de chose, » répondit Roland avec hardiesse, « si ce n’est qu’il m’a semblé que vous doutiez de la loyauté du chevalier d’Avenel, sous le toit duquel j’ai été élevé.

— Et que peux-tu dire à cet égard ? » continua le régent en fixant sur lui des yeux perçants qui semblaient vouloir lire au fond de son cœur.

« Cela, répondit le page, dépend de la qualité de ceux qui parlent contre l’honneur du baron dont j’ai si long-temps mangé le pain. S’ils sont mes inférieurs, je dis qu’ils en ont menti, et je soutiendrai ce que je dis de mon bâton ; s’ils sont mes égaux, je le dis encore qu’ils en ont menti, et je leur prouverai l’épée à la main, s’ils le veulent ; s’ils sont mes supérieurs… » À ces mots il s’arrêta.

« Continue hardiment, dit le régent ; que ferais-tu si ton supérieur disait quelque chose qui attaquât directement l’honneur de ton maître ?

— Je dirais qu’il est mal de calomnier un homme absent, et que mon maître est en état de rendre compte de ses actions à quiconque le lui demandera bravement face à face.

— Et ce serait bravement parlé ; qu’en pensez-vous, Morton ?

— Je songe que, si ce jeune gaillard ressemble autant à un de nos anciens amis par l’astuce de son caractère qu’il lui ressemble par le front et les yeux, il peut y avoir une grande différence entre ce qu’il pense et ce qu’il dit.

— Et à qui trouverez-vous qu’il ressemble tellement ?

— Au fidèle et loyal Julien Avenel.

— Mais ce jeune homme appartient au territoire contesté.

— Cela peut-être ; mais Julien était bien capable d’aller chasser jusque-là, et il était heureux lorsqu’il avait une belle biche à poursuivre si loin que ce fût.

— Bah ! dit le régent, discours frivole ! Holà ! Hyndman… Seigneur de la curiosité, reconduisez ce jeune homme à son compagnon. Et ayez soin tous deux, » dit-il à Roland, » de vous tenir prêts à vous mettre en route au premier signal. » Puis, lui faisant signe d’un air gracieux de se retirer, il termina l’entrevue.



  1. Wing-the-wind.
  2. One hand must scratch the other, proverbe qui répond à : « Il faut s’aider les uns les autres. » a. m.
  3. Lieu où fut livrée une sanglante bataille entre les Douglas et les Percy ; Cheyy-Chase est également le titre d’une fameuse ballade écossaise consacrée à ce mémorable événement. a. m.
  4. L’auteur joue ici sur le mot maiden, qui signifie en anglais fille et qui désignait en Écosse une sorte de guillotine. a. m.
  5. Allusion à la jeune fille d’Hérode, qui dansa devant lui, et qui lui fit tant de plaisir qu’il promit de lui accorder tout ce qu’elle voudrait. Elle demanda la tête de saint Jean-Baptiste, et le tyran tint sa parole. (Voir l’Évangile saint Matthieu, c. xxiv.) a. m.
  6. Heather gill, mot composé qui revient à : Fleur de Bruyère. a. m.
  7. Nom de la juridiction dont Édimbourg est le chef-lieu. Il y a trois districts de ce nom : l’East Lothian, le Lothian oriental, qui dépend du comte de Hadington ; le West Lothian le Lothian occidental, district du comte de Lintithgow ; et le Mid Lothian, le Lothian du milieu, district du comté d’Édimbourg proprement dit. Cette explication retiendra dans le roman connu en France sous le titre de Prison d’Édimbourg, mais que Walter Scott a intitulé The Heart of Mid Lothian, le cœur, c’est-à-dire, le point central du Lothian du milieu. a. m.