L’Abbé (Montémont)/26

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L’Abbé ou suite du Monastère
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 14p. 293-301).


CHAPITRE XXVI.

le docteur.


Place pour le maître de l’anneau ! Allons rustres, ouvrez vos rangs serrés. Devant lui marchent le violon champêtre, le tambour retentissant, la flûte bruyante, et le cor que répètent au loin les échos.
Sommerville, Amusements champêtres.


Il ne se passa pas long-temps que Roland Græme pût découvrir parmi la foule des amis de la joie, qui gambadaient sur l’espace ouvert situé entre le village et le lac, un personnage d’une aussi grande importance que le docteur Luc Lundin ; car c’était à lui que revenait officiellement l’honneur de représenter le seigneur du pays, et il était suivi, pour soutenir son autorité, par un joueur de flûte, un tambour, et quatre vigoureux paysans armés de hallebardes rouillées, garnies de rubans aux couleurs bariolées. Ces Myrmidons, bien que le jour ne fût pas avancé, avaient déjà brisé plus d’une tête aux noms terribles du laird de Lochleven et de son chambellan. Aussitôt que ce dignitaire apprit que l’esquif du château était arrivé avec un jeune galant, habillé comme le fils d’un lord pour le moins, qui désirait lui parler à l’instant, il ajusta sa fraise, son habit noir, et tourna autour de lui sa ceinture, jusqu’à ce que la poignée garnie de sa longue rapière fût devenue visible, et se dirigea vers le rivage avec la gravité convenable. Il pouvait à juste titre affecter une démarche solennelle, même dans des occasions moins importantes, car il avait été élevé dans l’étude vénérable de la médecine, comme les hommes un peu familiers avec la science ne tardaient pas à le découvrir par les aphorismes dont il ornait ses discours. Ses succès n’avaient pas égalé ses prétentions ; mais comme il était natif du comté voisin de Fife, et qu’il avait une parenté éloignée ou une alliance avec l’ancienne famille de Lundin, qui était liée de l’amitié la plus étroite avec la maison de Lochleven, il avait, par leur crédit, obtenu la position assez agréable dont il jouissait sur les bords de ce beau lac. Les profits de son office de chambellan étaient modestes, surtout dans ces temps de troubles ; mais il les avait un peu améliorés par la pratique de sa première profession ; et on disait que les habitants du village et de la baronnie de Kinross n’étaient pas plus assujettis au moulin du baron qu’ils ne l’étaient au monopole médical du chambellan. Malheur à la famille du riche paysan qui osait partir de cette vie sans un passeport du docteur Luc Lundin ! car si ses héritiers avaient quelque chose à régler avec le baron, et cela était presque inévitable, ils étaient sûrs de ne trouver qu’un ami bien froid dans le chambellan. Il était assez prudent cependant pour délivrer gratuitement les pauvres de leurs maladies, et quelquefois aussi de tous les autres maux en même temps.

Doublement formaliste comme médecin et officier civil, et orgueilleux des lambeaux de science qui rendaient presque toujours ses discours inintelligibles, le docteur Luc Lundin approcha du rivage et salua le page qui s’avançait vers lui. « Que la fraîcheur du matin descende sur vous, beau sire ! Vous êtes envoyé, je gage, pour voir si nous suivons ici la mode que Son excellente Seigneurie nous a prescrite, d’extirper toutes cérémonies superstitieuses et toutes frivoles vieilleries dans ces jours de fête. Je sais que notre bonne maîtresse aurait bien désiré les abolir et les abroger entièrement ; mais, comme j’ai eu l’honneur de lui dire en lui citant une phrase des ouvrages du savant Hercule de Saxe : Omnis curatio est vel canonlca vel coacta ; ce qui signifie, beau sire (car la soie et le velours possèdent rarement leur latin ad unguem) : chaque guérison peut être opérée soit par art, soit par induction de règle, et par contrainte ; et les meilleurs praticiens choisissent toujours le premier moyen. Or, Sa Seigneurie ayant bien voulu goûter cet argument, j’ai eu soin de mêler l’instruction et la précaution au plaisir, fiat mixtio, comme nous disons : en sorte que je puis répondre que les esprits vulgaires seront purgés et désinfectés des erreurs papistes et des préjugés de vieilles femmes par le médicament administré ; et alors les primœ viœ étant débarrassées, maître Henderson, ou tout autre pasteur capable, pourra employer à volonté les toniques et effectuer une cure morale parfaite tutô, citô, jucundè.

— Je ne suis pas chargé, docteur Lundin, dit le page, de…

— Ne m’appelez pas docteur, interrompit le chambellan, puisque j’ai laissé de côté ma robe fourrée et mon bonnet, et que je me suis réduit à exercer ma charge temporelle de chambellan.

— Oh ! monsieur, » dit le page, qui connaissait par ouï-dire le caractère de cet original, « le capuchon ne fait pas le moine, ni la corde le frère ; nous avons entendu parler des cures opérées par le docteur Lundin.

— Babioles, jeune homme, bagatelles ! » répondit le médecin[1] en affectant le ton modeste d’un mérite supérieur : « la pratique d’un pauvre gentilhomme retiré en robe courte et en pourpoint ! Oui, le ciel bénit quelquefois mes efforts, et, je puis le dire, des médecins plus en vogue ont sauvé moins de malades ; longa roba, corta scienza, dit l’Italien. Ah ! beau sire, vous comprenez ? »

Roland Græme ne crut pas nécessaire de déclarer au savant docteur s’il l’entendait ou non ; mais, abandonnant ce sujet, il s’informa de certains paquets qui avaient dû arriver à Kinross, et être confiés à la garde du chambellan le soir précédent.

« Par mon corps ! dit le docteur Lundin, je crains que notre voiturier, John Auchtermuchty, n’ait fait quelque mauvaise rencontre, car il n’est pas arrivé la nuit dernière avec ses chariots. C’est un mauvais pays pour voyager, mon maître ; et le fou veut marcher la nuit aussi, quoique, sans parler de toutes les maladies qui depuis la tussis jusqu’à la pestis voyagent la nuit dans l’air, il puisse tomber au milieu d’une troupe d’une demi-douzaine de coupe-jarrets qui le débarrasseront facilement de son bagage et de ses maux terrestres. Il faut que j’envoie à sa recherche, puisqu’il a entre les mains quelques paquets pour le château ; et, par Notre-Dame ! il a aussi un paquet pour moi, quelques drogues qu’on m’envoie de la ville pour composition de mes alexipharmaques ; cela vaut la peine qu’on y regarde. Hodge, » dit-il en s’adressant à l’un de ses redoutables gardes-du-corps, « toi et Toby Telford, prenez le hongre brun et la jument noire à courte queue ; dirigez-vous vers Keiry-Craigs, et voyez ce que vous pouvez apprendre d’Auchtermutchty et de ses chariots. Je suis sûr que c’est seulement la médecine de quatre pintes (le seul médicament que prenne jamais la brute) qui l’a retardé sur la route. Détachez les rubans de vos hallebardes, fripons, et prenez vos jaquettes, vos brassards et vos casques, afin d’inspirer la terreur par votre seul aspect si vous rencontrez quelques ennemis. » Puis il ajouta en se retournant vers Roland : « Je vous garantis que nous aurons des nouvelles dans peu de temps. En attendant, si vous vouliez examiner les divertissements ; mais d’abord entrez dans mon pauvre logis et prenez le coup du matin, car que dit l’école de Salerne ?

Poculum mane haustum
Restaurat naturam exhaustam[2]

— Votre savoir est trop fort pour moi, répliqua le page, et je crains qu’il n’en soit de même de votre boisson.

— Nullement, beau page, un cordial de vin des Canaries, imprégné d’absinthe, est la meilleure boisson antipestilentielle ; et, pour dire la vérité, les miasmes morbifiques sont maintenant très-communs dans l’atmosphère. Nous vivons dans un heureux temps, jeune homme, » continua-t-il d’un ton de gravité ironique, « et nous jouissons de mille agréments inconnus à nos pères. En Écosse il y a deux souverains : l’un sur le trône, l’autre qui réclame le trône ; c’est bien assez de deux échantillons d’une si bonne chose, mais si l’on en veut davantage on peut trouver un roi dans chaque tourelle de la contrée : ainsi, si nous manquons de gouvernement, ce n’est pas manque de gouvernants. Nous avons une guerre civile tous les ans pour nous rafraîchir et pour empêcher qu’on ne meure par manque d’aliments, et pour le même objet nous avons la peste qui se propose de nous faire une visite, la meilleure de toutes les ordonnances de médecin pour faire de la place sur la terre et pour rendre les cadets, aînés de la famille. C’est bien, chaque homme a sa vocation. Vous, jeunes gens qui portez l’épée, vous désirez lutter, faire des armes ou bien vous livrer à tout autre exercice martial avec un adversaire adroit : pour ma part, j’aime à m’essayer à la vie et à la mort contre la peste. »

Comme ils montaient la rue du petit village en se dirigeant vers la maison du docteur, son attention fut successivement occupée par divers personnages qu’il rencontrait et qu’il désignait aux regards de son compagnon.

« Voyez-vous ce gaillard avec son bonnet rouge, son jerkin bleu, et ce gros gourdin à la main ? Je crois que ce paysan a la force d’une tour ; il est depuis cinquante ans sur la terre, et il n’a jamais encouragé les arts libéraux en achetant des médicaments seulement pour un penny. Mais, voyez cet homme avec facies hippocratica, » dit-il en lui montrant du doigt un paysan maigre qui avait les jambes enflées et l’air d’un cadavre ; « voilà ce que j’appelle un des plus dignes sujets de la baronnie : il déjeune, goûte, dîne et soupe d’après l’avis, et jamais sans l’ordonnance du médecin ; pour sa part, il épuiserait plus de médicaments que la moitié du pays. Comment vous trouvez-vous mon honnête ami ? » dit-il d’un ton de condoléance au villageois en question. « Très-faible, monsieur, depuis que j’ai pris l’électuaire, répondit le malade ; il ne s’accorde pas bien avec mes deux cuillerées de potage aux pois et le lait de beurre.

— Potage aux pois et lait de beurre ! Vous êtes depuis dix ans à suivre les ordonnances de la médecine, et vous gardez si mal la diète ? Demain matin reprenez de mon électuaire seul, et ne mangez rien pendant six heures. » Le pauvre malade salua et s’éloigna.

Celui que le docteur daigna en suite honorer de son attention était un boiteux qui reçut mal cette civilité ; car à la vue du médecin il se mit à se sauver dans la foule, aussi vite que son infirmité le lui permettait.

« Celui-là est un chien d’ingrat, dit le docteur Lundin ; je l’ai guéri de la goutte au pied, et aujourd’hui il parle de la cherté de la médecine, et le premier usage qu’il fait de ses jambes c’est pour fuir son médecin. Sa podagra est devenue une chiragra, comme le dit l’honnête Martial : la goutte est tombée dans ses doigts, et il ne peut tirer sa bourse. C’est un vieux proverbe, mais bien vrai :

Prœmia cûm poscit medicus, Satan est[3]

Nous sommes des anges quand nous venons pour guérir, des diables quand nous demandons le paiement ; mais j’administrerai une purgation à sa bourse, je lui en réponds. Voici son frère, un rustaud bien avare. Eh ! ici, Saunders Darlet ! vous avez été malade, m’a-t-on dit ?

— Cela a été mieux au moment où je pensais à envoyer chercher Votre Honneur, et me voilà bien rétabli ; mon indisposition n’était pas dangereuse.

— Écoutez, drôle : vous vous rappelez que vous devez au seigneur quatre mesures d’orge et une d’avoine ; et je voudrais que vous n’envoyassiez plus de volailles semblables à celles de la dernière fois pour la maigreur : on aurait dit des malades échappés d’un hôpital de pestiférés. Il y a aussi assez d’argent qui est dû en outre.

— Je pensais, monsieur, répondit le paysan, more scotico, » c’est-à-dire ne répondant pas directement à la question qui lui était adressée ; « je pensais que ce que j’aurais de mieux à faire serait d’avoir recours à Votre Honneur, et de prendre votre avis en cas de rechute.

— Oui, vous ferez bien, coquin, répliqua Lundin, et rappelez-vous ce que dit l’Ecclésiaste : « Donne place au médecin, ne le laisse pas s’éloigner de toi, car tu en as besoin. »

Son exhortation fut interrompue par une apparition qui sembla frapper le docteur d’une horreur et d’une surprise égales à celles que son propre aspect avait excitées sur les diverses personnes auxquelles il s’était adressé.

Le personnage qui produisait un tel effet sur l’Esculape du village était une vielle femme d’une haute taille, qui portait un chapeau à forme élevée et une mentonnière. Le chapeau ajoutait évidemment à sa stature, et la mentonnière servait à cacher la partie inférieure de son visage ; et comme son chapeau était rabattu, on pouvait à peine voir les deux os de ses joues brunes, et ses yeux pleins d’un feu jaillissant, qui brillaient sous deux épais sourcils gris. Elle avait une longue robe d’une couleur sombre, d’une forme extraordinaire, bordée à ses extrémités, et couverte sur la poitrine d’une espèce de garniture blanche, ressemblant assez aux phylactères des grands-prêtres juifs, et sur laquelle étaient tracés des caractères de quelque langue inconnue. Elle tenait dans sa main une canne d’ivoire blanche.

« Par l’âme de Celse, dit le docteur Luc Lundin, c’est la vieille mère Nicneven elle-même ! elle est venue pour me braver dans mes attributions et dans l’accomplissement des devoirs de ma charge. Gare à ta cotte vieille femme, comme dit la chanson. Hob Anster, saisissez-la à l’instant, menez-la en prison, et s’il se trouvait quelgues zélés frères qui voulussent la baigner comme une sorcière dans le lac, ne les empêchez aucunement. »

Mais les Myrmidons du docteur Lundin ne montrèrent pas dans cette occasion beaucoup d’empressement à obéir à ses ordres. Hob Anster osa même remontrer, en son nom et en celui de ses camarades, que certainement il était prêt à exécuter les commandements de Son Honneur, et que malgré ce qu’on disait sur l’habileté et la sorcellerie de la mère Nicneven, en plaçant sa confiance en Dieu, il lui mettrait la main sur le collet sans crainte : mais cette mère Nicneven n’était pas une sorcière ordinaire, comme Jeanne Jopp qui vivait dans Brierie-Baulk ; elle avait des lords et des lairds qui combattraient pour elle : Moncrieff de Tipermalloch, qui était papiste, et le laird de Carslogie, un partisan avoué de la reine, étaient à la foire, avec il ne savait combien d’épées et de boucliers, et ils feraient sûrement du tumulte si les officiers saisissaient la vieille sorcière papiste qui était leur amie, surtout que les meilleurs hommes d’armes du laird étaient ou dans le château, ou à Édimbourg avec lui, et il doutait que Son Honneur le docteur trouvât des soutiens si les épées étaient dégainées.

Le docteur acquiesça malgré lui à ce conseil prudent : il fut seulement consolé par la promesse que lui fit son satellite que la vieille femme serait, comme il le disait, saisie certainement la première fois qu’elle passerait les limites de la baronnie.

« Et en ce cas, dit le docteur à son garde, le feu et les fagots célébreront sa bienvenue. »

Ces paroles furent entendues par la femme qui passait alors près de lui ; elle lui lança de dessous ses sourcils gris un regard où se peignait la supériorité la plus insultante et la plus méprisante.

« Par ce chemin, dit le médecin ; par ce chemin, » répéta-t-il en introduisant son hôte dans son logis ; « prenez garde de vous heurter contre une cornue, car il est dangereux pour l’ignorant de marcher dans la route des arts. »

Le page trouva matière à précaution ; car, outre les oiseaux empaillés et les lézards, des serpents en bocaux, des paquets de simples suspendus à des cordons, d’autres étendus pour sécher, et toute la confusion, sans parler d’odeurs contraires et nauséabondes, que l’on rencontre dans une boutique de droguiste, il avait encore à éviter des monceaux de charbon de terre, des creusets, des matras, des fourneaux et tous les autres ustensiles d’un laboratoire de chimie.

Parmi ses autres qualités philosophiques, le docteur Lundin possédait une dégoûtante malpropreté, et sa vieille dame de ménage dont la vie, disait-il, était employée à l’arranger, était allée courir, comme les autres, pour se divertir avec la jeunesse. Aussi, bon nombre de bouteilles, de jarres, de fioles, furent-elles heurtées avant que le docteur pût trouver la potion salutaire qu’il avait si bien recommandée, et il chercha long-temps et avec fracas parmi des vases cassés et des pots fendus pour trouver une coupe dans laquelle on pût boire. Enfin étant parvenu à se procurer ce qu’il cherchait, le docteur montra l’exemple à son hôte en vidant une coupe de cordial et en faisant claquer ses lèvres en forme d’approbation pendant qu’il l’avalait. Roland, à son tour, but la potion que son hôte lui avait tant vantée : il la trouva si amère qu’il lui tarda de sortir du laboratoire pour chasser ce mauvais goût avec de l’eau pure. Mais en dépit de ses efforts, il fut retenu par le bavardage de son hôte qui voulait lui parler de la mère Nicneven.

« Je ne me soucie pas de parler d’elle en plein air, dit le docteur, et parmi le peuple, non par crainte, comme ce poltron d’Anster, mais parce que je ne veux pas causer de tumulte, n’ayant pas le loisir d’examiner les coups de poignard, les blessures et les os brisés. On appelle cette vieille gueuse une prophétesse : je ne pense pas qu’elle pût dire quand une couvée de poulets sortira de la coquille. On dit qu’elle lit dans les cieux : ma chienne noire en sait plus sur les astres quand elle se met sur son derrière en aboyant après la lune. On dit que cette vieille malheureuse est une sorcière, une enchanteresse, que sais-je ? Inter nos, je ne contredirai pas un bruit qui peut l’amener au poteau qu’elle mérite si bien ; mais je pense que les contes de sorcières qu’ils cornent à nos oreilles ne sont que poltronnerie, lâcheté et fables de vieilles femmes.

— Au nom du ciel, demanda le page, qu’est-elle donc, pour tant la redouter ?

— C’est une de ces maudites vieilles femmes qui prennent sur elles, avec la dernière légèreté et une impudence extrême, de se mêler de guérir les maladies par la vertu de quelques méchantes herbes, de quelques charmes enchantés, des juleps ou la diète, des potions où des cordiaux.

— Oh ! n’allez pas plus loin, dit le page ; si elles composent des cordiaux, que le malheur soit leur lot et leur partage !

— Vous avez bien raison, jeune homme, reprit le docteur Lundin. Pour ma part, je ne connais pas de plus grandes pestes pour le bien général que ces vieux démons incarnés qui hantent les chambres des malheureux patients déjà bien assez malades sans elles. Ces harpies troublent, interrompent et gâtent les progrès réguliers d’une cure savante et habile, avec leurs sirops, leurs juleps, leur diascordium, leur mithridate, leur poudre de milady What-shall-call’um’s[4], et les pilules de la digne dame Trashem. Elles font ainsi des veuves et des orphelins, et volent le médecin bien instruit et savant, en usurpant le nom de femmes habiles, de bonnes voisines, etc. Mais suffit ! La chère Nicneven et moi, nous nous rencontrerons un jour, et elle saura ce que l’on risque à s’attaquer à un docteur.

— C’est la vérité, et beaucoup l’ont éprouvé, dit le page. Mais, avec votre permission, je voudrais bien sortir un peu et voir la fête.

— C’est bien dit, répondit le docteur, il faut même que je me montre dehors. De plus, la comédie nous attend, jeune homme ; aujourd’hui, totus mundus agit histrionem[5]. »

Ils sortirent donc et se rendirent sur la scène des plaisirs.



  1. Il y a dans le texte leech, qui signifie sangsue. a. m.
  2. Un verre de bon vin pris à jeun restaure la nature épuisée. a. m.
  3. Quand un médecin demande son salaire, c’est le diable. a. m.
  4. Madame n’importe quel nom. a. m.
  5. Tout le monde joue la comédie. a. m.