L’Abitibi, pays de l’or/Chapitre 12

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Les Éditions du Zodiaque (p. 110-117).

Chapitre XII

DANS LES ZONES O’BRIEN ET MALARTIC


Toute la gamme des entreprises, depuis la simple
concession jusqu’à la mine en production, en passant
par l’entreprise en voie de prospection scientifique
— Le filon de la mine O’Brien.

La distance est de douze milles, à partir du village pour ainsi dire clandestin de la Rivière-Piché jusqu’à la ville en formation de Malartic, à travers les cantons de Dubuisson, de Fournière, de Malartic, zone minière de Malartic ; vers l’ouest, de la ville de Malartic jusqu’à la mine O’Brien et la mine Bouscadillac, zone minière d’O’Brien, qui emprunte sa désignation à la fameuse mine du même nom, la route est défrichée et en voie de confection sur une distance d’un peu plus de vingt milles. Parallèlement à la route, le nouvel embranchement du Canadien National, Senneterre-Rouyn, fait son lit dans une trouée que l’on vient de pratiquer en pleine forêt. Une partie du rail, de Senneterre à Val d’Or, est maintenant posé et ballasté. Le service y est établi. L’autre partie, jusqu’à Rouyn, se complète.

Les ouvriers de la route, les ouvriers du chemin de fer, cela met dans ces parages pas mal d’activité, qui ne fait que s’ajouter cependant à celle qui existait antérieurement, depuis deux ou trois ans, surtout depuis l’automne de 1936, à la suite de la découverte d’un filon merveilleux dans les profondeurs de la mine O’Brien.

Franchi en bac le passage de la Rivière-Piché, l’automobile roule sur une route déplorable quant à l’inconsistance de sa surface, mais très peuplée, relativement sans doute, car le pays est bien jeune, quant à sa double bordure. De l’un et l’autre côté, parfois à double rang, une succession de cabanes, de tentes, d’installations de fortune. C’est ainsi presque jusqu’à East Malartic, le nom d’une mine à la veille d’entrer en production ; au delà, les installations sont moins rapprochées, mais chacune se fait plus dense, sorte de petit village autour d’un chevalement fraîchement posé au-dessus du puits d’une mine. Il arrive que le chevalement s’accompagne d’une usine, à la Canadian Malartic, à la mine O’Brien encore. Le village prend alors des allures de petite ville. À Malartic, il y a déjà plusieurs centaines de familles et la ville prend forme ; à O’Brien, une centaine de familles seulement sur le site urbain, qui appartient à la compagnie, mais, en marge, plusieurs milliers d’habitants dans le gros village du Petit-Canada.

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Entre ces agglomérations principales, les mines s’échelonnent en chapelet, chacune avec son campement. Il conviendrait de s’entendre ici sur une définition de terme. En fait de mines, il en est de plusieurs sortes, depuis la simple concession minière qui n’a pas encore été l’objet d’une exploration, d’une prospection scientifique, qui détermine la valeur à peu près certaine d’une propriété, jusqu’à la mine aménagée, avec puits et galeries, avec ou sans usine, payant ou ne payant pas dedividendes.

Le long de cette route qui traverse les zones de Malartic et d’O’Brien, il y a des mines plus exactement, des entreprises minières de toutes ces catégories et d’autres catégories encore. La Rubec du scandaleux et fugitif sieur Mulholland, se trouve par là. D’autres aussi qui ont meilleure réputation parmi les vingt-trois mines d’or québécoises qui ont été en production au cours de 1937, quelques-unes sont de cette région, la Shawkey, la Canadian Malartic, la O’Brien, la Thompson-Cadillac. Plusieurs autres sont à la veille de produire et l’on indique principalement Sladen et East-Malartics, qui doivent avoir bientôt moulins et usines.

Les prospects, c’est-à-dire les concessions minières qui sont l’objet d’une enquête minutieuse de la part de géologues, d’ingénieurs, de chimistes, celles où se pratiquent des sondages au diamant, sont très nombreux, une centaine, peut-être davantage. Certains prospects donnent déjà de telles indications que ceux qui les possèdent ou les administrent ont jugé à propos d’y forer des puits, de commencer l’aménagement minier proprement dit.

C’est ainsi qu’en commençant à l’ouest, l’on rencontre, à proximité de la route nouvelle, quand ça n’est pas tout au bord, l’on rencontre la propriété Bouscadïllac, qui possède déjà un puits de 500 pieds ; Thompson-Cadillac, dont le moulin de 90 tonnes par jour produit assez régulièrement, employant 80 employés, dont 30 pour cent sont de la province de Québec ; O’Brien, qui mériterait un chapitre à part, à cause de l’importance d’un filon, dont la découverte, à l’automne de 1936, a déterminé la reprise de l’activité dans le voisinage.

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La mine O’Brien a produit, en 1937, pour environ 100 000 $ d’or toutes les quatre semaines. Le puits descend à 1 500 pieds et le sous-sol est pénétré par six ou sept milles de galeries. Plus de 200 hommes travaillent dans la mine et dans l’usine cette propriété est probablement la mieux surveillée et la mieux gardée de tout le Nord-Ouest québécois. Une haute clôture, couronnée de barbelé, l’entoure de toutes parts. Une seule porte par laquelle chaque entrée, chaque sortie est contrôlée. C’est que le minerai d’O’Brien, quand il provient du fameux filon, est très riche. Au vrai, c’est de l’or natif, un pouce d’épaisseur par sept ou huit pouces de largeur, dans une gangue de quartz et sur une longueur que les directeurs de l’entreprise souhaitent voir se prolonger jusqu’au plus creux des entrailles de la terre, mais dans les limites bien arpentées de leur concession. C’est dans l’espoir que le bienheureux filon sorte de la concession O’Brien pour entrer chez eux que tant de concessionnaires du voisinage se sont remis à fouiller le sous-sol qui leur appartient. O’Brien, découverte assez ancienne, remontant à 1924, a provoqué, par la mise à jour de son filon, la reprise de l’activité, non seulement dans son voisinage immédiat, mais un peu dans toute la région.

Le gérant de la mine O’Brien, M. Sparks, n’était pas là quand nous y sommes passés. Son assistant, M. O’Shaughnessey — car O’Brien est une entreprise irlando-ontarienne — nous a fait voir un échantillon du filon mirifique, long d’une dizaine de pouces, d’une valeur approximative de 12 000 $. Il va sans dire que de tels échantillons ne vont pas se faire bocarder à l’usine du minerai ordinaire. On les garde d’abord en coffre-fort pour les traiter ensuite en laboratoire.

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Valco Gold Mine, à moins d’un mille d’O’Brien, appartient à un syndicat de Canadiens français de Québec, dont M. P. Vallières est le gérant. C’est sur le terrain de surface de cette concession — la surface n’appartient pas au syndicat — que s’est établi un village de squatters, qu’il est quasi impossible aujourd’hui de déloger. La Valco fait actuellement procéder à de profonds sondages au diamant sur sa propriété. Un géologue suisse, M. Julien Guntensperger, dirige les travaux. Homme charmant, d’une hospitalité exquise, même quand il se trouve, ainsi que nous l’avons connu, logé sous la tente en plein pays des maringouins abitibiens. Les gens de Valco ne sont pas sans espérer rencontrer chez eux, sinon tout le filon, du moins une bifurcation du filon d’O’Brien. Souhaitons leur bonne chance. Que le magma refroidi du sous-sol d’Abitibi leur soit favorable.

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En succession, toujours en bordure de la même route : Keewagama, filiale du syndicat Ventures, avec un puits de 500 pieds et quelques galeries : Central Cadillac, administrée par des gens de Montréal, puits de 200 pieds et 1 000 pieds de galerie ; Wood-Cadillac, autre entreprise montréalaise, dont l’ingénieur consultant est M. Julius Cohen et le gérant, M. E.-N. Martin. Les 50 employés qui travaillent sur le champ sont presque tous des Canadiens français, en commençant par le comptable, M. Clifford Lauriault, ancien citoyen de Maniwaki. La véritable prospection à Wood-Cadillac n’a commencé qu’en mai 1937. Les indications de surface et celles des sondages ont déterminé des directeurs à commencer le creusage d’un puits. Le travail était entrepris quand nous sommes passés là. Le logement des employés à Wood-Cadillac est aussi bien organisé que possible dans les circonstances. Il n’y a peut-être que la cantine d’O’Brien qui soit comparable à la sienne.

Puis, c’est Dempsey-Cadillac, temporairement abandonnée, parce que le minerai trouvé jusqu’à présent, après une dépense de près d’un million de dollars, est extrêmement pauvre ; mais les chefs de l’entreprise ne perdent pas courage, ils ont, paraît-il, l’intention de chercher encore ; ensuite, Pan-Canadian, avec un puits de 300 pieds ; Pandora, où le travail recommence en neuf, d’autres mines encore, à l’état de prospection tantôt avancée et tantôt commençante.

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Le gérant ou l’ingénieur, dans presque chaque campement, tient à nous dire que l’entreprise, qu’elle soit québécoise ou ontarienne, tient à employer de la main d’oeuvre québécoise et particulièrement canadienne-française. Nous ne le demandons pas, on nous le dit. Ça n’est pas un mauvais signe.