L’Abitibi, pays de l’or/Chapitre 17
Chapitre XVII
COMMENT SE FAIT LA PROSPECTION
D’UNE CONCESSION MINIÈRE
« Beaucourt Gold Mines » — Comment
se repèrent et s’explorent les affleurements
minéralisés.
C’est en compagnie, sous la direction plutôt, de deux jeunes ingénieurs, des moins de trente ans — de pas mal moins — M. Paul-Émile Gagnier — et M. Gustave Maher, l’un et l’autre diplômés de l’École Polytechnique de Montréal et de l’école minière de Queen’s University, que j’ai fait mes premières expériences minières sur le terrain, c’est-à-dire au plus creux des galeries et des chantiers d’abattage de la mine Sullivan, par toute l’usine de cette même mine, à la surface de la concession que la Beaucourt Gold Mine fait actuellement prospecter au canton abitibien de Louvicourt.
Il m’était arrivé maintes et maintes fois de descendre dans des mines jusqu’à des profondeurs impressionnantes, de mille pieds et plus, mais pour des visites rapides ou en groupes, sortes de Cook’s Tours, jamais pour y faire des séjours prolongés, ainsi que l’avantage m’en a été fourni à la Sullivan, jamais non plus en compagnie d’un ingénieur comme M. Gagnier, soucieux de me renseigner bien exactement, de répondre à toutes mes questions, au fur et à mesure que notre visite souterraine — visite qui fut d’ailleurs multiple — progressait.
Quant à passer une journée entière sur le terrain raboteux et marécageux d’une concession minière, en compagnie d’ingénieurs capables de porter des diagnostics géologiques, de se prononcer sur une furonculose rocheuse de la terre, d’y distinguer des affleurements quartzeux et schisteux, de faire la distinction entre les intrusions de tourmaline, de keewatine, de diorite, de granodiorite, capables de faire tout cela, et assez avenants pour me mettre au courant de leurs constatations, pour me donner l’impression que c’était moi-même qui les faisais, l’aventure ne m’était jamais arrivée.
Maintenant que je l’ai fait savoir, l’on ne pourra plus dire qu’il n’y a pas de Canadiens français qui s’intéressent à la géologie, à la minéralogie, à l’industrie minière.
MM. Gagnier et Maher ont été parmi les premiers boursiers que le gouvernement de Québec, en 1934, envoyait à l’école minière de Queen’s. Le premier fait maintenant partie du personnel des ingénieurs de la Sullivan ; l’autre dirige les travaux de prospection à Beaucourt. À la tête des deux entreprises de Sullivan et de Beaucourt, on retrouve à peu près le même groupe de financiers canadiens-français. À la Sullivan, MM. A.-H. Paradis, président, Pierre Beauchemin, vice-président, Joseph Beauchemin, Hector et Alphonse Racine, J.-Roméo Gauvreau, L.-E. Morin, Aldéric Archambault, secrétaire-trésorier ; à la Beaucourt, MM. Pierre Beauchemin, président, Hector Authier, vice-président, A.-H. Paradis, Alphonse Racine, J.-Roméo Gauvreau, Adélard Beauchemin, L.-E. Morin, Paul Ranger, trésorier, et Aldéric Archambault, secrétaire.
À la Sullivan, le personnel de direction comprend un bon nombre de jeunes Canadiens français ; à la Beaucourt, M. Maher n’a que des Canadiens français à son service.
Il convient de dire que c’est à l’obligeance du conseil d’administration des deux entreprises que j’ai eu facilement accès à l’un et l’autre endroit.
Il y aurait bien des classifications à proposer dans le cas des entreprises minières. Distinguons-en, pour nos besoins présents, cinq groupes :
- — la concession simplement piquetée ;
- — celle qui est en voie de prospection où l’on pratique en surface des travaux de tranchées et des sondages au diamant ;
- — les propriétés où des puits se creusent ou sont creusés, où des galeries se percent (chassage ou travers-banc), mais dépourvues encore d’une usine ou ne possédant qu’une partie d’usine, une chambre de concassage qui déverse son minerai broyé mais non encore moulu sur un tas qui s’appelle terri ou halde.
- — les propriétés qui ont l’usine complète, qui produisent de l’or, mais qui ne paient pas encore de dividendes à leurs actionnaires ;
- — les propriétés qui ont atteint pour ainsi dire le but de leur existence, qui produisent de l’or et paient dividendes à leurs actionnaires.
Sullivan, qui paie dividende, est passé à cette dernière catégorie en 1937.
Beaucourt pourrait être mis dans la troisième mais sa place est plus exactement dans la deuxième catégorie. C’est un simple prospect, non pas au sens que l’on donne généralement à ce mot en voulant parler d’une concession tout bonnement piquetée, mais un prospect que des géologues sont en train d’explorer. Le travail est commencé depuis l’automne 1936. M. Gustave Maher, si jeune qu’il est, le dirige. Il doit bien avoir une vingtaine d’hommes à sa disposition. Le piquetage de la propriété est chose bien plus ancienne toutefois. Ce terrain fut même prospecté scientifiquement, il y a trois ou quatre ans, alors qu’il était connu en bourse des mines sous d’autres désignations. L’actuelle Beaucourt, contrôlée, détenue même privément, fut la Leroy et la New Roy. Son territoire, d’environ 1 000 acres, avait encore antérieurement été prospecté par des représentants de Hollinger. Sont-ce ceux-ci, les gens de Leroy ou de New Roy qui entreprirent d’assez vastes travaux ? Toujours est-il qu’au moment où la propriété, à la suite d’une faillite, passa aux frères Beauchemin, elle comprenait un puits de 250 pieds, environ 1 200 pieds de galeries, à deux niveaux — le tout subséquemment inondé : fin de juillet, en 1937, il y avait encore assez de glace dans le puits pour qu’il servît de glacière — un chevalement, une forge, d’autres ateliers, un terri qui subsiste et qui doit contenir plusieurs milliers de tonnes de minerai.
À cause de ces travaux d’assez d’importance, Beaucourt pourrait à la rigueur être classée dans la troisième des catégories établies. C’est cependant en tant qu’entreprise de la deuxième catégorie seulement, en tant que prospect nouveau qu’elle a intéressé d’abord les frères Beauchemin et ensuite leurs associés de la Beaucourt Gold Mine. Puits et galeries avaient été abandonnés parce qu’ils ne donnaient pas le rendement qu’on en avait attendu probablement. La finance avait sans doute manqué pour continuer la prospection du terrain. C’est ce que la Beaucourt Gold Mine Co a repris et continué.
À l’été de 1937, M. Maher et son équipe de géologues venaient de mettre à jour treize veines nouvelles sur cette même propriété. Il s’agissait de pousser l’exploration plus avant, de connaître les indications à l’analyse de nombreux échantillons de chaque veine, de chaque filon, d’échantillons prélevés non pas seulement en surface mais en profondeur, par le sondage au diamant. Des sondes à tube carottier commençaient en effet de descendre dans les entrailles de la terre.
Tout ce travail coûte gros. Le syndicat Beaucourt a peut-être dépensé 100 000 $, sinon davantage, à l’heure qu’il est et son entreprise n’en est encore qu’à l’état de prospect, de vrai prospect toutefois, c’est-à-dire que leur propriété est l’objet d’une exploration véritable, aussi complète que le permet un outillage de surface. Travail coûteux, travail long également. Ce n’est pas avant plusieurs mois, parfois avant des années que les promoteurs d’une mine savent au juste s’il convient d’enfoncer un puits, de creuser des galeries, de procéder à l’extraction du minerai. Il faut d’abord se rendre compte que le minerai existe en qualité convenable et en quantité suffisante pour l’usinage.
Mais il n’y a pas que le sondage au diamant. Bien d’autres opérations sont antérieures à celle-là, principalement l’examen des affleurements ; la mise à nu des veines avec le prélèvement d’innombrables échantillons dont chacun est analysé dans un laboratoire établi sur place, à grands frais, va-t-il sans dire. La seule balance de précision, dans le laboratoire que la Beaucourt a fait aménager, au beau milieu de la forêt du canton de Louvicourt, coûte 700 $. Il a fallu lui procurer une fondation solide en même temps qu’autonome, sur le roc. Elle sert à peser les parcelles d’or que produit l’échantillonnage. On est moins difficile pour le toit qui loge le laboratoire : le toit pointu d’une cabane en billes.