L’Abitibi, pays de l’or/Chapitre 18

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Les Éditions du Zodiaque (p. 160-168).

Chapitre XVIII

DE L’EXAMEN DES AFFLEUREMENTS À
L’ESSAI DES ÉCHANTILLONS


La mise à jour des veines — Les sondages au
diamant — Le laboratoire — Fusion et
cupellation.

Il faisait une chaleur suffocante le jour de ma visite à la concession minière en voie de prospection de la Beaucourt Gold Mine, et les maringouins, pour employer une expression du pays des épinettes noires, du terroir abitibien, ne « décessaient » pas. M. Paul-Émile Gagnier, le jeune ingénieur de la Sullivan, qui m’accompagnait, et M. Gustave Maher, qui dirige les travaux de prospection à Beaucourt, m’en restent témoins.


Cliché Canadien National
L’usine de Noranda.


Cliché Canadien National
« Squatters » nautiques à Sullivan.

M. Maher, nouveau venu dans ce pays pourtant, a vite pris l’habitude de se retrouver en pleine brousse. Il ne lui a pas été difficile de nous conduire de l’une à l’autre des treize veines récemment mises à jour. Elles ne sont pourtant pas groupées en nid mais disséminées çà et là sur le vaste territoire des mille acres de la concession. Le trajet à faire est toutefois moins long que pénible. Le pied bute sans cesse contre quelque chose ou s’enfonce quelque part. À chaque instant, il faut franchir des troncs d’arbres tombés, s’extraire d’un enchevêtrement de branchailles. Pendant des heures et des heures, il faut subir le soleil ardent, l’humidité à senteur de moisi qui vient du muskeg, essayer bien en vain de se défendre contre les moustiques. Rien à boire, il y a pourtant de l’eau partout, de l’eau croupissante. Le chien policier qui tantôt nous précède et tantôt nous suit, la queue en trompette, ne cherche même pas à s’y désaltérer. Il ne laisse toutefois pas, l’heureux animal, passer une mare d’importance sans s’y plonger et, comme de raison, s’approche ensuite de nous trois pour s’ébrouer.

Ces mêmes mares auront souvent une autre utilité. Elles fourniront de l’eau à mes deux compagnons d’ingénieurs pour laver des morceaux de quartz, de tourmaline, les pyrites.

***

Les affleurements se présentent comme de gros furoncles, souvent recouverts de mousses. Un coup de dynamite en révèle davantage. Prospecteurs et géologues recherchent surtout les zones de contact et de cisaillement, les rencontres de deux formations géologiques différentes.

Quand le magma a commencé de se refroidir, aux âges révolus de la terre, une croûte s’est d’abord formée. Certaines roches ont existé avant d’autres qui restaient en fusion à des niveaux inférieurs ou intérieurs. La carapace a parfois cédé sous la pression et la matière rocheuse en fusion de l’intérieur a trouvé un chemin, par des fissures. Ce sont les intrusions ignées, dykes et veines, que les géologues de notre époque étudient soigneusement. Dans la diorite et la granodiorite du précambrien de l’Abitibi, il y a des intrusions de quartz, de tourmaline, de porphyre, de feldspaths, de sulfures, qui sont, ces derniers, surtout la pyrite et la chalcopyrite. Ces intrusions sont souvent aurifères.

La différence entre un dyke et une veine ? Le dyke est une intrusion, une formation rocheuse. La veine est aussi une intrusion mais une masse métallique. À la concession Beaucourt par exemple, le dyke est une endésite, roche volcanique foncée, très basique, à grains fins, ayant la composition de la diorite. Les veines sont de quartz, de tourmaline, de feldspaths, avec la pyrite et la chalcopyrite. Des points d’or natif, gros comme des têtes d’épingle, apparaissent parfois dans le quartz.

Sur une veine de quartz, dont les facettes clivées par un coup de dynamite étincellent et qu’il vient de laver à grande eau, où des piqûres jaunâtres indiquent la présence d’or natif, M. Maher observe que la formation doit sûrement se continuer en profondeur.

Pourquoi ? — Parce qu’elle se présente à côté d’une pierre basique, la tourmaline, qui est une formation de profondeur. Il y a des chances que le quartz l’accompagne en profondeur.

M. Maher ajoute aussitôt : C’est raisonnable de le croire, de le supposer. Il ne s’ensuit pas que c’est une supposition qui va mettre de l’or dans le quartz. Pour savoir au juste s’il y en a, il faudra aller voir.

***

L’affleurement repéré est mis à jour sur une assez grande étendue. Le sens de la veine est vite connu. On creuse des tranchées transversales, à différentes profondeurs et sur une bonne distance. Des échantillons sont prélevés ici et là, que l’on analyse au plus tôt. Par les tranchées l’on obtient une indication du pendage de la veine, c’est-à-dire l’angle qu’elle fait avec l’horizontale, mesuré à angle droit, sur la direction horizontale de la veine elle-même. Cette indication est nécessaire lors des sondages au diamant.

Ceux-ci se peuvent pratiquer jusqu’à une profondeur d’environ 2 000 pieds, à l’allure moyenne de 60 pieds par huit heures, au moyen d’une machine extrêmement ingénieuse, dont l’outil est une série de tiges, plus exactement de tuyaux, qui se vissent les uns aux autres, par longueurs de 5 et de 10 pieds. Le bout qui entre dans le sol se termine par une couronne garnie de diamants qui vont gruger le roc, en extraire un cylindre de faible diamètre, que l’on appelle carotte, échantillon du minerai à divers niveaux. À la surface, une machine imprime à la série des tiges un mouvement à la fois de percussion et de rotation. Dans la sauvagerie, la sondeuse s’accompagne d’un moteur à essence qui lui procure son énergie. L’eau ne manque généralement pas en Abitibi, bien que sur certaines concessions il faille la pomper d’assez loin. L’eau est indispensable au refroidissement de la foreuse. On la lui procure sous pression. Quand l’eau remonte à la surface, elle est chargée de roche et de minerai pulvérisés. C’est de la boue, qui s’appelle techniquement de la pulpe et que l’on recueille pour l’analyse, en tenant compte du niveau d’où elle vient.

Le sondage se fait comme de raison selon le pendage d’une veine, son inclinaison. Il arrive que la sondeuse traverse d’assez fortes couches de morts-terrains avant de rencontrer la veine, qu’elle dévie aussi, pour une cause ou une autre, de la ligne droite. Parties à l’inclinaison de 45 degrés, les tiges qui s’aboutent peuvent passer à l’inclinaison de 40 ou de 35 degrés par exemple. Il importe de s’en rendre compte. Les ingénieurs ont un moyen pour cela. De temps à autre, après avoir retiré les tiges pour obtenir la carotte, on remplace la couronne par un tube en verre dans lequel on introduit de l’acide hydrofluorique, qui a pour propriété de marquer le verre après quelque temps. Si l’inclinaison du trou de sonde a changé le niveau de l’acide l’indique de façon permanente dans le tube en verre, en inscrivant une marque sur sa paroi. Il n’y a plus, au sortir du tube, qu’à faire un simple calcul.

Le changement d’inclinaison d’un forage peut avoir une grande importance, dans le cas par exemple où il se pratique aux confins d’une concession. La veine est-elle restée dans la concession, en est-elle sortie ?

Des échantillons de minerai se prélèvent ainsi à tous les niveaux d’une veine, échantillons sous forme de boue ou de pulpe, et sous forme de carotte. Il s’agit ensuite de les analyser, de les soumettre à l’essai.

***

C’est par centaines que le laboratoire de fortune d’une prospection minière doit pratiquer chaque jour des analyses. La carotte est d’abord fendue en deux parties, dont l’une est mise en écrin, écrin rudimentaire, en bois brut, mais écrin quand même, pour faire partie des archives de la mine future. L’autre s’en va à l’analyse, de même que la pulpe boueuse.

La quantité de prise pour chaque essai, ce qu’on appelle l’essai-tonne, est de 29,166 grammes. Il y a un essai pour chaque deux, trois ou quatre pouces de carotte, cela dépend, et pour telle quantité de pulpe prélevée à tel niveau. L’on voit ce qu’un seul forage de 1 000 pieds peut occasionner d’analyses ou d’essais. Une seule veine est souvent l’objet d’un bon nombre de sondages.

Il va sans dire que les rapports d’analyse sont précieusement conservés de même que les moitiés de carottes. Le tout constitue les archives d’une mine.

Les essais dont j’ai été témoin se pratiquent par le procédé de la fusion et par celui de la cupellation.

L’échantillon de carotte ou de pulpe est d’abord broyé avec des fondants divers : litharge, borax, carbonate de sodium, nitrate de potassium, souvent de la farine ordinaire, du sel de cuisine qui servira comme de couvert sur les creusets. Le broyage est de cent mailles au pouce. Au mélange finement moulu on ajoute un peu d’argent et le tout est mis dans un four qui donne de très hautes températures. La fusion produit une scorie qui contient tout, excepté l’or et l’argent, et une certaine quantité de plomb, provenant de la litharge. C’est surtout le plomb qui paraît au fond du creuset, sous forme d’un cône, auquel on s’empresse de faire subir la cupellation, dans un récipient qui s’appelle la cupelle, un petit creuset fabriqué avec des os calcinés et du ciment. La cupelle, avec son cône dedans, est mise au four. La chaleur lui fait absorber le plomb qui ne s’est pas évaporé et il reste une bille d’or et d’argent. La bille est plongée dans l’acide nitrique, qui ne dissout pas l’or, seulement l’argent. Un bouton d’or, gros comme rien du tout, se dépose au fond de la capsule en porcelaine où s’est opérée la séparation. L’or est lavé à l’eau distillé et pesé. On ne le pèsera pas sans l’avoir lavé, car l’or est alors noir foncé, recouvert d’une fine pellicule qui pourrait sans doute influer sur le poids. La balance est de très grande précision, pesant jusqu’au centième de gramme. Il importe de ne pas se tromper d’une fraction de rien du tout dans la pesée, car le bouton d’or est un bouton-témoin quant à la valeur du minerai qui se trouve dans la veine. La teneur des essais-tonne de 29,1666 grammes chacun servira d’indication quant à la teneur de la tonne de minerai.

Et voilà comment l’on procède rien que pour faire qu’une concession minière piquetée devienne une concession minière prospectée. Comme l’on voit, l’or ne se produit pas encore à l’once, mais au centième de gramme. Un laboratoire n’est pas une usine, une prospection n’est pas encore une mine.

À Sullivan, nous verrons que les procédés sont pas mal différents dans une mine et dans une usine.