L’Abitibi, pays de l’or/Chapitre 3

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Les Éditions du Zodiaque (p. 39-45).

Chapitre III

COLONIES EN PLEIN TERRITOIRE MINIER


De vieux Abitibiens établis à la Rivière-Héva,
à proximité de mines en exploitation —
Des Nicolétains fixés le long de la route
d’Amos à Val d’Or

Quelques-unes des colonies nouvelles, établies depuis moins de trois ans, à proximité de centres miniers de l’Abitibi, démontrent que l’industrie minière et la colonisation ne s’opposent pas, ne viennent pas nécessairement en conflit mais qu’elles se complètent plutôt, qu’elles sont capables l’une et l’autre de se rendre réciproquement des services. Au vrai, plusieurs colonies nouvelles n’existent aujourd’hui que parce que des chemins de pénétration ont d’abord été ouverts pour des entreprises minières. Les premiers colons ont suivi d’abord les sentiers des prospecteurs, puis la route s’est faite pour permettre l’entrée du matériel lourd quand des puits se sont creusés, un peu tout autour des lacs Malartic et de Montigny. C’est ainsi que se sont établies les colonies de la rivière Héva, comme à cheval sur la ligne de séparation entre les cantons Malartic et Cadillac, de Saint-Benoît de Lacorne et du canton Varsan, ces deux dernières traversées par la grande route d’Amos à Val d’Or.

À LA RIVIÈRE HÉVA

L’établissement de la rivière Héva est le plus ancien, peut-être le plus avancé du point de vue du défrichement mais non pas le plus peuplé. Il ne compte que trente-cinq familles, presque toutes d’origine abitibienne.

C’est trop peu pour constituer une paroisse. Le curé de Malartic, M. l’abbé J.-Albert Renaud, y tient une mission tous les quinze jours, de même qu’il le fait dans un certain nombre de petits centres miniers qui n’ont pas encore atteint la condition de ville, pas même de village. Ces colons de la rivière Héva sont pour la plupart venus de Barraute, dans le vieil Abitibi, le long de la voie du Canadien National, les uns abandonnant leurs terres, les autres quittant leurs emplois comme ouvriers au village. Les terres que baigne la rivière Héva les ont tentés parce qu’elles sont de bonne qualité et qu’elles se trouvent en plein cœur du territoire minier actuellement le plus actif. À moins de dix milles à la ronde, des mines sont en pleine exploitation, notamment O’Brien, connue par son filon mirifique, la Thompson-Cadillac, la Canadian-Malartic, dont l’usine d’un rendement quotidien de 750 tonnes de minerai est la plus considérable de tout l’Abitibi. D’ici quelques années, les terres neuves pourront produire et les colons, s’ils ont appris à offrir des produits de la qualité qu’il faut, auront à leur porte même des marchés d’importance. Déjà l’aviculture, pour quelqu’un qui s’y entend, pourrait faire vivre son homme dans ces parages. Les œufs s’importent des provinces de l’Ouest et, fort souvent, par voie de Toronto.

À la rivière Héva, il y a encore place, selon l’abbé Renaud, pour 65 familles, qu’il ne sera pas difficile de recruter quand les lots de cent acres seront mis en distribution. Avant que le peuplement de la paroisse ne soit achevé toutefois, il ne peut être question de bâtir une église et d’établir un curé. La messe se dit, sur semaine seulement, dans un magasin ou dans une maison de colon. L’école s’organise.

La réussite de cette colonie paraît assurée. Il y a d’abord la terre qui est bonne ; ceux qui la préparent à donner des récoltes entrevoient le succès rapproché ; de plus, ces gens sont de vieux Abitibiens qui ne se laissent pas rebuter par les premières difficultés d’un établissement en pays neuf. La plupart, colons depuis longtemps ou fils de colons, connaissent leur métier.

DES COLONS DE NICOLET

À Saint-Benoît de Lacorne, déjà paroisse, et dans la colonie de Varsan, qui le deviendra vraisemblablement sous peu, les choses sont bien plus avancées quant à la population. Les deux établissements se sont fondés, selon les données du plan Vautrin, par des gens de Nicolet, recrutés par la Société de colonisation du diocèse. Saint-Benoît a commencé avec 80 colons mariés et 50 colons célibataires, dont un bon nombre se sont mariés depuis ; Varsan, avec 45 colons mariés et 50 colons célibataires. Comme la colonie est maintenant vieille de plus de trois ans, c’est dire que plusieurs de ces derniers se sont laissé tenter par le mariage.

L’intention du curé de Saint-Benoît, en même temps missionnaire dans la colonie voisine, M. l’abbé Charles Richard, est de pousser le plus tôt possible ses gens non seulement à l’aviculture mais à l’élevage. Lui-même et ses colons voient les quantités énormes de victuailles de toutes sortes qui s’importent à grands frais dans les centres miniers. L’élevage des bestiaux, bien organisé et bien fait, donnerait des profits substantiels à la population agricole du voisinage. Pour le présent, la chose n’est évidemment pas possible. Les nouveaux colons doivent s’en tenir au travail de défrichement, d’essouchage, etc. Mais les perspectives sont excellentes pour les années à venir.

La situation de ces deux colonies, quant aux marchés pour les produits, ne saurait être meilleure : à l’est du lac Malartic, des deux côtés de la grande route qui va d’Amos à Val d’Or, à quelques milles seulement de cette dernière ville et de la ville de Sullivan.

Ces colons ne sont pas riches, loin de là ; leur condition paraîtrait même pitoyable, misérable aux yeux des gens qui ne sont pas au fait des choses de la colonisation. Les plus avantagés possèdent un cheval ou un bœuf, quelques vaches. Personne ne se plaint pourtant. Si la situation présente est assez pénible, les perspectives sont encourageantes pour un avenir pas trop éloigné.

Avant même qu’ils aient des produits à vendre, ces colons voient à leur porte des marchés qui s’établissent.

UNE VIEILLE PAROISSE

Vieille, il faut entendre cela dans un sens très relatif, par rapport aux paroisses précédemment mentionnées et qui sont nées d’hier ; par rapport aussi au reste du pays abitibien qui n’est pas peuplé depuis plus d’un quart de siècle.

La paroisse de Saint-Luc de La Motte existe depuis 1915 ou 1916. Située à l’entrée même du territoire minier qui est maintenant le plus actif, à l’ouest des colonies de Varsan et de Saint-Benoît de Lacorne, sa fondation est bien antérieure toutefois aux toutes premières exploitations minières du voisinage. Son curé actuel, qui est là depuis vingt ans, M. l’abbé François-Xavier Chagnon, frère du R. P. Chagnon, jésuite, a vu s’établir les mines O’Brien, Thompson-Cadillac, Martin — devenue Shawkey — Sullivan, c’est-à-dire les plus anciennes de l’Abitibi. Il a été pendant des années le seul missionnaire à visiter les premiers campements miniers. Le territoire alors confié à son ministère comprenait tout le bassin des lacs La Motte et Malartic, que relie entre eux la rivière Sigwash. La rivière et les deux lacs font partie du système des eaux de l’Harricana et c’est dans la partie supérieure du système harricanien que se situent les principaux champs aurifères de l’Abitibi.

Saint-Luc de La Motte, après vingt ans, n’est plus précisément une paroisse de colonisation. Ses habitants peuvent se dire cultivateurs presque autant que ceux de l’île Jésus. Certains d’entre eux sont même devenus des spécialistes de l’aviculture. Les œufs de leurs poules, la chair de leurs poulets trouvent des acheteurs dans les centres miniers. C’est sans doute pour donner à ses ouailles, qui sont aussi ses amis, comme une vision de terre promise, que M. le curé Chagnon a fait du clocher de son église neuve, bâtie à peu de frais, une tour d’observation. Du clocher de Saint-Luc non seulement découvre-t-on les environs, mais l’on voit, à cinquante milles de distance, la haute cheminée de Noranda, empanachée de fumée opalescente. Le curé Chagnon invite ses paroissiens et les visiteurs de sa paroisse à y monter : tout autour, c’est le pays qui appartient à Québec sans doute, mais qu’il lui reste à conquérir.