L’Abitibi, pays de l’or/Chapitre 4

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Les Éditions du Zodiaque (p. 46-52).

Chapitre IV

À LA DÉCOUVERTE DU NORD-OUEST
QUÉBECOIS ET MINIER


Une tournée de la Chambre de commerce de
Montréal qui s’est présentée comme une
célébration bien opportune et utile de la
fête nationale — Toronto a
pris les devants.

L’Abitibi et le Témiscamingue, pays voisins et de caractères physiques assez semblables dans l’ensemble, forment une région québécoise généralement peu connue, sinon complètement méconnue et ignorée, des habitants du reste de la province. Région assez vaste pourtant, qui constitue, comme l’on dit parfois et avec raison, une petite province dans la grande ; région aussi dont la valeur économique, surtout depuis la découverte de nombreux gisements aurifères, ne fait plus doute.

L’ignorance de la vieille province pour cette région peut expliquer, sans justifier le fait cependant, que ce sont des gens de l’Ontario et des États-Unis qui ont jusqu’à présent financé et exploité, à leur profit comme de raison, la plupart des entreprises minières qui s’y trouvent.

Au mois de juin 1937, à l’occasion de la fête nationale, la Saint-Jean-Baptiste, la Chambre de Commerce de Montréal prenait une initiative éminemment heureuse et louable, presque hardie. Initiative qui tenait en tout cas de l’innovation. Elle organisait une excursion, une sorte de voyage de reconnaissance en Abitibi. Quelques membres de la Chambre de Commerce des jeunes devaient y être pour quelque chose — la jeunesse est toujours curieuse de savoir — de même que quelques aînés qui se sont déjà laissés attirer par l’industrie minière et d’autre façon que par la spéculation en bourse. Quoiqu’il en soit, l’entreprise a réussi. Un bon nombre de Montréalais, des industriels, des marchands, des financiers, si courte qu’ait été leur visite là-bas, ont fait connaissance avec le nouveau Québec minier et ils ont personnellement une idée de ce que représenteront pour Montréal et le reste de la province les nouvelles routes carrossables, depuis si longtemps promises et qui se construisent enfin, de Senneterre vers Rouyn et vers Mont-Laurier, ainsi que le nouvel embranchement ferroviaire du Canadien National, dont le ballast se pose, de Senneterre jusqu’à Rouyn et Noranda, en passant au cœur même du pays qui s’ouvre. Prise de contact tardive mais partant d’autant plus opportune.

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Il y a dix ans en effet que les villes de Rouyn et de Noranda se fondaient. Depuis lors, avec des périodes d’hésitation et même d’arrêt, l’exploration du pays s’est poursuivie. Si l’exploration même a été très souvent le fait de prospecteurs québécois et même canadiens-français, ce sont des capitalistes d’ailleurs qui ont surtout financé les entreprises, en sont par conséquent devenus propriétaires. La ville de Toronto, forte de l’expérience acquise par suite des découvertes, vers 1905 et après, de Cobalt, de Porcupine, de Larder Lake et de Kirkland Lake, en a particulièrement profité. Son gouvernement n’a pas été lent à comprendre l’avantage qu’il y aurait pour elle d’avoir des communications ferroviaires directes avec les nouveaux centres miniers. Ces communications se sont établies, au moyen d’un rail qui appartient en propre au gouvernement de Toronto, le Témiscaming & Northern Ontario Railway. De même pour la voirie. C’est avec Toronto que le Témiscamingue et l’Abitibi communiquent le plus facilement, les routes étant ainsi construites. Il y a déjà plus de dix ans que les premières mines du Nord-Ouest québécois sont creusées et l’on ne peut encore faire le trajet en automobile de là-bas jusqu’à Montréal qu’en passant par l’Ontario. L’on comprend alors que Toronto approvisionne cette région, l’alimente. Quand ça n’est pas Toronto, c’est Winnipeg qui envoie directement les viandes, les conserves, les œufs de ses entrepôts. Montréal et la province de Québec ne prennent qu’une mince part de ce commerce intéressant qui se fait pourtant chez nous.

Mais nous connaissons si mal notre propre province. Pour ce qui est du Témiscamingue et de l’Abitibi, quelques plans de colonisation ont mis devant le public les noms de quelques-uns de leurs cantons ; la bourse des mines, celle de Toronto comme de raison, lui en a révélé quelques autres. Combien de citoyens de la province de Québec ne connaissent encore que par la cote boursière les noms de ces cantons : Dasserat, Beauchastel, Rouyn, Joannès, Bousquet, Cadillac, Malartic, Fournière, Dubuisson, Varsan, Bourlamaque, Pascalis, Louvicourt, Tiblemont ?

De bien beaux noms, qui se rattachent au régime français, noms d’anciens gouverneurs, d’officiers du régiment de Carignan, de découvreurs du temps de la Nouvelle-France, mais noms que ni l’histoire ni la géographie n’avaient appris à la plupart d’entre nous. Il a fallu que Toronto s’en mêlât et souvent pour déformer un nom, par exemple, faire Lamaque de Bourlamaque. C’est que la capitale ontarienne s’occupe moins de l’histoire sentimentale et à ses monuments que de la vie pratique et actuelle. Ces cantons témiscaminguois et abitibiens ne l’intéressent pas à cause de leurs noms à belle consonance française, mais à cause de la richesse de leur sous-sol. Ce dont nous aurions d’ailleurs dû nous soucier, nous aussi, pour le moins autant que nos amis de la province voisine et autant que les capitalistes des États-Unis.

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Apprendre à connaître son pays, n’est-ce pas apprendre aussi à l’aimer comme il faut, c’est-à-dire à le mettre en valeur ? Et la région minière de l’Abitibi et du Témiscamingue n’est pas la moins intéressante de notre vaste province. La révélation qui s’est déjà faite de ses ressources en dix ou douze ans donne à y réfléchir.

En 1903, alors que feu Joseph Obalski était inspecteur des mines pour le gouvernement de Québec, la province produisait 55 onces d’or, représentant une valeur de 1 000 $. Ce peu de métal précieux provenait des alluvions de la Chaudière et de petits dépôts dans le comté de Portneuf. Huit ans plus tard, en 1911, la production de l’or dans la province ne représentait encore que 12 672 $ et la production de l’argent, 9 827 $. Vers 1925, l’élan était donné, la Horne Mining, prédécesseur de la compagnie Noranda, forait son premier puits et songeait à l’établissement d’une ville ; les prospecteurs pullulaient dans tout le Nord-Ouest québécois. Mais les entreprises nouvelles n’en étaient pas venues au stade de la production. Dans les statistiques officielles de Québec, l’or ne s’inscrivait, en 1925, que pour 33 116 $ et l’argent pour 148 451 $. Depuis, quelle poussée, quel progrès, quelle révélation ! À partir de la frontière ontarienne, à la latitude de Kirkland Lake, vers l’est, sur une distance de plus de cent milles, c’est tout un chapelet de mines, de concessions et de prospections minières. Comme par enchantement, ces trois dernières années, de même que Rouyn et Noranda, il y a dix ans, des villes nouvelles ont surgi. En 1936, une douzaine de mines québécoises en production ont donné pour 23 334 849 $ d’or, pour 234 893 $ d’argent et pour 6 287 025 $ de cuivre. En 1937, vingt-trois mines ont donné pour 24 849 758 $ d’or, soit 710 196 onces. Pareillement progression pour l’argent, de 724 339 onces à 907 950 onces, et pour le cuivre, de 66 340 175 à 95 029 546 livres.

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La part de la population québécoise et de langue française dans cette industrie naissante et en plein progrès n’a pas été ce qu’elle aurait être. La faute en est à cette population même, qui s’est désintéressée généralement des richesses du sous-sol.

L’Abitibi et le Témiscamingue, c’est pourtant chez nous, en territoire québécois. Du moins, les cartes géographiques l’indiquent-elles encore.