L’Algèbre d’Omar Alkhayyami/A

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Traduction par F. Woepcke.
Benjamin Duprat (p. 73-80).





ADDITIONS.

A

« Mémoire d’Ihn Alhaïtham, c’est-à-dire du chaikk Aboûl Haçan Ben Alkaçan Ben Alhaitham sur la section d’une ligne employée par Archimède dans le second livre. »

« Il dit : Archimède employa, dans la quatrième proposition du second livre du Traité de la sphère et du cylindre, une ligne qu’il suppose divisée suivant une raison particulière, sans démontrer comment on divise cette ligne suivant cette raison. Et puisque la section de cette ligne ne peut être effectuée qu’au moyen des sections coniques, et qu’il n’employa dans son ouvrage rien des sections coniques, il ne s’avisa pas de mêler au traité ce qui était étranger à son sujet. Nous avions donc admis cette section d’une ligne, en présupposant qu’elle peut être effectuée. Mais tant que nous ne divisons pas effectivement la ligne suivant la raison donnée par Archimède, la démonstration de la proposition dans laquelle cette section fut employée par lui reste incomplète. Puisque donc il en est ainsi, nous nous sommes proposé d’effectuer cette section et d’en montrer la possibilité, afin de rendre évidente la justesse du procédé d’Archimède. »

« La section employée par Archimède consiste en ce qu’il donne une ligne, et sur cette ligne deux points D, Z (fig. 31). Il suppose que les deux distances DB, BZ, sont connues, ainsi que le rapport de BZ à BT. Puis il dit : Faisons maintenant le rapport de HZ à ZT égal au rapport du carré de BD au carré de DH. » « Déterminons donc la ligne au moyen de ces données, et occupons-nous de sa section. »

J’ai traduit textuellement cette petite introduction, puisque les paroles du célèbre géomètre arabe ne sont pas sans une certaine valeur historique. Pour la solution même qui suit, je ne vais en donner qu’un exposé succinct, afin de ne pas fatiguer le lecteur par la prolixité des démonstrations anciennes adoptée par les Arabes.

Faisons AD, ET, CZ, égales à BD et perpendiculaires à DZ, et joignons les points A, E, C, qui sont en ligne droite.

Faisons passer par E une hyperbole ayant CZ, ZD pour asymptotes. Elle coupera AD en un point K situé entre A et D.

Puis construisons une parabole dont l’axe soit DA, le sommet D, et le paramètre DB. Elle coupera AC en un point S, en sorte qu’on aura , donc . Et puisque (*[1]), on aura .

E sera donc situé en dehors de la parabole, tandis que K, comme point de son axe, sera situé dans l’intérieur de la parabole. Il s’ensuit que l’hyperbole et la parabole ont une intersection.

Abaissons du point d’intersection M une perpendiculaire sur OZ ; le pied H de cette perpendiculaire sera le point cherché.

Car, en menant par le point M une droite NML parallèle à DZ, on aura, en vertu de la parabole, , ou , donc 1) .

Puis, en vertu de l’hyperbole, on a , ou 2) .

Mais de la combinaison de 1) et 2) il suit :

 ; c. q. f. d.

On peut voir la même chose d’un seul coup d’œil. Désignant DB, TZ, DZ, DH par a, b, c, x respectivement, et prenant D pour origine des coordonnées, l’équation de l’hyperbole sera , celle de la parabole , et la combinaison de ces deux équations donne , ce qui est en effet l’équation qu’il s’agissait de construire. (Voir la préface.)

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A la suite du mémoire d’Ibn Alhaïtham il se trouve une autre solution du même problème, précédée de ces mots : « D’une autre manière par un autre, au moyen du mouvement de la ligne. » Elle m’a paru mériter une attention particulière, comme solution mécanique d’un problème de géométrie ; et encore parce qu’elle prouve, comme on verra, combien les Arabes ont su pénétrer dans l’esprit des méthodes grecques, et s’en faire des instruments qu’ils maniaient habilement. Voici le procédé du géomètre arabe :

Menant des points D et Z (fig. 32) deux perpendiculaires à la ligne DZ, il prend sur la première un segment DA égal à BD, et sur le prolongement de OZ un segment ZC égal à ZT. Puis il imagine deux droites pivotant autour des points A et C en restant constamment parallèles entre elles : la première de ces droites mobiles coupera constamment la droite DZ ; la seconde coupera la perpendiculaire menée du point Z ; la droite qui joint les deux points d’intersection changera de position avec les droites mobiles, et renfermera avec elles des angles variables. Qu’on fixe entre toutes les positions que prend successivement le système de ces trois droites mobiles, celle dans laquelle la troisième droite qui joint les points d’intersection est perpendiculaire aux deux parallèles mobiles. Le point d’ intersection H de la première droite mobile avec la droite fixe DZ, qui répond à cette position, sera celui qu’il s’agissait de trouver. Car on aura  ; donc \overline{\text{MN}}^2 :  ; mais et  ; donc  ; c. q. f. d.

Examinons cette solution. Désignons comme ci-dessus BD, TZ, DZ, DH par a, b, c, x respectivement ; il s’agit de construire l’équation

1) .

La construction du géomètre arabe revient virtuellement à ceci : de construire la courbe lieu géométrique des pieds de toutes les perpendiculaires abaissées du point C sur toutes les tangentes d’une parabole dont A est le foyer, et DC la tangente au sommet ; puis de couper cette courbe par une droite perpendiculaire à DC au point Z. En d’autres termes, prenant le point C pour origine des coordonnées, on combine la courbe

1)


avec la droite , ce qui, lorsqu’au moyen de la relation , on introduit encore en place de , produit effectivement l’équation proposée.

Voici maintenant comment cette construction se rattache à celle donnée par Platon pour le problème des deux moyennes proportionnelles (*[2]). La solution de Platon consiste en ce qu’on prend, sur les deux côtés d’un angle droit à partir du sommet B (fig. 33), deux segments BA, BΓ respectivement égaux aux deux lignes données, et que l’on trouve, à l’aide d’un instrument qu’il imagine pour cet effet, deux points E, Δ situés sur les prolongements de AB et de ΓB ; de sorte que ΓEΔ et EΛA soient des angles droits.

Désignant BΓ par b, BE par y, BΔ par z, BA par a, on aura en effet  ; donc on aura construit l’équation

2) .

Mais évidemment cette construction revient à ceci : de construire la courbe lieu géométrique des pieds de toutes les perpendiculaires abaissées du point Γ sur toutes les tangentes de la parabole dont A est le foyer et BΓ la tangente au sommet ; puis de couper cette courbe par le prolongement de la droite AB.

Cette courbe est donc la même que celle dont nous venons de parler. Prenant le point Γ pour origine des coordonnées, ce sera la courbe

II)


qui, combinée avec la droite , produit . En échangeant les directions positive et négative des y, les équations I) et II) deviennent identiques lorsque les paramètres et sont les mêmes.

Le géomètre arabe s’est donc ingénieusement servi pour la construction de l’équation 1) des moyens imaginés par Platon pour celle de l’équation 2).

On a dit que la construction d’une équation cubique à l’aide d’une courbe du troisième degré renfermait une pétition de principe, en ce que la succession des points de ces courbes ne saurait être trouvée que par la résolution d’une équation cubique. Cette objection s’évanouit cependant à l’égard des courbes qu’on peut décrire à l’aide d’un instrument par un mouvement continu, et l’on peut dire en quelque sorte que c’est ce que virtuellement Platon du moins a fait. Rien n’est plus facile que d’imaginer un pareil instrument pour la courbe qu’on vient d’examiner (*[3]).

  1. *) Puisque BZ > ZT, voir Archimède, éd. d’Oxf., p. 158, lig. 26 du texte grec.
  2. *) Archim., éd. d’Oxf., p. 135.
  3. *) En discutant l’équation 1), on trouve que cette courbe a deux branches infinies, ayant pour asymptote commune la directrice de la parabole mentionnée ci-desus, et dirigée de part et d’autre de cette asymptote. Elle forme au-dessus de l’axe CD (fig. 32) un nœud penché vers AD, et a un point double en C. Elle s’éloigne le plus de l’axe des abscisses aux deux points qui ont pour coordonnées y = +— d — a /2, x2 = b + c / 2 * +— d — a / +— d + a’en posant d2 = a2 + (b + c)2. Si le point fixe C, au lieu d’être pris sur la tangente au sommet, avait été pris sur la directrice de la parabole, la courbe aurait été une focale à nœud.