L’Amant de la momie/06

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V

APRÈS LE DÉPART DU PRÉCEPTEUR


Avant de raconter les dérèglements extraordinaires que l’existence des paisibles habitants de Charing-Abbey dut subir, une remarque préliminaire doit être faite. Les événements sont racontés par les témoins avec de grandes divergences. Quoi qu’il en soit, il reste un certain nombre de faits qui demeurent inexplicables. Le docteur Martins, sceptique entêté, ne veut voir là qu’une suite de coïncidences et une fraude audacieuse.

Loin d’être de son avis, je suis disposé à croire que les événements qui survinrent en si grand nombre du 12 au 19 octobre sont dus au ressentiment de la momie. Si l’on consent à admettre que Nefert-thi, c’est-à-dire son double — ou son kâ, comme le disaient les vieux Égyptiens — a joui d’une vie nocturne relative, tout s’explique, tout devient cohérent et logique. Mais il faut admettre aussi que la princesse défunte était éprise de Rogers et que son départ la mit dans une irritation extrême.

Onze heures venaient de sonner quand un cri terrible, suivi de lamentations épouvantables, éclata comme un coup de tonnerre, glaçant d’effroi ceux qui l’entendirent. Jones, le majordome, conserva seul un peu de calme.

— Allons voir ce que c’est, dit-il en essayant de rester digne.

Personne ne bougea.

— Voyons, Kelly, O’Connor, Mac Donald ! seriez-vous des femmelettes ? Auriez-vous peur ?

— Nous n’aurions pas peur, monsieur Jones, si nous avions affaire à une personne vivante. Mais cela… c’est le diable !

Jones haussa les épaules, en homme qui sait à quoi s’en tenir sur le diable.

— C’est bien, j’irai seul.

— Je viens, Jones, je viens, fit alors Kelly. Nous autres catholiques nous n’avons pas peur du démon.

Le courage de Jones et l’exemple de Kelly déterminèrent les autres domestiques à suivre leurs camarades ; seul, Mac Donald resta avec les femmes, disant qu’il ne fallait pas tenter Dieu.

Jones et ses compagnons gravirent l’escalier. Les lamentations continuaient, à intervalles réguliers, leur bruit les guida ; aucun doute n’était possible, la personne qui gémissait se trouvait dans la chambre du précepteur.

Ils y coururent, et après un moment d’hésitation, Jones ouvrit la porte. Au même instant un vent violent sembla souffler et quelque chose de vaporeux passa au milieu des domestiques en les bousculant.

C’en était trop ! ils reculèrent, s’enfuirent en désordre, se précipitèrent dans l’escalier et dégringolèrent à toute, vitesse.

Le reste de la nuit fut des plus troublés. On eût dit la vaste demeure peuplée de gens qui sanglotaient éperdument. À deux heures du matin, le vacarme était tel que lord Charing sonna.

Jones lui raconta l’événement. Lord Charing haussa les épaules.

— Venez avec moi jusqu’à la chambre de Rogers.

— Oui, mylord, répondit Jones qui, malgré sa bravoure ordinaire, claquait des dents à l’idée de rencontrer le prince des ténèbres.

À mesure qu’ils se rapprochaient de la chambre de Rogers, lord Charing distinguait plus nettement la nature du bruit qui l’avait réveillé. C’étaient des lamentations, de véritables hurlements de douleur, un vacarme effroyable.

Lord Charing ouvrit brusquement la porte, le bruit cessa, mais aussitôt il sentit un fort souffle sur son visage et une forme blanche passa près de lui. Il essaya de la saisir, car il était doué d’une force considérable, mais son poing se referma sur le vide. La forme blanche était impalpable.

Le comte ne fit aucune observation ; il s’installa dans la chambre de Rogers, et renvoya ses gens. Le reste de la nuit se passa sans nouvel incident.

Après déjeuner, il emmena dans son cabinet de travail le docteur Martins et le chapelain, le révérend Ezechiel Symonds. Il les interrogea, après leur avoir raconté son aventure nocturne.

— Je suis convaincu, mylord, que vous avez manqué l’occasion de prendre en flagrant délit l’auteur de tout ce tapage, déclara Martins.

— Mais vous oubliez que j’ai saisi la forme blanche et qu’elle était immatérielle.

— Illusion, mylord, illusion. Vous n’étiez pas dans votre assiette et vous avez été trompé par vos sens.

— Je pense que vous êtes de parti pris, docteur. Ce qui est, est. Il faut avoir la bonne foi de l’admettre, alors même qu’on ne comprend pas.

— Lord Charing a raison, dit Ezechiel Symonds. Vous êtes un incrédule obstiné, Martins. Comment voulez-vous être mieux informé que le témoin ?

— Parce que les circonstances dans lesquelles se trouvait le témoin ont fatalement eu pour effet de fausser ses perceptions. Vous ne songez pas sérieusement à l’hypothèse d’une action surnaturelle ?

— Pourquoi pas ? La Bible nous enseigne…

— Halte-là, Symonds ! je ne veux rien dire de blessant pour votre ministère, mais la Bible n’est pas une autorité scientifique.

Symonds protesta.

— La Bible est la source de toute science, mon ami : c’est un livre inspiré par Dieu.

— Laissons cela, dit lord Charing : la seule question dont nous ayons à nous occuper est celle-ci : ai-je été victime d’une illusion ?

— Oui ! affirma Martins.

— Non ! répliqua Symonds.

— Comme vous n’avez pas observé les faits, je vous demanderai de veiller avec moi ce soir.

— Certainement ! Je vous garantis que si le mystificateur passe à portée de ma main, il s’en souviendra.

— Et vous, Symonds ?

— J’en suis, mylord, je me munirai d’armes spirituelles.

— Et moi d’un bon revolver, ajouta Martins.

— C’est entendu. Venez me retrouver ici ce soir à onze heures. Nous déciderons des mesures à prendre.

À dix heures quarante-cinq, Symonds, puis Martins rejoignirent le comte. Symonds était revêtu de son costume sacerdotal, comme s’il eût dû célébrer une cérémonie religieuse ; Martins s’était muni d’un long couteau de chasse et d’un revolver.

— Voici ce qui me semble le meilleur plan, leur dit lord Charing. Les phénomènes les plus intenses se passent, dit-on, dans la chambre de Rogers ; j’y coucherai.

— Pourquoi vous, mylord ? Je ne serais pas fâché de voir à mon tour ce que vous avez vu hier.

— Si vous le désirez réellement, Martins, je ne m’y oppose pas. Alors je veillerai dans la galerie ; vous, Symonds, je vous demanderai de surveiller le grand escalier, c’est le seul qui ne puisse être interdit.

Il faut que l’amour propre et l’entêtement du docteur Martins soient extraordinaires pour que son scepticisme n’ait pas été ébranlé par les événements auxquels il assista.

La comparaison des observations faites par les trois veilleurs permet de rétablir chronologiquement les incidents de la nuit.

10 h. 55. — Symonds s’installe au pied de l’escalier.

10 h. 59. — Lord Charing s’assied près de la porte de la galerie, donnant dans le salon d’honneur. Les autres portes sont verrouillées.

10 h. 59. — Martins s’installe dans la chambre de Rogers.

11 heures, minuit. — Rien ne s’est produit.

12 h. 7. — Lord Charing entend un profond soupir, tout près de lui. Il allume sa lampe électrique. Rien n’est visible ; il vérifie l’heure.

Entre 12 h. 07 et 12 h. 22 approximativement, lord Charing perçoit encore un soupir, dans la direction de la vitrine, puis une sorte de chant monotone, accompagné de harpes et de tambourins ; c’est peu distinct et semble venir de très loin.

Le chant cesse brusquement ; un cri se fait entendre, une forme phosphorescente sort de la vitrine où repose la momie, longe la galerie comme une fumée poussée par le vent, et passe au travers de la porte fermée. Immédiatement après, lord Charing distingue un bruit de pas rapides dans le salon ; il ouvre la porte, projette le rayon de sa lampe électrique ; rien n’est visible ; il est 12 h. 22 à sa montre.

12 h. 21. — Symonds entend des pas qui glissent très rapidement dans le hall, se dirigent vers l’escalier privé aboutissant au corridor où est la chambre de Rogers.

12 h. 21. — Martins entend aussi des pas, toujours très rapides, qui gravissent l’escalier privé, parcourent le corridor. Il croit voir la porte s’ouvrir, les pas s’arrêtent comme si quelqu’un hésitait sur le seuil. Le docteur avait allumé toutes les lampes.

Il tire un coup de revolver dans la direction de la porte ; toutes les lampes de la chambre s’éteignent ; on a tourné le commutateur.

Il arme sa lampe électrique de poche, quelqu’un essaye de la lui arracher des mains, en évitant de s’exposer à ses rayons ; cela est si évident que Martins bondit jusqu’au commutateur et rallume les lampes.

Il est 12 h. 27. Il n’y a personne dans la chambre, la porte est verrouillée, au milieu du panneau se distingue le trou fait par la balle du revolver.

Le docteur s’assied sur le lit, la main sur le commutateur.

12 h. 40. — La lampe électrique du milieu de la chambre se casse avec beaucoup de bruit.

12 h. 43. — La lampe à la tête du lit éclate.

12 h. 45. — La dernière lampe, un flambeau portatif, placé sur la table de travail, éclate à son tour ; la chambre est plongée dans l’obscurité : le docteur promène autour de lui le rayon de sa lampe de poche : il ne voit rien !

Cependant, on essaye de lui enlever cette lampe, il saisit une main, constate que c’est une main de femme. Il veut la serrer avec force : elle fond dans ses doigts.

La lampe lui est retirée avec une violence extraordinaire. On la jette sur le plancher. Martins fait feu dans trois ou quatre directions. Il entend la chute d’une glace brisée, et le choc des balles sur les murailles.

Il est alors fortement secoué, on lui arrache les cheveux. Il reçoit des coups sur la tête. Là, ses souvenirs s’arrêtent.

2 h. 7. — Symonds entend les mêmes bruits qu’à 12 h. 21, mais en sens inverse.

De 2 h. 6 à 2 h. 16, lord Charing sommeillait ; il est réveillé par des sanglots qui partent de la vitrine. Il se lève, arme sa lampe. Silence. Les lamentations recommencent chaque fois qu’il éteint sa lampe.

2 h. 30, 2 h. 39. — Après un quart d’heure de silence, lord Charing entend encore le chant plaintif. Il l’écoute et en subit le charme étrange.

Aucun nouvel incident à signaler pour le reste de la nuit.

Le jour se lève vers six heures et demie. Lord Charing retrouve Symonds, ils vont ensemble chercher Martins. Ils frappent à la porte : personne ne répond. Le comte est très inquiet. Symonds a l’air consterné et prévoit les pires catastrophes.

La porte est enfoncée : on trouve Martins étendu au pied du lit ; la pièce semble avoir été mise au pillage, les rideaux sont arrachés, tous les objets fragiles sont en morceaux, les ampoules électriques sont cassées, la glace de la cheminée est étoilée à plusieurs endroits.

Martins a perdu connaissance ; on le ranime. Il se plaint de courbatures, il a les yeux pochés. On a dû le rosser d’importance.

Il n’éprouve qu’un sentiment, celui d’une fureur extrême. Il est convaincu d’avoir été victime de quelque imposteur. C’est vainement que lord Charing l’invite à raisonner, l’entêté médecin ne veut rien entendre.

— La brute ! s’écrie-t-il à chaque instant. La sale brute ! Comment l’ai-je manquée ?

Aux regards du clergyman, les faits sont patents : ils ont été produits par l’intervention du malin. Il n’y a qu’un moyen de les combattre : la prière et les cérémonies religieuses.

Quant à lord Charing, il ne sait que penser.

Bientôt une incompréhensible malechance s’abattit sur Charing-Abbey.

Le comte avait un bétail splendide, composé d’animaux de la plus pure espèce. C’étaient des vaches de Durham, des moutons mérinos d’Espagne, des porcs du Yorkshire. Ses plus belles bêtes périrent subitement du 13 au 17 octobre. Le vétérinaire ne put deviner la cause de leur mort.

Le 17, un grand vase de Chine, de la famille verte, et dont le pareil n’existait dans aucune collection européenne, fut trouvé brisé ; cette perte affligea beaucoup lord Charing, qui était très fier de sa collection de porcelaines.

En même temps, la maladie et les accidents les plus imprévus sévirent sur les habitants de l’abbaye. Deux valets de chambre, Kelly, le cocher, et un mécanicien furent atteints d’une grippe infectieuse.

Le 16, lady Charing eut une syncope grave ; elle souffrit de troubles cardiaques, dont Martins se montra très alarmé.

La momie cependant demeurait relativement tranquille.

Le 17 octobre, Martins se sentit assez bien pour reprendre la lutte contre le mystificateur inconnu qui l’avait passé à tabac. Il cacha soigneusement ses projets à tout le monde, et prit les précautions les plus minutieuses pour n’être la dupe d’aucun prestidigitateur. Il emporta deux revolvers, garnit ses poches de lampes électriques portatives et se munit de son thermocautère, également électrique.

À 10 h. 45, il gagna silencieusement la chambre de Rogers dont la porte avait été réparée ; il vérifia avec soin la fermeture intérieure et celle des fenêtres ; il visita le lit, les placards, le cabinet de toilette, les armoires et la commode, ensuite il se glissa dans un des compartiments de l’armoire garde-robe, laissa la porte entr’ouverte et attendit…

À 11 h. 30 il entendit le bruit caractéristique d’une personne entrant chez Rogers ; aussitôt commencèrent les pleurs, les lamentations, auxquels s’adjoignirent des phrases prononcées dans la langue étrange que parlait le précepteur au cours de son délire. La voix qui proférait ces plaintes et qui articulait ces mots était une voix de femme.

Martins attendit patiemment d’abord. Puis, armant son revolver, il poussa doucement la porte de l’armoire, et dirigea sans bruit sa lampe vers l’endroit d’où venaient les plaintes. Il lança ensuite un jet de lumière… et sur le lit… sur le lit…

Il fit feu.

Le docteur ne reconnaît ce fait qu’avec la plus extrême répugnance, car il est obligé de confesser qu’il a été halluciné comme les autres ; cependant il est trop respectueux de la vérité pour nier l’évidence ; il avoue donc qu’il crut voir, assise sur le lit une femme vêtue d’une tunique blanche assez collante, qui sanglotait, le visage dans ses mains ; elle portait les bijoux de la momie.

Martins admet qu’il a vu cela, mais il ajoute qu’il a bien pu se tromper, car son observation ne dura qu’un clin d’œil. À peine avait-il fait de la lumière et déchargé son arme, qu’il fut brusquement rejeté au fond de la garde-robe ; on poussa brutalement la porte sur lui, et cric ! crac ! deux tours de clé l’enfermèrent dans le meuble où il était caché.

Tous ses efforts pour sortir de l’armoire furent vains. L’ébéniste de lord Charing était, malheureusement pour le docteur, un homme consciencieux et ses meubles étaient solidement faits. Martins dut se résigner, non sans les plus grandes préoccupations pour sa vie ; la perspective de mourir de faim dans sa prison de bois lui paraissait fort triste. Il maudissait sa fatale curiosité, et envoyait la momie aux cinquante mille diables.

Il dut écouter les lamentations pendant plus de deux heures, après quoi des coups violents furent frappés sur la porte de l’armoire où il était enfermé, et il entendit un éclat de rire moqueur. Le médecin était trop inquiet de son sort pour songer à se fâcher.

L’état de lady Charing empira cette nuit même, et dès six heures du matin on dut aller prévenir Martins que Sa Seigneurie avait besoin de lui. Louise Morel, qui fut chargée de la commission, revint dire que la chambre du docteur était vide ; elle avait frappé, et n’obtenant pas de réponse, était entrée. Le lit n’était pas défait.

Lord Charing courut à l’appartement de Martins. Louise Morel disait vrai. Un examen attentif des lieux lui démontra que Martins ne pouvait être bien loin : son portefeuille, son porte-monnaie, sa montre étaient sur la table de nuit.

De la chambre du docteur, le comte ne fît qu’un bond jusqu’à celle d’Edward Rogers. Il entendit des plaintes étouffées, une voix lamentable appelait à l’aide, des coups répétés retentissaient contre la porte de l’armoire.

Lord Charing alla droit à la garde-robe et l’ouvrit. Le docteur apparut pâle, défait, à demi asphyxié.

— Pour l’amour du ciel, Martins, que faisiez-vous là-dedans ?

— La brute ! la brute ! répétait le médecin en respirant largement. Elle m’a enfermé !

— Qui, elle ?

— Eh ! le sais-je ? Une femme…

— Une femme ?

Martins se mordit la langue, mais c’était trop tard. Il dut raconter son aventure.

— Cela commence à devenir grave, déclara le lord en fronçant les sourcils.

— C’est la momie, murmura Ezechiel Symonds.

Martins, ayant réparé le désordre de sa toilette, alla voir lady Charing. Il reconnut que son cœur faiblissait et que l’état de sa santé était des plus critiques.

Dans la soirée, lord Dungald, le fils aîné de lord Charing, s’alita. Il avait des taches rosées sur le corps, et Martins diagnostiqua la fièvre typhoïde.

Le 19, lady Charing était plus malade ; lord Dungald avait 39°8 de température ; son frère, Lord Archie, dut garder le lit avec une forte, fièvre. À deux heures, Dan Mac Donald, mandé télégraphiquement par son frère, arriva à l’abbaye.

Les domestiques, effrayés par tous les malheurs qui fondaient sur la maison, avaient tenu conseil. William leur avait parlé du don de seconde vue qu’avait son frère, et il fut décidé à l’office que l’on ferait venir Dan à frais communs.

Le « voyant » demeura enfermé dans la galerie pendant plus d’une heure. À son retour il déclara que la momie était à n’en pas douter l’auteur de tout le mal, que de grandes catastrophes allaient éclater si l’on ne débarrassait pas le château de cet hôte dangereux.

Les domestiques, effrayés par les prédictions lugubres de Dan, le prièrent d’accompagner deux d’entre eux auprès du comte ; la délégation exprima à lord Charing son dévouement, et le pria d’écouter Dan, qui pourrait donner à Sa Seigneurie d’utiles indications.

— Parlez Dan.

— J’ai vu « la chose », Votre Seigneurie ; c’est bien elle qui rend milady et vos enfants malades ; elle ne veut pas rester ici. Il vous arrivera malheur si vous persistez à la retenir.

Les domestiques joignirent leurs supplications à celles de Dan et dirent au comte que s’il gardait la momie, ils seraient obligés de quitter son service, que personne ne les remplacerait, tant les événements survenus à l’abbaye avaient effrayé la contrée entière.

Lord Charing refusa de se prononcer sur l’heure ; mais les événements se précipitèrent de telle sorte qu’il dut, enfin céder.

L’état de lady Charing et de ses enfants empira, en effet, dans la journée du 19.

À onze heures du soir, lord Charing, très assombri, causait de tout cela avec Martins et Symonds dans son cabinet de travail ; il se promenait de long en large, regardant fréquemment vers les fenêtres

— Par Jupiter ! s’exclama-t-il soudain, la galerie est éclairée !

Les trois hommes se précipitèrent : la lumière que venait d’apercevoir le comte n’avait rien cette fois de surnaturel ; elle provenait d’un commencement d’incendie ; les rideaux de vitrage brûlaient et avaient déjà communiqué la flamme aux tentures. Il fallut arracher vivement les étoffes et les piétiner pour éteindre le feu. Les dégâts furent considérables : un portrait du troisième comte de Charing, par Van Dyck, était à peu près détruit.

— J’en ai assez ! que cette momie soit ou non ensorcelée, je l’apporterai demain matin au British Museum, déclara le lord.

Il sonna.

— William, prévenez Richard que j’aurai besoin de l’automobile demain à six heures du matin ; trouvez-vous ici à cinq heures et demie avec le charpentier, nous emballerons la momie.

— Bien. Votre Seigneurie.

Par une extraordinaire coïncidence, on chercha inutilement Richard ; on apprit qu’il s’était enfui avec une bohémienne de dix-huit ans, dont la tribu campait à quelques milles de l’abbaye ; il avait préparé son enlèvement, car ses effets avaient été expédiés la veille à Londres.

C’est sur ces circonstances que se fonde Martins pour attribuer tous les méfaits de la momie à Richard et à sa bonne amie. Le docteur est convaincu qu’il a blessé la jeune fille personnifiant le fantôme ; cette blessure, difficile à cacher, a dû précipiter la fuite du chauffeur français.

Quoi qu’il en soit, lord Charing en avait assez, comme il le disait. La princesse Nefert-thi fut emballée le 20 de grand matin, chargée sur l’automobile et transportée à Londres, où elle fut accueillie comme on sait par le respectable John Smith F. R. S.

Je dois ajouter qu’avec son départ le calme revint à l’abbaye. Les malades se rétablirent, les nuits devinrent paisibles comme autrefois, et les seuls maux irréparables furent la perte des beaux animaux de l’étable, celle du tableau et le bris du vase de Chine.

La momie avait fait pour dix fois son prix de dégâts.