L’Ancienne Alsace à table/Édition 1877/5

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Berger-Levrault et Cie (p. 121-149).
CHAPITRE V

Les champignons. — Sénèque et Clément VII. — Précautions à suivre. — Champignons d’Alsace. — Espèces diverses : helvelles, morilles, clavaires, hérissons, hydnes, bolets, agarics. — Deux importations politiques. — Anciennes méthodes d’assaisonnement. — Théorie du pâté. — Ses quarante-deux variétés en Alsace. — Les petits pâtés chauds. — Divorce entre les pâtissiers et les boulangers. — Un conflit entre deux villes impériales. — Mets anciens et singuliers. — Position et limites de la question. — Les Kalbsspisslein. — Les tétines de vache. — Le Katzengeschrey. — Faveur du cabri. — Le cochon de lait. — Apologie rustique du porc. — La tête du même. — Elle est l’occasion d’une leçon de civilité. — Menus souvenirs. — La poitrine de veau farcie. — L’ânon rôti. — Le chancelier du Prat. — Les Leberknœpfle et le roi Maximilien de Bavière. — Complainte sur le sort des anciens dindons. — La perdrix aux choux. — Le cerf aux pommes cuites. — Ancienneté de la découverte des vertus de la bécasse. — Les geais et les pies mourant pour la même pensée. — Les queues et les pattes de castor. — Animaux disparus, gibier légendaire : l’ours, l’aurochs, le wisent, le bœuf des bois, le bouquetin, le cheval sauvage. — Le Liber benedictionum de Saint-Gall. — Quelques singularités du monde des poissons. — Les œufs. — Le Pfannkuchen ; ses dix variantes. — Renseignements tirés d’anciens sermons. — Le Plattenmuss. — Les nouilles. — Les Wasserstriblen et Caton le Censeur. — Les Kæsknœpfle. — Le roncin de Belfort. — La soupe au vin. — Révélation d’un cordelier de Thann. — Les bouillies du temps passé. — Le Hirsbrey. — Nomenclature approximative. — Le Lebersal demeuré inconnu. — Le Hotzenblotz expliqué par un prédicateur.


Parmi tant de choses excellentes que la nature prodigue à l’homme pour les besoins de son entretien et pour la satisfaction de son penchant inné à bien vivre, les botanistes, les gourmets, les poètes et les cuisiniers ont toujours donné une place d’honneur aux champignons. Ils étaient fort estimés chez les Athéniens. Les Romains en étaient très-friands, et leurs descendants, les Italiens d’aujourd’hui, les aiment encore avec passion. Cicéron a décerné ses suffrages les plus flatteurs à ce végétal bizarre, mais délicieux, et Horace l’a chanté en fin connaisseur. Les plus grands personnages de l’empire épluchaient eux-mêmes les champignons, afin de bien goûter, par cette espèce de prélibation, les arômes exquis de ce comestible. Pline, du moins, le rapporte. On ne leur connaît qu’un ennemi sérieux, Sénèque : mais que leur importe l’aversion de ce philosophe morose, et que pèse-t-elle au prix de l’affection que leur portait le pape Clément VII, dont l’histoire raconte qu’il en avait défendu l’usage dans ses États de peur d’en manquer pour lui-même ? Rien ne démontre mieux le peu de succès qu’a obtenu la philosophie de Sénèque que de voir la sympathie actuelle des Tartares, des Russes, des Polonais et des Allemands pour les champignons.

La France compte environ 80 espèces de champignons comestibles ; c’est peu, si l’on compare ce chiffre aux 300 espèces qui se montrent sur le marché de Florence. Presque tous les champignons propres au sol de France sont représentés dans les montagnes des Vosges, mais leur usage est encore peu répandu. Les peuples des contrées boréales sont ceux qui savent le mieux en tirer parti. Ils sont loin d’être craintifs et soupçonneux comme nous le sommes ; ils usent, d’ailleurs, de procédés et d’épreuves héroïques qui enlèvent aux champignons leurs vices toxiques. Au moyen d’une coction préalable, de la simple macération dans l’eau, de la purification par le vinaigre ou par l’eau salée, les Bavarois et les Russes les mangent presque tous impunément. Une règle à peu près infaillible chez nous pour distinguer les bons champignons de ceux qui sont vénéneux est de s’en rapporter à l’impression qu’ils exercent sur les sens de l’odorat et du goût. Si leur odeur est suave et douce, si leur saveur rappelle celle de l’aveline, on peut en user avec sécurité, surtout pour les espèces qui naissent au bord des forêts, dans les bruyères, les friches, les broussailles et les pâturages. Mais il faut que la cueillette ne s’opère que sur des sujets jeunes et frais, que la substance du chapeau et du pédicule soit blanche, compacte, et que sa couleur ne s’altère point à l’action de l’air. Récoltées après un certain degré de maturité, les meilleures espèces deviennent dangereuses. En Allemagne, on mange très-communément des champignons crus. Cet usage existe aussi dans les Vosges. On prétend qu’ils sont plus délicats crus que cuits. Le docteur Mougeot, de Bruyères, aimait à les manger ainsi.

Nous connaissons, en Alsace et dans la région montagneuse des Vosges, neuf familles de champignons qui comprennent des espèces comestibles. Dans les helvelles, on signale la moricande, abondante dans les sapinières et les forêts du grès rouge ; l’ helvelle mitrée, espèce de morille noire d’automne, et la crépue, qui ne croît que dans les forêts de la région calcaire ; elles constituent un aliment sain et d’un goût agréable ; dans les morilles, l’espèce commune à chapeau conique, qui croît au mois de mai surtout dans les bois de la zone du grès rouge et de la région calcaire. Elle est très-estimée en Alsace. De tout temps elle a fait un objet d’industrie pour les habitants des campagnes qui les cueillent soigneusement et les vendent fraîches ou séchées. On l’emploie dans toute la province, et avec prédilection dans la cuisine strasbourgeoise où elle sert à parfumer les pâtés chauds, la fricassée de poulet, et à faire cortège à une belle noix de veau. La variété à chapeau arrondi est moins répandue. Parmi les clavaires, si abondantes en automne dans tous les bois sablonneux des Vosges et de l’Alsace, l’on mange la barbe-de-chèvre, les menottes jaunes, grises, améthystes, la menotte botryoïde, qui a la forme du chou-fleur et la sapidité la plus délicate, et la clavaire crépue. Les clavaires sont particulièrement goûtées dans le pays compris entre Saverne et Wissembourg, où on les prépare et les mange à la façon des asperges. Elles s’allient aussi très-bien avec le veau, le mouton et la volaille, qui y gagnent un fumet très-agréable. La famille des hérissons est moins commune dans nos régions que celle des clavaires avec laquelle elle a de grandes analogies ; ces champignons se présentent sous la forme de rameaux sortant d’une base épaisse et charnue, et le nom qu’ils portent leur vient de ce que le chapeau ou les ramifications sont recouvertes de pointes nombreuses. Ils naissent sur les vieux troncs de chênes, sur les souches antiques, sur les bois morts qui jonchent le sol des forêts. Dans les Vosges, on les connaît sous le nom de houppe des arbres. Cette famille compte, chez nous, deux espèces comestibles excellentes et très-estimées : le hérisson coralloïde et le hérisson commun. On les cueille à la fin de l’été et en automne. Le genre des hydnes est plus répandu. Il abonde, en automne, dans beaucoup de nos bois et dans les landes à bruyères. L’espèce la plus usitée dans l’alimentation est celle de l’hydne sinué, connu dans la langue populaire sous le nom de pied-de-mouton, de barbe-de-vache, de rignoche, etc. Sa chair est blanchâtre ou jaunâtre et a un léger arrière-goût de poivre qui ne déplaît point aux estomacs rustiques de nos montagnards. Il faut se défier des sujets qui, blancs au moment de la cueillette, contractent à l’air une nuance jaune plus ou moins prononcée. Ce champignon, dont les qualités comestibles sont connues et appréciées depuis longtemps, exige un assaisonnement dont l’énergie soit capable de dompter l’âcreté naturelle à sa chair ; le persil, l’ail, le verjus, le suc de citron, la muscade même, sont les meilleurs correctifs à employer. Le groupe nombreux des bolets comprend beaucoup d’espèces alimentaires, mais il en renferme aussi de suspectes et de dangereuses. On reconnaît les bonnes à leur odeur agréable, à leur couleur blanche, jaune, brunâtre, quelquefois teintée d’un rouge vineux sur les bords, à l’inaltérabilité de leurs nuances. L’apparition du gris, du bleu, du violet est un avertissement qu’il faut les rejeter sans pitié. Il est assez difficile de désigner sous des noms français toutes les espèces de bolets familières à notre pays. La plus répandue est celle du bolet comestible proprement dit (Boletus edulis). Ce champignon, qui porte en France le nom de cèpe, est récolté dans les bois depuis le mois de juillet jusqu’en septembre ; son chapeau atteint très-souvent un diamètre de 6-7 pouces. Sa saveur est des plus agréables. Jusqu’en 1738, il était dédaigné en Lorraine et en Alsace. Sans les orages politiques qui agitèrent la Pologne, à cette époque, il le serait peut-être encore. Mais le roi Stanislas, chassé de ses États, ayant obtenu le duché de Lorraine de son beau-père[sic] Louis XV, avait amené avec lui une colonie de seigneurs et d’officiers polonais qui ne tardèrent pas à mettre ce bolet en vogue. La gratitude des Lorrains consacra le souvenir de cette révélation gastronomique ; le bolet, dans cette province, n’est désigné dans l’usage que sous le nom de polonais. Les Alsaciens profitèrent d’une révélation si utile. Après le polonais viennent le bolet orangé, qui croît à l’orée des bois de la région du grès vosgien ; le bolet rude (Scaber) ; le foie-de-boeuf (all. Leberpilz) ; le pied-de-mouton noir (all. Ziegenfuss), très-recherché et d’un goût très-agréable ; le polypore en bouquets ou poule-de-bois (Klapperschwamm), qui se présente sous la forme d’une réunion de chapeaux imbriqués, dont le poids s’élève parfois à 20 livres ; puis quatre espèces essentiellement allemande : le Kuhschwamm (Boletus bovinus), l’Eichhase (B. umbellatus), le Bingpilz (B. luteus) et le Schmerling (B. granulatus), qui jouit d’une considération particulière auprès des gourmets de Mulhouse. Je donne les noms latins de ces espèces, non par pédanterie, mais faute de mieux. Mais au-dessus de tous les bolets trône le bolet bronzé, le plus suave et le plus délicat de tous les membres de cette intéressante famille ; son chapeau brun à reflets métalliques lui a fait donner le nom de gendarme noir.

Le groupe des agarics est le plus riche de toute la classe de ces êtres végétaux bizarres qui exercent depuis si longtemps la patience et la curiosité des botanistes. Il contient un grand nombre d’espèces alimentaires, savoureuses et délectables, mais une très longue expérience et l’attention la plus vigilante peuvent seules affranchir nos tables du danger d’y voir apparaître sous des formes séduisantes les poisons les plus perfides et les plus violents. Je ne citerai pas toutes les bonnes espèces d’agarics, je me bornerai à celles qui sont le plus usuelles et le plus répandues dans nos contrées, telle que la cormelle fauve, dont le parasol mesure de 20 à 25 centimètres, qui est excellente ; la tête-de-Méduse ; le mousseron, qui croît en mai et que l’on apporte, à cette époque, en grande quantité sur le marché de Strasbourg où il est très-recherché ; le faux mousseron, d’un blanc roux, que l’on sèche et garde pour l’hiver ; la poule-de-chêne (en patois lorrain covrosse), très-usitée dans le Bas-Rhin au dix-huitième siècle, dédaignée ou devenue rare aujourd’hui[1] ; le lactaire doré, dont nos aïeux étaient très-friands sous le nom de Bratling ; la vache-rouge ou agaric délicieux, selon que l’on préfère la nomenclature adoptée par le peuple des Vosges ou celle de Linné ; le mousseron blanc, l’agaric virginal (Heiderling) que les Alsaciens du seizième siècle, suivant Jérôme Bock, rôtissaient simplement sur le gril en l’assaisonnant d’une vigoureuse pincée de sel ; la chanterelle (jauniré, jaunelle, girolle), que nos anciens cuisiniers appelaient Rehling, Rehgeis ou Eierschwamm et qu’ils apprêtaient avec une sauce au beurre, au gingembre et au vinaigre ; l’agaric solitaire, grande et belle espèce, rare et recherchée à cause de sa chair blanche et ferme ; la vache-blanche ou agaric poivré, que son amertume et sa pesanteur indigeste n’ont pas encore réussi à bannir de l’affection des Vosgiens ; la bise rouge, la bise blanche, la bise bleue, qui passent pour un mets exquis chez nos voisins de la Haute-Saône, la bise verte de nos sapinières, qui exhale un parfum d’anis et que les gourmands se disputent sur le marché d’Épinal ; l’agaric violet, qu’on mange à Jussey et à Monthureux ; l’agaric champêtre, vulgairement potiron, et en Lorraine misseron ou saussiron ; il croît en automne, dans les bois, et surtout dans les prairies fréquentées par les chevaux ; c’est le champignon par excellence, la souche naturelle de celui que l’art est parvenu à reproduire et à cultiver dans les souches ; beaucoup de jardiniers de grande maison s’adonnent à sa culture, et on le trouve en assez grande abondance sur nos marchés ; l’oronge vraie, le plus noble et le plus savoureux de tous les champignons, qui porte dans la science le titre royal de Cæsareus, dans l’allemand d’Alsace celui de Kayserling, Herrenpilz ; dans le français sans-façon des Vosgiens on se contente de l’appeler Jaseran. Horace, Juvénal, Martial l’ont célébré dans leurs vers ; Apicius a disserté publiquement sur l’art de le préparer, et Néron a exprimé son fanatisme pour l’oronge en l’appelant le mets des dieux, cibus deorum. L’oronge blanche, familière aux Vosges du sud-est, n’a jamais atteint à la réputation de sa sœur ; cependant elle est excellente. Je ne parlerai point des espèces méprisées, ni de celles qu’une terreur salutaire tient éloignées de nos cuisines. Mais je dois remarquer que parmi les premières figure un champignon que les soldats russes mangeaient couramment dans nos pays pendant l’occupation de 1816 à 1818 : c’est la pezize noire (Bulgaria inquinans) qui croît en abondance sur les troncs de chênes récemment abattus. Le docteur Mougeot rapporte ce fait, qui ne m’étonne plus depuis que je sais que les Russes ont trouvé le moyen de manger le lactaire meurtrier (Agaricus necator) dont le nom seul fait reculer d’effroi. Nos paysans cauteleux ne s’exposeront jamais à pareil danger. Tout au plus courront-ils le hasard de se tromper en recueillant sur les vieux troncs de sureaux un champignon qui, au lieu d’être un aliment agréable, n’est qu’un purgatif énergique. C’est à cette déception, sans doute, que ce champignon doit le désagrément de porter le nom du modèle des traîtres : Oreille-de-Judas[2].

Quant au mode de préparation des champignons, nos anciens, on le devine bien, étaient loin de se douter à quelle hauteur artistique, à quel caractère transcendant les virtuoses modernes pourraient le porter. La haute école fondée par le génie de Carême, de Plumerey, de Grimod de la Reynière et de Brillat-Savarin n’avait pas même été entrevue en espérance par eux. Ils s’en tenaient à des pratiques d’une extrême simplicité, à des procédés naïfs et sommaires. Ordinairement, ils exposaient le champignon sur le gril à la braise vive ; quelquefois ils le confiaient à la casserole menée par un feu doux et modéré. Dans les deux traitements, l’assaisonnement était bref et économique : le beurre, le sel, le poivre, le vinaigre, le gingembre, la muscade, quelques herbes domestiques, quelques aromates exotiques, tel était le cercle borné de ressources où s’était emprisonnée l’imagination des anciens cuisiniers. Un principe absolu dominait la matière, c’est que le champignon exigeait une cuisson énergique, prolongée, complète, et qu’il requérait une forte dose d’épices, non pas associées, combinées, mais prises individuellement, séparément, selon le goût qui devait caractériser le mets ; ainsi force sel ici, force poivre là, ailleurs une vive prédominance de gingembre, ailleurs encore une pointe stimulante de basilic ou de menthe. Dans les campagnes, on mélangeait les champignons avec des poires sauvages, avec des quartiers de fruits séchés (Schnitzen) ; ce plat n’en avait que plus de mérite. L’on avait aussi essayé alors déjà de neutraliser les principes malfaisants des champignons douteux par l’association de certaines substances. La chair de corneille passait pour posséder cette vertu. Le docteur Jérôme Bock nous l’enseigne positivement, et il ajoute que des corneilles et des champignons bouillis ou rôtis ensemble constituent un mets très-agréable. C’était double profit. Je ne recommande ni le procédé, ni le plat. Les amateurs de notre siècle, qui désirent d’être éclairés à fond sur l’art de préparer et d’apprêter rationnellement tous les êtres inoffensifs qui appartiennent à la mycéthologie, peuvent s’abandonner avec confiance au docteur Roques, qui, en traitant ce sujet, s’est montré aussi grand cuisinier que botaniste savant.

D’où vient le pâté ? Est-il égyptien, grec, romain ? Nous pouvons l’ignorer sans rougir. L’antiquité classique le connaissait et il a honorablement traversé les siècles. Cela peut suffire. À Athènes on en mangeait sous le nom d’άρτοχρέας, et le poëte romain Perse a transporté cette expression dans la langue latine. Je crois volontiers que tous les peuples qui ont eu la passion de construire et qui ont possédé le sentiment de l’architecture, ont été naturellement conduits à confectionner des pâtés. Édifier un pâté, ce n’est pas autre chose que de transporter dans le domaine de la cuisine l’art de bâtir, et de soumettre les matières alimentaires aux règles d’une disposition savante et d’une ingénieuse ornementation. La coupole élégante, la rotonde sévère, le quadrilatère respectable, le carré long, l’ovale, l’hexagone, la noble figure à huit pans, toutes les formes variées de la géométrie sous lesquelles se présente le pâté, ne sont-elles pas visiblement inspirées ou déduites des monuments civils et religieux, le théâtre, le temple, les arènes, le bastion, la tour de guerre ? Ces petits édifices passagers et domestiques n’ont-ils pas, comme les édifices durables de la cité, leur harmonie étudiée, leur aspect artistique, leur système de décoration destiné à charmer les yeux ? Ils ont leurs frises historiées, comme le Parthénon grec a les siennes, et leur mince vêture est animée d’aussi nombreux bas-reliefs que le sont les murailles du Panthéon romain.

En Alsace, l’institution du pâté a toujours été assise sur des fondements larges et rassurants. La chair des animaux domestiques, la volaille des basses-cours, le petit gibier, la grande venaison, les poissons, les écrevisses, les escargots, tous les éléments les plus nobles de la cuisine se disputaient tour à tour l’honneur de contribuer à sa fortune. D’après le recensement scrupuleux que j’ai fait, je puis fixer à quarante-deux les variétés de pâtés en usage dans notre pays, depuis plusieurs siècles. Je les dénombre d’après leur ordre de mérite : le pâté de chair de bœuf ; c’était le plus commun de tous ; on n’y recourait que dans des cas de presse ; la viande devait être marinée au vinaigre et avec des baies de genévrier ; le pâté de veau ; le pâté d’agneau ; le pâté de mouton ; le pâté de chevreau ; on ajoutait à ces quatre espèces des ris et des rognons de veau, des boulettes de moelle et des cretons de lard frais ; les condiments requis étaient le persil, la marjolaine, le gingembre, le poivre, la muscade et les girofles. La recette est sûre ; elle est de Bernardin Buchinger, abbé de Lucelle, et membre du Conseil souverain d’Alsace, à qui nous devons un livre de cuisine très-précieux[3] ; pour les rendre plus délicats, on y ajoutait des câpres fraîches, des zestes de citron ou d’orange, et quelquefois des groseilles ou des grains de raisin mal mûr. C’est encore l’abbé-conseiller qui indique cette sensualité. Quand le pâté était sur le point d’être cuit, on y infusait un généreux bouillon mêlé de verjus, de jaunes d’œufs et de safran. — Puis vient la série des pâtés de volaille domestique : pâté de poulets, pâté de chapons, pâté d’oie, pâté de canard, pâté de dindon, pâté de pigeons ; le pâté de paon était un article de haute pression, mais qui était moins destiné aux convoitises de l’appétit qu’à produire de l’effet et à présenter un spectacle ; le mausolée qui renfermait ce roi des basses-cours devait être paré de sa dépouille, brillante, tête, ailes et queue. Le gibier apportait un riche tribut de sacrifices à cette branche importante de l’art de nourrir. Il était offert en holocauste à la gourmandise de nos pères, dans les pâtés de cerf, de sanglier, de marcassins, de chevreuil, de lièvre ; les pâtés de lièvre d’Obernai surtout sont renommés ; une famille de cette ville, les Wagner, y a acquis et y conserve une réputation qui remonte à la fin du règne de Louis XIV ; tous les hivers, elle en fait des expéditions importantes au loin[4]. L’implacable génie de la cuisine n’a pas épargné le plus charmant des rongeurs, le folâtre et adroit écureuil, le singe de nos forêts vosgiennes. On le met en pâté, lui aussi, dans la vallée de Sainte-Marie-aux-Mines et dans toutes nos montagnes. Hélas ! il est excellent ! J’ai beau soupirer, j’en ai mangé. Après cela, comment s’étonner que toute la gent emplumée des forêts, des champs, des prairies et des montagnes, ait été impitoyablement mise au carnage et façonnée en pâtés de cailles, d’alouettes, de merles, de pinsons, de mésanges, de bécasseaux, de perdrix, de gelinottes, de grives, de faisans, de canards sauvages, de coqs de bruyère ; j’ai déjà raconté que le grand Condé avait été régalé d’un pâté de tétras, par le maréchal de Guébriant, au château de Dachstein[5]. La série des pâtés prélevés sur la faune vosgienne serait complète si j’avais pu trouver quelque gentilhomme du pays qui eût régalé de belles dames d’un pâté de loup, à l’imitation de Louis XIII, qui poussa une fois sa facétieuse mélancolie jusqu’à en faire servir un de cette espèce aux filles d’honneur de sa femme, Anne d’Autriche ; mais sous le voile du pseudonyme bien entendu. Parmi les poissons, la carpe, le brochet, le saumon, les saumoneaux, les goujons, la truite, étaient mis à une dure contribution ; les pâtés de truites de Sainte-Marie-aux-Mines étaient renommés au temps passé ; le pâté de morue, bien assaisonné, et relevé d’un hachis d’oignons verts était une munition de carême estimée ; le pâté d’écrevisses était une composition assez compliquée et qui serait, je crois, d’une originalité fort dissidente avec nos goûts d’aujourd’hui ; on dépouillait de leur armure les membres de l’écrevisse et en les rangeant dans la terrine à pâté, on les entremêlait de poires sèches ou de pommes farcies, puis on coulait sur ces matériaux ainsi disposés une espèce de béton aromatique composé d’œufs battus, de figues et de raisins de Corinthe hachés, de beurre frais, de safran, de sel, de persil, de cannelle, de vin et de sucre. La cuisson devait être opérée lentement et à un feu très-doux. C’est encore une formule de l’abbé Buchinger, qui recommande aussi les pâtés d’escargots, pâtés maigres très-fins et fort en honneur sur les tables orthodoxes des dignitaires ecclésiastiques. — Quelques fruits spéciaux étaient même entrés dans le domaine du pâté. L’on faisait, en Alsace, au dix-septième siècle encore, des pâtés de coings ; on cuisait le fruit dans un vin généreux que l’on surexcitait par une riche adjonction de cannelle, de gingembre, de safran, de poivre, de sucre ou de miel. Mais au-dessus de toutes les variétés nombreuses du pâté, la première place appartenait au foie gras dont j’ai abondamment parlé, et par delà les régions connues, dans une solitude presque inaccessible, régnait le pâté de foies de lottes que j’ai déjà indiqué. — En dehors de ces individualités sérieuses, nos anciens connaissaient aussi déjà et pratiquaient avec succès les petits pâtés chauds, miniatures gracieuses et succulentes que l’on plaçait à l’entrée du dîner comme on place un avant-propos souriant en tête d’un livre grave. Les anciens formulaires nous offrent de ces petits pâtés faits avec de la chair de veau ordinaire, des ris et du palais de veau, de la viande de bœuf hachée, du poisson, des épinards, des boulettes de moelle de bœuf, du riz au lait, du fromage, etc. Le mérite de chacun de ces caprices culinaires réside, comme de juste, dans la délicatesse, la convenance, la perfection esthétique de l’apprêt.

L’industrie des pâtissiers publics a joué de bonne heure un rôle notable dans l’art alimentaire. Dans les anciens temps, les boulangers préparaient, fabriquaient les pâtés et toutes les espèces de pâtisseries. Mais cette branche d’exploitation avait acquis une telle importance au seizième siècle que le Magistrat de Strasbourg crut devoir, en 1557, rendre une ordonnance qui prononça sa séparation des professions de boulanger et de pâtissier[6]. Ils travaillaient à forfait et à façon, comme on le voit par le tarif général des denrées dressé officiellement en 1646. Ce tarif accorde aux pâtissiers, par exemple, « pour rôtir un lièvre en pâté de bonne pâte », 6 schillings, et 4 schillings pour le pâté dit Lummel-Pastet, « dans lequel le pâtissier mettra une livre et demie de viande[7] ». La corporation des pâtissiers de Strasbourg était très-jalouse de ses droits et très-susceptible pour tout ce qui touchait à sa réputation. En 1669, elle attira au gouvernement de la république des difficultés diplomatiques très-ardues et très-vives avec la ville de Francfort. Un pâtissier de cette cité, Franz Dickhauss, avait calomnié ses confrères de Strasbourg, soit en dépréciant leurs produits, soit en inculpant leur méthode ou leur moralité industrielle. La maîtrise de Strasbourg s’émeut et réclame l’intervention du Magistrat : de là une longue et pénible négociation avec lettres, requêtes, protocoles, mémorandums ; les pâtissiers de Strasbourg triomphèrent ; le méchant Dickhauss fut contraint à se justifier ; ne l’ayant pu, il fut obligé de confesser ses torts et de donner réparation d’honneur[8]. Et si Dickhauss ne s’était point soumis, demanderont peut-être les politiques ? Ma foi, dans ce cas, une guerre de plus aurait peut-être été ajoutée à toutes les guerres qui décorent et animent la sérieuse histoire.

L’on ferait un livre, et qui pis est, un livre de cuisine ennuyeux et fort gros, si l’on se laissait dériver à la tentation de noter, de dénombrer et de décrire tous les modes d’apprêt, toutes les formes d’accommodage, toutes les combinaisons gustuelles, que les anciennes écoles culinaires s’étaient ingéniées à trouver et à répandre dans la pratique, pour diversifier l’alimentation de l’homme, le seul animal qui présente cette singularité curieuse d’avoir besoin d’une plus grande variété dans les mets qui le nourrissent, à mesure qu’il progresse dans les différentes voies de sa perfection individuelle ou sociale. Je ne ferai donc pas la nomenclature des nombreuses recettes, des formules variées qui ont été appliquées anciennement à chaque ordre de ressources alimentaires, chairs des animaux élevés en domesticité, viandes des bêtes libres et sauvages, légumes, fruits, plantes, farinages, laitages et le reste. Ce serait descendre à l’humilité des manuels de la pratique, au lieu de se maintenir au niveau de l’histoire qui ne doit remarquer que les choses véritablement intéressantes, s’éloignant de la vulgarité prosaïque du train de tous les jours, dignes de souvenir, soit par leur étrangeté avec nos usages actuels, soit par leur caractère de haute fantaisie, soit par la singularité de leurs origines, soit par la persistance de leur domination. À ce titre, je dois, dans une revue rapide, faire connaître à mes lecteurs, quelques mets anciens qui se recommandent à leurs sympathies, les uns par leur air de nationalité alsatique, les autres par la bizarrerie, l’excentricité de leur invention, d’autres encore par leur célébrité locale ou par l’illustration des personnages historiques qui nous en ont transmis la mémoire. Voici, par exemple, des Kalbs-Spisslein. Comment traduire ce mot ? Le plus court, c’est de ne pas le traduire et de définir la chose elle-même. Les moines de Lucelle la connaissaient fort bien ; elle figure dans le livre de cuisine qu’écrivit leur plus savant abbé, Bernardin Buchinger. Lisez la recette de ce mets oublié, emporté par l’injure du temps, et s’il vous agrée de goûter une délicatesse qui réjouissait ces bons moines il y a deux cents ans, commandez à votre cordon-bleu d’en tenter l’expérience. Elle prendra un beau morceau de veau… (de tout temps, on a dit dans la langue positive et confiante de la cuisine : prenez un lièvre, prenez ceci, prenez cela) ; votre cordon-bleu prendra donc un beau morceau de veau qu’elle aplatira sous de vigoureux coups de maillet ; elle le taillera en poupiettes[sic] larges mais minces ; ces tranches seront gravées de profondes ciselures et ointes avec du lard haché, de la moelle de bœuf, du persil, du romarin, de la marjolaine, de la sauge, et des baies de genévrier pilées ou de gingembre ; ainsi préparées, les poupiettes sont roulées, mises à la broche et servies tantôt sèches, tantôt masquées d’une sauce rousse[9].

Les tétines de vache, coupées en dés et cuites au bouillon gras avec beurre frais, muscade, romarin, sauge et autres aromates indigènes, me paraissent avoir constitué un mets assez suspect[10]. J’aime mieux pour le nom et pour la chose le Katzengeschrey ; le plus ancien souvenir en remonte au vénérable sermonnaire Jean Geiler[11], et le savant Oberlin nous apprend que, de son temps, cette expression était encore usitée, aussi bien que le mets qu’elle dénomme[12]. Il se donne même la peine de le définir : Cibus e variis carnibus mixtus. Ce plat est encore actuellement pratiqué en Bavière et en Souabe sous le même nom. Il est fort simple, et digne de respect, parce qu’il est une inspiration du génie économique de la mère de famille. Il est composé des ruines de quelque rôti majestueux de la veille et d’autres reliefs des grandes pièces de viande ; ces débris sont coupés en petits dés et cuits dans une sauce jaune[13]. Mais qui nous expliquera la cause du nom extraordinaire et fantastique que l’imagination du peuple a imposé à une chose aussi innocente ?

Je crois qu’il y a bien longtemps que le cabri n’est plus admis sur les tables où règne quelque bon goût. Il était pourtant estimé dans les siècles précédents. Au dix-septième, on le tranchait en quatre quartiers ; on oignait la chair avec de la sauge, de la marjolaine, du romarin, du lard doux, des zestes d’orange ou de citron ; on rôtissait les quartiers à la broche. Ainsi paré, le cabri réjouissait les plus difficiles[14].

Le cochon de lait était bien autre chose ! Célèbre chez les anciens, il est resté fameux chez les modernes, du moins chez les campagnards alsaciens et chez les artisans des villes. Quatre semaines, tel était l’âge que les canons de la vieille cuisine lui avaient assigné ; il ne devait pas le dépasser. La table des gens de gros appétit ne connaissait pas de plus beau trophée dominical que le cochon de lait (Spanferkel, Spiferlein) doré au feu actif de la broche ou rôti au four ; on ne le présentait pas comme ces bêtes sans aveu que donne le hasard de la chasse ; il était de la maison, et il portait dans sa bouche une pomme, symbole des droits civils et des liens domestiques qui le rattachaient à la famille et à la société. C’était plus qu’un aliment ; il était un objet de plaisir, un sujet de fête. Il avait même l’honneur de passer pour un remède. On le conseillait aux malades et aux personnes atteintes de maigreur ou de dépérissement. Heureuse époque, où la médecine puisait avec plus de confiance ses miracles dans la cuisine que dans la pharmacie ! Cette affection de l’Alsacien pour le cochon de lait n’était, d’ailleurs, qu’une conséquence de son estime pour le porc qui, dans son opinion, était l’animal par excellence, utile jusque dans sa dernière fibre, profitable jusque dans les dernières parcelles de sa substance. Le paysan de nos plaines mettait sans hésitation la chair du porc gras au-dessus de celle de la volaille, et il avait concentré ses sentiments d’admiration pour ce pachyderme dans cette vive image : Si le porc avait des plumes et s’il pouvait voler par-dessus les haies, il serait le meilleur et le plus magnifique des volatiles[15].

La tête de porc était un des morceaux nobles de cet animal. Elle était mise en œuvre entière. Après l’avoir échaudée, on la flambait à un feu de paille bien nourri, afin de la noircir et de lui donner, par cette opération, l’aspect et l’illusion d’une hure de sanglier. On la cuisait dans une eau mêlée de vinaigre ou de bon vin, vieux et fort, avec un gros bouquet de sauge et une poignée de baies de genévrier. Elle se servait froide et entourée de sa gelée. L’empereur Rodolphe de Habsbourg paraît l’avoir appréciée sous cette forme. Quand il voulut récompenser la brutale franchise d’une boulangère de Mayence qui l’avait injurié sans le connaître, il lui fit porter le chef de porc qui figurait, ce jour-là, en tête du menu de son dîner[16].

Ce mets me rappelle une vigoureuse et spirituelle saillie d’un bon vieux curé lorrain, que j’ai tendrement aimé et dont je vénère pieusement la mémoire, à cause de ses vertus, de son savoir et de sa rare philosophie. Prêtre déjà à la Révolution, il n’avait voulu faire partie ni du clergé assermenté, ni du clergé réfractaire ; il se fit soldat. Après le Concordat il rentra dans sa cure, et ne la voulut jamais quitter, même sous l’offre des plus honorables dignités. — L’abbé C***, majestueux vieillard de soixante-dix ans, à stature imposante, voyageait, un jour froid d’automne, dans les montagnes, à pied, suivant son habitude ; il portait son tricorne sous le bras, la tête seulement protégée par ses vénérables cheveux blancs. Au sommet d’une côte, il fait la rencontre de quatre bûcherons ; il s’arrête pour leur demander quelques indications sur le chemin à suivre. Les quatre manants restaient impertinemment couverts. Le bon philosophe n’y prenait point garde. Mais l’un des rustres eut la tentation d’être facétieux : « Couvrez-vous, Monsieur le curé, dit-il ; les têtes de veau ne sont bonnes que chaudes. — C’est juste, répondit le curé en plaçant son chapeau sur sa tête ; et vous, ôtez vos casquettes, ajouta-t-il avec autorité, car vous savez que les têtes de cochon ne sont bonnes qu’à la gelée. » Les bûcherons se découvrirent.

Revenons aux mets singuliers ou oubliés. Que pensez-vous du filet de bœuf rôti nageant dans une forte sauce au vin[17] ? de la langue de bœuf à la sauce douce faite avec du vin, de la farine roussie, des raisins de Corinthe, des amandes, du gingembre et de la cannelle[18] ? du conseil que donnait un médecin de cuire des branches de figuier dans le pot-au-feu pour assurer au bouilli la tendreté et l’esculence qui en font le prix[19] ? — À quelle époque remonte chez nous l’emploi du mouton à la daube ? À la fin du dix-septième siècle au moins, puisque je le trouve mentionné, sous cette désignation gallicane même, dans un état de revente de comestibles faite en 1711, par le maître d’hôtel des comtes de Ribeaupierre[20]. La poitrine de veau farcie, si populaire de nos jours, est d’une antiquité plus vénérable ; les Romains nous l’ont enseignée le jour même où ils ont mis pied sur les bords du Rhin[21] ; Apicius la recommandait. Nos aïeux ont-ils mangé de l’ânon rôti ? La question n’est pas aussi déplacée qu’elle le paraît. Les Romains en mangeaient. Le chancelier du Prat était si friand de la chair de ce quadrupède, qu’il le faisait figurer très-souvent aux repas de François Ier[22]. Je suis autorisé à croire que les Alsaciens en mangeaient au treizième et au quatorzième siècle, puisque le chroniqueur du couvent des Dominicains de Colmar signale comme une nouveauté digne de remarque l’introduction de cet aliment dans la cuisine de son siècle[23].

Les quenelles de foie de veau (Leberknöpfle) constituent, depuis un temps immémorial, en Alsace et dans toute l’Allemagne, un mets national et très-usité. On le voit figurer dans les plus anciens bréviaires de la gastronomie germanique. C’est encore aujourd’hui un régal estimé et en honneur sur les tables de la bourgeoisie modeste, mais qui se pique de bien vivre et de demeurer fidèle aux vieilles traditions. Le prince Maximilien de Deux-Ponts en était un amateur déclaré. Il n’oublia pas, sur le trône de Bavière, le plaisir que cet aliment lui avait si souvent procuré dans ses jeunes années, lorsqu’il était colonel du régiment d’Alsace. Devenu roi, il fit venir à la cour de Munich et prit à son service, pour remplir la fonction spéciale de faiseuse de quenelles de veau, une brave Alsacienne, Mme  Kayser, veuve d’un chirurgien-major du régiment que ce prince avait commandé[24]. Tous les rois ne sont pas ingrats.

Je ne donne qu’une simple mention aux gâteaux de hachis de viandes[25], aux issues d’oie préparées en civet ou bouillies au safran[26], aux chapons rôtis et relevés d’une sauce à l’orange[27]. Mais je ne puis passer sous silence un raffinement barbare que le bon vieux temps, dont l’on nous vante toujours la simplicité, avait imaginé pour donner une délicatesse particulière à la chair du dindon. Le dindon désigné pour le sacrifice est soumis à un jeûne absolu pendant une demi-journée ; son heure fatale sonne ; alors on le pourchasse ardemment par toute la basse-cour, de façon à le réduire au dernier degré de l’exaspération et de l’épouvante ; dans cet état d’exaltation douloureuse, on le saisit et on le garrotte comme un criminel, puis on lui infuse de vive force un demi-verre de vinaigre saturé de sel et de gingembre ; il est à l’agonie ; mais les affres de la mort ont communiqué à sa chair les qualités voluptuaires qu’attendait la cruelle imagination des cuisiniers ; à ce moment suprême, on lui passe la hart au col et on étrangle le patient. La suite de la cérémonie est moins tragique. Le dindon mort reste suspendu pendant deux ou trois jours à l’air ; alors seulement on le plume, on le vide, puis on le passe à l’eau bouillante et de celle-ci à l’eau froide ; on le frotte résolûment avec du poivre et du sel, on le pique avec du lard, de la cannelle et des clous de girofle, et on le met à la broche par un feu mené modérément. Cette méthode acerbe de préparer le dindon, née certainement dans la dureté du monde séculier, avait été adoptée par le couvent de Lucelle[28].

Dans le domaine du gibier, je remarque que nos anciens préparaient déjà les grives avec les exquises rôties de pain que nous aimons encore aujourd’hui[29], qu’ils connaissaient la perdrix aux choux et même les alouettes aux choux[30], qu’ils farcissaient l’oie et le cochon de lait avec des pinsons, des mésanges ou d’autres petites bêtes[31].

Le cerf ou le chevreuil à la sauce douce était un mets de choix. On grillait des pommes dans du saindoux ; on animait ces pommes par une infusion de vin vieux, du sucre, de la cannelle, des girofles ; on y ajoutait des amandes blanches et des raisins de Corinthe ; on laissait cuire doucement[32].

Les mérites mystérieux de la bécasse avaient aussi déjà été devinés. Elle passait, comme de raison, pour un oiseau délicieux. Après trois jours d’exposition au grand air, elle était plumée ; mais on ne la vidait point. Piquée avec de la cannelle et des girofles, saupoudrée de sel et habillée d’une barde de lard, elle était mise à la broche en travers. Quand elle commençait à suer et à gonfler, on disposait sous la bête, dans un lèchefrite, des rôties de pain vigoureusement épicées qui recevaient le jus du gibier. Pendant que cette opération chimique s’accomplissait, on ne devait pas négliger d’arroser la bécasse soit avec du lard fondu, soit avec du bouillon gras[33]. C’est à peu près la méthode actuelle. Mais comment pouvait-on prendre plaisir au mets que voici ? On cuisait des geais et des pies dans un mélange d’eau et de vin qu’on avait soin d’écumer comme le pot-au-feu ; puis on masquait cet indigne gibier d’une sauce brune composée du bouillon fourni par ces bêtes, de farine roussie, de gingembre, de poivre et de cumin[34].

Je vais parler d’un autre mets dont la seule indication éclaire curieusement une question d’histoire naturelle très-intéressante, mais fort ignorée. À quelle époque, le castor d’Europe, que les naturalistes appellent le bièvre ou le bifre, a-t-il disparu du sol de l’Alsace ? Les écrivains réguliers ne nous l’apprennent point, mais les historiographes de la cuisine nous informent que ce rongeur amphibie, cet ingénieur si sociable, résidait encore sur nos rivières au dix-septième siècle. Ils parlent des pattes et des queues de bièvres mises en civet[35] (Biber Schwanz und Datzen in schwarzem Brühlin). C’était un plat maigre. Le fait de la présence du bièvre en Alsace, il y a deux cents ans, quoique peu remarqué, n’a rien qui doive surprendre. Nos Vosges profondes, alors couvertes de vieilles et épaisses forêts et où régnaient de longues solitudes, avaient plus d’une ressemblance avec certaines régions des Alpes. Or, nous savons qu’au seizième siècle encore le castor vivait en société sur la Reuss, l’Aar et la Limmath[36]. Pourquoi n’aurait-il pas habité les hautes parties de l’Ill, le cours sauvage de la Fecht, les rives rocheuses de la Thur, les méandres que la Bruche promenait dans les bois presque ignorés et dans les déserts des montagnes ?

L’Alsace a vu disparaître, s’éteindre, bien d’autres espèces d’animaux qui ont incontestablement servi à l’alimentation de l’homme. J’ai parlé des ours et des droits seigneuriaux que plusieurs princes s’étaient réservés soit sur les pattes, soit sur le chef de cette bête[37] ; on en a tué encore dans la vallée d’Andlau, en 1695[38], et le dernier exemplaire connu a été abattu dans le val de Munster en 1786[39]. L’aurochs a été chassé dans nos montagnes par les rois de la première et la seconde race. Le wisent ou bison n’a disparu qu’après l’aurochs, et au seizième siècle, les Vosges d’Alsace offraient encore au chasseur le bœuf des bois, qui n’était que le bœuf ordinaire à grandes cornes vivant dans les forêts à l’état sauvage[40]. Le bouquetin, animal qui est devenu rare même dans les Alpes des Grisons, a encore été vu en Alsace dans ce siècle ; on en a tué un dans les hautes montagnes du groupe du Hoheneck vers 1810. Enfin, le médecin Rösslin signale fort au long la présence dans les Vosges, à la fin du seizième siècle[41], du cheval sauvage (Equus feralis). Le mangeait-on ? Il se peut qu’à cette époque sa chair eût été exilée des cuisines et qu’on se bornât à le capturer pour le réduire en domesticité, où il devenait, dit Rösslin, l’égal des chevaux espagnols et turcs. Mais je ne vois pas pourquoi sa chair eût été méprisée dans les siècles, comme nous le voyons par le Liber benedictionum, composé en l’an 1000 par Ekkehard VI, moine et maître des écoles de cette maison ; ce livre est une espèce de rituel gastronomique qui contient les diverses formules de bénédiction que l’on devait prononcer sur chacun des mets servis sur la table du couvent. Ces formules sont en vers alexandrins et contiennent des renseignements bien précieux sur les usages alimentaires de cette époque reculée. La viande de cheval sauvage y est désignée. Une de ces formules nous révèle aussi que les moines de Saint-Gall appréciaient la marmotte comme un gibier délicat, car en présence de ce plat, ils ajoutaient à leur Benedicite ce souhait d’une sensualité réfléchie : « Puisse notre bénédiction la rendre grasse. » Cette qualité est, en effet, encore son mérite principal aux yeux des amateurs de notre temps.

Parmi les poissons, j’ai à mentionner quelques singularités caractéristiques entièrement tombées dans l’oubli ou abandonnées par l’art moderne ; par exemple, les truites séchées ; en 1594, les conseillers de la régence d’Ensisheim prescrivirent au bailli de Waldkirch d’en envoyer une provision à Fribourg pour défrayer la table des États qui s’y tenaient[42] ; les harengs grillés surmontant des choux verts ; ces poissons étaient relevés d’une forte sauce aigre aux oignons hachés[43] ; les anguilles au vin dans lequel on cuisait du persil, de la sauge, de la jeune bette ou des épinards, de la marjolaine, du gingembre, du safran, de la fleur de muscade, du cumin[44] ; les lamproies qu’on disposait en nœud de la forme d’une brestelle, cuites au vin épaissi de noisettes ou d’amandes pilées et échauffé de poivre, de muscade et de cannelle ; elles étaient servies tenant une demi-muscade dans la bouche et leurs yeux étaient remplacés par des clous de girofle odorants[45] ; les quenelles de carpes (Karpf-Krœpflin), faites des issues de ce poisson, salées et hachées, cuites au vin, puis grillées avec des pommes ou des poires, des raisins de Corinthe, du pain d’épice râpé, force épices, et façonnées en boulettes au moyen de farine, d’amandes concassées, de sucre et de jaunes d’œufs ; elles sont souverainement bonnes, ajoute le formulaire[46] ; les écrevisses farcies ; échaudées et dépouillées de leur armure, leur chair était hachée et réduite en pâte ; on la mélangeait d’œufs et d’épices énergiques ; on remplissait de ce hachis les tests vides, et l’on coulait par-dessus une purée de pois irritée avec des aromates violents[47]. En général, sur les tables bien servies, les viandes et le poisson étaient accompagnés de plusieurs saucières où chacun puisait selon son goût, et choisissait entre les condiments suivants : câpres, olives, rouelles d’oranges ou de citron sucrées, vinaigre rosat (Rosen-Essig), vinaigre surard (Holder-Essig) ou vinaigre violet (Violen-Essig)[48]. Ces spécimens, en cette branche de l’art, peuvent suffire.

Passons à une autre. Nous voici en face de l’œuf, ce miracle de la nature, qui est à la fois la vie reproduite ou la vie suspendue, l’oiseau ou un trésor alimentaire, au gré de la fantaisie ou du besoin de l’homme. La ménagère en tirera des merveilles ; d’abord le Pfannkuchen. Sait-on bien qu’il y en avait anciennement six espèces distinctes ? La vulgaire, à la ciboule ou aux oignons ; l’odorante, où dominaient le persil, la marjolaine, la sauge, la menthe associés aux raisins secs ; la vigoureuse, basée sur le gingembre, la muscade, le poivre et le safran liés par la crème ; la bienfaisante, mêlée d’épinards, de jeune bette et assaisonnée d’épices modérées ; la fruitée, mélangée de pommes douces, de poires parfumées et d’amandes ; la recherchée, qui exigeait de la crème douce, force œufs frais, des figues, des raisins de Corinthe, du sucre, de la cannelle et du safran. Les vieux livres indiquent ces six variétés. La soupe aux œufs a été de tout temps un potage estimé. Jean Geiler parle de Bregelzte Eyer[49], ce sont les œufs au miroir ; de Martyr-Eyer, qui pourraient bien être la même chose, sinon des œufs pochés ; de Krosseyer[50], qu’Oberlin définit : ova butyro frixa[51] ; donc encore des œufs sur le plat. Quant à l’Eyerbrunn[52], j’ignore ce que c’était, et Oberlin l’ignorait comme moi, puisqu’il s’est contenté de dire pour tout éclaircissement : Cibi species ex ovis[53] ; ce qui n’éclaircit rien. Nous sommes mieux fixés sur le Plattenmuss : c’étaient des œufs battus avec de la farine et du lait, mis dans un plat exposé sur la braise ; en servant cette espèce d’omelette soufflée, on l’ornait de raisins de Corinthe et on la saupoudrait de sucre[54]. Il m’eût été agréable d’indiquer avec précision l’époque de l’invention des nouilles (Nudlen) ; mais je n’ai pu y réussir. Ce mot ne se rencontre pas dans les sermons de Geiler, donc la chose n’existait pas de son temps ; cet esprit original, qui aimait d’emprunter ses comparaisons à la vie familière, n’aurait pas manqué de tirer quelque application morale ou de l’usage de ce mets ou des procédés qu’exigeait sa confection. J’incline à penser que les nouilles sont une idée italienne qui n’a passé les Alpes qu’après la guerre de Trente ans. Moscherosch, qui a écrit son Adelisches Leben en 1641, n’en parle pas encore, mais nous les trouvons établies en 1671, parfaitement décrites et mentionnées sous leur nom actuel dans le livre de l’abbé Buchinger[55].

Voilà un aliment bien jeune dans l’histoire du monde, diront certains fanatiques, nous le tenions pour bien plus ancien. — Qu’y faire ? Ils se consoleront peut-être en apprenant que les Wasser-Striblen remontent à plus de deux siècles avant l’ère chrétienne et que Caton le Censeur en a parlé au chapitre LXXVIII de son traité De Re Rusticâ, non par à peu près, mais très expressément, car non seulement il en donne la recette, mais il en fournit aussi le nom sous lequel les flegmatiques allemands les mangent depuis deux mille ans, sans se douter de leur origine quiritaine. Le vieux Romain les appelait sans aucun détour scriblitæ, striblitæ. Est-ce clair ? La chose a paru telle au savant M. Mone lui-même, qui n’hésite pas un instant sur ce point[56]. Convenons que l’on peut avoir de la patience sur bien des sujets, quand on songe que l’on se nourrit quelquefois d’un plat expliqué par Caton et mangé par les Scipions.

Puisque nous sommes dans la véritable antiquité, ne la quittons point sans remarquer que nous tenons de la même époque et de la même source les boulettes de fromage (Kæsknöpfle), vieux mets alsacien que nos voisins du pays de Bade nomment aussi Kæsspatzen. Ce sont les globi des Romains de la troisième guerre punique.

J’ignore à quel degré de la nuit des âges les Belfortains rapportent un mets qui jouit dans leur pays d’une grande autorité. La pierre de la Miotte est un monument romain ou un vestige bourguignon, on peut choisir ; mais le roncin, le mets en question, qu’est-il ? Est-il romain, bourguignon, ou tout simplement belfortain ? Voilà ce que l’on ne décide point. Un brave homme d’historien l’a signalé récemment comme un mets du pays, qui a « l’avantage d’être copieux, friand et économique[57] ». Diantre ! cette enseigne promet beaucoup. Approchons et voyons ce qu’elle tiendra. « C’est un mélange, continue l’auteur, de lait, de sucre, de farine et d’œufs battus en consistance de bouillie, auquel on ajoute soit des quartiers de pommes, soit des prunes ou des pruneaux, des cerises ou des baies de myrtilles, suivant le goût ou la saison. Cette composition culinaire se met dans un plat ou dans un poëlon préalablement enduit de beurre frais. Cuit dans un four ou entre deux feux, dessus et dessous, ce gâteau se gonfle énormément. On appelle cette robuste pièce de pâtisserie bourgeoise un roncin. » C’est bien dit. Voilà le roncin connu et tout le monde, je l’espère, satisfait.

C’est aussi dans le paragraphe des œufs qu’il convient de placer l’ancienne soupe au vin. L’on battait une bonne quantité d’œufs qu’on jetait dans du vin le meilleur possible ; on versait cette préparation sur de petits dés de pain grillé, et l’on tournait sur un feu doux jusqu’à la cuisson, en ajoutant du sucre, de la cannelle et du safran ; puis on dressait ce potage sur des tranches de pain blanc et des raisins de Corinthe[58]. Si les potages, comme le prétend Grimod de la Reynière, sont au dîner ce que le portique est à l’édifice, il faut en conclure que la soupe au vin ne pouvait servir de péristyle qu’à des repas de haute futaie.

Nous retrouverons encore les œufs, et leur rôle agrandi, quand je traiterai des pâtisseries de l’ancien temps. Mais je puis bien dire encore ici que les œufs furent la cause de la haine réciproque que se portaient le clergé séculier et le clergé régulier. Les moines mangeant beaucoup d’œufs et les prêtres beaucoup de poules, les moines faisaient renchérir les poules, et les prêtres hausser le prix des œufs. Cette idée n’est pas née dans le cerveau d’un libre penseur, elle est d’un Cordelier de Thann, Jean Paulli, qui écrivit, en 1518, un recueil d’anecdotes tirées des sermons qu’il avait prononcés[59].

Les bouillies et les purées (lat. pulmentum ; allem. Muss) tenaient dans l’ancien système alimentaire une plus grande place que dans le nôtre. Les Romains avaient adopté des peuples orientaux la bouillie au riz ; les Allemands l’empruntèrent des Romains, ainsi que l’usage de l’orge perlée et la bouillie de millet[60], le célèbre Hirsbrey, qui joue un rôle historique dans les fêtes que la ville de Strasbourg donna lors du grand tir international de 1576. Tout le monde sait que les Zurichois firent en une journée, et par la voie des fleuves, le trajet entre leur ville et Strasbourg, amenant sur leur bateau une énorme marmite de bouillie de millet qui fut offerte encore chaude et fumante à leurs bons alliés d’Alsace. Ce tour de force devait symboliser à la fois la chaleur de leur amitié et l’empressement fidèle qu’ils mettraient, en cas de danger, à voler au secours de nos pères<ref> Cet événement a suscité un grand nombre d’ouvrages en vers et en prose : Maurer, Der warme Hirsbrey von Zürich. Zurich, 1792, in-4°. — Ring, Ueber die Reise des zürchers Breytopfes. Bayreuh, 1787. In-8°. — J. Fischart, Das glückhafte Schiff von Zürch, poème de 120 vers. In-4°, sans date ; réédité par Halting. Tubingue, 1828. In-8°, etc.</ref>. Tous les brouets n’eurent pas la haute fortune de la bouillie de millet de 1576 ; nous ne connaissons les autres que par les services modestes qu’ils rendirent dans le cercle de la vie domestique. Tels sont : le Weissmuss, purée de haricots blancs ou bouillie d’orge ou de riz ; le Truillmuss, bouillie combinée de pois et de blé[61] ; le Geknöpfeltmuss, composé de pois blancs et d’orge[62] ; le Bludermuss ou Capitelmuss, purée à laquelle concouraient les haricots, les pois, l’orge, les harengs et d’autres poissons, et que Geiler désignait quand il voulait donner une image expressive du désordre, de la confusion, du chaos[63] ; le Brutmuss ou Eyermuss, bouillie faite de pain, de vin, d’œufs, de beurre et de sucre[64] ; le Maymuss ou Meyeten, espèce de julienne printanière où entraient toutes les jeunes plantes potagères nées au mois de mai[65] ; le Trübelmuss, bouillie du temps des vendanges, faite de raisins cuits ; le Linsenmuss ou Linsen-Meuchlen, purée de lentilles, mets dont l’ammeister régent de Strasbourg paraît avoir fréquemment usé à son repas public du soir, servi aux frais du Trésor[66]. La ville de Mulhouse possédait et possède encore un puits dont l’eau a la réputation d’être particulièrement propice à la cuisson des légumes secs, par conséquent à la confection des purées et bouillies ; il porte le nom de Mussbrunnen.

J’achève cette série de mets anciens et respectables par deux plats du quinzième siècle que me fournit encore le docteur Jean Geiler de Kaysersberg. L’un est le Lebersal[67], dont on ne sait rien, si ce n’est qu’il s’agit de foie préparé d’une façon particulière, « jecur certo modo coctum », dit Oberlin[68]. Ô linguistes, que vous êtes superficiels, et que vous prenez naïvement vos aises ! Avec votre secours nous n’en saurions pas davantage, moins peut-être, sur le Hotzenblotz ou Zuisenlin. Heureusement que l’illustre prédicateur de la cathédrale de Strasbourg a eu le soin de nous laisser la description du Hotzenblotz dans un recueil de sermons dont le titre, le Lièvre en civet, a droit d’asile dans mon œuvre. Cette description, la voici : « Comment fait-on un Hotzenblotz ? S’il te reste un poulet froid, tu le découperas dans une casserole, tu y ajouteras des oignons taillés en rouelles et mouilleras le tout d’un bain de vigoureux vinaigre ; tu mêleras et travailleras convenablement. Voilà ce qu’on appelle un Hotzenblotz[69]. » Qui ne reconnaît là le premier bégaiement de l’idée qui devait un jour produire la mayonnaise ?

  1. Annuaire du Bas-Rhin, an VIII, p. 280.
  2. Je me suis servi pour tracer cette esquisse rapide de nos champignons alimentaires des ouvrages suivants : Roques, Histoire des champignons comestibles. Paris, 1832. — Lavalle, Traité des champignons comestibles. Paris, 1852. — Lentz, Die nützlichen und schaedlichen Schwæmme. Gotha, 1840. — Mougeot, Considération sur la végétation spontanée des Vosges. Épinal, 1845. — J. Bock, Kreutterbuch. Strassburg, 1577. — J’ai aussi demandé quelques conseils et des éclaircissements à M. le professeur Kirschleger, qui me les a donnés avec cette obligeance parfaite et amicale qui est le trait distinctif des véritables savants, et qui double le prix du service rendu.
  3. Koch-Buch so wol für geistliche als auch weltliche Hausshaltungen, durch einen geistlichen Küchenmeister dess Gottshauses Lützel. Molsheim, in-8°, 1671. Ce livre, très rare, est erronément indiqué comme sorti des presses de Straubhar, de Molsheim. Straubhar était imprimeur à Porrentruy. Je dois la communication de cet intéressant ouvrage à la courtoisie de M. Eugène Schlumberger, de Mulhouse. L’on peut presque craindre que l’exemplaire qu’il possède soit le seul qui ait échappé aux mains des cuisiniers.
  4. Meyer, Ober-Ehnheim in medizinischer Rücksicht. Strasb., 1841. In-8°, p. 123.
  5. Revue d’Alsace. — L’Alsace à table, Ire partie, année 1853, p. 260.
  6. Archives municipales de Strasbourg. Règlements relatifs à la police des tribus de métier.
  7. Tax-Ordnung von 1646. Strasbourg, 1646. In-fol., p. 19.
  8. Archives municipales de Strasbourg. Pièce de l’affaire Dickhauss. Communication de M. Alf. Schweighæuser, archiviste de la ville.
  9. Buchinger, Koch-Buch de 1671, formule 102.
  10. Idem, formule 46.
  11. J. Geiler, Pater noster. Strassb., 1508. In-fol., 5.
  12. J.-J. Oberlin (Vierling), De J. Geileri scriptis german. Argent., 1786. In-4°, p. 37.
  13. Schmeller, Bayerisch. Wœrterbuch, t. II, p. 346.
  14. Buchinger, Koch-Buch de 1671, formule 124.
  15. J. Bock, Kreutterbuch, p. 317.
  16. Chronique des Dominicains de Colmar, édition de 1854, p. 313.
  17. Moscherosch, Anleitung zu einem adelichen Leben. Strasbourg, 1645. In-8°, p. 116.
  18. Buchinger, Koch-Buch de 1671, formule 22.
  19. J. Bock, Kreutterbuch de 1577. In-fol., p. 134.
  20. Archives du Haut-Rhin. Fonds de Ribeaupierre. Comptes de 1704.
  21. Mone, Urgeschichte Badens, p. 104.
  22. Blaze, Molière musicien, t. II, p. 439.
  23. Annal. et chron. des Dominicains de Colmar, édition de 1854, p. 93.
  24. F. Piton, Strasbourg illustré. Ville, p. 34.
  25. Buchinger, Koch-Buch de 1671, formule 352.
  26. Moscherosch, Adeliches Leben, p. 118.
  27. Idem, p. 119.
  28. Buchinger, Koch-Buch de 1671, formule 187.
  29. Moscherosch, Adeliches Leben, p. 119 et 120.
  30. Idem, p. 118.
  31. Buchinger, loc. citat., formules 248 et 260.
  32. Idem, formule 150.
  33. Idem, formule 254.
  34. Buchinger, loc. citat., formule 252.
  35. Moscherosch, Adeliches Leben, p. 118. — Buchinger, loc. cit. , formule 654.
  36. Tschudi, les Alpes, p. 664.
  37. Revue d’Alsace. L’ancienne Alsace à table, 1re partie, année 1853, p. 147.
  38. Silbermann, Odilienberg, p. 109.
  39. Friese, Histor. Merkwürdigkeiten des Elsasses, p. 14.
  40. Tschudi, les Alpes, p. 664. Ce naturaliste dit formellement qu’on chassait le bœuf des bois dans les Vosges au seizième siècle.
  41. Rœsslin, Das Wasgauische Gebirg, p. 22.
  42. Archiv. du Haut-Rhin. Fonds de la régence d’Ensisheim. Dépenses de table.
  43. Buchinger, Koch-Buch, formule 521.
  44. Idem, formule 487.
  45. Idem, formule 484.
  46. Idem, formule 381.
  47. Idem, formule 494.
  48. Moscherosch, Adeliches Leben, p. 124.
  49. De brægeln, frire. On dit encore à Mulhouse brægelte Hærdepfel, des pommes de terre frites.
  50. Geiler, Buch der Sünden des Munds. Strasbourg, 1518. In-fol., p. 4.
  51. Oberlin, De Geileri scriptis germanicis. Arg., 1786. In-4°, p. 37.
  52. J. Geiler, Buoch der Sünden. In-fol., p. 4.
  53. Oberlin, loc. cit., p. 36.
  54. Buchinger, Koch-Buch, formule 557.
  55. Idem, Koch-Buch de 1671, formules 590 et suiv.
  56. Mone, Urgeschichte Badens, t. 1er, p. 101.
  57. Corret, Histoire de Belfort, p. 121.
  58. Buchinger, Koch-Buch, formule 567.
  59. J. Paulli, Schimpf und Ernst, édition de Marbourg, 1856. In-8°, p. 26.
  60. Mone, Urgeschichte Badens, p. 102.
  61. Geiler, Paradies der Seelen. Strasbourg, 1510. In-fol., p. 228.
  62. Idem, Der hœllisch Leuw. Strasbourg, 1514. In-fol., p. 26.
  63. Idem, Postilla, part. III. Basil, 1491, p. 41.
  64. Idem, p. 69.
  65. Idem, p. 59.
  66. Scherz, Gloss. Germ. med. ævi, p. 436.
  67. J. Geiler, Predigten über das Narrenschiff. Strasb., 1520. In-fol., p. 49.
  68. Oberlin, De Geileri scriptis germanicis, p. 37.
  69. J. Geiler, Haas im Pfeffer. Strasbourg, 1502. In-fol. E, vj.