L’Angleterre et la vie anglaise/20

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L’Angleterre et la vie anglaise
Revue des Deux Mondes, Nouvelle périodetome 43 (p. 769-809).
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L’ANGLETERRE
ET
LA VIE ANGLAISE

XIX.
LA BANQUE D’ANGLETERRE.
LES BANK-NOTES, LA DETTE NATIONALE ET LE CLEARING HOUSE.

C’est en vain que l’or et l’argent abonderaient dans un pays, s’il n’existait un système pour les faire circuler[1]. Les Anglais désignent sous le nom général de banking l’organisation des moyens qui fécondent la richesse métallique en la distribuant. Cette organisation n’est pas très ancienne. À voir l’étendue des opérations financières et commerciales de la Grande-Bretagne, ses magnifiques institutions de crédit et le degré de progrès auquel les Anglais ont élevé la science de l’argent, science of money, on serait tenté de croire que le germe de tous ces développemens remonte aussi loin que l’origine de la nation elle-même. Il s’en faut pourtant de beaucoup qu’il en soit ainsi. Le sens des affaires constitue à quelques égards chez nos voisins un sens acquis, et l’histoire de leur grandeur économique ne date guère que du XVIIe siècle. Au moyen âge, l’Angleterre était guerrière et un peu agricole comme toutes les autres nations de l’Europe. Il faut arriver à Cromwell pour trouver dans le fameux acte de navigation un système de commerce très étendu. Partout le commerce a été le précurseur des banques ; sur ce terrain même, la Grande-Bretagne s’était laissé devancer par d’autres peuples dont elle devait effacer un jour la richesse. Une banque avait été fondée à Venise dès le temps des croisades. D’autres existaient à Amsterdam, à Hambourg et à Gênes, alors qu’il n’avait encore été créé à Londres rien de semblable au célèbre établissement dont l’histoire depuis plusieurs siècles est liée de si près à l’histoire même de l’Angleterre.


I.

Les premiers qui pratiquèrent en Angleterre le commerce de l’argent furent les Juifs : banquiers par instinct, sinon par science et par système, ils eurent à lutter contre la loi du royaume à une époque où le prêt à intérêt était considéré comme usure[2]. On sait comment, après avoir été longtemps persécutés par les chrétiens, ils furent obligés de quitter le royaume. Vers la fin du XIIIe siècle, les Juifs furent remplacés par les lombards (c’est ainsi qu’on désignait alors des marchands venus de Gênes, de Lucques, de Florence et de Venise). Ces derniers s’établirent à Londres dans une rue qui porte encore aujourd’hui le nom de Lombard-street. Comment se fait-il que cette même rue se trouve occupée dans presque toute sa longueur par des banquiers ? Sans doute en vertu de cette mystérieuse loi de succession qui fait que les chapelles chrétiennes ont été volontiers entées dans les grandes villes sur les ruines des temples païens, et les églises protestantes sur les restes des églises catholiques. Ne dirait-on pas que les endroits une fois consacrés par un besoin social conservent ensuite des attaches qui retiennent sur place les institutions du même genre, quoique profondément renouvelées ? Les lombards introduisirent en Angleterre les lettres de change, bills of exchange ; ils prêtaient de l’argent à terme et demandaient 20 pour 100 d’intérêt. Plus tard, sous le règne de Charles Ier ils furent supplantés par les orfèvres, qui, non contens de vendre de la vaisselle plate, se lancèrent dans des spéculations de banque à la suite de circonstances qu’il est peut-être bon de rappeler. C’était depuis assez longtemps une coutume parmi les marchands anglais de déposer leur argent à la Tour de Londres : là du moins il devait être plus en sûreté que chez eux, derrière les gros murs, les poternes et les fossés d’une citadelle regardée comme imprenable. Toutes ces précautions se trouvèrent pourtant déjouées par un ennemi qu’on n’avait guère prévu. Les rois d’Angleterre avaient plusieurs fois contracté des emprunts d’argent ; mais Charles Ier jugeant sans doute que ce qui est bon à emprunter est bon à prendre, fit main basse en 1610 sur les richesses confiées à la Tour.

On devine aisément l’impression que laissa sur les esprits cette étrange manière d’agir : la réputation de la Tour de Londres fut à jamais perdue comme lieu de sécurité pécuniaire, et à dater de ce jour-là les marchands se décidèrent à garder chez eux leur argent sous clé. Cependant les guerres civiles éclatèrent, et avec elles de nouveaux dangers. Les maîtres furent plus d’une fois volés par leurs domestiques et leurs commis, qui, à la faveur des troubles politiques, trouvaient ensuite moyen de disparaître. C’est alors que les orfèvres de Londres, qui formaient déjà une corporation riche et puissante, eurent l’idée de profiter des événemens pour ouvrir des caisses de dépôt. Ils recevaient l’argent des marchands et même des gentilshommes qui ne le jugeaient plus en sûreté dans leurs châteaux ou leurs manoirs, servaient dans certains cas un léger intérêt, et prêtaient ensuite cet argent à un intérêt plus élevé aux personnes connues dont la fortune se trouvait passagèrement embarrassée. Peu à peu ils étendirent le cercle de leurs opérations financières, escomptèrent les billets à ordre, recueillirent les rentes et délivrèrent, en échange de l’argent qui était déposé entre leurs mains, des reçus connus sous le nom de goldsmith’s notes (notes des orfèvres), lesquelles circulaient ensuite de main en main. Qui ne voit ici l’origine des billets de banque ? Jusque-là pourtant les deux professions, — celle d’orfèvre et celle de banquier, — se trouvaient confondues dans le même homme ; mais la loi du progrès devait avant peu les séparer. Dès les premiers temps de la restauration, Francis Child, qui avait été apprenti dans la boutique de William Wheeler, orfèvre et banquier, dont il avait épousé la fille, sépara une profession de l’autre à la mort de son beau-père, et fonda la première maison de banque qui se soit élevée à Londres. Comme pour indiquer le lien entre les deux professions si longtemps unies, cette maison s’érigea sur l’emplacement même de l’ancienne boutique d’orfèvre et garda l’enseigne primitive[3]. D’autres new-fashionable bankers, nouveaux banquiers à la mode, tels que Hoare et Snow, suivirent l’exemple donné par Francis Child, et vers 1665 une banque de crédit, bank of credit, s’ouvrit à Londres pour le commerce et l’industrie ; elle n’eut d’ailleurs que peu de succès.

L’Angleterre n’avait point jusqu’alors de banque nationale. Le besoin d’un tel établissement se faisait toutefois sentir depuis la révolution de 1688. il existe pour les peuples comme pour les individus des sources latentes qui jaillissent à un moment de leur histoire sous certains ébranlemens de la société. C’est ainsi que le génie des affaires et l’esprit de commerce s’étaient éveillés en Angleterre : quels immenses développemens suivirent cette révolution à laquelle les institutions de crédit doivent leur essor ! Bientôt sortit de la foule un homme dont le cerveau fourmillait d’idées, comme disent les Anglais. Cet homme se nommait William Paterson. C’était un Écossais du Dumfrieshire ; il avait étudié pour entrer dans l’église, et tout jeune il visita les îles des Indes occidentales « sous prétexte » de convertir les sauvages ; j’emploie ces mots « sous prétexte, » car il paraît qu’au lieu de s’occuper de sa mission évangélique, il s’attacha aux expéditions des boucaniers, soit à titre de curieux, soit comme hardi compagnon de leurs aventures. Il revint en Europe l’imagination exaltée par les grandes scènes de la nature et la tête pleine d’inventions financières. De concert avec son ami Godfrey, il créa le plan de la Banque d’Angleterre, qui rencontra une très vive opposition de la part des orfèvres, des banquiers, des usuriers et de quelques tories, mais qui n’en fut pas moins enregistré par une charte royale le 27 juillet 1694. L’histoire ne s’explique point sur les motifs qui décidèrent alors les tories à la résistance ; mais ces motifs, n’est-il point facile de les deviner ? Les anciennes familles nobles voyaient avec un certain déplaisir se constituer à côté d’eux une nouvelle puissance, celle de l’argent, power of money. Les argumens en pareil cas ne manquent point pour couvrir les intérêts froissés ou les ambitions alarmées ; aussi fallut-il à William Paterson une rare énergie pour triompher de tels obstacles. Il ne fut toutefois attaché que durant une année à la direction de la nouvelle banque ; faut-il en conclure qu’après avoir profité de son idée on trouva moyen de l’évincer par intrigue du poste qu’il avait si justement conquis ? Sur ce point, les opinions se divisent ; mais je crains bien que Paterson ne fût ce que les hommes d’affaires appellent un esprit chimérique. De tels esprits, quoique souvent utiles et féconds, ont donné plus d’une fois naissance à des enfans ingrats ; encore ne faut-il point trop appuyer sur ce reproche d’ingratitude, car les intelligences de cette trempe, excellentes pour fonder une œuvre, ne se montrent pas toujours aussi propres à la conduire.

Je ne veux d’autre preuve des tendances de William Paterson vers l’utopie que sa malheureuse et célèbre expédition comme en Angleterre sous le nom de Darien scheme (projet Darien). Durant le premier voyage qu’il avait fait aux Indes occidentales, les récits des boucaniers et des sauvages lui avaient laissé entrevoir dans l’intérieur du pays des mines d’or et de diamant : de là un rêve fixe qu’il poursuivit avec une fatale opiniâtreté. Quel était ce rêve ? C’était, tout en écrémant les richesses de la contrée et tout en colonisant le milieu de l’Amérique, l’ouverture d’un passage vers les mers du sud à travers l’isthme de Darien ou de Panama. Si ce passage n’existe point, on peut dire que la nature a essayé de le faire, tant les eaux ont rongé et aminci la langue de terre qui retient vers le milieu les deux moitiés du continent américain. En désespoir de cause, elle semble avoir abandonné à l’industrie de l’homme le soin de forcer une barrière déjà si réduite. Ainsi pensa William Paterson ; se disant que cet isthme était la clé du commerce et de la navigation pour le monde entier, il envisageait avec enthousiasme les avantages qui résulteraient de l’ouverture d’une route communiquant avec les mers de l’Inde et les riches îles de l’Asie. Il s’était en outre assuré qu’il existait dans cette direction une certaine étendue de terre sur laquelle les Espagnols, pas plus que d’autres nations européennes, n’avaient pu s’établir, occupée qu’elle était par une tribu d’Indiens indépendans. C’est là, c’est à l’embouchure du fleuve Darien, entre Portobello et Carthagène, qu’il avait l’intention de jeter les fondemens de sa colonie. Tant que William Paterson vécut obscur, sans amis, sans ressources, il se contenta de couver son projet en silence ; mais la création de la Banque d’Angleterre ayant attiré sur lui la lumière et la célébrité, il s’enhardit à parler du détroit de Darien, des mines d’or et du trait d’union qu’on pourrait jeter entre les deux mers. La manière dont on reçut ses communications n’était pourtant point de nature à l’encourager : à Londres, en Hollande, à Hambourg, à la cour de l’électeur de Brandebourg, il ne rencontra pour l’entreprise projetée qu’indifférence et froideur. Qui devait se passionner pour cet Eldorado ? La défiante et positive Écosse. Ce fut avec une sorte de frénésie que les Écossais, hommes et femmes, se portèrent en foule pour souscrire à la compagnie darienne, Darien company. Presque en un instant on réunit 400,000 livres sterling à une époque où il n’y avait en Écosse que, 800,000 livres de numéraire. C’était donc moitié de la fortune publique qu’on allait confier aux flots et aux aventures.

L’expédition partit du port de Leith le 26 juillet 1698 ; elle se composait de douze cents personnes montées sur cinq robustes vaisseaux et conduites par William Paterson lui-même. Elle arriva au bout de deux mois sur les côtes de l’isthme, ayant perdu seulement quinze hommes dans la traversée ; mais au lieu de trésors inouïs qu’on s’attendait à découvrir, elle trouva la maladie, la famine et l’épée des Espagnols, qui virent d’un œil jaloux s’établir à côté d’eux une colonie rivale. Comme si ce n’était point encore assez d’avoir à lutter contre le désert, un climat dévorant pour les hommes du nord et contre des ennemis naturels, les émigrés eurent surtout à essuyer les hostilités du gouvernement anglais, qui les poursuivit jusqu’au-delà des mers. La fameuse compagnie des Indes, East India company, n’avait pas vu sans ombrage s’élever un projet qui menaçait son monopole, et elle s’était servie de son influence, de ses amis nombreux et puissans pour tourner le cœur de Guillaume III contre l’expédition darienne. L’Écosse, après huit mois, ne recevant aucune nouvelle, envoya une seconde expédition de treize cents hommes pour renforcer la première ; la traversée fut mauvaise, un vaisseau se perdit dans la tempête, un grand nombre de passagers moururent à bord des autres navires ; ceux qui survivaient, exténués et dispersés, n’arrivèrent que pour assister à l’agonie de leurs frères qui les avaient précédés. Assaillis par tous les maux à la fois, les colons écossais tinrent ferme jusqu’au dernier moment ; leur sort toucha de pitié les ennemis eux-mêmes. De tous ceux qui étaient partis, trente seulement revirent le port de Leith : encore au moment du départ ressemblaient-ils moins à des hommes qu’à des ombres ou à des squelettes ; c’est à peine s’ils eurent la force de lever l’ancre ; parmi ces derniers était William Paterson. Cette désastreuse expédition a laissé en Écosse de poignans souvenirs que le temps n’a point effacés ; la légende a même ajouté le sentiment du merveilleux à une calamité nationale. C’est une tradition parmi les paysans du Roxburyshire qu’une nuit, — nuit fatale où mourut dans l’isthme de Panama le fils du laird de Torwoodle, — toutes les cloches du château se mirent à sonner le glas, agitées par une invisible main. Après une telle catastrophe, je crains bien que dans les pays où l’on ne juge de la valeur des hommes et des entreprises que par le succès, la mémoire de William Paterson n’ait été à jamais obscurcie ; mais chez nos voisins, où l’on fait la part du mérite et celle du malheur, le fondateur de la Banque d’Angleterre et de la Banque d’Écosse jouit encore d’une réputation qui a résisté aux revers de la fortune.

La banque naissante, connue dès l’origine sous le nom de the Governor and company of the Bank of England (gouverneur et compagnie de la Banque d’Angleterre), fut d’abord installée dans Mercer’s hall (hôtel des merciers), où elle ne resta que quelques mois, puis transférée dans Grocer’s hall (hôtel des épiciers), où elle occupait une seule grande salle. Dans cette même salle, les directeurs, les secrétaires et les commis travaillaient tous ensemble, rangés sur différens sièges, selon la place qu’ils occupaient dans la hiérarchie administrative. Les commencemens furent obscurs et laborieux. Si restreintes que fussent alors les transactions de la Banque d’Angleterre, cet établissement ne laissa point que d’exercer dès l’origine une influence sur le commerce et sur la vie politique du pays. Il fit baisser le taux de l’intérêt, accrut la circulation des valeurs, et surtout arracha la nation aux mains des traitans (extortionners). Il faut savoir que jusqu’en 1694 le gouvernement anglais était à la merci des prêteurs. Avec le temps et les embarras du trésor, les emprunts royaux étaient même devenus d’une négociation très difficile. Les rois étaient obligés d’envoyer leurs agens dans la Cité, surtout dans Exchange-alley, pour mendier de l’argent. Mendier est bien le mot, car le fier Henri VIII lui-même l’implorait comme une grâce et une faveur (a matter of great grace). Qui s’étonnerait de cet ancien état de choses ? On peut bien attaquer l’aristocratie par le fer et par le feu, envoyer les barons et les évêques à la Tour de Londres, démolir les abbayes ; mais allez donc rudoyer l’argent ! Emprisonner les négocians, c’eût été tarir les sources de la richesse publique. Les souverains les plus absolus en étaient donc réduits à courtiser cette puissance mystérieuse de l’or, qui se retire et se contracte sous la violence. À ce point de vue, la fondation de la Banque d’Angleterre doit être considérée comme un grand fait social. Dans un temps où la nation anglaise commençait à se constituer sur le principe de liberté, elle servit de lien entre le peuple et le gouvernement. D’une part, elle ressuscita la confiance des capitalistes ; de l’autre, elle releva la dignité de l’état. Faut-il ajouter qu’elle contribua dès lors à développer sur une grande échelle la puissance de l’élément commercial ? On ne connaît point assez l’importance des marchands de la Cité dans l’économie de la société anglaise. Il y a d’autres corps plus élevés, qui paraissent davantage ; mais il n’y en a guère, en définitive, qui pèsent d’une influence plus réelle sur la direction des affaires publiques. Toutes les grandes entreprises exigent de l’argent, et les marchands de la Cité tiennent les cordons de la bourse de l’état. Ces conséquences se développèrent du vivant même de Paterson : la Banque était à peine fondée, qu’elle contribua au succès de la campagne de 1695. Il était pourtant écrit que les deux hommes qui avaient mis la main à cette œuvre considérable devaient rencontrer une fin malheureuse. Godfrey, le zélé coadjuteur de William Paterson, entreprit la tâche périlleuse de porter de l’argent à Guillaume III, qui assiégeait alors Namur ; mais pendant qu’il causait avec le roi dans les tranchées, il fut tué d’un coup de canon.

La Banque d’Angleterre a traversé depuis ce temps-là des fortunes diverses, quelquefois même orageuses, tout en accroissant d’année en année son importance et ses services. Les privilèges de la compagnie, qui avaient été d’abord limités à onze années, furent ensuite renouvelés et étendus à plusieurs reprises par des actes du parlement. Il est vrai que chaque nouveau bail, si l’on peut l’appeler ainsi, était une occasion pour l’état de contracter de nouveaux emprunts ou d’obtenir de l’argent sous diverses formes. La Banque achetait ainsi le droit de vivre. Une fois érigée en institution, elle marquait par plus d’un épisode curieux son influence sur le développement des affaires publiques. Ce n’est pas toutefois sur le passé de l’établissement que nous voudrions beaucoup insister ici[4] : n’est-ce point l’état présent de la Banque d’Angleterre qu’on désire surtout connaître ? Il n’est guère dans tout Londres de grande artère plus animée par la circulation que celle qui conduit de Charing-Cross vers la maison du lord-maire (Mansion-house). L’étranger curieux d’observer la physionomie de cette route tumultueuse fera bien de monter sur le toit d’un omnibus. À mesure qu’il s’approchera du cœur de la Cité, il verra s’épaissir une forêt d’hommes, — forêt mouvante comme celle de Birnam dans Macbeth. C’est à dessein que je parle des hommes, car aux abords de la Cité le nombre des femmes diminue d’une manière visible, si ce n’est peut-être un genre de femmes qu’attire le miroitement de l’or, comme la lumière attire les moucherons. On peut dire aussi que les figures changent de caractère : les passans se distinguent dans Cheapside par une démarche rapide et affairée, un air sérieux et cette inquiétude grave qui couve de grandes négociations toutes prêtes à éclore. Encore un pas, et vous vous trouvez en effet au centre du monde d’argent (world of money). Si vous vous adossez à la maison du lord-maire, à votre droite se dressent le Royal Exchange (Bourse) et le Stock-Exchange (Bourse des fonds publics) ; en face de vous s’élève la Banque d’Angleterre.

Ce dernier édifice a été fait, comme on dit, de pièces et de morceaux ; mais une main savante s’est chargée de relier entre elles des parties construites à différentes époques et de leur imprimer après tout un caractère d’unité monumentale. La première pierre fut posée dans Threadneedle-street en 1732, sur l’emplacement occupé jadis par la maison et les jardins de sir John Houblon, premier gouverneur de la Banque ; en 1734, le bâtiment, ouvrage de l’architecte George Sampson, était terminé. C’était d’ailleurs une bien petite construction, qui, masquée par une église, Saint-Christopher-le-Stocks, des tavernes et une vingtaine de maisons bourgeoises, était à peine vue des passans. On peut se faire une idée de ce qu’était ce bâtiment primitif en visitant la salle des paiemens (pay-hall), qui se trouve aujourd’hui en face de l’entrée principale et dans laquelle on voit à l’une des extrémités la statue de Guillaume III. Cette salle, dont l’architecture a d’ailleurs été remaniée, représentait autrefois presque toute la Banque. Environ un quart de siècle plus tard, c’est-à-dire de 1770 à 1786, l’édifice, toujours croissant, avait déjà dévoré une église et toute une paroisse. De ce second ordre de travaux, il reste aujourd’hui plus d’une trace, des ailes ajoutées au principal corps de logis par Robert Taylor et un élégant parterre avec deux grands arbres, des plates-bandes et une fontaine. Ce même parterre, qui répand de la fraîcheur et de la verdure dans une des cours de la Banque, était autrefois le cimetière de l’église Saint-Christopher-le-Stocks, et la loi s’opposait à ce que l’on pût bâtir sur un sol consacré. Ce sont donc les morts qui ont fait cadeau au public d’un tel jardin d’agrément. En 1788, sir John Soane, ayant été nommé architecte de la Banque, fit reconstruire différentes parties de l’édifice, et lui donna le caractère général qu’il conserve encore aujourd’hui. J’ai vu dans le cabinet de M. Alfred Latham, aujourd’hui gouverneur, un excellent tableau de l’habile peintre Marlow représentant la Banque d’Angleterre telle qu’elle était en 1802. L’ancienne Bourse (Royal Exchange) s’avançait alors en angle droit sur la place où s’élève aujourd’hui la statue de Wellington, et découpait dans le ciel, sur le second plan, sa tour ou son beffroi, surmonté d’une girouette en fer. On sait que cette Bourse fut brûlée en 1838 et remplacée en 1842 par un édifice qui affecte la forme d’un temple grec. Quant à la Banque, elle a peu changé depuis ce temps. En 1848 toutefois, M. C. R. Cockerel, successeur de sir John Soane, donna plus de relief à la façade et introduisit dans l’ordonnance de l’édifice quelques autres changemens utiles. À présent cet édifice ou pour mieux dire cet entassement d’édifices contient à l’intérieur et à l’extérieur des colonnes de tous les ordres d’architecture, une imitation du temple de Vénus à Tivoli, un portique dessiné sur le modèle de l’arc de triomphe de Constantin, et des allégories en pierre dont l’une, exécutée par Banks, représente la Tamise et le Gange. Ce mélange de tous les styles classiques appliqués à un grand centre d’affaires soulève sans doute plus d’une objection ; l’aspect général n’en est pas moins imposant, et cette association d’idées, si étrange qu’elle soit, semble en outre inspirée par la nature même des lieux. En 1805, on découvrit sous terre parmi des ruines un carrelage romain en mosaïque, transporté depuis lors au British Museum. Tout annonce en effet que cette partie de la ville était autrefois le quartier-général de l’occupation étrangère, ou pour tout dire le Londres des Romains. Une autre puissance que celle du glaive a aujourd’hui remplacé sur les mêmes lieux la domination des anciens maîtres du monde. La Banque est désormais le Capitole de l’Angleterre.

La grandeur de la Banque d’Angleterre ne réside d’ailleurs pas dans l’édifice babylonien dont les développemens n’ont fait que traduire d’époque en époque l’étendue toujours croissante des transactions financières. Elle représente aujourd’hui la plus grande accumulation de richesses qui existe au monde. Son influence se fait sentir sur tous les marchés de l’Europe, et il n’y a guère de grandes entreprises dans les contrées les plus éloignées où elle ne se montre en quelque sorte présente par son intervention et ses capitaux. Richard Cobden raconte que, voyageant en Turquie et en Grèce vers 1837, il vit dans la petite île de Syra les marchands grecs, un télescope à la main, épiant avec la plus grande inquiétude l’arrivée du vaisseau qui devait leur apporter des nouvelles de la Banque d’Angleterre. Une telle institution représente pour ainsi dire le cœur du système commercial et industriel chez un peuple marchand, ou, comme on l’a dit, c’est la planche fondamentale du vaisseau appelé la Grande-Bretagne.

Si énorme que soit la masse des affaires traitées dans ce vaste établissement, on peut diviser le travail de la Banque en trois branches. Il y a d’abord le département pour l’émission des billets de banque (issue of bank-notes), qui a été séparé du reste par le bill de Robert Peel en 1844. La Banque d’Angleterre sert en outre les intérêts de la dette publique, et ce service a donné naissance à un autre rameau administratif, — management of the national debt. Enfin elle est le caissier du gouvernement, le banquier des banquiers ; elle escompte les billets à ordre et reçoit les dépôts d’argent ou de marchandises précieuses. Ce dernier ordre d’affaires est représenté par un troisième département, — public and private banking. Tels sont les différens théâtres d’activité qu’il faut parcourir, si l’on veut connaître la Banque d’Angleterre dans toute l’étendue et la diversité de ses vastes opérations.


II.

Le département pour l’émission des billets de banque (issue department of bank-notes) embrasse plusieurs salles détachées, mais qui se relient les unes aux autres par la solidarité des fonctions, ainsi que les organes d’un même système dans la vie animale. Une des branches les plus étendues est le printing office (imprimerie) avec toutes les dépendances : qu’on n’aille pas croire d’ailleurs qu’il s’y imprime seulement des bank-notes ; tous les gros livres de comptes dont on se sert dans les bureaux de la Banque, — et la consommation en est énorme, — se préparent et se relient dans cette partie de l’établissement. Ainsi que tous les autres services de la Banque, l’imprimerie se trouve surveillée par deux personnes, le superintendant et son député ; ce dernier supplée le premier en cas de besoin dans toutes ses fonctions. Il y a en outre une centaine d’ouvriers, hommes et jeunes garçons, sans compter quelques femmes. La plus grande masse du travail s’expédie toutefois par des machines à vapeur qui ont de l’esprit comme plusieurs hommes : elles raient, coupent et impriment des milliers de feuilles de papier avec une dextérité en quelque sorte fantastique. L’une des plus curieuses a une tête ronde et noire qui semble sortir du mur et qui s’abaisse et se relève de moment en moment comme une tête de magot de la Chine ; elle semble avoir pour le papier un amour étrange et platonique, car à chaque mouvement elle baise un des coins supérieurs de la feuille, et chacun de ces baisers laisse une marque indélébile. Ces marques sont les chiffres destinés à numéroter les pages du livre des rentes (transfer book of stocks), de telle sorte qu’aucune main, si habile qu’elle soit, ne puisse ensuite arracher un feuillet impunément. Si intéressant que puisse être cet ordre de travaux exécutés par une armée de roues et de pistons, qui ne désire arriver à l’imprimerie des billets de banque ? Il vous faut pour cela monter un escalier de pierre étroit et tournant comme celui d’un donjon ; chemin faisant se rencontrent des grilles de fer, des portes qui s’ouvrent et se ferment avec un grincement de verrous ; tout annonce que nous allons vers un prisonnier ou vers une majesté, car l’un et l’autre ont besoin d’être gardés. Ces mesures de prudence ne sont pas encore les seules qui aient été jugées nécessaires ; de distance en distance se montrent des rangées de seaux légers en cuir, sur lesquels on lit ces mots : Bank of England, et des tuyaux de fonte perpendiculaires, enveloppés de paille et recouverts d’une grosse chemise de toile pour les défendre de la gelée pendant l’hiver. Ces tuyaux sont alimentés par un réservoir d’eau qui occupe le toit du bâtiment, et que remplit un puits artésien creusé dans l’enceinte de la Banque. De telles précautions ont été prises évidemment contre l’incendie. Après avoir monté un ou deux étages, on entre enfin dans une salle au plancher de fer, aux murs flanqués de casiers en bois : là s’entasse le papier destiné à faire les billets de banque (bank-note paper store). Telle est, qui ne le devine ? la majesté en faveur de laquelle ces lieux ont été mis, à quelques égards, sur un pied de défense. Le papier a été fabriqué à Laverstoke (Hampshire) dans les moulins de M. Portal, qui seul, depuis un grand nombre d’années, a le privilège de fournir la Banque d’Angleterre. D’une blancheur de crème de riz et d’une contexture particulière, qui pour des doigts exercés se reconnaît au simple frôlement, ce papier se montre le plus souvent incrusté de caractères imprimés dans l’épaisseur de la pâte, et que les Anglais désignent sous le nom de water mark[5]. À son arrivée dans le magasin de la Banque (bank-note paper store), il est rangé sur les casiers par paquets de cinq cents feuilles, et chaque feuille présente en longueur la surface de deux billets. Il reste dans ce magasin durant quelques mois, jusqu’au moment où le jour est venu de le mettre sous presse. Ce jour est d’ailleurs déterminé par les ordres du caissier en chef de la Banque (chief cashier), qui écrit au chef de l’imprimerie, aujourd’hui M. Coe, pour régler le nombre du tirage. Ici commence la série des faits et des travaux qui doivent transformer une feuille de papier blanc en une valeur revêtue du caractère de monnaie courante (legal tender).

Les billets de banque sont imprimés deux fois : — d’abord à l’état de squelette, in skeleton, c’est-à-dire sans date, sans numéro et sans signature, puis à l’état parfait. Pénétrons dans la salle où le papier vierge reçoit en passant sous la presse la première forme de ce que les Anglais appellent un « billet de promesse, » promissory note. C’est une grande salle d’imprimerie, printing room, éclairée par de hautes fenêtres et où s’élèvent des machines en fer mues par la force invisible de la vapeur. Chacune de ces machines peut tirer trois mille notes par heure, et comme il y a trois machines à l’œuvre, c’est une moyenne de trente à quarante mille billets de banque embryonnaires qui peuvent sortir en un jour de dessous les presses[6] À ces dernières est attaché une sorte de cadran avec une aiguille qui, au lieu de marquer les minutes, dénonce le nombre toujours croissant des futures bank-notes tirées[7] et défie de la sorte toute idée de larcin. Chaque machine est servie par un groupe de quatre enfans et par un ouvrier : les hommes gagnent 2 livres sterling, les enfans 6 shillings par semaine ; mais lorsque ces derniers ont atteint l’âge de quinze ans, ils sont placés par la Banque dans des maisons de commerce ou apprennent un état. J’en ai vu un qui, ayant perdu un bras au service de l’établissement, se trouve maintenant employé dans les bureaux. N’est-il pas d’ailleurs curieux de voir les signes apparens de la richesse publique naître en quelque sorte sous ces mains pauvres et innocentes ? Les ébauches de notes s’impriment deux par deux sur la même feuille de papier ; on les met en contact avec une planche de cuivre. Ces planches ne sont pas, ainsi qu’on le croit généralement, gravées en taille douce ; un des inconvéniens de ce procédé serait de rendre le tirage trop lent. Toutes les pièces qui composent les traits caractéristiques d’un billet de banque se trouvent au contraire fixées, ou pour mieux dire vissées, screwed, une à une par un système galvanoplastique et se détachent vigoureusement en relief sur la planche. Chacune de ces planches de cuivre se fabrique à l’intérieur de la Banque par les mains d’une seule personne, et dans une chambre retirée qui ressemble un peu au laboratoire d’un chimiste. Elles sont toutes calquées sur un type, un modèle original dont on ne se sert jamais, mais que l’on conserve avec grand soin pour le reproduire intact de génération en génération. En des détails les plus remarquables d’un billet de banque anglais est la vignette ou le médaillon exécuté par le célèbre peintre Maclise, et représentant une jeune fille avec un bouclier, un trident et une ruche qu’on peut prendre à volonté pour la figure de la reine ou pour le mythe de Britannia. Dans cette même chambre un peu mystérieuse, j’ai vu, reléguées à l’écart, de vieilles planches hors de service qui ont gravé dans leur temps des millions de billets, images en cela de ces hommes qui, après avoir imprimé une valeur aux événemens et à certains actes de la vie, tombent désormais dans l’oubli et l’obscurité. Les squelettes de bank-notes après être sortis une première fois de dessous la presse, se reposent ensuite quelque temps, jusqu’à ce qu’un second ordre du caissier en chef fasse connaître au chef de l’imprimerie le nombre de billets qu’il faut finir pour subvenir aux besoins de la Banque.

Finir les bank-notes, c’est, on le devine, y ajouter la date, le numéro et la signature[8] qui constituent dans le commerce les principaux élémens d’une promesse obligatoire. Cette seconde opération a lieu dans une autre salle de l’imprimerie. Là les notes déjà chargées de certains caractères et de dessins plus ou moins emblématiques passent sous une nouvelle série de presses, stamping machines de l’invention de M. Oldham. Ces dernières, non contentes d’imprimer ce qui manquait encore aux billets de banque, jouent en même temps le rôle d’ouvriers compositeurs. Chaque fois qu’une note vient d’être numérotée, un ressort d’acier, véritable doigt, agit dans l’intérieur de la machine et substitue au type du chiffre qui vient de servir le type du chiffre qui doit marquer la note suivante. Les deux premières lettres et le numéro d’ordre forment les parties essentielles d’une bank-note, et aussi longtemps qu’ils survivent, le billet n’est point détruit. Dans le cas même où l’un de ces précieux chiffons de papier viendrait à disparaître entièrement, la personne qui a conservé de mémoire ou par écrit le numéro du billet peut encore se présenter devant les bureaux de la Banque : là on consulte un livre qu’on m’a montré et qui contient en quelque sorte le signalement exact de chaque billet tiré dans l’imprimerie. Si le résultat de ces recherches est favorable au réclamant, il peut recevoir une autre bank-notes, tout en offrant des garanties de solvabilité personnelle pour le cas où le billet considéré comme anéanti viendrait à reparaître un jour.

Les notes, désormais revêtues de tous les signes d’une valeur légale, passent maintenant dans un bureau où elles sont examinées : si, après cette vérification, elles sont reconnues irréprochables, ou les range par paquets de cinq cents et on les envoie ensuite à la trésorerie. Cette dernière salle, tout à fait détachée de l’imprimerie, se trouve au rez-de-chaussée et déploie dans toute sa longueur une série de coffres-forts ou de belles armoires en fer. Dans ces armoires, il y a des billets de banque et de l’or. C’est ici qu’il faut se demander quelle est la garantie des bank-notes qui s’envolent par milliers de dessous la presse. Jusqu’à présent, on n’a eu devant les yeux que du papier, et la science économique, malgré d’incontestables services, n’a point encore découvert le secret de donner de la valeur à une feuille blanche par l’impression de quelques signes. que représentent donc ces morceaux de papier acceptés de chacun connue de l’argent ? Pour répondre à une telle question, il nous faut remonter jusqu’à 1844, époque mémorable dans les annales financières de la Grande-Bretagne. Cette année-là, un grand homme d’état et un grand économiste, sir Robert Peel, frappé des abus qui s’attachaient depuis longtemps à l’émission indéfinie des billets de banque, introduisit le fameux bill qui devait limiter la circulation du papier-monnaie. En ce qui regarde la Banque d’Angleterre, ce bill établit qu’elle sera autorisée à émettre pour 14 millions de livres sterling en notes ainsi hypothéquées : 11 millions sur la dette que le gouvernement anglais a contractée envers la Banque à diverses époques, 3 millions sur les billets de l’échiquier (exehequer bills) ou autres solides garanties. Au-delà de cette somme[9], toute note émise pour n’importe quelle valeur doit être représentée dans les coffres de la Banque par un dépôt d’or équivalent. Le même bill restreignait le privilège de lancer du papier-monnaie aux seules banques qui étaient alors en existence et qui avaient joui de ce privilège avant 1844 ; le même privilège devait être refusé à toutes celles qui s’établiraient plus tard. Qui ne saisit tout d’abord l’esprit de la nouvelle loi ? L’intention de sir Robert Peel était que la circulation, composée mi-partie d’or et mi-partie d’argent, fût soumise exactement aux mêmes fluctuations sur le marché que si elle eût consisté uniquement en monnaie d’or. Les principes sur lesquels s’appuyait cette réforme trouvent aujourd’hui de zélés partisans dans les chefs de la Banque d’Angleterre. Bien loin d’encourager certaines illusions sur la valeur du papier-monnaie, ils déclarent hautement que ce dernier n’a rien du tout à faire avec la fortune d’un pays. Il s’est bien rencontré en Angleterre des rêveurs qui ont cru que le papier pouvait être substitué au numéraire, et que dans ce cas l’exportation de l’or et de l’argent à l’étranger ouvrirait une nouvelle source de richesses matérielles ; mais leurs vues et leurs raisonnemens n’ont jamais converti les hommes pratiques. Ceux-ci ne reconnaissent au papier que deux avantages sur les pièces métalliques, la facilité qu’il offre pour les grands paiemens et l’économie des frais de monnayage, coining. L’or et l’argent sont des signes d’échange dispendieux ; ils perdent par l’usure et le frottement 1 pour 100 dans l’espace d’un quart de siècle, tandis que le papier ne perd absolument rien. Qui ne voit maintenant d’où vient la valeur relative des bank-notes et quelle est la limite de cette valeur ? Depuis 1844 surtout, le papier ne multiplie point l’argent ; il ne fait que le représenter. Il y a dans les armoires de la trésorerie des notes dont la valeur nominale se trouve en quelque sorte consolidée par une somme équivalente : celles-là sont toutes prêtes pour l’émission ; il y en a d’autres au contraire qui, n’ayant pas encore reçu cette consécration pécuniaire, n’ont jusqu’ici d’autre valeur intrinsèque que celle du papier. On pourrait dire de ces dernières qu’elles ne sont pas nées. Ce qui donne l’âme et la vie aux billets de banque est l’or qu’on dépose en quelque sorte à leur place et à titre d’otage.

Les notes qui ont laissé dans les coffres un remplaçant vont ensuite de la trésorerie dans le département d’émission (issue départment), où elles sont distribuées au public, mais surtout aux banquiers, en larges paquets. Il y a deux voies par lesquelles ces billets entrent en circulation ; ils sont ou échangés contre des souverains ou remis en paiement contre des traites par les différentes branches de la Banque. Chaque note émise se trouve enregistrée avec le numéro et la date sur les livres de l’issue department, et la balance de ces livres s’établit avec soin à la fin de la journée. Celles des notes qui ne sont point sorties des portefeuilles de la Banque retournent le lendemain matin entre les mains du caissier. Qui pourrait suivre maintenant dans leur vol à travers le monde ces morceaux de papier éparpillés ? Ainsi que les hommes, ils ont des destinées bien différentes : les uns traversent les mers et s’enfuient jusqu’aux extrémités de la terre, tandis que d’autres quittent à peine les murs de Londres ; ceux-ci passent de main en main, le dos tout couvert de signatures, tandis que ceux-là dorment tranquillement dans le portefeuille d’un homme riche ; mais en général ils se mêlent à toutes les actions de la vie, au bien comme au mal, ayant tantôt sur la conscience des péchés mortels, servant aussi quelquefois d’intermédiaires à la bienfaisance, à la probité et aux vertus domestiques. Les mille services des billets de banque étant bien connus, je ne m’arrêterai qu’à des usages auxquels n’avait jamais songé l’administration chargée de les émettre. Vers la fin du dernier siècle, un voyageur anglais, qui avait perdu sa route dans les riches campagnes de l’Herefordshire, dirigea son cheval vers un pauvre cottage. Là il avisa une fenêtre dont un des carreaux brisé avait été remplacé par la copie manuscrite d’une vieille ballade pour intercepter l’action du vent ; mais à côté de la ballade était collée à la vitre une bank-note de 20 livres sterling. Le couple centenaire auquel appartenait ce cottage ne savait ni lire ni écrire. Qu’on se figure la joie des vieux époux en apprenant de la bouche du voyageur l’existence d’une somme d’argent qu’ils possédaient sans la connaître ! Une autre note de 5 liv. sterl. fut entraînée par le courant des affaires, au commencement de ce siècle, dans la maison d’un négociant de Liverpool, qui lut avec surprise sur le dos du billet : « Si cette note tombe jamais entre les mains de John Dean, à Longhill, près de Carlisle, il saura que son frère André est prisonnier à Alger. » Le fait fut alors publié par un journal, et de proche en proche la nouvelle arriva jusqu’à la famille du captif qui avait lancé à tout hasard ce singulier message.

La vie d’un billet de banque est généralement assez courte. Par vie, il faut entendre ici l’espace de temps qui s’écoule entre le moment où il est sorti de la Banque et celui où il y rentre. Toute note étant une promesse, on comprend en effet qu’elle tende naturellement vers une réalisation. On pourrait toutefois citer des exceptions singulières à la destinée commune de ces valeurs représentatives qui durent peu. J’ai vu dans les archives de la Banque une note qui, émise en 1724, ne retourna vers la source que le 20 juillet 1860. Qu’on calcule seulement les intérêts à 5 pour 100, et l’on trouvera que ce papier-monnaie a perdu en restant oisif, ou en faisant l’école buissonnière, une somme très considérable.

La rentrée des billets de banque donne lieu à un service très important qui s’exécute dans une grande et ancienne salle où se trouvent rangés, selon l’ordre des fonctions, cent employés (clerks) et vingt manœuvres (mechanics). Les bank-notes arrivent généralement de chez les banquiers en paquets assez volumineux, et se trouvent de moment en moment présentées devant un pupitre entouré d’un de ces treillis de fil de laiton que l’on rencontre dans tous les bureaux d’affaires. La première question, on le devine, est de vérifier le billet. Qui ne sait en effet qu’il y a par le monde de vraies et de fausses bank-notes ? C’est en 1758 que se présenta devant les bureaux de la Banque d’Angleterre la première note contrefaite (forged) ; l’auteur du crime était un nommé Richard William Vaughan, fabricant de toile à Strafford. Depuis lors, les mêmes tentatives se succédèrent avec une constance déplorable. Un des plus célèbres faussaires anglais a été Charles Price. Comédien, valet, teneur d’un bureau de loterie, courtier-marron, joueur, il avait passé par tous les échelons qui devaient le conduire à de funestes exploits. Il apprit l’art de la gravure avec une rare persistance et beaucoup trop de succès, fabriqua lui-même son encre et son papier, tira ses notes avec une presse qu’il avait construite de ses propres mains, et contrefit à s’y méprendre la signature des caissiers. Maître de tous ces secrets, il répandit son papier dans la ville. En 1783, les caissiers de la Cité payèrent dans un seul jour jusqu’à quatorze notes fausses, de 50 livres sterling chacune. Quelques-unes de ces notes défièrent même plus d’une fois la perspicacité des employés de la Banque, tant elles étaient merveilleusement imitées : la fraude ne fut trop souvent découverte qu’après que les billets avaient été payés. Non content de contrefaire le papier-monnaie, Charles Price ne se montrait pas moins habile à déguiser son âge, sa personne, son nom, et à jouer tous les rôles. On rencontrait souvent dans les rues de Londres un homme qui avait l’air d’un étranger, traîné dans une voiture, avec les jambes enveloppées dans de la flanelle, un manteau boutonné autour de la bouche et un emplâtre noir sur l’œil gauche. Ce vieillard goutteux en apparence avait à son service un domestique qu’il s’était procuré par la voie des annonces, et qu’il envoyait, sans le perdre de vue, acheter çà et là un grand nombre de billets de loterie. Ce même serviteur était en outre épié à son insu par une femme qui le suivait dans la ville comme une ombre, qui marchait quand il marchait, qui s’arrêtait quand il s’arrêtait, et l’attendait à la porte quand il entrait dans un bureau. Cette femme était l’unique complice et la maîtresse de Charles Price. Les allées et venues du domestique donnèrent pour- tant l’éveil à la police : on l’arrêta, et il dit ce qu’il savait ; mais son maître avait déjà disparu comme un esprit de ténèbres, et les faux continuèrent de circuler. Price se partagea ensuite entre la fabrication de fausses notes et la falsification de notes réellement émanées de la Banque, mais auxquelles il ajoutait adroitement un ou deux zéros. C’est ainsi qu’un jour il fit d’un billet de banque de 10 liv. sterl. un billet de 1,000.

« Le diable, disent les Anglais, finit tôt ou tard par abandonner ses amis. » Une fausse note que Price avait remise à un orfèvre de Londres pour de l’argenterie destinée à rehausser le luxe et la magnificence d’une table princière fit enfin découvrir son vrai nom et son adresse. Après avoir volé la Banque durant plusieurs années, Price, voyant qu’il n’y avait plus moyen d’échapper à la justice, finit par voler le bourreau : grâce à l’entremise de son fils, il se procura les moyens de se détruire lui-même. Le tribunal n’avait plus à juger qu’un cadavre ; mais, selon une ancienne coutume anglaise, les restes de l’homme qui s’était traîtreusement suicidé furent enterrés à minuit dans un chemin de traverse solitaire, et un poteau d’infamie s’éleva sur cette tombe sans nom[10].

La répression du crime de forgery (contrefaçon des billets de banque) donna lieu, il y a une quarantaine d’années, à une vive controverse en Angleterre. On sait que la loi prononçait jadis la peine de mort contre les faussaires (forgers), et plus d’un parmi eux avait péri par le gibet, lorsque tout à coup la conscience publique s’alarma. Le jury ne condamnait plus, les témoins ne voulaient plus déposer, les victimes des faux aimaient mieux endosser des pertes assez considérables que de prêter les mains à un châtiment qu’ils regardaient comme trop rigoureux. Il en résultait que la justice, ainsi armée d’une peine trop sévère, passait au-dessus de la tête du coupable sans l’atteindre. Ce mouvement mérite d’être signalé, car il montre de quelle manière tombent ou se modifient en Angleterre les lois qui se trouvent désormais en arrière des mœurs et de l’opinion publique. Les arts mêmes s’en mêlèrent et plaidèrent dans cette circonstance la cause de l’humanité. Un artiste de mérite, qui s’est frayé une voie à part entre la caricature et la peinture philosophique, George Cruikshank, lança vers cette époque une gravure humoristique sur l’impitoyable rigueur avec laquelle on punissait ces sortes d’offenses[11]. Les argumens qu’on faisait valoir contre la peine de mort en matière de faux puisèrent dans la vive esquisse de Cruikshank une force nouvelle. Une pétition fut rédigée contre cette pénalité rigoureuse ; par quelles signatures fut-elle couverte ? Elle fut appuyée par les banquiers, les hauts commerçans, qui avaient perdu toute confiance dans la sévérité de la loi. Enfin un bill fut présenté en 1830 par sir Robert Peel devant les deux chambres pour abolir la peine capitale dans certains cas : ce bill fut rejeté d’abord, puis admis en 1832 par la chambre des lords. L’Angleterre accomplit ainsi, par la seule force de l’opinion publique, une réforme qui n’eut lieu en France la même année qu’à la suite d’une glorieuse révolution.

J’ai vu dans les archives de la Banque d’Angleterre quelques-unes de ces notes contrefaites à différentes époques, et qu’on conserve comme les spécimens plus ou moins curieux d’un art illégitime. L’une d’elles, je regrette de le dire, a été faite à la plume en 1809 par des Français prisonniers de guerre à Chatham ; leur excuse était sans doute qu’ils se trouvaient en pays ennemi. Une autre note, exécutée de la même manière, est l’œuvre d’un maître d’école qui fut pendu pour avoir abusé de ses talens en écriture. Il semble qu’il y ait chez certains faussaires des inclinations innées et incurables : une femme qui avait été transportée pour crime de forgery revint d’Australie en Angleterre, après avoir obtenu sa grâce, le 23 février 1813 ; eh bien ! le 25 du même mois, elle était remise en prison pour une nouvelle fausse note qui figure dans la même série d’illustrations. Quand on examine avec soin ces contrefaçons et qu’on les compare aux vrais billets de banque, on reconnaît tout de suite que c’est par la pureté du burin et l’excellence de l’exécution, surtout dans les parties délicates, que le papier-monnaie se défend principalement contre la fraude. Il faudrait, pour reproduire avec exactitude la vignette de Britannia, le talent d’un graveur habile, et. Dieu merci, tout artiste qui jouit de quelque considération dans le monde refuserait de prêter les mains à un chef-d’œuvre qui le conduirait tôt ou tard dans la prison de Newgate. Les faussaires, réduits dans ce cas à leurs propres ressources, se contentent d’imiter en secret et tant bien que mal, mais toujours d’une manière assez grossière, les traits généraux du modèle. De là vient que les faux billets ne résistent point à un examen attentif ; il y a même des hommes expérimentés qui reconnaissent, dit-on, une vraie bank-note d’une fausse en quelque sorte les yeux fermés : il leur suffit de passer les doigts sur la face du billet pour reconnaître la qualité de l’encre[12] et du papier. Par malheur, ce dernier moyen de diagnostic a été mis, il y a peu de temps, à une rude épreuve. Quelques rames de papier (le même dont se sert la Banque d’Angleterre pour imprimer ses billets) avaient été volées à la source, c’est-à-dire à la fabrique ou aux moulins de Laverstoke, par les mains d’un ouvrier qu’on avait séduit : dans quelle intention ? il est facile de le deviner. La nouvelle de cette soustraction répandit, il y a quelques mois, l’alarme dans le commerce de la Cité : comment reconnaîtrait-on maintenant un faux commis sur le papier authentique de la Banque ? Heureusement le vol n’était pas aussi étendu qu’on l’avait craint d’abord, et les manœuvres des contrefacteurs furent déjouées par la vigilance de la police anglaise. L’un d’eux, qui paraît être un type digne des causes célèbres, occupait une petite ferme aux environs de Birmingham ; mais les paisibles et honnêtes travaux de l’agriculture avaient été choisis à dessein comme un voile pour mieux couvrir des machinations ténébreuses. C’est en effet dans cette ferme qu’ont été saisis les principaux instrumens des faussaires. Les tribunaux ont prononcé contre quatre d’entre eux des peines sévères.

La contrefaçon est un mal contre lequel la Banque a dû prendre naturellement toute sorte de précautions et de défenses administratives. Il se présente en moyenne dans ses bureaux plus d’une fausse note par jour. Dans les commencemens, la fraude a pu défier de loin en loin l’habile surveillance des employés ; aujourd’hui il est impossible qu’un faux billet passe sans être découvert à travers toutes les minutieuses épreuves qu’on lui fait subir à sa rentrée. Quelles sont donc ces épreuves ? Après avoir été vérifiées avec grand soin, les notes passent par les mains de commis qui déchirent la signature. Il faut en effet savoir que toute note rentrée dans les bureaux de la Banque ne reverra plus jamais la lumière de la circulation ; on peut dire qu’elle a vécu, vixit. Une première déchirure ne suffit point ; le billet doit bientôt après en subir une seconde encore plus profonde, qui enlève le titre de la somme placé au côté gauche du feuillet de papier ; cette dernière lacération s’exécute par les mains d’autres commis. Chemin faisant, de plus en plus examinées, les notes sont en outre frappées d’un timbre rouge qui, au moyen de certains rapports avec l’ordre des faits courans, mettrait à même un employé de la Banque de décider en quelques minutes quand et par qui ces mêmes notes ont été payées. Jusqu’ici le papier démonétisé (defaced) se timbre à la main et avec une célérité merveilleuse ; mais j’ai vu, dans les bureaux de cet établissement, le modèle d’une machine qui ferait le travail confié à la main des commis avec plus de promptitude et même de régularité[13]. D’autres jeunes gens, pour la plupart fils d’employés, sont occupés dans la même salle à tenir les livres courans (journals) et les grands-livres (ledgers). Chaque note, à sa rentrée, est enregistrée sur les uns et les autres de ces livres, de telle sorte qu’en comparant le nombre des billets remboursés avec celui des billets qui ne le sont point, la Banque sait exactement, à la fin de la journée, quelle est la masse flottante de son papier en circulation.

Combien rentre-t-il généralement de notes par jour ? Le 16 octobre 1862, je visitai ce département de la Banque, et on avait reçu le même jour 56,785 notes, représentant toutes ensemble une valeur de 2,091,755 livres sterling. Il faut quatre jours de travail avant que chacune de ces notes déchues ait passé par la série de formalités qui doivent les contrôler d’abord, puis les annuler comme papier-monnaie. Enfin, triées, séparées par ordre de date et de valeur, formées en paquets qui varient de trois cents à quinze cents, elles sont envoyées dans une bibliothèque (library) où l’administration les conserve dans des boîtes pendant dix années. Durant tout ce temps-là, on peut remonter en quelque sorte à la généalogie de chaque bank-notes « morte » et déterminer les circonstances de l’émission et du paiement, pourvu que la personne intéressée à provoquer ces recherches indique seulement le numéro, la date et la valeur du billet. Une telle enquête, qui s’accomplit d’ailleurs en quelques minutes, semblera sans doute un tour de force, quand on saura qu’il y a dans cette bibliothèque seize mille boîtes, contenant toutes ensemble jusqu’à quatre-vingt millions de vieilles bank-notes dont la valeur ne figure plus qu’à titre de souvenir ! Au bout de dix ans, ces notes, conservées seulement en vue du public, sont brûlées dans l’enceinte de la Banque ; je dis en vue du public, car c’est uniquement afin de favoriser les recherches et les réclamations du dehors que l’administration s’impose les frais d’un tel service. Pour la Banque, le billet a cessé d’être du moment qu’il a été payé.

Les notes présentées par les banquiers se règlent à leur compte et font partie du mouvement général de doit et avoir, qu’on désigne ici sous le nom de balance ; mais les notes offertes par les particuliers se remboursent toutes dans le pay-hall, cette vieille grande salle, ouverte à tout venant, où l’on peut recevoir à volonté, soit de nouveaux billets, soit de l’or, soit de l’argent, selon le compartiment auquel on s’adresse. Il y eut toutefois un moment, dans l’histoire de la Grande-Bretagne, où la Banque d’Angleterre suspendit le paiement de ses notes : ce fut de 1797 à 1821. D’abord l’alarme fut vive ; mais bientôt le commerce de Londres accepta la mesure comme patriotique. Il ne faut pas oublier que toutes les ressources de la Grande-Bretagne étaient alors entrées en ligne contre les projets ambitieux de Napoléon. Cette longue disparition du numéraire fut d’ailleurs un témoignage irrécusable de la confiance publique dans la bonne foi de la Banque d’Angleterre et de la patience d’un grand peuple menacé. L’or avait reparu quand arriva la fameuse panique de 1825. Cette année 1825 avait été célèbre par ce que nos voisins appellent des bulles de savon, bubbles, c’est-à-dire des projets et des entreprises chimériques. La sauvagerie de la spéculation, wildness of speculation, avait été poussée jusqu’aux dernières limites[14]. Les conséquences de ces illusions en matière d’argent ne tardèrent point à se déclarer, et ce fut surtout la Banque d’Angleterre qui les supporta. Elle vit ses caisses assiégées chaque jour du matin au soir par une population nombreuse et effrayée qui demandait le paiement des bank-notes. C’était en même temps à qui escompterait les billets à ordre. La Banque combattit la peur par la fermeté, par la confiance en elle-même ; comme Wellington à Waterloo, qui avait résolu de tenir jusqu’au dernier homme, elle jura de tenir jusqu’au dernier écu. Cependant l’or s’écoulait de ses caves. En un seul jour, elle avait escompté 4,200 billets. Les sacs de 1,000 souverains ne faisaient que paraître et disparaître à chaque instant sur les comptoirs de la Banque. On commençait à trembler quand un des directeurs découvrit par hasard une boîte contenant de six à sept mille notes d’une livre sterling chacune[15] qui étaient toutes préparées pour l’émission ; une pareille circonstance frappa l’attention des autorités de la Banque, et l’on demanda au gouvernement la permission de lancer ce papier-monnaie, qui n’avait plus cours en Angleterre depuis quelque temps. À dater de cette mesure, la situation se détendit, et la Banque se retrouva debout, ayant même fortifié son crédit dans la tempête. Le gouverneur d’alors avait payé de sa personne durant la crise, et j’ai pu lire, écrit de sa main, un mot que je m’en voudrais de passer sous silence, tant j’y retrouve bien un trait du caractère britannique : « Il m’arriva, dit-il, de ne point voir mes enfans pendant toute cette semaine-Là ! »

Aujourd’hui la Banque d’Angleterre jouit d’une situation très florissante ; mais il est bon de savoir sur quoi elle compte pour dominer les éventualités contraires. Son capital est de 14 millions 1/2 de livres sterling, sur lesquels elle paie un dividende ; elle a en outre 3 millions de la même monnaie qui ne paient rien à personne. En d’autres termes, elle possède 17 millions 1/2 pour servir un dividende de 14 1/2. Ces 3 millions de différence forment sa réserve, sa citadelle, et c’est derrière un tel retranchement qu’elle espère bien tenir tête, quoi qu’il arrive, aux attaques imprévues de la fortune. Jusqu’en 1832, les paiemens se faisaient à la main ; la plus forte somme que vingt commis pussent distribuer de cette manière, depuis neuf heures du matin jusqu’à cinq heures du soir, était environ de 50,000 livres sterling en or. Cette méthode ne répondant point aux besoins de l’établissement à certaines époques de presse, on imagina de mettre vingt-cinq souverains dans un plateau de la balance et vingt-cinq souverains dans l’autre plateau, puis d’augmenter de part et d’autre jusqu’à deux cents. De cette façon-Là, l’or ne se compte plus, il se pèse. Grâce à la nouvelle pratique, 1,000 liv. sterl. peuvent être payées en quelques minutes. À côté de la grande salle des paiemens, pay-hall, se trouve une chambre particulière, wheighing-room, où les souverains et les demi-souverains se trouvent soumis à une autre sorte de pesage. Il s’agit de ces fameuses balances inventées par un ancien gouverneur de la Banque, M. William Cotton, et qui fonctionnent, on le sait[16], à l’Hôtel des Monnaies. Les pièces d’or peuvent avoir perdu dans la circulation le poids légal ; telle est la question que décident maintenant ces infaillibles machines. Les souverains jugés par elles comme trop légers, c’est-à-dire comme usés par le frottement, sont aussitôt condamnés à disparaître : ils passent alors, séance tenante, par une autre machine qui démonétise cinq cents pièces d’or en une minute, — de soixante à soixante-dix mille dans un jour de travail. Comme presque tout l’or de la Grande-Bretagne se porte vers la Banque à un moment donné, il est aisé de comprendre l’influence heureuse qu’exerce un tel contrôle sur la monnaie courante du royaume pour la soutenir à la hauteur du type consacré, legal standard.

La Banque d’Angleterre paie au gouvernement la somme de 120,000 livres sterling par an pour le privilège d’émettre du papier-monnaie. Le profit qu’elle tire de ce privilège peut être évalué chaque année à une centaine de mille livres de la même monnaie. Elle ne gagne pourtant rien sur les notes de 5 livres sterling ; ses bénéfices ne commencent que plus haut, et encore dans ce dernier cas ne réalise-t-elle un profit que sur les 14 millions 1/2 qui ne se trouvent point représentés en or dans ses caisses. Une des sources de gain dans les transactions de ce département doit être le nombre plus ou moins considérable de billets de banque anéantis par divers événemens, comme les incendies et les naufrages. On a vu comment, dans certains cas, la valeur du billet perdu ou endommagé pouvait se recouvrer ; je n’en citerai que deux exemples. Un avare qui vivait fort retiré dans un quartier excentrique de Londres n’était point sans inquiétude pour son trésor. Comme il ne faisait jamais de feu, même pendant l’hiver, dans son parlor, il avait imaginé de cacher un paquet de bank-notes dans la grille de la cheminée sous des morceaux de bois et de charbon de terre qui semblaient tout préparés pour un des usages domestiques les plus communs en Angleterre. Quel voleur aurait jamais songé à sonder cette cachette ? Un jour pourtant, — c’était sans doute le jour de Noël, — sa fille trouva bon d’éclairer par un peu de flamme la tristesse habituelle du foyer éteint ; contre les ordres du père, elle approcha une allumette des vieux débris de journaux dont la partie inférieure de la grille était obstruée. À ce moment, l’avare, qui avait entendu le frottement de l’allumette contre les rugosités de la boîte, se précipitait dans la chambre tout effaré. Il était déjà trop tard pour sauver entièrement les billets ; mais il était encore temps d’en recueillir les lambeaux enflammés Au risque de se brûler les doigts, il retira donc du feu des fragmens roussis de bank-notes qui, par bonheur, avaient conservé les premières lettres et le numéro de manière qu’on pût en établir l’authenticité grâce au livre de la Banque. On estime à plus de six cents par année les déclarations de pertes accidentelles portant toutes ensemble sur une valeur de 16,000 livres sterling.

Un autre fait, plus singulier encore, se rattache aux premiers temps de l’institution. En 1740, un des directeurs de la Banque, qui venait d’acheter un bien de campagne, demanda, pour faciliter les moyens de paiement, une bank-note de 30,000 livres sterling en échange de cette même somme qu’il déposa. De retour chez lui, il jeta négligemment le chiffon de papier dans sa chambre sur le marbre de la cheminée, quand tout à coup il fut appelé durant quelques minutes dans une pièce voisine pour une affaire importante. En rentrant dans la chambre, quelle fut sa surprise de n’y plus retrouver le billet ! Personne n’avait mis les pieds dans cet endroit-là : sur qui donc porter les soupçons ? On finit par imaginer qu’un courant d’air avait chassé le billet dans le feu de la cheminée. Le directeur raconta sa mésaventure aux autres chefs de la Banque ; comme c’était un homme honorable et que sa parole valait de l’or, on lui remit une seconde note contre la promesse écrite de reverser lui-même les 30,000 livres sterling, si le premier billet venait jamais à se représenter. Le directeur mourut, et sa fortune avait été partagée entre les héritiers, quand, trente années plus tard, un inconnu vint réclamer le paiement de la note qu’on croyait si bien perdue. La Banque paya, tout en se réservant de faire un appel à la bonne foi des héritiers ; mais ceux-ci repoussèrent toute demande de restitution. On découvrit plus tard que la maison de l’ancien directeur avait été achetée après sa mort par un architecte qui avait jugé à propos de la démolir, et que la 'ote s’était retrouvée dans une des crevasses de la cheminée.

L’émission des bank-notes constitue un des départemens les plus étendus et les plus actifs de la Banque ; mais qui n’a entendu parler de la dette de la Grande-Bretagne ? Cette dette formidable s’élève maintenant à 780,119,722 livres sterling, et il faut toutes les ressources d’une nation prodigieusement riche pour faire face de six mois en six mois au règlement des intérêts. Ce dernier service a été dévolu à la Banque, car chez nos voisins la main de l’état ne se montre guère, même quand elle paie.


III.

L’origine de la dette nationale remonte à Charles II. Ce roi avait contracté un emprunt dont le principal, comme disent les Anglais, n’avait jamais été remboursé. Cet emprunt fut plus tard enveloppé par Guillaume III dans les charges du royaume. Il serait superflu de suivre à diverses époques les incroyables progrès de la dette publique en Angleterre. Tout le monde sait qu’elle fut plus que doublée, il y a un demi-siècle, par les gigantesques efforts de l’Angleterre pour s’opposer aux envahissemens du premier empire. Quelques économistes, frappés sans doute de l’énorme charge que d’anciennes victoires, et surtout la dernière lutte, font peser sur les générations suivantes, ont reproché avec quelque mauvaise humeur à la Grande-Bretagne d’avoir jeté son argent à la mer. C’est en effet pour maintenir et accroître sa puissance sur les flots que la nation anglaise s’est principalement imposé de tels sacrifices ; mais comme la mer était son boulevard, comme elle doit après tout à ces pertes matérielles d’avoir sauvé ses libertés et son territoire, il y a dans le monde d’autre argent beaucoup plus mal dépensé que celui-là. Quoi qu’il en soit, les actes d’emprunt (loan acts) lancés à plusieurs reprises par les deux chambres stipulaient dès l’origine qu’aussi longtemps que la Banque d’Angleterre continuerait d’exister comme corporation, des livres seraient ouverts dans ses bureaux pour recevoir les noms des créanciers de l’état. Au début d’un de ces emprunts, les souscripteurs reçoivent du caissier, en retour de leur argent, un certificat portant leur nom, leur résidence et leur qualité. Ce certificat, qui reste entre les mains de la Banque, est ensuite transcrit sur un journal, puis sur un grand-livre, et c’est alors qu’il devient ce que les Anglais appellent stock (fonds ou effet public). Le caractère des stocks est d’être transférable à volonté. Quiconque a une fois son nom inscrit sur les livres de la Banque peut vendre en tout ou en partie la propriété de son titre, ou, pour mieux dire, de son inscription.

Où a lieu maintenant ce commerce des fonds publics ? Dans Bartholomew-Lane, vis-à-vis de la porte orientale de la Banque. C’est là que s’élève Capel-Court, autrefois la résidence de sir William Capel, qui fut lord-maire de Londres en 1504. Une sorte de portique conduit par une allée à ciel ouvert vers un bâtiment de médiocre apparence dont l’entrée se trouve sévèrement gardée par un homme en livrée : c’est le Stork-Exchange, ou la Bourse des fonds publics. Les profanes, c’est-à-dire tous ceux qui n’appartiennent point à la confrérie des souscripteurs (subscribers) et de leurs commis (clerks), sont rigoureusement exclus des portes du temple. Si pourtant, grâce à la recommandation d’un des initiés, vous réussissez à faire lever la consigne, vous vous trouvez dans une grande salle ouverte aux hommes d’affaires depuis 1802. Soutenue par une double rangée de colonnes entourées à la base d’un banc de bois, cette salle ressemble, pour le bruit et la confusion des langues, à toutes les bourses du monde. Au milieu de ce tumulte et du va-et-vient perpétuel, vous distinguez dans cette foule affairée deux sortes de caractères, les stock-jobbers et les stock-brokers. Les jobbers remplissent à peu près le rôle dévolu à nos agens de change : ils fixent et déterminent entre eux le cours des fonds publics. Les brokers sont des courtiers qui servent d’intermédiaires entre le jobber et l’acheteur de rentes ; ils offrent en outre une garantie à la Banque, et l’aident à écarter la fraude en vérifiant l’identité des personnes entre lesquelles se concluent les transactions. Ces grands-prêtres du monde de l’argent ont volontiers leurs bureaux ou leur sanctuaire dans le voisinage, au rez-de-chaussée de rues étroites et détournées, au fond de petites cours ou d’allées obscures. Ils se distinguent par une toilette correcte et à peu près uniforme, de rares favoris, un front le plus souvent chauve avant l’âge, et un air de réflexion qui n’exclut point la promptitude électrique des actes ni des démarches. Le Stock-Exchange est regardé par quelques moralistes comme un antre de spéculation (den). Ce qui lui a valu cette mauvaise renommée est le caractère souvent équivoque des marchés à terme. Ici les joueurs, car cet ordre de transactions constitue un véritable jeu, se divisent en ours et en bœufs. Les ours (bears) sont ceux qui spéculent sur la baisse ; ils ont la réputation de voir tout en noir et de se nourrir des calamités publiques. Les bœufs au contraire (bulls) tiennent pour la hausse, et les choses se présentent à leurs yeux tellement couleur de rose qu’elles en deviennent presque rouges. Ces derniers se subdivisent eux-mêmes en deux classes dans l’histoire naturelle du Stock-Exchange ; il y a les bœufs faibles et les bœufs forts. Les bœufs faibles (weak bulls) sont ceux qui peuvent avoir à un haut degré l’ardeur et le courage des affaires, mais qui, n’ayant point d’argent, sont obligés de s’appuyer sur les bœufs forts (strong bulls) pour faire hausser le mouvement du marché. Sans m’arrêter d’ailleurs aux combinaisons aléatoires, je suppose qu’une personne a cédé à une autre son inscription sur le grand-livre par l’intervention du stock-broker ; il faut maintenant régulariser le transfert, et cette dernière formalité nous ramène dans les stock-offices de la Banque, bureaux des fonds publics.

Ces bureaux, autant de grandes salles, qui reçoivent généralement le jour d’un plafond de verre, et qui ressemblent un peu à des églises, se distinguent surtout par une volumineuse collection de gros registres, connus en style administratif sous le nom de transfer books. Il m’a été permis de consulter ces livres vénérables qui représentent une branche si importante de la fortune publique en Angleterre. Ce qui étonne, c’est à la fois l’ordre et la simplicité du travail, si l’on réfléchit surtout à l’étendue des transactions. La moitié de la dette publique change de main à diverses reprises. On a vu dans un seul jour jusqu’à deux mille cinq cents transferts ; la moyenne est néanmoins de cinq cents. Un fait ajoute encore beaucoup à la complication de ces mouvemens, c’est que chaque porteur de fonds publics (stock-holder) peut ne vendre qu’une partie et même une très faible partie de son inscription. Il n’y a presque point de limite à la subdivision et au morcellement de ces créances sur l’état ; je me trompe, il en est une : nul ne peut ouvrir un compte sur le grand-livre pour moins d’un penny. Très peu profitent, il est vrai, de l’extrême latitude laissée sous ce rapport aux négociations des effets publics ; on trouve pourtant des individus qui ne possèdent que 2 ou 3 souverains dans un stock, et l’on avouera qu’il est difficile de devenir rentier à moins de frais. Le nombre des personnes intéressées dans les fonds publics était en 1859 de 268,990 ; mais rien ne s’oppose à ce que ce même nombre se trouve doublé dans quelques années. Il serait téméraire de vouloir spécifier tous les usages auxquels répondent ces achats de fonds publics : pour beaucoup, c’est un placement comme un autre, seulement plus sûr ; quelquefois aussi c’est un cadeau qu’un marchand économe et prévoyant fait à l’une de ses filles pour fêter l’anniversaire de sa naissance (birth-day). On s’est également servi de ce moyen pour placer à petit bruit une somme d’argent sur la tête d’un enfant illégitime ; cette forme de don, qui a le mérite d’éviter en pareil cas le scandale des actes notariés, ne présente qu’un seul inconvénient : si l’enfant vient à mourir, la rente et le capital meurent avec lui. Quelles que soient d’ailleurs les innombrables éventualités auxquelles se prêtent la vente et l’achat des fonds publics, il est facile de se convaincre que la majorité des transactions porte sur des sommes assez faibles.

Pourquoi achète-t-on des fonds publics sinon pour en recevoir les intérêts ? Aussi le paiement des rentes constitue-t-il une des branches les plus essentielles qui se rapportent au management de la dette nationale. Les dividendes sur tous les fonds anglais sont payés deux fois par an, soit en janvier et en juillet, soit en avril et en octobre. Je suppose l’heureux jour arrivé, le rentier (stock-holder) se présente dans une grande salle où les lettres de l’alphabet, peintes à l’encre noire, se dessinent en vigueur sur les murs. La lettre qui répond à la première de son nom lui indique tout de suite le pupitre de l’employé (clerk) auquel il doit s’adresser. Arrivé là, il se nomme, car on sait que la Banque d’Angleterre ne délivre jamais aucun titre au porteur ; le seul titre est l’inscription dans le grand-livre[17]. On ouvre ce livre, et au moyen seulement de deux lettres l’employé trouve tout de suite, avec une facilité merveilleuse, le nom et le compte arrêté d’avance de chacun, déduction faite de l’income-tax (impôt sur le revenu). Tout ce qu’on exige du réclamant est qu’il donne sa signature ; il a été reconnu que c’était la meilleure preuve d’identité. Ceci fait, il reçoit un cheque (bon pour être payé). Muni de ce précieux document, il passe dans une salle voisine qu’on appelle la Rotonda, et qui doit naturellement ce titre à la forme circulaire que lui a donnée l’architecte. Le centre de cette rotonde est occupé par un vaste bureau ou comptoir également rond qui se trouve sous un dôme vitré, et à l’intérieur duquel se distribuent une cinquantaine de commis. Ces commis reçoivent les cheques et paient l’un après l’autre, avec une rapidité extraordinaire, tous les mandats. La foule est quelquefois très considérable, surtout vers midi, durant la première semaine qui suit l’ouverture des paiemens ; elle flotte entre huit et dix mille personnes par jour. On a vu un clerk payer à lui seul, en pareil cas, six cent quarante rentiers de neuf heures du matin à trois heures du soir. Le caractère de cette population est intéressant à étudier, elle appartient en grande majorité à la classe moyenne et même à ce que nous appellerions en France la petite bourgeoisie[18]. Les créanciers de l’état se distinguent en général par un air respectable, une toilette modeste et des manières réservées. Les femmes sont au moins en aussi grand nombre que les hommes ; parmi elles, des veuves se font reconnaître à leurs vêtemens noirs et à un bonnet de forme particulière qu’elles portent sous le chapeau, usage si répandu en Angleterre que la reine elle-même n’a point voulu s’y soustraire, et que les Anglais l’aiment encore mieux sous ce simple bandeau de mousseline tuyautée que sous la couronne. Quelques-unes de ces veuves ont encore les hautes couleurs, l’embonpoint de la jeunesse et cet œil vif qui n’annonce point les deuils éternels ; leur qualité de rentière pourrait d’ailleurs bien leur attirer un consolateur ; d’autres au contraire, maigres, jaunes, rongées de soucis et de chagrins, se glissent comme des ombres dans la foule, reçoivent quelque petite somme, 16 ou 17 shillings, et disparaissent. Plusieurs vieilles femmes viennent avec leur fille, comme pour l’associer à un moment de joie. Les Anglais, et il devait en être ainsi, sont les seuls qui aient compris la poésie de l’argent et qui aient donné comme un sentiment aux écus. Sous ces dividendes reçus, il y a en effet toutes les sympathies de la famille, le souvenir d’un aïeul, la consolation d’assister une sœur ou un frère dans le besoin. Tout cela répand un rayon de soleil sur les figures, surtout au moment où est délivré le bienheureux cheque.

Comme plusieurs des vénérables matrones arrivaient avec de grands sacs de cuir noir sous le bras, je m’attendais à ce que ces sacs allaient se remplir d’or et d’argent ; en cela du moins, mon espérance fut trompée : leur compte se réduisait le plus souvent à quelques souverains qu’elles se gardaient bien d’engloutir dans ces vastes réceptacles. Quelques-unes se retiraient alors vers l’un des bancs qui occupent un coin de la Rotonde, et là ajustaient leur argent dans une des cachettes les plus intimes de leur vêtement suranné. Cette précaution n’est point inutile : le miroitement de l’or attire les voleurs, et des agens de police (detectives) veillent dans la salle à ce que l’argent ne sorte point des poches au moment où il vient d’y entrer. Parmi les rentiers, il y en a beaucoup qui viennent de loin ; on les reconnaît tout de suite à leur habit rustique, à leurs gros souliers et au bâton qu’ils tiennent à la main. Pèlerins d’un nouveau genre, ils visitent volontiers Threadneedle-street une ou deux fois par an. La vue de ces créanciers nationaux fait d’ailleurs songer volontiers aux chapelles et aux fontaines miraculeuses. Il y a parmi eux des malades, des boiteux, des paralysés, des infirmes, des vieillards décrépits aux regards vitreux. Je n’affirmerai point que cette piscine de l’or les guérisse, mais elle les aide du moins à supporter les souffrances de la vie.

L’époque du paiement des rentes exerce une influence heureuse sur le commerce de Londres. Ce n’est point en vain que les boutiques de la Cité ou du West-End étalent alors tant de séductions devant les yeux d’une personne qui vient de toucher son dividende. Plusieurs des rentiers ou des rentières arrivent d’ailleurs de la campagne ; c’est une raison de plus pour rapporter quelque souvenir de la métropole. Qui n’a entendu dire que les objets de toilette étaient à meilleur marché dans les grandes villes que dans les villages ? Comme on a bien plus de choix dans ces magasins de Londres, véritables temples de marchandises, que dans les mesquines boutiques de province ! Ces considérations et bien d’autres invitent à délier les cordons de la bourse. D’un autre côté, les 7 ou 8 millions de livres sterling qu’exige le paiement des intérêts de la dette nationale sont autant de retiré aux grandes affaires, qui peuvent souffrir alors d’un malaise temporaire ; mais qu’on ne s’inquiète pas : cette masse de numéraire s’évapore un instant en gouttes de pluie, ou si l’on veut en gouttes d’or, et au bout de trois ou quatre semaines elle retourne par mille conduits et par des courans inévitables dans les grands réservoirs de la fortune publique. Jusqu’ici nous ne nous sommes occupé que des rentiers qui venaient recevoir eux-mêmes leurs dividendes ; il y en a beaucoup d’autres qui ne se dérangent nullement pour cela, et qui, retenus à la campagne, se font représenter par une sorte de procuration qu’on appelle ici a power of attorney. Ce n’est point le cas de dire que les absens ont tort, car les absens sont au contraire servis avant les autres. Les deux premiers jours qui suivent l’échéance des dividendes sont consacrés à délivrer ces mandats, déposés par les rentiers de la province entre les mains de leur banquier ou de leur agent à Londres. La nouvelle en part le soir par la poste, de telle sorte que 180,000 stock-holders de la Grande-Bretagne peuvent le même jour ou recevoir leur argent, ou apprendre du moins qu’un autre l’a reçu pour eux. Je passe sur beaucoup d’autres détails qui se rapportent à la question de la dette publique ; il suffira de dire, pour donner une idée générale de l’étendue des travaux administratifs, que dix salles leur sont consacrées, qu’ils occupent quatre cents personnes et remplissent d’écritures plus de dix-sept cents registres, véritables livres sibyllins de la civilisation moderne. La Banque reçoit pour ce service, — à raison de 300 livres sterling pour les premiers 600 millions de la dette, et à raison de 150 pour le reste, — en tout 190,000 livres sterling par année. Ce qu’il y a ici de tout particulier est une administration indépendante qui fait les affaires du gouvernement, qui se place comme un lien entre la nation et les pouvoirs représentatifs, et qui resserre ainsi de part et d’autre la confiance. Quel autre régime que celui de la liberté pourrait ainsi mettre la main de l’état dans la main de la nation ?

Non contente de tenir avec une sévère exactitude les comptes présens du grand-livre, la Banque d’Angleterre attache une grande importance à conserver toutes les archives de la dette nationale. Un escalier de pierre étroit et tournant me conduisit à une bibliothèque, stock-office-library, dont l’entrée se trouve gardée par une grille de fer, et où le public n’est point admis. C’est un bâtiment à cinq étages, couronné d’un plafond de verre, mais dont les étages ne sont d’ailleurs marqués que par une balustrade ; le milieu est entièrement vide, et la lumière descend du toit jusqu’au plancher sans rencontrer aucun obstacle. Les murs se montrent couverts sur toute cette hauteur de plus de cent mille gros volumes. Ces livres contiennent toutes les transactions et tous les documens relatifs aux fonds publics depuis le 23 août 1694, époque de la fondation de la Banque. Grâce à ces registres, rangés dans un ordre systématique, on peut remonter à l’origine de tous les emprunts du gouvernement, tracer en quelque sorte la généalogie des rentiers anglais depuis les origines de l’établissement jusqu’à nos jours, et rétablir les titres de tous ceux qui ont jamais possédé des fonds publics. Au moment où j’entrai, je me trouvai vis-à-vis d’un gentleman debout et tranquillement occupé à peindre un tableau ; cet artiste était le bibliothécaire, librarian. Plusieurs autres toiles, représentant surtout des paysages, étaient jetées çà et là dans un coin de la bibliothèque dont il s’était fait un atelier. Avec une obligeance parfaite, il voulut bien m’initier aux curiosités de son département. Ces vieux livres contiennent une vaste et intéressante collection d’autographes, car les hommes les plus remarquables de chaque temps ont volontiers possédé de la rente. Le grand compositeur George-Frédéric Handel par exemple avait deux inscriptions sur le grand-livre, dont l’une s’élevait à 15,000 liv. sterl. Au milieu des livres de la Banque, modestement recouverts de parchemin, se détachent en splendeur les livres de l’ancienne compagnie des Indes, qui reflètent en quelque sorte sur une reliure de maroquin doré l’orgueil et la richesse de cette somptueuse société de commerce. Entouré de ces graves volumes et de ses tableaux, ce bibliothécaire, homme d’esprit et de goût, m’aurait paru bien heureux, s’il pouvait se chauffer ; mais on attache, et avec raison, trop de prix à la conservation de ces uniques documens pour permettre d’allumer du feu pendant l’hiver dans la bibliothèque. Les Anglais sont philosophes, et le librarian du stock-office essaya de me prouver par d’assez bonnes raisons que la chaleur artificielle était contraire à la santé.

Le paiement des intérêts de la dette publique n’est pas le seul lien qui existe entre la Banque et le gouvernement : elle est chargée en outre d’opérer pour le compte de la trésorerie le recouvrement de tous les revenus du royaume sous forme d’excisé, de taxes, de timbres, de droits de poste et de douane, etc. Le moindre shilling perçu dans le pays de Galles, sur les côtes de la Cornouaille, n’importe où, trouve aussitôt le chemin de Threadneedle-street à Londres, et se trouve ainsi en mesure de faire face aux demandes journalières qui assiègent l’état. Qu’on n’aille d’ailleurs pas croire que l’argent ait besoin, pour cela, de voyager du nord au midi et du midi au nord : au milieu de toutes ces transmissions, il n’y a peut-être pas un souverain qui se dérange ; des sommes souvent très considérables changent de place en vertu d’arrangemens des plus simples. Je suppose qu’un receveur du gouvernement, collector of government ait à transmettre 50,000 livres sterling de Liverpool à Londres ; il se trouve le même jour un individu qui a besoin de faire remettre 50,000 livres sterling de Londres à Liverpool par le canal de la Banque d’Angleterre ou de ses onze succursales ; les deux transactions s’accomplissent aussitôt au moyen de quelques lignes écrites sur un livre et d’un avis expédié par la poste. Le revenu public déposé entre les mains de la Banque d’Angleterre s’élève dans les temps ordinaires à 1 million de livres sterling par semaine. En même temps qu’elle reçoit, la Banque paie pour le compte du gouvernement, tient des livres ouverts avec tous les services publics, acquitte tous les mandats qui lui sont adressés par la trésorerie, et remplit de son or et de son papier, quand il en est besoin, les diverses caisses de l’état. Ce dernier ordre de travaux nous amène vers le troisième département de l’institution, les banking-offices.

Ces bureaux occupent dans une des cours une aile séparée qui enveloppe l’ancien cimetière de Saint-Christopher-le-Stocks, aujourd’hui converti en un jardin. Sur le terrain des opérations de banque proprement dites (banking), l’institution de Threadneedle-street. ne saurait se flatter d’être seule ; quiconque s’est promené dans les rues de Londres a dû être frappé du développement extraordinaire qu’ont pris chez nos voisins les joint stock-banks (banques par association), et les private banking establishments (banques dirigées par des particuliers) . Ces maisons, dont j’ai compté jusqu’à soixante-quatorze dans la ville de Londres, se distinguent à l’extérieur par un style plus ou moins monumental. Si vous franchissez une double porte vitrée à chambranle d’acajou massif, vous vous trouvez au rez-de-chaussée dans une grande salle, où, sur les murs nus et peints en blanc, se détache une grosse horloge ronde en forme de montre. Dans toute la longueur de la salle règne un comptoir également en acajou ; les Anglais font de ce bois, regardé chez nous comme assez rare, un usage qui touche à la prodigalité. Derrière ces comptoirs se tiennent de distance en distance, devant un pupitre chargé de plumes, d’encre et de registres, des commis tout prêts à recevoir votre cheque, si vous êtes assez heureux pour en avoir un à leur présenter. Ce cheque est un bon au porteur tiré sur la Banque par quelqu’un ayant un dépôt et un compte courant avec elle. Le commis vous demande invariablement si vous voulez être servi en bank-notes on en or. On ramasse l’or, une fois compté, dans une pelle de cuivre, puis on le lance sur l’acajou dans la direction de la personne qui doit être payée. Remuer l’or à la pelle n’est d’ailleurs point de la part de ces banques une vaine ostentation, car beaucoup d’entre elles sont énormément riches ; vers 1858, le montant des dépôts dans les joint stock-banks s’élevait au-delà de 44 millions de livres sterling ; il y avait en outre cinquante autres banques, dont quelques-unes embrassaient un rayon d’affaires très étendu. Ce n’est pas seulement à Londres qu’on rencontre ces établissemens : il n’y a guère de villes ni même de villages d’Angleterre où il n’y ait au moins une banque. Quelques-unes de ces banques provinciales affectent aujourd’hui des airs de luxe et de somptuosité ; mais les plus anciennes ont longtemps prospéré dans d’obscurs réduits. Comme je visitais en 1859 une ville industrielle de l’ouest, on me montra dans une rue sale et étroite une petite boutique d’épicier dont les vitres ternes, la devanture délabrée et l’étalage mesquin annonçaient un commerce à l’état de détresse ; c’était pourtant là, dans l’arrière-boutique, derrière des pains de sucre et des fromages de Chester, que se tenait une des banques les plus importantes du comté. Le banquier lui-même était un petit homme en culottes courtes, avec des bas mouchetés, un habit gris râpé et une vieille perruque blonde sur la tête.

L’immense développement des banques est sorti en Angleterre du principe de la division du travail. Tout homme enrichi par les arts, l’industrie ou le commerce trouve un avantage et une économie de temps à confier une partie de son capital à d’autres hommes qui ont fait de la science de l’argent une étude et une pratique. Ce principe a été fortifié dans toute la Grande-Bretagne par l’usage, quelquefois même par des raisons de convenance sociale. Payer en argent, cela n’est pas de bon ton. Un boutiquier anglais auquel on demandait un jour quelle était la différence entre un homme et un gentleman répondit sans hésiter : « Un homme est celui qui vient acheter mes marchandises et qui paie argent comptant ; le gentleman est celui auquel je fais crédit et qui me règle tous les six mois par un bon à toucher chez son banquier (cheque). » Dieu me garde de trouver que cette définition embrasse tous les rapports de la vie ; mais il faut en tenir compte au point de vue qui nous occupe : avoir un banquier est un signe de respectabilité. Les gens les plus riches ne gardent presque jamais d’argent chez eux que pour leurs besoins immédiats : ils ont un calepin dont ils détachent une page toutes les fois qu’ils veulent faire un paiement ; sur cette page chargée de caractères imprimés, portant le nom du banquier et la formule ordinaire d’un bon à vue, ils écrivent leur signature et le montant de la somme qui devra être comptée en or. Mais c’est surtout au point de vue du commerce que les banques rendent des services très importans. L’argent par lui-même est improductif, et la société tout entière est intéressée à ce que les écus ne sommeillent point. Les banquiers, ils l’avouent eux-mêmes, ne créent point le capital ; ils ne peuvent rien y ajouter ; mais ils distribuent le signe de ce capital, et en le distribuant, ils fécondent le travail sous toutes les formes, favorisent les transactions journalières d’homme à homme et facilitent, quelquefois même sans bourse délier, les achats de marchandises. Est-il besoin d’insister sur les avantages bien connus d’un système qui enveloppe en Angleterre, comme dans un vaste réseau, toutes les classes de la société[19] ? Il est pourtant un fait que je dois signaler. Les banques n’ont pas seulement chez nos voisins rendu plus efficace la circulation de l’argent ; elles ont développé en outre la valeur de l’honnêteté. Aux yeux du banquier, la moralité de ses cliens est un capital. Il est en effet de son intérêt de faire entrer en ligne de compte le caractère de ceux avec lesquels il traite. Il y a, dit-on, plus d’un exemple en Angleterre de personnes qui se sont élevées de l’obscurité vers une position sociale par la confiance qu’elles inspiraient à leur banquier. Ce n’est point seulement en ouvrant un crédit ou en escomptant des billets que celui-ci peut aider son client : l’opinion favorable d’un banquier facilite notablement les relations d’un homme actif et vraiment digne d’appui.

La Banque d’Angleterre conduit l’ordre d’affaires connues sous le nom de banking dans trois grandes salles qui se touchent et se continuent les unes les autres : la première est le private drawing office (bureau consacré aux affaires des particuliers) ; la seconde est le public drawing office (bureau où se liquident tous les comptes du gouvernement) ; vient ensuite le bill office (bureau où s’escomptent les billets à ordre). Le private drawing office se subdivise de son côté en deux sections, dont l’une est dévolue aux rapports avec les banquiers et l’autre aux rapports avec les cliens : cette dernière est représentée par un comptoir entrecoupé de lettres alphabétiques. Les deux grandes opérations consistent surtout à recevoir l’argent et à payer. La Banque reçoit l’argent des particuliers sous forme de dépôts. Toute personne présentée par des amis recommandables peut ouvrir un compte courant avec la Banque, pourvu seulement que les conditions soient jugées suffisamment avantageuses. À partir de ce moment, la Banque rend toute sorte de services à ses cliens : elle vend et achète pour eux, touche leurs dividendes, fait leurs paiemens dans presque tous les pays du monde, gère en un mot leurs intérêts d’après les mêmes principes administratifs qu’elle applique à l’administration du bien de l’état. De moment en moment, des cheques tirés par les déposans se présentent devant les commis. Le principal soin de ceux-ci est d’examiner dans les livres le compte de chaque client, de bien s’assurer par leurs yeux, sous peine d’amende, si la balance entre le dépôt et les sorties d’argent n’est point rompue. Comme cette série de travaux rentre dans le mouvement naturel de toutes les banques, je ne m’y arrêtai point ; mais dans la même salle est, on l’a vu, une autre division entièrement consacrée aux comptes courans de la Banque d’Angleterre avec les banquiers et qui présente un intérêt tout particulier. Autrefois les clercs de banquiers avaient coutume de se réunir à Londres dans un public-house. Là, tout en buvant un verre de bière, ils ouvraient leur portefeuille et échangeaient volontiers entre eux, pour s’épargner du temps et des peines, les billets ou mandats tirés par une maison sur une autre maison de Londres. Cette circonstance donna l’idée de concentrer un tel ordre de transactions, au profit des banquiers eux-mêmes, dans un établissement régulier, et de cette idée naquit en 1770 le clearing-house (littéralement, maison pour nettoyer les comptes). La maison s’élève dans Lombard-street, au coin d’une cour et derrière un bureau d’assurance. L’intérieur, très peu connu même de la plupart des Anglais, consiste en une grande salle avec des pupitres sur lesquels sont écrits par ordre alphabétique les noms des banquiers. Là, chaque banquier de Londres envoie en effet une ou deux fois par jour un de ses commis chargé de toutes les lettres de change et de toutes les traites payables à Londres qu’il peut avoir reçues de ses cliens. En un clin d’œil, et au milieu d’un grave tumulte qu’on pourrait appeler le tumulte des affaires, toutes les valeurs ont passé d’un portefeuille dans le portefeuille du voisin, et s’anéantissent en quelque sorte les unes par les autres dans ce mouvement d’échanges. C’est ainsi qu’en 1839, une masse de comptes, s’élevant à 954 millions de livres sterling, fut réglée par un paiement total de 66,275 livres sterling en bank-notes. Tel était l’état des choses lorsqu’une nouvelle économie de temps et d’argent s’introduisit vers 1856 dans les arrangemens du clearing-house. Il fut décidé par les banquiers de Londres que désormais la balance de tous les comptes entre une maison et une autre serait close chaque jour au moyen de simples cheques tirés sur la Banque d’Angleterre. Ces chèques pour ou contre arrivent vers trois heures de l’après-midi dans le drawing office de la Banque, où ils sont inscrits sur un livre au nom de chaque banquier, et forment ainsi partie de son actif ou de son passif. La conséquence toute naturelle d’une telle combinaison est que plus d’un million de livres sterling peut être liquidé dans une journée, sans qu’il ait été déboursé ni un sou ni une bank-note. Se passer de l’argent tout en faisant les grandes affaires d’argent est l’idéal vers lequel tend la science pratique des Anglais, et dans cette voie elle a réalisé des merveilles. On a calculé que, depuis l’introduction du système de nettoyage (clearing), 3 millions de livres sterling avaient été retirés de la circulation. Ils n’étaient plus du tout nécessaires.

Le banking department se trouve placé sous la surveillance d’un homme intelligent, M. Miller, qui l’appelle volontiers son nourrisson, my baby, parce qu’il a en effet développé avec une sorte d’amour la vie de ce district administratif. Dans tous les bureaux, la balance des comptes doit être fixée avant la fin de la journée avec une exactitude rigoureuse : s’il y a la moindre objection, chaque commis ne se donne point de repos et ne peut quitter sa place avant que l’erreur ne soit découverte, fût-elle seulement d’un penny. Jusqu’à la moitié du dernier siècle, la Banque d’Angleterre n’avait guère de rapports intimes qu’avec le gouvernement ; mais depuis une centaine d’années elle s’est tournée de plus en plus vers les besoins du commerce et de l’industrie. Ce dernier ordre de services embrasse, sous le nom de bill office, plusieurs branches distinctes : une première section où les billets à ordre appartenant aux cliens de la Banque ou à la Banque elle-même sont triés et disposés de manière à se présenter sans faute le jour de l’échéance, puis le bank-post-bill-office, où l’on peut se procurer contre de l’argent des billets à six ou sept jours de date, la Banque restant responsable du paiement lorsque le billet arrive, comme on dit ici, à maturité ; enfin le discount office, bureau d’escompte. En France, la moyenne des billets escomptés par la Banque est de 1,000 francs (40 livres sterl.) ; en Angleterre, cette moyenne flotte entre 300 et 400 livres sterling, donnant ainsi la différence du crédit entre les deux nations. Toute personne qui exerce à Londres un commerce respectable et qui présente des garanties suffisantes peut ouvrir avec la Banque des relations d’escompte, si elle est recommandée par un des directeurs ou des deux gouverneurs. À partir de ce moment, elle jouit du privilège d’envoyer chaque jour ses billets à la Banque pour être escomptés ; la valeur ou la qualité de ces billets se trouve néanmoins soumise à l’approbation du conseil de surveillance. Le taux de l’escompte varie, il suit le mouvement naturel de hausse et de baisse qui régit sur le marché toutes les valeurs. Il est arrivé plus d’une fois qu’à un taux très bas des intérêts, conséquence inévitable d’une grande masse de capitaux sans emploi, ait succédé une élévation soudaine du numéraire. Dans ce cas, ainsi que le disait si bien dans la Revue M. Foucade, le rapport existant entre la réserve métallique et la réserve des billets « marque le taux de l’intérêt, comme une montre marque l’heure. » L’élévation du taux de l’escompte est en même temps censée agir comme un frein sur les demandes d’argent ; ce frein, il faut bien le dire, est quelquefois impuissant ; il se peut même qu’il ait, du moins au début, un effet tout opposé à celui qu’on en attendait : la Banque est alors obligée de compter et de s’appuyer sur ses vastes ressources, bien certaine d’ailleurs que, la confiance publique et les capitaux revenant, l’équilibre ne tardera point à se rétablir.

La Banque d’Angleterre est un admirable mécanisme dont on a vu fonctionner les principaux rouages. En bas règne, avec une puissance tout anglaise, une stricte division du travail ; mais, à mesure qu’on s’élève vers les régions supérieures, on découvre l’unité. La suprême intendance de la Banque réside dans le gouverneur, le député-gouverneur et la cour des directeurs. Cette cour (court of directors) se compose de vingt-quatre membres, dont huit sortent annuellement par voie de rotation ; ils sont remplacés par huit autres que désigne l’assemblée des actionnaires ayant placé 500 livres sterling sur la Banque d’Angleterre. Du moins tel est le principe, mais en fait la cour des directeurs rédige une liste de noms qui se trouve ensuite soumise à l’approbation pure et simple des actionnaires. Un des avantages de ce système de mobilité est de désagréger les élémens d’une école ou d’une coterie dans le cas où il voudrait s’en former une. Les influences personnelles n’ont point le temps de s’enraciner, et comme nul ne peut dire un an d’avance quel sera son successeur, l’administration ne tombera jamais entre les mains d’un parti quelconque, jamais non plus elle n’arborera le drapeau d’aucune utopie. L’élection du gouverneur et de son député a entièrement lieu par la cour ; c’est ce que nous appellerions en France une élection au second degré. Les considérations politiques aussi bien que les influences de l’autorité en sont absolument bannies, et le gouverneur n’est nommé lui-même que pour une année ; il peut être réélu l’année suivante, mais là s’arrête la durée de sa magistrature. Ce dernier représente le pouvoir exécutif ; le pouvoir législatif réside dans le conseil. Le court-room, salle où s’assemble le conseil tous les jeudis, est un noble appartement construit par Robert Taylor, avec une rangée de hautes fenêtres vénitiennes qui regardent au midi du côté du jardin de la Banque. Trois grandes cheminées de marbre blanc, des colonnes ou des piliers peints en marbre vert et supportant des arceaux, huit médaillons fixés aux murs et représentant les huit règnes qui se sont écoulés depuis la fondation de la Banque d’Angleterre, des portes d’acajou, un ameublement de bon style, de vieux fauteuils avec des dossiers de cuir, une longue table couverte d’un drap bleu et sur laquelle s’étale un marteau en bois, signe de la présidence, tel est l’aspect général de cette chambre de la cour où siègent une fois par semaine les deux gouverneurs et les vingt-quatre directeurs de la plus grande banque qu’il y ait au monde. Toutes les questions sont résolues dans ce conseil à la majorité.

Il y a une autre chambre, committee-room, où les affaires journalières se trouvent conduites par un comité de trois directeurs qui se renouvellent et se remplacent de semaine en semaine. Quoiqu’il n’y ait que les membres de ce comité qui soient tenus d’être présens, beaucoup d’autres directeurs se rendent presque chaque jour dans l’établissement sans être de service, et tous sont assurés de connaître, par un moyen ou par un autre, ce qui se passe. Si ce n’est point tout à fait par les dîners qu’on gouverne les hommes, c’est du moins autour d’une table qu’on les réunit volontiers. Le gouverneur actuel de la Banque, M. Alfred Latham, voulut bien me montrer, chemin faisant, un des centres d’attraction qui appellent vers midi la plupart des directeurs, soit qu’ils se trouvent en fonction, soit que, par voie de rotation, ils en soient sortis : c’était une chambre particulière avec un bon déjeuner servi. Si la Banque tient beaucoup à ce que l’état de ses affaires soit constamment connu des directeurs, elle ne craint pas non plus que sa situation soit jugée par le public. Croyant que le meilleur des gouvernemens est encore celui qui a portes et fenêtres ouvertes, elle laisse volontiers la lumière et les regards des curieux pénétrer dans ses affaires. Les comptes de la Banque d’Angleterre sont publiés toutes les semaines, tandis que le bilan de la Banque de France n’est proclamé que tous les mois. Quel étranger n’a été surpris de voir en outre avec quelle facilité s’ouvrait devant lui l’accès aux divers bureaux de Threadneedle-street ! Combien cette liberté contraste avec le caractère mystérieux et impénétrable de nos administrations !

La Banque d’Angleterre avait commencé avec cinquante-quatre assistans ; elle emploie aujourd’hui sept cent soixante-dix clerks, et, en comptant les succursales, branches, neuf cent vingt-huit[20]. Ce nombre semblera encore assez peu considérable, si l’on réfléchit à la masse des travaux. En Angleterre, la ponctualité est l’âme des affaires ; aussi est-il curieux de voir, vers neuf heures du matin, l’état de la Cité. Les bateaux à vapeur déchargent des nuées de passagers sur la jetée, pier, de London-Bridge ; les omnibus se croisent et s’entre-croisent, versant des quatre points cardinaux de la ville des flots d’employés. Les clerks arrivent l’un après l’autre avec une toilette irréprochable, aussi nets, dit l’expression anglaise, que s’ils sortaient d’un carton à chapeau, — ce que nous traduirions en français par tirés à quatre épingles. Leur marche, plus ou moins grave ou précipitée, se règle sur les mouvemens de l’horloge, à laquelle ils ne manquent point, chemin faisant, de regarder l’heure. Le portier de la Banque, avec toute la solennité d’une consigne, étale sur le seuil son antique costume rouge somptueusement relevé d’or. Les abeilles se précipitent dans la ruche par toutes les entrées. La journée de travail dure de neuf heures du matin à trois heures du soir. La plus sévère discipline règne dans les bureaux. Le travail de chacun n’a rien d’excessif, mais on exige qu’il soit fait avec la plus grande précision et avec zèle. Le système d’administration est tellement parfait qu’il indique sur-le-champ avec l’exactitude d’un instrument automatique la moindre irrégularité. Les salaires et appointemens s’élèvent à près de 240,000 livres sterling par année, auxquelles il faut ajouter encore une vingtaine de mille livres sterling pour les pensions servies aux anciens employés.

À trois heures, plusieurs des clerks sont libres ; quelques-uns d’entre eux reviennent toutefois à la Banque dans la soirée, non par devoir, mais pour leur agrément. Il existe en effet dans une des ailes de l’édifice une grande et belle salle qui a été convertie en une bibliothèque ou library. L’idée de cette bibliothèque a été suggérée à l’origine par un gouverneur, M. Thompson Hankey, qui avait offert la salle et une dotation de 500 livres sterling pour mettre l’affaire en train. Les frais ont été supportés par mie souscription volontaire des clerks, qui s’élève pour chacun d’eux à 10 shillings. Il y a aujourd’hui cinq cents membres, représentant une somme de 250 livres par année. La bibliothèque possède neuf mille volumes, mais elle s’accroît de jour en jour par des dons volontaires. J’y ai vu des ouvrages rares et de grand prix. Les clerks peuvent passer là une partie de la soirée ; un grand feu brille dans la cheminée, une longue table recouverte d’un tapis vert est chargée de revues anglaises et étrangères ; d’autres petites tables sont distribuées dans les coins de la salle avec un jeu d’échecs et une carafe d’eau. On se sépare à sept heures du soir ; beaucoup d’employés habitent en effet des quartiers de Londres très éloignés de la Banque ; d’autres vivent même à la campagne, et ne se rendent à la bibliothèque que pour y emprunter des volumes. Le nombre de ces ouvrages prêtés est en moyenne de cent soixante par jour. Il suffit d’ailleurs de regarder la couverture pour être certain qu’ils ont supporté d’honorables services. Un des chefs me disait en riant : « Quand vous verrez, dans un wagon de chemin de fer, un inconnu à manières correctes avec un volume bien graisseux ouvert entre les mains, vous pouvez être sûr que c’est un clerk de la Banque. »

Les employés qui vivent aux environs de Londres, quelquefois même à vingt ou trente milles de la métropole, trouvent dans ce système plus d’un avantage. Somme toute, ils réalisent une économie, car la différence des frais de voyage se montre plus que compensée par une réduction assez forte sur le loyer de la maison ; les chemins de fer anglais offrent d’ailleurs de très grands rabais à leurs abonnés sous forme de season-tickets (bulletins pour trois ou six mois). Cette considération est-elle la seule ? Non vraiment ; j’oserais même dire qu’elle n’est que secondaire : les Anglais trouvent une source de satisfaction à diviser leur journée entre le travail et la famille. Une fois rentré chez lui, l’employé à la campagne se sent absolument délivré : il appartient à sa femme, à ses enfans, il s’appartient à lui-même ; le soir, il arrose les fleurs dans son jardin, il cultive son esprit par la lecture, il orne et embellit sa maison, une de ces jolies et élégantes villas comme on n’en rencontre que dans les villages de l’Angleterre. Vienne le dimanche, le septième jour, son âme, dégagée entièrement du fardeau des affaires, se repose sur l’immensité de la nature, sur un groupe de têtes blondes qui croissent au grand air et au grand soleil comme de jeunes plantes vigoureuses, sur les devoirs de la vie domestique succédant aux devoirs de la vie publique[21].

La Banque d’Angleterre a plus d’une tradition ; tous les habitans de Londres entre quarante et cinquante ans se souviennent à merveille de la « dame en noir » (lady in black). Un des employés a eu l’obligeance de me crayonner de mémoire cette figure tant soit peu fantastique. Un commis de la Banque avait été pendu ; ce n’était pas, on le devine bien, pour ses vertus : il avait commis des faux, crime puni alors de la peine capitale, et dérobé de l’argent à sa sœur. Cette même sœur, ne pouvant supporter un pareil coup, en perdit la raison. Sous l’impulsion du délire, elle visitait ou pour mieux dire hantait chaque jour la Banque comme une ombre pour y retrouver en même temps la trace de son frère et la trace de son argent. Que ce frère eût été exécuté, c’était une idée trop pénible qui ne pouvait entrer dans sa tête. Elle s’imagina plus volontiers qu’il avait été enlevé, jeté dans quelque retraite mystérieuse par les banquiers : de là ses rondes quotidiennes dans un édifice qui, par une association d’idées particulière à la monomanie, lui représentait tout ce qu’elle avait perdu et tout ce qu’elle espérait encore recouvrer. L’état mental de cette femme toucha de compassion les employés ; on lui fit l’aumône, et les shillings, les demi-couronnes ne firent, comme eût dit notre docteur aliéniste Leuret, « qu’arroser la racine d’une idée fausse. » Elle vint régulièrement à la Banque, moitié par intérêt, moitié afin d’y poursuivre l’image de ses hallucinations. On la rencontrait çà et là dans les cours, errant comme une âme en peine, toute vêtue de noir, la tête recouverte d’une sorte de capuchon, les joues relevées de couleurs artificielles, les sourcils peints en bleu, une aumônière à la main. Les plis droits de sa robe et de son manteau, sa marche éternelle et paisible, la double mélancolie qui s’attache à un deuil de famille et aux lamentables ridicules de l’aliénation mentale, tout désigna pendant longtemps la « dame en noir » à la curiosité publique. Un jour on ne la revit plus à la Banque, elle était morte.

On a maintenant une idée de la Banque d’Angleterre, ce vaste réservoir d’où l’or et l’argent se répandent par mille canaux dans la nation, et où ils reviennent ensuite, en vertu de cette même loi qui enlève l’eau à la mer pour alimenter les fleuves et les ruisseaux, lesquels retournent ensuite à l’océan. Il se présente une dernière question : quelle est la quantité du numéraire dans la Grande-Bretagne ? On connaît très bien quelle est la somme du papier-monnaie : le 1er janvier 1858, le montant de toutes les bank-notes qui circulaient en Angleterre, en Écosse et en Irlande s’élevait à environ 35,500,000 livres sterling. Il n’est pas aussi facile de déterminer le chiffre de la circulation de l’or. Les uns l’estiment à 40 ou 50 millions, d’autres à 80 millions de livres sterling ; il est probable que le chiffre réel flotte entre ces deux extrêmes. Une telle accumulation de numéraire est grande sans doute ; mais il y a quelque chose de plus grand encore, c’est la force qui l’a produite et la masse de travail que représente cette masse métallique. L’or et l’argent sous forme de monnaie ne constituent point, — et les Anglais eux-mêmes le reconnaissent, — la véritable richesse d’un pays ; cette richesse est dans la valeur des terres qu’accroît chaque jour une agriculture savante, dans les marchandises qui sortent par millions des fabriques, dans les habitudes industrieuses de la population, dans le labeur infatigable et dans le développement des institutions de crédit. Arrachez à un peuple une partie de son numéraire, il souffrira sans doute de cette catastrophe ; mais si vous lui laissez son génie et ses libertés, il réparera en un temps donné ses pertes à la manière d’Antée, qui se relevait plus fort après avoir touché la terre. « Le peuple et son industrie, a-t-on dit, sont la fortune réelle d’une nation. » Et celui qui parlait ainsi, c’est William Paterson, l’intelligent fondateur de la Banque d’Angleterre.


ALPHONSE ESQUIROS.

  1. Voyez, sur l’Or et l’Argent dans la Grande-Bretagne, la livraison du 15 décembre 1862.
  2. Outre l’édit d’Édouard le Confesseur interdisant le prêt à intérêt, il y avait encore d’autres obstacles qui s’opposèrent, durant tout le moyen âge, au développement des transactions pécuniaires. Il existait des lois qui défendaient sous des peines sévères d’exporter au dehors la monnaie anglaise. La changer, même dans le pays, contre des monnaies étrangères était considéré comme un privilège exclusivement royal, un des fleurons de la couronne. Dans une rue étroite, appelée aujourd’hui Old change, se tenait alors le bureau du changeur du roi, office of the King’s exchanger, où se rendaient tous ceux qui voulaient obtenir de l’or ou de l’argent anglais contre des pièces étrangères, et vice versâ.
  3. Cette enseigne, qu’on peut voir aujourd’hui près de Temple Bar dans l’intérieur des bureaux de Child’s, était un héliotrope se tournant vers le soleil avec cette devise : ainsi mon âme.
  4. On peut consulter sur le passé de la Banque d’Angleterre un excellent ouvrage, History of the Bank of England, its times and traditions, écrit par un des officiers mêmes de la Banque, M. John Francis.
  5. Cette marque d’eau, qui consiste en chiffres exprimant la valeur du billet, ne s’applique qu’aux bank-notes de 5 à 50 livres sterling. Ce sont presque les seuls billets sur lesquels s’exerce la contrefaçon. Ceux d’une valeur plus élevée ne réclament point la même précaution contre la fraude.
  6. Le nombre de billets ou bank-notes fabriqués dans les murs de l’établissement est à peu près en moyenne de 10 millions par an.
  7. Nous mettons au féminin le mot anglais bank-note, conformément au genre du mot français dont il dérive.
  8. Les billets de la Banque d’Angleterre sont signés, suivant leur valeur, de trois différens noms, un pour les bank-notes de 5 et de 10 liv. sterl., un autre pour les bank-notes de 20, 50 et 100 livres, et un troisième pour celles de 1,000.
  9. La Banque d’Angleterre peut maintenant écouler sans aucune autre condition 14,500,000 livres sterling de billets. Cette différence de 500,000 tient à des banques de province qui ont failli depuis 1844, et dans ce cas la Banque d’Angleterre s’empare de la circulation.
  10. Cette coutume est aujourd’hui considérée comme barbare et à peu près abolie ; les jurés admettent le cas d’insanité temporaire, même quand cette circonstance atténuante du suicide n’est point tout à fait prouvée.
  11. On peut voir cette esquisse à Exeter-Hall.
  12. Cette encre, qui fait légèrement saillie sur le billet, et qui est d’un noir incomparable, se compose de divers ingrédiens chimiques, parmi lesquels entre le marc de raisin.
  13. Cette machine, qu’on doit bientôt mettre à l’épreuve, est de l’invention de M. Hill.
  14. Un des projets de 1825 donnera une idée de l’état merveilleux auquel s’était élevé alors l’esprit d’entreprise : une société menaça de se former pour dessécher un des bras de la Mer-Rouge et y retrouver les trésors qu’y avaient laissés les Égyptiens engloutis au moment où ils poursuivaient les Israélites.
  15. Le montant des bank-notes a beaucoup varié ; dans l’origine, les plus faibles étaient de 20 liv. sterl. ; en 1795, la corporation introduisit les notes de 5 livres ; plus tard, c’est-à-dire en 1797, elle émit des billets d’une livre, qui furent ensuite retirés de la circulation.
  16. Voyez la Revue du 15 décembre 1862.
  17. On dit que ce système sera bientôt modifié, et que les créanciers de l’état recevront un papier constatant leurs droits.
  18. Je dois à l’obligeance d’un des employés de la Banque le tableau suivant, qui donnera une idée exacte de la distribution de la rente en Angleterre. Sur 268,995 rentiers,
    92,206 reçoivent au-dessous 10 liv. sterl.
    43,287 — — de 10 à 20
    89,001 — — de 20 à 100
    25,008 — — de 100 à 200
    13,012 — — de 200 à 400
    3,742 — — de 400 à 600
    2,421 — — de 600 à 1,000
    1,138 — — de 1,000 à 2,000
    354 — — de 2,000 à 4,000
    227 reçoivent plus de 4,000
  19. Le principe des banques anglaises est que l’argent qui n’est point immédiatement nécessaire à une personne puisse passer par ce canal entre les mains d’une autre qui le fasse fructifier.
  20. Il faut y ajouter les hommes de peine, commissionnaires, etc.
  21. Trois officiers seulement ont le droit de vivre dans les appartemens de la Banque : ce sont le comptable en chef (chief accountant), le caissier en chef (chief cashier) et le secrétaire. Le caissier et le comptable forment en quelque sorte les deux grands pouvoirs de la Banque ; ils agissent l’un sur l’autre de manière à se contrôler et à se tenir mutuellement en échec.