L’Antiquaire (Scott, trad. Ménard)/Chapitre XXXVI
CHAPITRE XXXVI.
POLITESSE ET DÉPART.
Le lendemain l’Antiquaire, qui était tant soit peu paresseux à sortir du lit le matin, fut appelé une grande heure plus tôt qu’à l’ordinaire par Caxon.
« Qu’y a-t-il donc ? » s’écria-t-il en bâillant et étendant la main vers une grosse montre d’or à répétition qui reposait mollement sur un mouchoir de soie des Indes auprès de son oreiller. « Qu’est-ce qu’il y a donc, Caxon ? Il ne peut être encore huit heures !
— Non, monsieur ; mais le domestique de milord est venu me trouver, car il s’imagine que je suis le valet de chambre de Votre Honneur, et je le suis en effet de Votre Honneur et du ministre, au moins vous n’en avez pas d’autre, que je sache ; et je donne un coup de main aussi à sir Arthur, mais c’est plutôt dans le genre de ma profession.
— C’est bon ! c’est bon ! en voilà assez ; heureux l’homme qui est à lui-même son valet de chambre ! Mais quel besoin de me déranger si matin ?
— Ah, monsieur ! c’est que le grand personnage est debout depuis la petite pointe du jour, et il a envoyé à la ville pour demander un exprès qui allât chercher sa voiture. L’exprès sera bientôt de retour, et il désirerait voir Votre Honneur avant de partir.
— Parbleu ! dit Oldbuck, ces grands personnages disposent de votre maison et de votre temps comme si c’était leur bien. Allons, patience, c’est une fois pour toutes. Eh bien ! Jenny a-t-elle retrouvé ses sens, Caxon ?
— Ma foi, monsieur, c’est tout juste ; elle était encore toute retournée en faisant le chocolat, et j’ai vu le moment où elle allait le verser dans le bol, et peut-être l’avaler elle-même pendant une de ses crises ! Mais elle en est venue à bout, pourtant, avec le secours de miss Mac Intyre.
— Ainsi toutes mes femelles sont sur pied et se trémoussent dans la maison, de sorte que si je veux que tout s’y passe bien, il faut renoncer à reposer plus long-temps ce matin. Donnez-moi ma robe de chambre, Caxon… Qu’est-ce qu’il y a de nouveau à Fairport ?
— Ah ! monsieur, il n’y a rien de nouveau, répondit le vieux perruquier, si ce n’est qu’on y parle, comme d’une grande nouvelle, de cette visite qu’est venu faire à Votre Honneur ce milord qui, dit-on, n’avait pas passé le seuil de sa porte depuis vingt ans.
— Ah, ah ! dit Monkbarns ; et qu’en dit-on, Caxon ?
— Vraiment, monsieur, il y a diverses opinions. Ces gens qu’on appelle les démocrates et qui sont contre le roi, la loi et la mode de la poudre et des perruques, ce qui montre que ce n’est que de la canaille, disent que milord n’est venu troubler Votre Honneur que pour lui proposer ses tenanciers et ses montagnards afin de dissoudre les assemblées des amis du peuple ; et lorsque j’ai dit que Votre Honneur ne se mêlait jamais d’affaires où il pouvait y avoir des coups à recevoir et du sang de répandu, ils ont répondu que si ce n’était pas vous, ce serait votre neveu ; qu’il était bien connu pour un royaliste qui se battrait à outrance ; que vous étiez la tête et lui le bras, et que le comte devait fournir les hommes et l’argent.
— Allons, dit l’Antiquaire en riant, je suis bien aise au moins que la guerre ne me coûte que des conseils.
— Oh ! quant à cela, dit Caxon, personne ne croit que Votre Honneur voulût combattre eu personne, et qu’il lui en coûtât seulement un sou pour l’un ou l’autre parti.
— Diantre ! c’est là l’opinion des démocrates ? Mais que dit le reste de Fairport ?
— Ma foi, répondit l’ingénu Caxon, je ne puis pas dire que cela vaille beaucoup mieux. Le capitaine Coquet, qui fait partie des volontaires, celui qui doit être le nouveau collecteur, et quelques uns des gentilshommes du club des bleus, disent qu’il est dangereux de laisser ainsi parcourir le pays à des papistes, comme le comte de Glenallan qui peut avoir tant d’amis en France, et… Mais vous allez peut-être vous fâcher.
— Non, non, Caxon, décharge toute la mitraille du capitaine Coquet ; je suis en état d’y résister.
— Eh bien donc ! on dit, monsieur, que comme vous n’avez pas appuyé la pétition au sujet de la paix, que vous vous êtes opposé à celle d’un nouvel impôt, et qu’on vous a toujours vu faire intervenir le corps des fermiers dans les émeutes du peuple, afin d’arranger les choses avec les constables ; d’après tout cela, on dit que vous n’êtes pas un véritable ami du gouvernement, et que ces sortes d’entrevues entre un seigneur aussi puissant que le comte et un homme aussi savant que vous, sont suspectes, et méritent qu’on s’en occupe. Il y en a qui disent qu’on ne ferait pas mal de vous envoyer tous deux à la forteresse d’Édimbourg.
— Sur ma parole, dit l’Antiquaire, je suis infiniment obligé à mes voisins de la bonne opinion qu’ils ont de moi. De sorte que moi, qui ne me suis jamais mêlé de leurs querelles, moi, qui ai toujours recommandé les mesures paisibles et modérées, je suis livré par les deux partis comme un homme capable du crime de haute trahison contre le roi ou contre le peuple ! Donnez-moi mon habit, Caxon, donnez-moi mon habit ; il est heureux que ma réputation soit faite en dépit de leurs rapports. Y a-t-il quelque nouvelle de Taffril et de son vaisseau ? »
Caxon prit un air mélancolique. « Non, monsieur, les vents sont hauts, et c’est une terrible côte que la nôtre, pour croiser par ces vents de l’est. Les écueils s’élèvent si haut, qu’un vaisseau vient s’y briser en moins de temps que je n’ai aiguisé mon rasoir ; et puis c’est qu’il n’y a aucune baie, aucun endroit de refuge sur notre côte ; ce ne sont que des rochers et des brisans. Un vaisseau qui vient échouer sur nos bords vole en poussière, comme la poudre quand je secoue la houppe, et il est aussi difficile d’en ramasser les débris. Ce sont de ces choses que je répète toujours à ma fille, quand elle s’inquiète de ne pas avoir de nouvelles du lieutenant Taffril : j’ai toujours une excuse toute prête pour lui ; il ne faut pas le condamner, ma fille, lui dis-je, qui sait ce qui peut lui être arrivé ?
— Oui-dà, Caxon, tu es aussi bon consolateur qu’habile valet de chambre… Donne-moi un col blanc, mon garçon : crois-tu que je puisse descendre avec un fichu autour du cou, quand j’ai du monde chez moi ?
— Mon cher monsieur, le capitaine Hector dit qu’un fichu à trois pointes est ce qu’il y a de plus à la mode, et que ces cols sont bons pour Votre Honneur et pour moi qui sommes des gens de l’ancien régime ; je vous demande pardon de me nommer à côté de vous, mais voilà ce qu’il a dit.
— Le capitaine est un fat, et vous êtes un oison, Caxon.
— La chose est très possible, répondit le complaisant barbier ; c’est ce dont Votre Honneur est mieux en état de juger que moi. »
Avant le déjeuner, lord Glenallan, qui paraissait moins abattu que la veille, parcourut avec soin les différentes pièces et renseignemens qu’Oldbuck avait réussi à rassembler dans le temps, et lui expliquant les moyens qu’il avait d’achever de prouver son mariage, il exprima sa résolution de s’occuper tout de suite de la tâche pénible de recueillir et de mettre en ordre les preuves de la naissance d’Éveline Neville, qu’Elspeth avait dit être parmi les papiers de sa mère.
« Et cependant, monsieur Oldbuck, ajouta-t-il, je suis dans l’état d’un homme qui reçoit des nouvelles importantes avant d’être bien éveillé, et qui doute encore si elles ont rapport à la vie réelle, ou si elles ne sont qu’une continuation de son rêve. Cette femme, cette Elspeth, elle est arrivée au dernier degré de la vieillesse, et semble souvent tomber en enfance… N’ai-je pas, ce serait un doute affreux, n’ai-je pas été trop prompt à admettre les preuves qu’elle m’a données hier, et qui démentent toutes celles qu’elle avança autrefois ? »
Oldbuck réfléchit un moment, et répondit avec fermeté : « Non, milord, je ne crois pas que vous ayez raison de soupçonner la vérité de l’aveu qu’elle vous a fait, et auquel elle ne paraît avoir été poussée que par la force de ses remords. Sa confession a été volontaire, désintéressée, précise et conséquente avec elle-même et avec les autres circonstances connues dans cette affaire. Je crois pourtant qu’il faut s’occuper sans perdre de temps d’examiner et de mettre en ordre les autres documens dont elle a parlé, et je pense aussi que sa déclaration devrait être prise en forme. Nous avions parlé de nous en occuper ensemble, mais j’épargnerai sans doute une tâche pénible à Votre Seigneurie, et montrerai peut-être plus d’impartialité en m’y rendant seul, et en cherchant à l’examiner en ma qualité de magistrat. Je le ferai, c’est-à-dire j’essaierai de le faire, aussitôt que je la verrai dans une disposition d’esprit assez favorable pour lui permettre de soutenir un interrogatoire. »
Lord Glenallan serra la main de l’Antiquaire en signe de sa reconnaissance. « Je ne puis vous exprimer, monsieur Oldbuck, dit-il, combien votre appui et votre coopération, dans cette triste et ténébreuse affaire, m’inspirent de confiance et me font éprouver de soulagement. Je ne puis cesser de m’applaudir d’avoir cédé à l’impulsion soudaine qui m’a pour ainsi dire entraîné à vous forcer de recevoir ma confidence, et qui était causée par le souvenir de la fermeté avec laquelle je vous avais vu remplir vos devoirs de magistrat, et chercher à justifier la mémoire de l’infortunée Éveline, dont vous vous montrâtes alors le défenseur zélé. Quelle que soit l’issue de cette affaire, et j’ose me flatter qu’un rayon d’espoir commence à éclairer l’avenir de notre maison, quoique je ne sois pas destiné à le voir s’accomplir ; mais, je le répète, quelle qu’en soit l’issue, ma famille et moi contractons envers vous dans ce moment des obligations éternelles.
— Milord, répondit l’Antiquaire, j’ai sans aucun doute le plus grand respect pour la famille de Votre Seigneurie, qui est, je le sais, une des plus anciennes de l’Écosse, puisqu’elle tire certainement son origine d’Alexandre II, et qu’une tradition du pays, moins authentique, quoique assez probable, la fait même remonter aux Marmor de Clochnaben. Cependant, malgré toute ma vénération pour l’antiquité de votre illustre maison, je dois avouer que mon empressement et mon désir de vous servir autant que mon pouvoir peut s’étendre, me sont inspirés surtout par l’intérêt sincère que je prends à vos chagrins, et par mon horreur pour l’imposture dont vous avez été victime. Mais, milord, le repas du matin doit être prêt, permettez-moi de guider Votre Seigneurie à travers tous les détours de mon cœnobilium, qui ressemble plutôt à une combinaison de cellules entassées les unes sur les autres qu’à une maison régulière. J’espère que vous vous dédommagerez ce matin de la diète que vous avez faite hier. »
Mais ceci n’entrait pas du tout dans les idées de lord Glenallan : ayant salué la compagnie avec cette politesse grave et mélancolique qui distinguait ses manières, son domestique plaça devant lui une tranche de pain grillée avec un verre d’eau pure, ce qui composait son déjeuner habituel. Tandis que le vieil Antiquaire et le jeune officier expédiaient le leur d’une manière un peu plus solide, le bruit des roues d’une voiture se fit entendre.
« C’est, je crois, la voiture de Votre Seigneurie, dit Oldbuck : voilà, sur ma parole, un élégant quadriga, car tel était, suivant le meilleur scholium, le vox signala des Romains pour un chariot attelé de quatre chevaux, comme celui de Votre Grandeur.
— Et j’ose assurer, dit Hector en regardant les chevaux, de la croisée, avec une ardente admiration, que jamais quatre chevaux bais plus beaux et mieux assortis n’ont été attelés à une voiture ! Quelle belle encolure ! Quels magnifiques chevaux d’escadron ils feraient ! Puis-je demander à Votre Seigneurie s’ils sont de la race de ses écuries ?
— Je le crois, dit lord Glenallan ; mais j’avoue que j’ai tellement négligé mes affaires domestiques, que je suis obligé d’avoir recours à Calvert pour m’en assurer.
— Ce sont des élèves du haras de Votre Seigneurie, dit Calvert ; ils descendent de Tom et de Jemima et Yarico, les deux jumens de race de Votre Seigneurie.
— En ont-elles produit d’autres ? demanda le comte.
— Deux de plus, milord, un qui a quatre ans accomplis, et l’autre cinq ; ce sont tous deux de très belles bêtes.
— Alors, faites-les amener demain matin à Monkbarns par Dawshins, dit le comte ; j’espère que le capitaine Mac Intyre me fera le plaisir de les accepter, s’il les juge capables de lui être utiles. »
Les yeux du capitaine Mac Intyre étincelèrent de joie, et il exprima sa reconnaissance à lord Glenallan avec la vivacité dont il était susceptible, tandis que l’Antiquaire, saisissant le comte par la manche, essayait de s’opposer à un présent qui lui semblait de mauvais augure pour ses provisions d’avoine et de foin.
« Milord, milord, vous êtes trop bon, beaucoup trop bon, mais Hector est un fantassin, il n’est jamais monté à cheval pendant une bataille. Il appartient au corps des montagnards, et son uniforme même ne conviendrait pas au service de la cavalerie. Macpherson même ne nous a jamais représenté ses ancêtres à cheval, quoiqu’il ait l’impudence de dire qu’ils sont nés pour le char. Et voilà plutôt, milord, ce qui tourne la tête à Hector, c’est plutôt l’exercice de la voiture que celui du cheval qu’il envierait.
« Sunt quos curriculo pulverem olympicum
Collegisse juvat[1]. »
Sa fantaisie serait d’avoir un curriculum, mais il n’a pas plus d’argent pour l’acheter qu’il n’aurait, je crois, d’habileté pour le conduire ; et j’ose assurer à Votre Seigneurie que la possession de deux semblables quadrupèdes lui serait plus dangereuse qu’aucun de ses duels, sans en excepter même celui de mon ami le phoque.
— Vous avez en ce moment le droit de tout exiger de moi, dit le comte avec politesse, mais j’ose me flatter que vous ne voudrez pas me priver plus tard d’offrir à mon jeune ami quelque chose qui puisse lui être agréable.
— Quelque chose d’utile, milord, mais pas de curriculum. Il serait tout aussi raisonnable à lui d’entretenir tout d’un coup un quadriga. Mais à propos, que vient faire ici cette vieille chaise de poste de Fairport ? je ne l’ai pas demandée !
— C’est pour moi, monsieur, » dit un peu sèchement Hector qui était fort peu satisfait de l’opposition que son oncle avait mise au présent que lui destinait le comte, et qui ne lui était pas non plus fort obligé de la manière dont il avait rabaissé son adresse à manier les chevaux, non plus que des allusions qu’il avait faites au mauvais succès de son aventure avec le veau marin.
« Pour vous, monsieur ? répondit l’Antiquaire à cette réplique laconique ; et quel besoin, je vous prie, avez-vous d’une chaise de poste ? Ce brillant équipage, que je pourrais appeler biga, doit-il servir d’introduction au quadriga ou au curriculum ?
— En vérité, monsieur, reprit le jeune militaire, puisqu’il vous faut une explication précise, c’est que je vais à Fairport pour une petite affaire.
— Me sera-t-il permis de demander de quelle nature est cette affaire, Hector ? » répondit son oncle qui aimait à exercer en passant une autorité dont il ne jouissait pas souvent sur son neveu. « Il me semble que toutes les affaires relatives au régiment peuvent être confiées à votre digne député le sergent, un honnête homme qui a la bonté de regarder Monkbarns comme sa maison depuis son arrivée. Il me semble, dis-je, que vous pouvez le charger de toutes vos affaires sans qu’il vous faille dépenser la paie d’un jour pour un mauvais cabas de bois pourri, attelé de deux rosses, comme celui qui est à la porte, et qui n’est que le squelette d’une chaise de poste.
— Ce n’est pas une affaire de régiment qui m’appelle à Fairport, monsieur ; et puisque vous insistez pour en savoir la cause, je vous dirai que Caxon m’ayant appris que le vieux mendiant Ochiltree doit subir aujourd’hui un interrogatoire avant d’être mis en jugement, je suis bien aise de voir comment on en agira avec ce pauvre vieux diable. Voilà tout.
— Oui-dà ! j’ai bien entendu dire un mot de cela, mais je ne croyais pas que ce fût tout de bon. Et dites-moi, je vous prie, capitaine Hector, vous qui vous montrez toujours si prompt à servir de second à tout le monde, dans toutes les occasions de querelle, civile ou militaire, par terre ou par eau, sans en excepter les bords de la mer, dites-moi quel intérêt si particulier vous prenez au vieil Ochiltree.
— Il a été soldat dans la compagnie de mon père, répondit Hector, et d’ailleurs, un jour que j’étais sur le point de commettre une action bien insensée, il s’est présenté pour m’en empêcher, et m’a donné d’aussi bons avis que vous auriez pu le faire vous-même, monsieur, dans cette occasion.
— Et avec autant de succès, j’en ferais serment ! Allons, Hector, avouez que ses bons conseils ont été perdus.
— Je l’avoue, monsieur ; mais je ne vois pas pourquoi ma mauvaise tête m’empêcherait de lui tenir compte de ses bonnes intentions.
— Bravo ! Hector ; voilà la chose la plus raisonnable que je vous aie encore entendu dire ; mais confiez-moi toujours vos projets sans réserve, mon garçon. Vous voyez bien, je vais aller moi-même avec vous ; je suis sûr que le pauvre diable n’est pas coupable, et je puis lui être d’un secours plus réel que vous dans cet embarras. D’ailleurs cela vous épargnera une demi-guinée, mon cher, considération que je vous engage sincèrement à avoir plus souvent devant les yeux. »
Au moment où le dialogue entre l’oncle et le neveu avait paru s’animer un peu plus qu’il ne convenait peut-être devant un étranger, la politesse avait engagé lord Glenallan à se tourner du côté des dames, et à causer avec elles ; mais en entendant le ton de l’Antiquaire s’apaiser et devenir amical, il se mêla de nouveau à la conversation. Ayant appris en peu de mots quel était le mendiant, et l’accusation portée contre lui, accusation qu’Oldbuck n’hésita pas à attribuer à la malice de Dousterswivel, lord Glenallan demanda si l’individu en question n’avait pas été autrefois soldat. On lui répondit affirmativement. « Ne porte-t-il pas, continua Sa Seigneurie, une robe bleue grossière, avec une plaque ? n’est-ce pas un homme d’une grande taille, avec une barbe et des cheveux gris, qui se tient fort droit, et qui parle avec un air d’assurance et de liberté qui fait un frappant contraste avec sa position ?
— C’est le portrait exact de l’homme, répondit Oldbuck.
— En ce cas, dit lord Glenallan, je le connais ; et quoique je craigne de ne pouvoir lui être utile dans la position où il se trouve maintenant, cependant j’ai contracté envers lui une dette de reconnaissance, pour être venu m’apporter le premier de bien importantes nouvelles. Je lui offrirai bien volontiers une retraite tranquille pour sa vie, quand il sera sorti de l’embarras où il est.
— Je crois, milord, qu’il serait très difficile de lui faire abandonner ses habitudes de vagabondage, et de le décider à profiter de votre générosité ; du moins je sais que chose pareille a été essayée et sans effet. Il se trouve bien plus indépendant en mendiant du public en général les secours nécessaires au soutien de sa vie, qu’il ne croirait l’être s’il les devait tout entiers à la libéralité d’un seul individu. Il a une espèce d’insouciance philosophique qui lui fait mépriser toute régularité dans l’emploi des heures et du temps. Quand il a faim il mange, quand il a soif il boit, quand il est fatigué il dort, et avec une telle indifférence pour la manière dont il satisfait à ces divers besoins, pour nous affaire si importante, que je ne crois pas qu’il lui soit jamais arrivé de mal dîner, ou de se trouver mal logé. Ensuite, il faut vous dire que c’est jusqu’à un certain point l’oracle du pays qu’il parcourt. C’est le généalogiste, le nouvelliste, l’ordonnateur des jeux, le docteur et le théologien au besoin. Je vous assure qu’il a trop de devoirs, et il les remplit avec trop de zèle pour qu’on puisse lui persuader facilement d’abandonner sa profession. Mais je serais sincèrement fâché qu’on envoyât en prison pour quelques semaines ce pauvre vieillard ; tout sans-souci qu’il soit, je suis persuadé que la captivité est la seule chose qu’il ne pourrait supporter ; il en mourrait de chagrin. »
La conversation se termina là ; lord Glenallan, après avoir pris congé des dames, renouvela au capitaine Mac Intyre l’offre de chasser sur ses terres autant qu’il lui serait agréable, et le jeune homme l’accepta avec joie.
« J’ajouterai, dit-il, que si la triste société du château de Glenallan n’a rien de trop effrayant pour la gaîté de votre caractère, ma maison vous sera ouverte dans tous les temps. Le vendredi et le samedi sont deux jours où je ne sors pas de mon appartement ; mais vous aurez à la place une société moins ennuyeuse que la mienne, celle de M. Gladsmoor, mon aumônier, et qui est, je vous assure, un savant et un homme du monde. »
Hector, dont le cœur bondissait de joie à la pensée de parcourir les bois réservés de Glenallan, les marais bien protégés de Clochnaben, et surtout, bonheur inexprimable ! de chasser le daim dans la forêt de Strathbonnel, se montra extrêmement sensible à cet honneur, et en remercia vivement le comte. Oldbuck parut reconnaissant des bontés que le comte avait pour son neveu. Miss Mac Intyre était heureuse du bonheur de son frère. Miss Griselda Oldbuck songeait avec satisfaction à toutes les bécasses et à tout le gibier qui étaient réservés à sa cuisine, se rappelant combien le révérend M. Blattergowl en était amateur. Chacun étant dans cette disposition, le comte n’eut pas plus tôt pris congé, et ses quatre chevaux bais, objets de l’admiration d’Hector, n’eurent pas plus tôt disparu, que toutes les bouches s’ouvrirent pour prononcer ses louanges, chose qui d’ailleurs arrive toujours lorsqu’un homme d’un haut rang quitte une famille de particuliers envers laquelle il a cherché à paraître obligeant ; mais Oldbuck coupa court à ce panégyrique en montant avec son neveu dans la chaise de poste qui, avec un cheval qui trottait et un autre qui était forcé de marcher, clochant et cahotant, se mit à suivre comme elle put la route de notre célèbre port de mer, d’une manière qui contrastait singulièrement avec le mouvement rapide et doux qui avait emporté tout d’un trait l’équipage de lord Glenallan.
- ↑ Première ode d’Horace, 1re strophe. a. m.