L’Antoniade/Le Pape et les Souverains temporels

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Le Pape et les Souverains temporels.

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Depuis que Jésus-Christ établit sur la pierre
L’Édifice éternel, le Siège de Saint Pierre ;
Depuis le règne illustre, où le grand Constantin
De l’Église naissante affermit le destin :
Oh ! que n’a pas souffert le Pontife de Rome
De chaque Roi fidèle et chaque Saint Royaume ?
Je t’ai suivi naguère, ô Père inconsolé,
Par tes propres enfants à Gaëte exilé ;
Et ton cœur paternel, plus triste encore, saigne,
En voyant s’insurger la pieuse Sardaigne ! —
Et toi sournoise Autriche, en ton obliquité ;
Colorant tes forfaits d’un fard de piété,
Tu profanas du Sceau de la Chancellerie
Les documents divins de l’Église asservie ! —
J’ai lu tous les récits des spoliations,
Des sacriléges vols des vieilles Nations !
J’ai lu tout ce qu’a fait la Catholique Espagne,
Qu’en ces jours de malheur le vertige accompagne !
Non, je n’aurai jamais à déplorer ici,
Tant de crimes, éclos d’un orgueil endurci !
Je sais le cœur altier de la France gâtée,
De la France dévote, avec son Code athée,
À l’Église opposant son esprit Gallican,
Et son Louvre royal au Papal Vatican !
Et son Napoléon, froid sphinx énigmatique,
Dictateur militaire au cœur démocratique,
Sur la force appuyant son règne temporel,
Semble braver l’Europe et les foudres du ciel :
On a pu l’appeler un nouveau Charlemagne,
Mais qu’il ose enlever un pied de la Romagne ;

Qu’il brandisse le sabre, en menaçant la Croix ;
Qu’il ose !… et c’en est fait de Napoléon Trois !  !
J’ai vu tous les efforts de l’inique Angleterre,
Sur son trône sali du sang de l’adultère ;
Oui, j’ai pu contempler, dépeinte par Cobbett,
L’Église qu’enfanta la vierge Élisabeth ;
L’Église dont la reine est aussi la papesse,
Hybride autorité d’une Anglicane espèce !
Dans leur rage impuissante et leur impiété,
Tous les Rois sont ligués contre la Papauté :
Mais l’audace du crime appelle la vengeance ;
Les forfaits du Pouvoir hâtent sa décadence ;
Et lorsque sonne enfin l’heure du châtiment,
Le Nord entend ce cri : Dieu le veut ! en avant !
Et soudain se gonflant, les noirs torrents de Slaves
Sur les peuples du Sud tombent comme des laves ;
Et laissant après eux le désastre en tout lieu,
Le Sud entend ce cri : C’est le fléau de Dieu !
 Ô folles royautés, nations décrépites,
Entendez-vous frémir les hordes moscovites ?
Entendez-vous le bruit de leurs pas belliqueux,
Formidable ouragan, tourbillon orageux ?
Gardez donc le silence, et rentrez en vous-mêmes ;
Humiliez vos fronts, foudroyés d’anathèmes :
Auprès de vos forfaits, nos actes criminels
Semblent, il faut le dire, à peine véniels !
Avant d’injurier la jeune République,
De vos crimes légaux parcourez l’historique ;
Et quand vous aurez lu tant de décrets pervers,
Osez, peuples vieillis, osez vous montrer fiers !
Royaumes très-chrétiens, Protecteurs catholiques,
Césars, fils de l’Église, Empereurs despotiques,
Princes dégénérés, orgueilleux Potentats, —
Quel esprit a tramé vos subtils Concordats ?
Quel esprit inspira vos roués Diplomates,
Du pouvoir temporel serviles automates,
Lorsque se proclamant les soutiens de la foi,
Au Souverain Pontife ils ont dicté la loi ?
Quel esprit l’animait, quand, de Rome affranchie,
On vit, pour s’agrandir, lutter la Monarchie ?
Le glaive, empiétant sur le Spirituel,
Venait-il de l’enfer, ou venait-il du ciel ?
Et c’est la Monarchie, en son indépendance,
S’affranchissant du frein de toute obéissance,
Qui reproche, en ces jours, à notre liberté
De secouer le joug de toute autorité ?
Ah ! son hypocrisie égale son audace ;
Et lorsqu’à son insulte elle joint la menace,
La jeune République, insensible à ses cris,

Sous sa libre bannière, abrite ses proscrits,
Offre à ses émigrés de verdoyants asiles,
Laisse l’Épiscopat tenir ses grands Conciles ;
Et l’Évêque, le prêtre, et le chrétien aussi,
Peut dire : « Où donc l’Église est plus libre qu’ici ? »
Oh ! oui, je le pressens, et je le prophétise :
Il est grand l’avenir de notre jeune Église !
Oui, sous la République et dans sa liberté,
Dieu seul a le secret de sa fécondité !
Ici, nul Empereur, nul Czar, nul Roi despote,
En son orgueil jaloux, ne l’exile ou garrotte ;
Ne la force, pour prix de sa protection,
D’accepter la plus dure et lourde oppression :
Car, depuis Charlemagne, aussi grand que fidèle,
Quel glaive protecteur ne s’est tourné contre elle ?
Mais, quel glaive, — frappé par le céleste éclair, —
A pu se retremper aux flammes de l’enfer ?
Non, ce n’est pas en vain que de fiers Autocrates,
Sombres imitateurs des Royautés ingrates,
Ont osé menacer le Chef du Vatican :
Leur trône a chancelé, miné par un volcan ! —
Défiant l’hérésie, aussi bien que le glaive,
Rayonnante toujours, la Papauté s’élève,
Semblable à l’Obélisque antédiluvien,
Sortant vainqueur des flots, colosse olympien ;
L’Obélisque qu’en vain, sur sa base immuable,
Le Simoun heurte encor de ses vagues de sable !
Contre ses droits divins rien ne peut prévaloir ;
Rien ne peut obscurcir son immortel espoir :
Sur les vastes débris et les sombres ruines,
Luit toujours l’arc-en-ciel des promesses divines !…
Malheur au Sacrilège, en son aveuglement,
Qui touche à l’Arche Sainte, et rêve insensément,
Au front du Roi-Pontife arrachant la tiare,
D’éteindre de la foi l’inextinguible phare !
Le Guerrier Corse osa, dans sa fougue, y toucher :
Il fut par l’Océan jeté sur un rocher !
Tel, atteint par la foudre, un aigle, en son audace,
Descend comme un éclair qui sillonne l’espace !…
Nul ne brave et n’insulte en vain le Saint Vieillard ;
Nul en vain contre lui ne lève l’étendard :
Les Rois, les Nations, Jéhova les foudroie,
Les frappe de vertige ; et, dans leur fausse joie,
Les pousse vers l’abîme, où la mort les attend,
Avec son froid linceul pour couvrir leur néant !
Osez donc résister, ou jeter votre insulte
À l’auguste Vieillard, objet de notre culte :
La foudre vengeresse, en frappant votre front
Couronné par l’orgueil, effacera l’affront ;

Et si le repentir, à votre heure suprême,
Avec des pleurs d’amour n’enlève l’anathème ;
Si vous ne courbez pas, en face du cercueil,
Votre front pénitent, découronné d’orgueil,
L’horrible éternité scellera de sa flamme
La marque indélébile imprimée à votre âme !
L’orgueil de Lamennais, Tertullien breton, —
Semblable au Révolté que nous dépeint Milton, —
Aveugle en sa fureur, osa, comme tant d’autres,
Heurter le Roi-Pontife, Apôtre des apôtres ;
Chaque nouvel effort, et chaque nouveau choc,
Voit le Géant debout sur l’immobile roc,
Le front toujours serein, au dessus des orages,
Comme un phare allumé sur la route des âges ;
Sur l’immobile roc, contre lequel l’erreur,
Impuissante toujours, vient briser sa fureur !

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