L’Antoniade/Le Triple Monde
Le Triple Monde.
Les fleurs et les oiseaux, tous les êtres créés,
Dans l’espace infini doucement gradués,
Ne sont que les degrés, l’échelle par où l’âme
Remonte au Centre ardent de lumière et de flamme ;
Au Dieu, que l’œil mystique aperçoit à travers
L’immuable beauté du changeant univers !
Pour s’y manifester, oui, Dieu dans la nature
Règle tout avec poids, avec nombre et mesure ;
Oui, tout est nuancé dans les œuvres de Dieu ;
Chaque chose à son temps, son espace et son lieu ;
Tout est mêlé de jours, d’ombres, de demi-teintes :
Tout porte les reflets des divines empreintes ;
Tout est proportion, harmonie, unité,
Dans ce monde, où pourtant tout est variété :
La beauté de l’accord naît partout du contraste ;
L’homme fort accompagne Eve timide et chaste ;
La nuit succède au jour, et l’étoile au soleil,
La joie à la douleur, l’action au sommeil ;
L’astre, à demi-voilé, luit mieux du sein des ombres,
Et l’Unité féconde engendre tous les nombres !
Merveilleuse unité de ce vaste univers,
Peuplé pour l’homme seul de tant d’êtres divers ;
Invariable accord, harmonie éternelle,
Symbole éblouissant, splendeur universelle :
De l’unité de Dieu tu n’es qu’un faible trait ;
Qu’une ombre de Celui qui s’appelle Parfait ;
De Celui qui nous donne et mouvement et vie,
Et par qui nous sentons que notre âme est ravie.
Dans un ordre constant, un immuable accord,
Un mouvement réglé, sans bond et sans effort,
Selon le rhythme d’or de la sphère infinie,
Le cercle, aux douze mois, roule avec harmonie ;
Et chaque astre, éclairant l’espace illimité,
Tourne autour du Soleil, leur centre d’unité.
De degrés en degrés, depuis le frêle atome,
L’invisible ciron, nous montons jusqu’à l’homme ;
De l’homme jusqu’à l’Ange ; et des Anges, à Dieu ;
À Dieu, Cercle infini, qui n’a pas de milieu ;
À Dieu, l’Effet sans cause, et la Cause des causes ;
Dieu, Principe, Moyen et But de toutes choses ;
L’Être Incrée, qui Seul a pu dire : Je suis !
D’un mot, je peux créer ; et d’un mot, je détruis !…
L’ordre de la nature ou l’ordre de la grâce,
Du doigt divin nous laisse apercevoir la trace :
Du pur esprit de l’Ange à l’esprit incarné,
Le premier libre au ciel, et l’autre emprisonné ;
L’un esclave, exilé, lié par la matière ;
L’autre affranchi, sublime, éclatant de lumière ;
De l’élément grossier au fluide éthéré,
Qui toujours plus subtil est plus inaltéré ;
De degrés en degrés, l’âme parcourt la chaîne,
Et va se perdre enfin dans l’Âme Souveraine !
Au milieu du conflit d’êtres changeants, divers,
D’après l’Ordre Éternel, tout marche en l’univers ;
Tout va, de sphère en sphère, et de la base au faîte ;
De la chose ébauchée à la forme parfaite ;
Du monde corporel au monde de l’Esprit ;
Du monde intelligible où l’âme resplendit,
Au monde de la grâce, où tout se divinise ;
Tout gravite vers Dieu, tout en Lui s’harmonise ;
Et l’Univers visible, et l’ordre temporel,
N’est qu’une expression de l’invisible Ciel !
Tout l’univers, réglé par la bonté divine,
Vers un but glorieux doucement s’achemine ;
Une double clarté, — la raison et la foi, —
De la création nous révèle la loi ;
Notre esprit, au dessus des substances sensibles,
Plane libre en des cieux, aux corps inaccessibles ;
Et par la foi céleste, et par l’amour divin,
Par l’extase, est semblable à l’ardent Séraphin !
Or, selon qu’ici-bas chacun vit de la grâce,
Par l’esprit ou le corps ; selon ce qu’il embrasse :
Il est ange, homme ou brute ; il est esclave ou roi ;
Il suit l’aveugle instinct ou la divine foi :
Oui, selon son penchant, il rampe, marche ou vole ;
Il n’a qu’un front stupide, ou porte une auréole ;
Il se traîne sur terre, ou plane avec l’oiseau ;
Dans la fange ou le ciel, il place son berceau ;
Il a Satan pour chef, ou Jésus-Christ pour Maître ;
Il est tout animal, ou tout ce qu’il doit être !…
Tout fut créé pour l’homme, et l’homme est fait pour Dieu ;
Son cœur ne doit brûler que d’un céleste feu ;
Il doit tout rapporter à l’Auteur de sa vie ;
Un triple monde s’ouvre à son âme ravie :
Le monde qui frappa son regard enfantin,
Le monde de l’esprit et le monde divin ;
Le chrétien seul peut vivre, en toute plénitude,
Passant d’un monde à l’autre avec béatitude ;
Et voyant rayonner, l’un par l’autre éclairé,
Pour l’âme et pour les sens, ce triple ordre sacré.
L’âme que l’Esprit-Saint habite, éclaire, embrase,
De la science monte à l’amour et l’extase ;
De la charité vive, — appliquée au prochain, —
À l’union passive, au repos dans le Bien,
Où, comme ensevelie en un sommeil mystique,
Immobile, impassible, elle plane extatique : —
Inénarrable essor, séraphique union,
Où luit le seul éclat de l’intuition ;
Où l’âme, retirée ainsi qu’au fond d’un temple,
Dans la lumière même, et dans l’amour, contemple !
C’est ainsi qu’en ce monde, éblouissant miroir,
Où la beauté de Dieu se laisse apercevoir,
Brille l’intime accord qui naît des grands contrastes,
Et le centre commun de ces sphères si vastes ;
Et l’ensemble enchaîné, l’éclatante Unité, —
Éternelle Unité dans la variété !
L’univers tout entier, pour l’œil qui sait y lire,
N’est qu’un brillant poème, un symbole, une lyre,
Le voile transparent, l’harmonieux écho,
L’éclat matériel de l’invisible Beau !
Et le chaste Mystique ou le divin poète,
De la création sympathique interprète,
Du triple ordre sacré saisit tous les rapports ;
Et son amour éclate en magiques accords ;
Sur des ailes de feu que n’a pas le génie,
Il vole, plane et chante en un ciel d’harmonie ;
Et s’élève toujours, de clartés en clartés,
Jusqu’au Centre éternel de toutes vérités !….
Mais, je comprends, Brownson, ta haute intelligence,
Répandant sur nous tous sa féconde effulgence ;
Je comprends ta Revue, immense mine d’or,
Riche Californie, indigène trésor,
Arsenal littéraire, où nous trouvons des armes,
Pour vaincre et terrasser l’erreur pleine d’alarmes ! —
Je te comprends, Hecker, avec tes compagnons
De la Cause Éternelle éloquents champions ;
Apôtres du Pays, héroïques Paulistes,
De notre République ardents Évangélistes,
Vous, que le ciel destine à porter de grands coups,
Je vous aime et salue, et je suis avec vous !