L’Art de séduire les hommes, suivi de L’Amour et les poisons/L’Art de séduire les hommes/12

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VOLUPTÉ QUE L’AMOUR-PROPRE
AJOUTE À L’AMOUR

Parmi le groupe des amis qui entouraient Miette Y… et qui se réunissaient presque chaque soir dans sa villa, un jeune homme que j’ai connu, Louis B…, devint éperdument amoureux d’elle.

Comme il arrive toujours, c’était le seul pour lequel Miette éprouvait une vive et active antipathie. Elle le criblait sans cesse d’épigrammes, et elle qui — à ce tournant de sa vie — ne refusait guère ses faveurs à ceux qui insistaient beaucoup pour les obtenir, semblait fermement résolue à ne rien accorder à Louis B… qui l’avait éloignée tout de suite a cause de la forme trop lamentable de son amour.

Louis B… tomba bientôt dans un état d’extrême désespoir. Il me faisait à ce moment-là ses confidences et je regrettais presque de ne pas connaître Miette Y… pour lui demander plus d’indulgence.

Ses amis, qui fréquentaient avec lui chez Miette, intercédèrent pour lui, plaidèrent sa cause, et cela si mal, naturellement, avec un si médiocre désir de réussir, que Miette se buta davantage.

Louis B… était, il est vrai, sans grand attrait. Il appartenait à la catégorie des fats timides, au teint rose et frais, et il avait toujours sur les joues un vague duvet blond. De plus, il était prétentieux et stupide.

Or, comme on s’entretenait sans cesse autour de Miette de cet amour, voici ce qu’elle décida :

« Je consens, dit-elle, à faire le sacrifice de mon amour-propre pour adoucir la peine de Louis B… et le dégoûter à jamais de moi. Je ne consens pas à me donner à lui, parce qu’il ne m’est jamais arrivé de me donner à quelqu’un lorsque cela ne me faisait pas plaisir. Nous ferons, si vous voulez, le simulacre d’une soirée d’amour. »

Elle expliqua son projet et tout le monde l’approuva avec des cris de joie. Deux jeunes gens furent chargés de trouver une fille qu’on payerait et qui, à la dernière minute, devrait prendre la place de Miette Y…

Miette, de son côté, allait faire croire à Louis B… que son humeur avait changé et qu’elle était très proche d’avoir un caprice pour lui.

Elle le rencontra vers cinq heures et elle fut très aimable avec lui. Il l’accompagna et elle l’autorisa à rester présent pendant qu’elle se changeait de robe pour le soir.

Elle accepta à dîner et elle écouta, au bruit de l’orchestre, avec un sourire complaisant, s’efforçant de calmer ses nerfs, les phrases sentimentales qu’il lui débitait.

Tout le monde se retrouva comme chaque soir à la villa de Miette et Louis B… avait complètement changé d’aspect. Il triomphait et son triomphe, qui était sans mesure, réjouissait d’autant plus les acteurs de cette comédie.

La femme que l’on alla chercher après minuit dépassa l’espérance de laideur que l’on avait formée. C’était une horrible créature, aux mains énormes. Elle était grande et blonde, tandis que Miette était petite et brune. Mais l’on comptait sur l’illusion de l’amour.

Miette dit à voix basse à Louis B… de rester après tout le monde et, quand on eut soupé, il fit ainsi et demeura. Les amis partirent en pouffant de rire.

Miette, seule avec lui, consentit à l’amener dans sa chambre à coucher, autorisa quelques privautés et ayant hâte de les limiter, elle se laissa sans résistance enlever sa jupe et son corsage. Puis elle éteignit la lampe, mettant sur le compte de sa pudeur son amour de l’obscurité, et elle passa dans son cabinet de toilette. Ce cabinet avait une autre porte qui donnait sur l’appartement ; elle s’enfuit par là, poussant à sa place, à la faveur des ténèbres, la grande fille blonde, encore ahurie de ce qu’on lui demandait.

Le lendemain, tout le monde entourait Louis B… pour recevoir des confidences de lui. Il s’en montra prodigue, exigeant à peine la formalité du serment pour faire garder le secret. Il déclara avoir passé l’heure la plus admirable de sa vie, et il ne cacha pas qu’il pensait avoir procuré à Miette des instants non moins inoubliables. Il s’étonnait seulement de la bizarrerie d’humeur de cette femme qui ne s’était donnée que dans les ténèbres et en silence.

Quand il rencontra Miette, au lieu d’avoir à son égard, comme on s’y attendait, une attitude lassée ou reconnaissante, il se montra supérieur, condescendant comme un homme très aimé.

Que se passa-t-il dans l’esprit de Miette ? Fut-elle piquée de penser que quelqu’un pût la confondre sérieusement avec une misérable fille de la rue ? Souffrit-elle de cette comparaison ou sa curiosité fut-elle intriguée par la fatuité de Louis B… et les prétendues voluptés qu’il lui avait données ?

Ses amis ne le surent pas. Mais elle fut, durant deux jours, de fort mauvaise humeur et elle se décida au bout de ce temps à donner entière satisfaction à Louis B…, cette fois sans réserve, en pleine lumière. Elle quittait Luchon quelques jours après, mais elle demeura jusque-là la maîtresse attitrée de Louis B…, et celui des deux qui avait le plus d’amour était certainement elle.

Louis B… dit souvent d’elle, après son départ :

— Cette petite femme était charmante. Mais je n’ai eu vraiment de plaisir avec elle qu’une seule fois : c’est le premier soir, et cependant je n’ai pu voir ni son visage, ni rien d’elle, vu que nous sommes demeurés dans la plus complète obscurité.

Je me suis émerveillée du rôle qu’avait joué pour ce jeune homme le sentiment de la vanité satisfaite. Elle avait suppléé, chez lui, à l’agrément des caresses de la maîtresse désirée et avait permis pour ses sens la plus fâcheuse confusion. Je me suis dit que l’amour-propre avait pour ce fat une telle importance qu’une fois qu’il fut satisfait, son amour fut infiniment diminué.

Mais j’ai réfléchi ensuite que j’avais pour cette aventure plus d’admiration qu’il ne convenait et que l’évolution des sentiments de Louis B… venait seulement de ce que la pauvre fille blonde qu’il avait eue le premier soir avait voulu gagner honnêtement la grosse somme d’argent que Miette lui avait donnée pour la remplacer et avait montré toute la conscience désirable.