L’Art de séduire les hommes, suivi de L’Amour et les poisons/L’Art de séduire les hommes/13

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LA PERSONNALITÉ DANS LE COSTUME
ET LA MODE

Nous avons du plaisir à regarder les bois, les couchers de soleil, la nature. Au seuil d’une maison de campagne, nous aimons à voir les reflets des étangs, les fleurs des parterres, l’ombre qui s’appesantit peu à peu sur les allées. Nous attendons chaque jour l’heure du soir pour jouir du divin spectacle qui nous est offert, et s’il pleut, une pénétrante odeur de terre mouillée, un effeuillement de gouttes sous les arbres nous charment à travers les carreaux où nous appuyons nos visages.

Nous savons qu’une éternelle variété frappera nos yeux et qu’il n’est pas une feuille qui, d’un jour à l’autre, n’ait, par le fait du soleil, changé imperceptiblement sa nuance.

Mais si nous savions que le même paysage doit exactement se reproduire devant nous, que le ciel aura les mêmes tons rouges, sera rayé du même passage d’oiseaux, que la même atmosphère bleue se traînera sur l’étang et que, si nous avons noté l’altitude d’un brin d’herbe dans la prairie, nous devons revoir ce brin d’herbe dans sa même pose nous trouverions à la nature une écœurante monotonie, sa beauté s’atténuerait pour nous au point que nous ne pourrions plus la goûter, nous nous sentirions en face d’elle dans une grande solitude.

La femme doit être pour l’homme comme la nature qu’elle représente, qu’elle résume : elle doit avoir l’infinie variété des couchers de soleil, la richesse d’harmonie des bois agités par le vent, elle doit tour à tour se charger de nuages et resplendir d’étoiles comme le ciel.

Elle doit être toujours nouvelle, c’est-à-dire s’efforcer d’apporter un perpétuel changement dans sa physionomie, dans son caractère, dans ses habitudes, dans son costume.

Chaque femme a un type. L’une a un profil régulier, une tête classique : c’est une beauté grecque ; elle fait songer à une statue de Minerve. L’autre, par sa grâce sinueuse, un peu équivoque, rappelle les Tanagra ; l’autre a la fragilité d’un saxe ; celle-ci rappelle une certaine époque ; celle-là a le type spécial d’un pays.

Presque toutes les femmes ayant pris conscience de leur type, ayant été louées pour ce caractère personnel de leur beauté, s’efforcent de le développer et pour toute la vie adoptent une forme de coiffure, un genre de costume.

Mon amie Nelly A…, qui est à l’Opéra-Comique, a le type habituel des femmes du Midi. C’est une brune, avec de fortes attaches, de grands pieds, des bras secs qui laissent voir, dès la naissance du poignet, un duvet trop abondant. Elle a des yeux noirs animés, sans langueur, mais que l’on peut trouver beaux. Ses cheveux, bien que soignés, ont des pellicules. Ses dents ne sont pas impeccables tous les jours. Cependant son ensemble est propre. En été, quoi qu’elle fasse, elle transpire, et une légère odeur de corps humain se mêle à un parfum trop violent, trop bon marché qu’elle ne ménage pas. Elle dépense beaucoup d’argent pour ses robes, qui sont riches et voyantes, mais pas assez pour les détails de sa toilette. Ses bottines sont quelconques et elle n’a pas de manucure. C’est une Méridionale.

On lui dit qu’elle a le type espagnol. Elle le dit aussi et elle le croit. Elle a chez elle une panoplie faite avec des castagnettes, un tambour basque et une mantille espagnole. Si dans la conversation on lui parle d’un habitant de Madrid, son œil devient brillant et elle dit : « C’est un Espagnol ! » avec une certaine émotion, comme s’il s’agissait d’un parent aimé qu’elle n’a pas vu depuis longtemps. Elle met un ruban rouge dans ses cheveux ; ses jupons sont écarlates. Elle n’a jamais vu ni Séville, ni Tolède, mais elle en parle comme de sa patrie. Son rêve est de chanter Carmen à l’Opéra-Comique ; elle y arrivera vraisemblablement un jour, bien que ni sa voix, ni son talent ne l’y disposent. Mais elle ambitionne en secret de jouer les Carmen dans la vie. Je suis sans crainte. Le couteau de don José n’est pas pour elle.

L’uniformité de costume et de genre affecte quelquefois un caractère professionnel. Les modèles, les femmes de peintres, les élèves de l’académie Julian chérissent le béret de velours, les cheveux en bandeaux, les capes. Elles ne peuvent guère être aimées ainsi que des peintres.

Les jeunes personnes qui se destinent au théâtre ont des voilettes flottantes, des chapeaux bizarres, des écharpes autour du cou, un je ne sais quoi de débraillé qui est, dans leur esprit, le laisser-aller d’une vie artistique ; leur attitude révèle une fatigue qui est censée provenir d’un surmenage moral effréné ; des mèches de cheveux s’échappent en désordre sur leurs épaules, à cause du souffle du génie qui les soulève.

Une jeune tragédienne qui commande une robe de soirée fait toujours faire une robe de velours noir, sans ornement, légèrement décolletée, qui semble s’harmoniser avec le caractère simple, triste et fatal qu’elle veut avoir.

Du reste, les hommes agissent de même. On reconnaît aisément le peintre, l’acteur, le boursier. Le magistrat porte des favoris, le rastaquouère a des bottines dont la tige est en daim, dont la claque est vernie. L’officier en civil garde intentionnellement un air militaire. Il semble que chacun s’enorgueillisse de sa profession, veuille faire savoir tout de suite aux gens qu’il rencontre, aux indifférents de la rue qu’il a telle occupation plutôt que telle autre.

Il y a aussi un uniforme pour l’oisif mondain, le snob.

Une femme qui veut plaire doit lutter contre cette tendance à être toujours semblable à elle-même. La mode l’y aide.

Dans cette brume de cinq heures qui envahit si délicieusement les rues de Paris pendant les premiers jours d’octobre, la mode a passé dans un frémissement d’élégance. Personne ne l’a vue, mais tout le monde croit l’avoir aperçue. Elle s’est glissée chez le couturier, elle a supprimé des volants, donné du bouffant aux manches, dessiné la taille avec un corselet, elle a jeté des dentelles, drapé des plis. Chez la modiste, elle a fait des ravages. Les fleurs claires ont été foulées aux pieds, le crin s’est revêtu de roses aux tons mourants, le feutre est enseveli dans les plumes ; elle a remplacé l’image de Marie Stuart par celle de Marie-Antoinette. On croit avoir entendu son haut talon résonner sur le trottoir. On se fait signe, on se la montre. Pas du tout : elle passe au loin dans un coupé, elle sourit et elle montre une forme inattendue de manchon. C’est une reine invisible que nul n’a jamais regardée en face, qu’on connaît mal, qu’on décrie, à qui on obéit pourtant et dont les lois sont passagères comme les saisons.

Mais c’est encore un autre danger pour la femme d’être esclave de cette variété, qui cesse d’en être une, puisqu’elle modifie toutes les femmes en même temps. D’abord la mode a des aberrations. Il y a quelques années, elle imposa au monde entier un bouffant de cheveux sur le front qui n’avait aucun style, aucune beauté. Que signifiait cette mèche excentrique ? C’était un caprice, une folie de la mode.

Puis il ne faut à aucun prix faire partie de ce régiment servile qui suit la mode sans la discuter. Robes, chapeaux, jabots, ondulations sont tous les mêmes. On est une Parisienne, pas une femme.

On doit s’armer, avant d’aller visiter son couturier, d’une volonté ferme que rien ne pliera. Il faudra résister à sa douceur opiniâtre, à sa conviction qu’il agit pour votre bien, à sa supériorité, à son sourire de dédain. Cet homme a l’intention active de vous imposer la mode du jour. Même quand il dira que la duchesse de X… et la princesse de Z… ont fait faire, la veille, précisément, une robe semblable à celle qu’il offre, il faudra hausser les épaules.

Car on doit adapter soi-même la mode à sa physionomie ; on doit savoir mieux que le couturier quelle couleur d’étoffe convient à ses yeux et à son corps, on doit avoir analysé les rapports subtils qui existent entre la matière de soie, de drap, de plume et la chair vivante.