L’Art de séduire les hommes, suivi de L’Amour et les poisons/L’Art de séduire les hommes/15

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UTILITÉ DES SOINS
QUE L’ON DONNE AU CORPS

Je demandai l’autre jour à X… pourquoi il aimait sa maîtresse. Elle n’était en effet ni jolie, ni spirituelle, et X… était un garçon infiniment distingué, très supérieur à elle.

Il me répondit :

— Parce qu’elle se peint les ongles des pieds.

Je lui demandai des détails.

— Rien n’est plus suggestif, me dit-il, qu’un pied arrangé avec art et qui vous donne, au point de vue des soins, par la douceur de son toucher, la sécurité d’une main. Avec deux pieds très soignés, c’est comme si la femme avait quatre mains, et avouez que cela enrichit singulièrement les possibilités de caresses.

Ceci nous enseigne qu’aucun détail ne doit être négligé ; toute partie du corps peut être belle et nous ne savons pas si notre coude lui-même, malgré sa dureté, ne sera pas le coin préféré qui pourra retenir un cher amant.

Il faut cultiver sa beauté, toute sa beauté, avec art, avec amour.

D’abord, on doit bien se dire qu’une femme médiocre peut devenir belle, par une volonté patiente, quotidienne, un effort que l’on fait sans se lasser vers l’idéal physique qu’on a conçu. Les lignes s’atténueront, s’harmoniseront, les traits du visage prendront une grâce qu’ils n’avaient pas par l’amour obstiné de cette grâce.

Il ne faut pas se leurrer sur la valeur de sa beauté. Si le miroir dont nous nous approchons nous renvoie une image dont le front est tacheté de petits boutons rouges, il ne faut pas couvrir son front avec ses cheveux, ou ne plus penser aux petits boutons rouges, ou se jurer à soi-même, au moyen d’un optimisme naturel, qu’ils disparaîtront certainement demain. Il convient de lutter au plus vite contre ce mal par des vapeurs soufrées.

Une femme doit connaître son tempérament, sa force de résistance à la fatigue, à l’alcool, au café, à l’amour, afin de ne se laisser attaquer par aucun excès. Elle mesurera son plaisir à sa santé et ainsi elle le prolongera infiniment.

Elle doit situer sa beauté entre les beautés des autres femmes, savoir ce que l’ensemble de son visage et de ses attitudes peut évoquer de sensations, d’images, et favoriser cette évocation en agrandissant ou en diminuant certains gestes, en allumant ou en éteignant ses plus doux regards.

C’est un préjugé provincial qui fait dire que la nature est encore la meilleure parure. Que de mères interdisent à leur fille les plus élémentaires soins, au nom de cette beauté naturelle, et les privent ainsi d’un éclat emprunté, mais qui n’en est pas moins désirable durant les premières années de leur jeunesse !

Je me rappelle que ma petite camarade Aimée vint un matin toute en larmes me raconter la scène qu’elle avait subie de la part de sa mère.

Les objets de toilette intime étaient, dans sa famille, rigoureusement proscrits. Une jeune parente à elle était venue de Paris passer quelques jours chez eux, et elle avait appris à Aimée l’art de la propreté en lui faisant cadeau des instruments que nécessitent ces soins élémentaires.

La pauvre Aimée avait été surprise au moment de la leçon, et sa terrible mère avait vu dans cette communauté à être propre un manque de pudeur qui la révolta et lui fit émettre des soupçons injustes qu’Aimée était à cent lieues de justifier.

Du reste, si la nature était toujours l’idéal de la beauté et s’il ne fallait jamais la corriger, pourquoi se peignerait-on la chevelure ou se couperait-on les ongles ?

Il faut s’arranger, mais s’arranger avec art.

C’est un art subtil qui tient à la fois de la peinture, de la médecine et de la psychologie.

Il y a autant de manières de pratiquer cet art qu’il y a de beautés différentes.

Les lois générales y sont fort rares, chaque femme doit créer sa règle d’art.

Je crois que, seule, la poudre est universelle et convient à tous les visages, même aux plus frais. Une femme sans poudre n’est pas « habillée ».

Il n’en est pas de même pour tous les autres artifices que nous pouvons employer. De grosses lèvres, par exemple, se passent de rouge.

Une brune qui a des grands yeux noirs, des cheveux noirs et un teint mat augmente sa beauté en blanchissant encore son teint, en mettant du rouge aux lèvres et du noir aux yeux.

Mais une blonde aux yeux bleus, au contraire, doit aviver la couleur de ses joues par quelques nuances roses, ne doit rien mettre aux yeux et doit craindre d’empâter ses traits avec une crème trop épaisse, car leur charme est d’une essence tellement subtile qu’un rien peut le diminuer.

Il convient de ne pas se laisser aller aux excès de soins.

Que peut penser un homme d’une femme quand il apprend qu’elle n’obtient ce teint éclatant qu’il aime que grâce à des biftecks appliqués chaque soir sur ses joues ?

Marinette, amoureuse de ses mains, les teint chaque jour en rouge avec du permanganate de potasse et les décolore ensuite au bisulfure pour obtenir ainsi une exceptionnelle blancheur. Évidemment, c’est trop.

Tous les visages doivent être lavés à l’eau chaude, au savon si la qualité de la peau le permet, et à l’eau froide ensuite, afin que les pores ouverts se referment.

La pâte d’amande est nécessaire aux mains. Les ongles doivent être nettoyés au citron, afin qu’ils soient transparents, et ensuite teintés de rose. J’ai dit plus haut que le pied ne devait pas être négligé parce qu’il ne servait pas exclusivement à la marche.

À certaines minutes, si l’on veut faire croire à une émotion, à un intérêt plus grand porté à ce que l’on dit, à un mouvement passionné, il est aisé de rendre ses yeux plus brillants en pressant légèrement sur les glandes lacrymales.

Les oreilles doivent être rosées et l’objet de soins particuliers.

Quel que soit leur mystère, analogue à ceux des coquillages, il arrive que des baisers y pénètrent.

Le cou et la poitrine, si l’on est décolletée, doivent être considérés comme faisant partie du visage, c’est-à-dire maquillés comme lui.

Je n’ai jamais pu m’expliquer l’attrait qui provenait des mouches.

Une mouche est une petite tache. Comment une petite tache peut-elle collaborer, pour une part si minime soit-elle, à un ensemble de beauté ?

On donne volontiers à une mouche le qualificatif d’« assassine » ; je ne connais pour ma part personne dont le cœur ait pu être assassiné par ce fragment d’ombre perdu sur une blanche peau.

Doit-on s’épiler ? C’est une grave faute, car on n’y arrive jamais.

Si, durant un jour, le corps a l’apparence du marbre, il ne tarde pas à se recouvrir d’un duvet plus abondant, et si l’on recommence, il s’épaissit encore.

Une étonnante aberration fait croire à certains hommes que les femmes richement douées à ce point de vue ont un goût de l’amour proportionnel à cette richesse. Il n’en est rien. Que de brunes déplorablement velues ont en elles une froideur à toute épreuve ! Le système pileux est tout à fait indépendant de l’organisation amoureuse.

Beaucoup de femmes seraient heureuses d’avoir sur le crâne ce qu’elles ont en trop ailleurs.

Hélas ! la nature répartit ses biens au petit bonheur.

Elle ne s’occupe pas de notre conception de la beauté, c’est à nous de nous arranger avec ce qu’elle donne. Elle est chiche, non par pauvreté, mais par avarice.

Elle ne met sur bien des têtes qu’une chevelure peu abondante et qu’elle fait pousser avec une désespérante lenteur.

Il ne faut avoir aucune honte à suppléer à cette absence et mettre sans scrupule de splendides tresses fausses. Il est inutile dans ce cas de se flatter à qui veut l’entendre du don merveilleux de ses cheveux. Quand on les enlèverait devant celui que l’on aime, il pourrait éprouver une légitime désillusion.

Mais il est à remarquer qu’un homme aime bien rarement une femme pour la magnificence de sa chevelure et qu’il ne puise jamais sur le sommet de notre tête la cause de ses extases.