L’Art de séduire les hommes, suivi de L’Amour et les poisons/L’Art de séduire les hommes/17

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MANIÈRE DE SE CONDUIRE
QUAND ON VA DÎNER AU RESTAURANT

Une relation nouvelle, un ami, enfin, que sais-je ? un homme qui vous a invitée à dîner, dit, vers sept heures, d’un ton négligent :

— Où voulez-vous dîner ?

Ce ton négligent n’est qu’une apparence, car il a déjà fixé, dans son esprit, le restaurant qui convient à ses goûts et à sa fortune.

C’est, d’ordinaire, un restaurant où il est connu par son nom, car les hommes veulent tous avoir l’illusion d’une célébrité, si mince soit-elle, et ils se glorifient en secret du salut respectueux d’un petit chasseur. Il est aisé de favoriser ce penchant inoffensif en disant :

— Vous êtes décidément connu partout.

Si l’homme a insisté pour que vous choisissiez vous-même le restaurant, il est élémentaire qu’on ne doit pas nommer Duval ou Boulant, qu’on doit en ignorer complètement l’existence.

Une femme doit donner à l’homme la sensation que sa vie se meut dans un certain cercle de luxe, de fantaisies coûteuses, d’habitudes chères. Donc pour se rendre au restaurant, quel qu’il soit, l’auto-taxi doit être hélé de préférence au fiacre. Si toutefois l’homme, par une habitude naturelle de médiocrité, a tout de suite fait signe à un cocher d’aspect minable et si un pauvre équipage est venu se ranger devant le trottoir, il ne convient pas de faire entendre la moindre récrimination. Mais, en affectant une extrême difficulté pour monter dans ce fiacre sans se salir, en relevant sa robe assez ostensiblement avec des précautions assez exagérées, on aura suffisamment fait sentir quel grand contraste il y a entre des roues boueuses et un bas de soie irréprochable, de tout petits souliers vernis qui miroitent.

On hésite encore parmi les cahots du fiacre et la femme doit avec art concilier son prestige de femme de goût avec la fortune de son compagnon.

Je ne cite que pour mémoire, et en m’adressant seulement à des femmes tout à fait débutantes, quelques fautes très grossières qu’elles doivent éviter et qui suffiraient à les perdre. Il ne faut pas appeler monsieur le maître d’hôtel, il ne faut pas lui dire merci avec des sourires aimables toutes les fois qu’il présente un plat, il ne faut pas étaler sa serviette sur sa poitrine, il convient surtout de ne pas boire le bol qu’on vous apporte pour vous laver les doigts et de n’en pas manger le citron.

L’instant délicat est celui où l’on vous tend le menu. Les femmes se récrient trop souvent, disant que cela leur est égal, qu’elles mangeront une chose aussi bien que l’autre. Cela met tout de suite la femme en état d’infériorité, puisqu’elle n’a pas de goût personnel, qu’elle fera ce que l’homme voudra.

On doit consulter l’hôte sur ses préférences, mais faire preuve d’initiative en commandant un plat, entre tous, que l’on connaît, qui comportera certains raffinements que l’on signalera comme essentiels au maître d’hôtel.

Un exemple entre cent pour celles que la cuisine n’a jamais préoccupées. Si la carte porte des filets de sole au vin blanc, on demandera des filets de sole grillés en insistant pour avoir les filets du dessus. On donnera comme raison qu’ils sont plus bombés et meilleurs, bien qu’en réalité il y ait une différence à peine sensible.

On peut manger et boire. C’est une erreur de croire que les hommes attribuent plus de délicatesse à une femme qui mange du bout des dents et qui ne boit que de l’eau d’Évian. Connaître la variété des fruits, l’âge et la force des vins, le fondant de la volaille est le signe d’une richesse de tempérament plus grande, d’une participation directe à la vie, qui provoque toujours une certaine admiration. Mais quoi qu’il advienne, quelque aimable sympathie qui passe en vous par le fait du champagne généreux, de l’amitié ambiante, il ne convient pas de lever son verre pour trinquer.

Un repas commence aisément ; on ne sait jamais comment il se termine. L’issue est subordonnée à la détermination qu’on a prise quand il a fallu opter entre la salle de restaurant et un cabinet particulier. J’ajoute à ce propos qu’une femme du monde va dans la salle du restaurant en robe tailleur, dans le cabinet particulier en décolleté. C’est exactement le contraire que fera une demi-mondaine.

Si on a opté pour le cabinet particulier, on a orienté la soirée, on en a déterminé le sens. Un vieux prestige de galanterie s’attache à la petite salle surchauffée où l’on mange côte à côte et non face à face. L’homme se dit que ce serait braver la tradition que de ne pas la suivre, faire injure au sourire énigmatique du maître d’hôtel que de ne pas profiter de sa discrétion. Lorsqu’il frappe quelques coups pour apporter le café, comment supporter sans honte son regard si on lui a crié : « Entrez ! » tout de suite et avec une voix altérée par aucune émotion ?

Il faut s’y attendre ; aussi certainement que des fruits ou des liqueurs, votre compagnon vous offrira une scène d’amour. Elle sera tendre si vous lui inspirez de la tendresse, mais si vous lui inspirez du désir, sachez bien que, quelle que soit sa finesse ou son tact, elle sera brutale, directe, et il vous faudra beaucoup d’énergie pour ne pas être entièrement décoiffée, pour que les volants de votre jupe ne soient pas déchirés, pour ne pas perdre, par un geste prématuré ou la docilité d’une minute, un prestige savamment acquis.

Car ce n’est ni le lieu ni l’heure de l’amour. Il y a des rires étouffés de domestiques dans le couloir, des bouchons de champagne traînent sur le sol, la nappe est tachée, quelque chose de vénal, des images d’aventures vulgaires passent au fond des miroirs trop grands, sous une électricité trop crue. Des don Juan pour femmes à cinq louis y ont eu des victoires trop aisées.

Allons, allons, le dessert serait trop rare pour le prix…

Une vraie femme se donne à jeun.