L’Art de séduire les hommes, suivi de L’Amour et les poisons/L’Art de séduire les hommes/19

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DIFFÉRENTES MANIÈRES
DE PARAÎTRE INTELLIGENTE

Tous les hommes disent :

— Le rêve est d’avoir une maîtresse intelligente.

Très souvent, du reste, la maîtresse qu’ils ont et qu’ils jugent médiocre a, par ses qualités de sensibilité et d’assimilation, plus de supériorité réelle qu’eux.

Quelques paradoxaux seuls font exception à cette règle. Ils préfèrent, disent-ils, une maîtresse stupide, pour admirer cette stupidité, en parler, en rire et ainsi faire mieux ressortir la supériorité qu’ils s’attribuent.

Il faut paraître intelligente, et cela est d’autant plus facile pour la femme qu’on ne s’attend pas à ce qu’elle le soit, l’homme ayant décrété depuis longtemps que l’intelligence est un apanage exclusif pour lui.

Il ne faut pas mépriser les paroles obscures et à double sens. Elles semblent révéler une âme profonde, énigmatique ; elles troublent et elles inquiètent.

Beaucoup de femmes passent pour intelligentes parce qu’on ne comprend rien à ce qu’elles disent. Mais, dans ces cas-là, une immense conviction est indispensable, de même qu’une certaine habileté, permettant d’écarter les questions dangereuses.

Mon amie X…, que j’avais toujours admirée pour son aisance à aborder d’elle-même les sujets les plus divers et les plus ardus et à les traiter avec compétence, me confia, un jour, son procédé.

— Je consacre, me dit-elle, une demi-heure tous les matins, quand je m’éveille, à lire un journal. Je n’en lis qu’un, mais je lis d’un bout à l’autre et avec une extrême attention, depuis l’article de fond jusqu’aux réclames de la dernière page. Cela me suffit largement. Il y a un enseignement dans tout, même dans le feuilleton. Les notes mondaines me permettent de faire croire au besoin, et sans mentir, à d’illustres relations. Il suffit par exemple de savoir que Mlle X…, de l’Opéra, a été chez le duc X… et qu’elle y a chanté Thaïs ou La Walkyrie pour que le simple énoncé de ce fait fasse supposer implicitement que j’étais là. Ayant lu le compte rendu des nouvelles pièces, je peux me dispenser d’aller au théâtre, et en me rangeant sur tous les points à l’avis du critique, j’ai une opinion juste et sensée.

Il y a des femmes qui laissent tomber dans la conversation :

— Moi, je suis une nietzschéenne.

C’est aller un peu loin.

Un de mes amis me racontait qu’une demi-mondaine du quartier latin, qui avait des aspirations d’intellectualité et dont le prestige s’exerçait sur des étudiants et de jeunes hommes de lettres, arrivait souvent à la taverne du Panthéon portant sous son bras le Discours de la méthode, de Descartes. Elle écornait même une page, qui marquait l’endroit où elle en était restée de sa lecture.

J’ignore ce que pensaient ses admirateurs, mais il me semble qu’elle avait dépassé le but.

Il convient de laisser traîner sur la table de son salon certains livres dont le choix décèle un goût assez raffiné d’art. Je ne saurais trop conseiller Dominique et l’Éducation sentimentale. Pour la chambre à coucher. Les Liaisons dangereuses sont plus indiquées.

La poésie a du prestige sur presque tous les hommes. Il faut s’efforcer de la comprendre et de l’aimer. Du reste, pour donner la sensation d’une grande culture poétique, il est très suffisant de savoir quelques poésies par cœur et de les déclamer si on en est priée avec instance.

Il y a des femmes qui ont une facilité remarquable à s’assimiler les expressions boulevardières, qui ont la spécialité des mots nouveaux, de découverte récente et d’un parisianisme très voyant. Par le seul fait qu’elles emploient ces mots d’une saveur spéciale, elles semblent faire partie de ce monde snob des courses, des bars et du théâtre, qui lance la mode des vêtements et des expressions, et elles bénéficient ainsi d’un certain brio qu’elles n’auraient pas sans cela.

Ce sont là des femmes très superficielles. Celle qui a une vraie personnalité, bien à elle, répugne à employer des termes qui ne font pas partie de sa manière de vivre. Elle reste dans le cercle de ses mots et de ses idées.

D’une façon générale, il suffit de connaître en détail un point d’histoire, de philosophie, ou une biographie que l’on s’arrange pour placer à propos.

Ayant fait en pension une conférence sur la civilisation et la religion chinoises et ma mémoire fidèle m’ayant permis de la retenir, j’en ai retiré toute ma vie de grands bénéfices moraux.

Rien n’est plus aisé que de faire intervenir les Chinois dans une conversation. Ils s’y glissent et s’y installent en maîtres. Quelques phrases générales sur leur culte peu connu, leurs mœurs difficilement vérifiables m’ont toujours donné un grand prestige aux yeux de mes interlocuteurs. Je ne risquais que de me trouver en présence d’un érudit sans en être prévenue, et je mets au défi un homme érudit de ne pas porter son érudition inscrite dans sa chevelure et dans son accoutrement.

La plupart des hommes confondent l’intelligence avec les capacités spéciales, quand elles sont dans l’ordre des choses qu’ils aiment. Un amateur de musique trouve intelligente la femme qui lui joue avec art les morceaux qu’il préfère. Un homme de sport s’émerveillera de la supériorité d’une femme qui connaîtra par leur nom les pièces d’une automobile ou s’intéressera aux progrès des aéroplanes. Un gourmet verra dans l’art de faire des entremets la preuve de beaucoup d’esprit.

Les hommes très intelligents reconnaissent l’intelligence au degré d’admiration qu’on a pour eux-mêmes, les artistes à la connaissance approfondie de leur art.

Hélas ! il y a beaucoup de femmes qui croient être stupides et qui s’y résignent. Mais que celles-là sachent bien qu’une immense ignorance est dans l’esprit de l’homme, que sa psychologie naturelle a cent fois moins de subtilité que les mouvements instinctifs de la sensibilité féminine. Qu’elles sachent bien qu’elles ne sont intellectuellement faibles à ses yeux que par l’aveu de cette faiblesse, et même si elles ont reçu peu de dons dans le domaine de l’esprit, qu’elles sachent bien qu’on maquille aussi aisément la pensée pour l’embellir que le visage.