L’Art de séduire les hommes, suivi de L’Amour et les poisons/L’Art de séduire les hommes/21

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LE CYNISME, MOYEN DE SÉDUCTION

Il y a des femmes qui séduisent par la pudeur, le sentiment de la difficulté à vaincre, mais il y en a d’autres qui exercent un empire immédiat par le cynisme, l’absence de toute espèce de retenue morale.

C’est là un puissant moyen de plaire, aux blasés surtout, aux très jeunes gens, aux rares hommes très intelligents.

Il ne faut pas confondre le cynisme avec une certaine stupidité inconsciente dans l’aveu. J’ai connu une femme qui proclamait, au premier venu qui lui faisait la cour, qu’elle avait eu vingt amants ; elle disait leur nom, leur âge, leur forme et leur force et mille détails. Ce n’était là que de la grossièreté.

Le cynisme est une sorte de sincérité. C’est la qualité de mettre son âme à nu en dehors de toute convention. C’est l’esquisse réaliste et sans truquage d’un beau tableau. C’est une sorte d’impressionnisme de l’amour qui frappe par la vigueur des couleurs, le modelé des mots, le vivant de l’attitude.

Il faut être délicat pour comprendre cette sorte de brutalité. De même, la femme qui emploiera le cynisme est toujours une raffinée, une goûteuse de sensations rares, et la crudité de ses mots pour certaines choses sera d’autant plus grande qu’elle sera plus raffinée.

Il ne faut pas s’y tromper et croire que c’est seulement une femme brutale et pressée.

Une femme jeune en amour ne sait pas être cynique avec art. Ce cynisme est le résultat d’une expérience.

Mon amie X…, qui proclame la sincérité de cette franchise sans atténuation, m’a raconté ainsi les points essentiels de sa liaison avec T…, qui a été le grand amour de sa vie et avec qui elle vit depuis quatre ans :

« — Je suis sûre que vous aimez l’amour et que vous le comprenez comme moi, lui ai-je dit dans la première conversation que j’ai eue avec lui.

« — J’ai envie de vous tutoyer, lui ai-je dit la seconde fois.

« Enfin, le jour où je suis allée chez lui, résolue à bien des faiblesses, j’ai supprimé les résistances simulées que les femmes se croient obligées de faire. Je n’ai pas dit :

« — Qu’allez-vous penser de moi ?

« Quand il me l’a demandé, je me suis dévêtue moi-même, simplement ; et, au lieu de simuler une absurde innocence, j’ai répondu à ses élans avec toute l’ardeur qu’il m’inspirait.

« Il n’a pas songé à m’ôter son estime, au contraire, et je me suis honorée, moi, d’un cynisme qui n’était que l’expression de ma sincérité. »