L’Art de séduire les hommes, suivi de L’Amour et les poisons/L’Art de séduire les hommes/22

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Une femme curieuse (alias )

À UNE DEMI-VIERGE

Ô jeune fille, qui as déjà éprouvé des frissons de curiosité à l’âge où les autres songent encore à leur balle et à leur poupée ; toi qui, en dansant, avec une précoce clairvoyance as discerné le bras qui empêche de glisser de celui qui presse trop tendrement ; toi qui choisis, dans la bibliothèque, des livres dont les titres évoquent pour ton imagination des choses qui te troublent ; toi qui les caches sous ton oreiller et rallumes, pour les lire, le soir, dans la solitude de ta chambre, la lampe que ta mère est venue éteindre après qu’elle t’a donné le dernier baiser et qu’elle t’a bordée dans ton lit ; toi qui as appris d’une amie plus âgée l’énoncé des mystères de la vie, d’autant plus attrayants pour toi qu’ils t’ont apparu sous le voile des confidences ; toi qui as eu avec cette amie des tendresses trop tendres ; toi qui as quelquefois confondu le trouble de la religion avec le trouble des sens ; toi qui as mêlé les grâces humaines de ton confesseur aux grâces divines dont tu le croyais empreint, il n’est pas étonnant, puisque la seule vue d’un couple enlacé au tournant d’une rue te bouleverse, puisque les parfums, la musique, la vue d’une jolie femme t’incitent à des rêveries nouvelles, que le jour où ton cousin t’embrassera dans le cou par un léger mouvement de la tête, tu offres soudain tes lèvres.

Tu prendras peu à peu l’accoutumance de ce plaisir ; il te deviendra nécessaire. Un flirt en amènera un autre, une petite découverte dans le domaine des baisers te conduira à une autre découverte. Tu t’apercevras que la séduction n’est pas seulement dans le visage ; tu resteras étrangement remuée en voyant les regards particuliers dont certains hommes envelopperont tes hanches ; il te viendra la révélation de leur désir, tu connaîtras l’importance de ton corps.

Dès lors, tu t’appliqueras à des attitudes pour le faire valoir. Sur la promenade, le vent qui moule les formes ne te remplira plus de confusion ; en t’asseyant dans un salon, tu draperas ta robe avec soin autour de tes jambes pour que leur ligne soit visiblement dessinée et, malgré les remontrances de ta mère, ta couturière complice te fera des robes étroites et provocantes.

Ce corps, tu vas l’émietter au hasard de tes flirts. Les parties de cache-cache seront des auxiliaires propices aux audaces que tu ne repousseras que faiblement ; une fièvre d’abandon t’incitera à provoquer des solitudes à deux, où l’ombre permet davantage. Au bal, sûre de ta jeune beauté, fière de ton décolleté, plus hardi qu’il ne convient à une jeune fille de ton âge, si le jeune homme qui te fait la cour te demande le bouquet qui est entre tes seins, au lieu de le lui donner toi-même, tu préféreras lui dire :

— Prenez-le.

Jeune fille, tu te seras donnée toute sans t’être donnée vraiment. Tu auras été comme une baigneuse timorée près de la mer. Elle a mis son costume de bain et préservé ses cheveux sous la marmotte de soie noire. Elle est entrée dans l’eau jusqu’à mi-jambe. Le sable fin caresse agréablement ses pieds. La vague vient régulièrement frôler sa chair. Debout, elle hume avec délice un parfum marin d’algue et d’iode. De temps en temps, elle balaye la surface de l’eau avec ses mains et ramasse un peu d’écume. La mer est là, variée, multiple, fascinatrice. La baigneuse voudrait bien s’élancer, se coucher sur les vagues, être roulée par elles, être étreinte, emportée et rafraîchie, mais elle a peur. L’eau est trop profonde. Où les vagues la conduiraient-elle ? Elle se contente de jouer sur le bord avec les cailloux blancs, les fragments de coquillage, l’écume insaisissable.

Toi aussi, jeune fille, pourquoi as-tu peur de la mer ?