L’Art de séduire les hommes, suivi de L’Amour et les poisons/L’Art de séduire les hommes/27

La bibliothèque libre.

LES RÉPROUVÉS DE L’AMOUR :
LES HOMMES AVARES

Lorsque l’on sort avec un homme que l’on connaît peu et dont on voudrait pénétrer davantage la personnalité, il est important de prendre d’abord une voiture.

Le visage du cocher sera, quand on descendra de la voiture, un merveilleux baromètre de cette chaleur particulière de l’âme qui est la générosité.

Si ce visage se renfrogne en considérant dans sa main creuse un pourboire misérable, ce sera le signe que notre compagnon a reçu de la nature de pauvres dons sous le rapport de la générosité.

Si, au contraire, il s’est épanoui et si cet épanouissement a été suivi de quelque réflexion sur le temps qu’il fait ou de quelque vœu joyeux, nous pourrons penser avec raison que nous sommes accompagnée par quelqu’un qui est généreux de nature, ou que notre présence incite à une plus large conception du désintéressement.

Et nous pourrons penser aussi qu’il possède un désintéressement analogue dans le domaine des choses du cœur, qu’il est sensible, sans égoïsme et qu’il subordonnera volontiers son plaisir à celui qu’il donnera.

Car il existe d’étroits rapports entre la générosité au point de vue de l’argent et la générosité au point de vue du cœur.

Malédiction sur les avares ! Et je ne leur reproche pas l’argent qu’ils ne veulent pas donner — bien que j’imagine que beaucoup de femmes ont à souffrir de cette avarice-là — mais je les maudis, parce qu’ils sont dans la vie une matière morte, une terre desséchée où ne pousse ni fleur bleue, ni fleur rose, parce que les termes de leurs lettres d’amour sont mesurés comme les termes des lettres d’affaires, parce que le papier de ces lettres est assez léger pour ne pas nécessiter deux timbres même avec huit pages ; je les maudis, parce que je suppose qu’il doit y avoir, quand ils donnent des baisers, une économie de salive sur leurs bouches d’amants défiants.

Oui, malédiction sur les avares ! Leurs discours sont entremêlés de sentences sur la valeur de chaque chose et ils ont l’air de regretter même le prix du temps qui passe. Avec eux n’est point possible cette chose délicieuse pour une femme qu’est le gaspillage des petites choses : faire attendre un taxi quand on fait une course de longue durée, ou en prendre un pour franchir une distance infime ; demander au restaurant une bouteille d’un vin dont on ne boit qu’une gorgée, ou un fruit qui n’est pas de saison ; jeter des gants blancs portés quelques minutes, parce qu’ils ont une tache presque invisible, etc.

Ils connaissent toutes les correspondances des omnibus et ils les indiquent volontiers, même à des indifférents, car leur désir d’économie s’étend à toute l’humanité. Ils ont des amitiés bizarres, soit pour obtenir des billets de théâtre qui ne leur coûtent rien, soit pour avoir des produits de toute sorte à des prix exceptionnels, et ils se réjouissent d’achats avantageux comme de la chose la plus agréable du monde.

Les avares sont ceux qui exigent le plus des femmes. Ils sont en amour conformes à eux-mêmes : ils veulent posséder.

S’ils payent, il faut qu’ils en aient pour leur argent et même pour plus qu’ils ne donnent. Ils sont méfiants et tyranniques et, en échange, leur cœur est aussi difficile à s’ouvrir que leur portefeuille.

Ils sont de tous les hommes les plus timorés, ceux qui craignent le scandale, qui ne livrent leur nom et leur adresse qu’avec précaution. Ils ont peur d’être dépossédés non seulement de leur argent, mais de leur bonheur conjugal, de leur tranquillité d’égoïste, de leur situation.

Ils sont très souvent insolents lorsqu’ils ont peur d’être dupés. Ils sont joyeux quand ils sentent qu’ils ont dupé.

Malédiction sur eux ! Puissent toutes les femmes se détourner de ces hommes qui considèrent l’amour comme une affaire où il faut gagner, de ces hommes qui ignoreront toujours ce que l’amour a d’admirable : le don spontané.