L’Art de séduire les hommes, suivi de L’Amour et les poisons/L’Art de séduire les hommes/36

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Une femme curieuse (alias )

L’EFFLEUREUR

Presque tous les hommes disent volontiers :

— Il n’y a pas d’honnête femme sur la terre, sauf ma mère.

Cela vient de la secrète croyance que chacun porte au fond du cœur qu’il pourrait avoir n’importe quelle femme s’il s’y efforçait.

Un don Juan est dans le cœur de tout homme. Quelquefois il y est bien caché. C’est lui qui, d’autres fois, donne soudain au visage un éclair inattendu, un sourire inexplicablement fat. Il transforme nos amabilités les plus normales, nos poignées de main les plus quotidiennes en des aveux d’amour.

Nous passons dans la rue et nous sommes aussitôt suivies par une foule d’hommes qui se redressent, frisent leur moustache, font sonner leurs cannes sur le pavé. Ces hommes sont souvent d’une laideur risible, leur aspect atteste souvent la plus grande médiocrité ou le manque de soins physiques. Il n’importe ! Parce que nos yeux ont, par inadvertance, croisé les leurs, ils ont l’espérance de nous avoir séduites par ce seul regard.

Dans les magasins de nouveautés, les vendeurs, en comptant les mètres d’étoffe, se redressent pour faire valoir leur buste ; derrière leurs guichets, les employés des postes jettent des regards enflammés, et il n’est pas jusqu’à certains conducteurs d’omnibus qui ne vous tendent une correspondance avec autant de mystère qu’un billet doux.

Le don-juanisme est une maladie morale inguérissable. C’est une sorte de poison comme l’opium ou la morphine.

Celui qui a l’habitude de ce poison ne pourra l’arracher de son organisme. Quel que soit l’amour que lui donne sa femme, s’il se marie, et même quel que soit l’amour qu’il éprouve pour elle, un besoin éternel de plaire à d’autres femmes qu’il ne connaît pas sera dans son cœur. La qualité de ces femmes importera peu pour lui. Ce qu’il recherchera en elles, ce n’est pas l’émotion de la beauté, une forme de tendresse, ce sera la satisfaction de son goût de troubler, l’inquiétude agréable de la victoire ou de la défaite.

Malheureuse sera la femme qui aimera cet être toujours insatisfait, toujours désireux de nouveauté. Rien ne le rebutera, ni la déception, ni la laideur, ni la difficulté.

Tout visage entrevu dans une voiture sera pour lui une cause de regret. En prenant le café au lait des mains de la bonne, il aura un long coup d’œil pour la remercier. Si vieille et si laide que soit la concierge, il aura pour elle des politesses, des confidences, à cause de sa qualité de femme.

Cet homme léger est facile à séduire, mais il est difficile à retenir. Il ne faut pas lui accorder beaucoup pour qu’il commence à vous échapper. Ce qu’il aime, c’est le premier frisson de la main pressée en voiture, le mouvement du sein, l’inclinaison de tête d’une femme qui sent qu’elle va être embrassée.

À peine lui a-t-on donné un peu de soi qu’il songe déjà à un don différent, qu’il est lointain et distrait, et cette distraction fait un vide entre nous que nous voulons combler et qui nous fait faire un pas vers lui, aussitôt suivi d’un recul de sa part.

Nous ne pouvons jamais refermer nos bras sur cet insaisissable effleureur, et il est, hélas ! dans notre nature de chérir ce qui nous fuit.

Imitons-le parfois ; ne l’aimons jamais.