L’Au delà et les forces inconnues/Les expériences et les critiques de M. Jules Claretie

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Société d’éditions littéraires et artistiques (p. 245-253).

LES CHERCHEURS



LES EXPÉRIENCES ET LES CRITIQUES DE M. JULES CLARETIE


Fanatisme et vénalité des petits cénacles spirites. — Le médium est sa propre dupe. — Hugo et Balzac occultistes. — Il ne faut pas confondre les illusions du spiritisme et les découvertes authentiques de la science. — Apparition du grand-oncle de M. Jules Claretie.


M. Jules Claretie devait trouver sa place, mieux que tout autre, dans cette enquête ; sa personnalité élevée et complexe fut toujours attirée par les phénomènes du merveilleux, devant lesquels il demeure plus intéressé que crédule. Il vit naître le spiritisme, rencontra le mage Eliphas Lévy, Henry Delaage ; et, ami de Charcot, Charcot, il écrivit, en précurseur, un roman qui traite de l’hypnotisme : Jean Mornas.

Voici, sur le spiritisme, l’opinion du spirituel chroniqueur de la Vie à Paris. Il critique avec un bon sens avisé les petits cénacles fanatiques et la vénalité des charlatans.


« J’ai beaucoup suivi jadis les expériences et fréquenté les réunions de spirites et il m’en est resté le souvenir de bonnes duperies fort intéressantes.

« Il y avait, dans ces réunions bizarres, un ramassis singulier de croyants et de détraqués. De vieilles gens surtout, de pauvres vieilles femmes qui prolongeaient par l’illusion du rêve leur existence finie, leur vie gâchée et demandaient à l’invisible le spectre de leurs défuntes amours. Je me rappelle une sorte de Niobé en caraco noir, un mauvais chapeau planté sur ses cheveux blancs, et qui suivait d’un œil avide, avec une expression de touchante extase, les mouvements d’un guéridon où on lui disait que passait, palpitait l’âme de son fils.

« Son fils perdu, son enfant mort, il était donc là ! Il revivait dans cette matière animée, il lui parlait grâce à ces notations conventionnelles des coups frappés. Il est certain que — mensonge ou vérité — le phénomène donnait à la malheureuse femme l’illusion consolante d’une joie.

« Et je trouvais doux ce mensonge même qui endormait ainsi, apaisait une souffrance !

« Tout à coup, un des organisateurs de la réunion (et je ne citerai point son nom, qui est devenu célèbre) s’approcha de la mère aux yeux pleins de larmes.

— « Madame, dit-il poliment, vous plairait-il conserver les réponses de votre fils ?

« Des réponses comme celles-ci : « Es-tu heureux ? — Complètement. — Où es-tu maintenant ? — Au ciel. — Es-tu bien logé ? — Très bien. Regrettes-tu la terre ? — Non, Pas du tout. — As-tu quelque chose à dire à quelqu’un. — Non. — Et moi, m’embrasses-tu ? — Oui. »

« Si la pauvre femme voulait garder ce précieux dialogue avec le disparu, comment le demander ?… Mais elle remporterait avidement, comme un trésor, le relirait, chaque jour, comme un prêtre son bréviaire.

« On lui tendit donc, au bout d’un moment, un petit papier.

— « Voici, madame !

« Et, pendant qu’elle le saisissait, fébrile, de ses mains avides et le baisait avec piété :

— « Madame, ajouta l’organisateur avec un sourire, c’est cinq francs. »

« Je n’ai jamais pensé aux spirites et au spiritisme sans me rappeler la figure et la courtoisie de ce vendeur de dialogues des morts, marchand d’autographes d’outre-tombe. »


M. Jules Claretie continue ses judicieuses critiques en mettant au point la valeur thaumaturgique du médium.

« Le médium, à sa table, croit écrire sous l’inspiration d’une pensée extérieure, de quelque mort dont l’esprit souffle. Il se croit habité, le médium. Pas du tout : c’est lui qui dicte à sa propre personne quelque belle élucubration et qui la trace pieusement sur le papier, attribuant à Archimède ou à Zoroastre ce qui provient de Galimard ou de Trébuchet. Après avoir longtemps cru qu’il était scribe familier, dévoué et inconscient de quelque illustre mort, M. Camille Flammarion s’est aperçu qu’il était tout bonnement le secrétaire intime de Camille Flammarion et il l’a dit tout net : il vient de le déclarer avec une franchise qui l’honore. Il croit et croira toujours à la puissance, parfois inexplicable mais indéniable du magnétisme humain ; il ne croit plus au pouvoir, ni même à la présence des esprits venant dicter aux survivants quelques vérités ignorées ou quelques pages inédites.

« Et, à vrai dire, si Dante pouvait dicter encore quelque chant inconnu de sa Divine Comédie, je pense qu’il l’eût fait depuis longtemps et, Jean-Jacques Rousseau, lorsqu’il est invité par les spirites à faire connaître telle page nouvelle du Contrat social, ne se divertirait point à converser comme un portier et à philosopher comme Joseph Prudhomme — pas plus que Napoléon Bonaparte ne se tromperait ainsi qu’il le fait, quand on l’évoque, sur les plans de ses plus célèbres batailles. »



N’importe, cette religion nouvelle, le spiritisme, gardera peut-être encore longtemps, malgré le débinage de ses trucs et la vulgarité hélas ! trop humaine de ses révélations prétendues spirituelles, son prestige pour ceux qui cherchent quand même à s’abuser.


— C’est par l’illusion, reprend avec ; sagacité le journaliste éminent, que le spiritisme est puissant. Il console les vivants en leur faisant croire à la présence des morts. Il semble une porte ouverte sur le mystère, le grand et éternel mystère dont l’humanité a le vertige. Il a sa poésie, irrésistible comme toute poésie de rêve. Victor Hugo y croyait, y croyait fermement. On évoquait les esprits à Guernesey, dans les longues soirées, du noir exil, Hauteville House se peuplait de fantômes.

« Le brave et spirituel Dumas, Dumas père — oui, d’Artagnan lui-même — croyait au magnétisme, comme son fils à la chiromancie. Toute cette génération de 1830 eut d’ailleurs le cerveau hanté par cet occultisme que les générations nouvelles se vantent de découvrir, ces forces cachées, ces arcanes hermétiques, ces révélations dont on cherche toujours le secret ; Balzac, avec Ursule Mirouet et en plus d’un livre, versa droit en plein magnétisme. Telle page du Cousin Pons où, tout à coup, il interrompt son récit pour suivre sa vision, chevaucher sa chimère, nous le montre aussi préoccupé de l’inconnaissable que de l’âpre vérité. Et Swedenborg ! avec quelle ardeur il le lit, le commente, le suit, l’adore !…

« En ce temps-là, la magie n’était qu’une curiosité de savants ; elle n’était pas encore une mode comme aujourd’hui. Et le spiritisme ne sortait guère des cénacles singuliers dont j’ai parlé. Depuis, un savant tel que Crookes a donné son apostille à ces fantasmagories, et les esprits crédules répondront avec une apparence de raison à ceux qui essaieront de nier le spiritisme :

— « L’évocation d’un fantôme est-elle donc chose plus incroyable, plus irréalisable que la lecture de l’intérieur d’un corps humain, pour ainsi dire traversé par les rayons Rœngen ?

« Et voilà bien où gît le lièvre. Le vulgaire confond volontiers avec la science les fantaisies ou les illusions des spirites. Les recherches admirables d’un maître tel que Charcot n’ont rien de commun avec les facéties d’un montreur d’esprits frappeurs, mais la foule trouve aussi extraordinaires les phénomènes de la Salpêtrière, les miracles de ce Lourdes scientifique, que les visions des évocateurs de fantômes. Ce sont là deux ordres de faits diamétralement opposés ; les uns observés par des savants, les autres acceptés par des compères ».


Mais, si M. Jules Claretie n’a pas une très grande confiance en les médiums et en les esprits, il admet l’existence d’énergies qui échappent encore à nos investigations. Il a expérimenté avec Eusapia Paladino, qui ne l’a guère satisfait. Je comprends ça. L’administrateur de la Comédie-Française a été sérieusement brutalisé par les esprits, cette fois vraiment a frappeurs »… En revanche, il croit à la télépathie, dont un phénomène remarquable est classique dans sa famille.


« … Je crois, en effet, aux forces inconnues. Mais les études de la Salpêtrière me semblent plus convaincantes que les mystères du spiritisme. Ce que j’ai vu de plus clair, en définitive, dans les expériences d’Eusapia Paladino, c’est la boîte à musique en métal que j’ai reçue près de la tempe.

« J’ai des pressentiments et des superstitions comme tout le monde et une de mes traditions de famille est l’apparition ou plutôt le bruit de pas de mon grand-oncle, à Nantes, à l’heure même où, capitaine de la garde, il était tué à Wagram. Je vous ai lu avec une curiosité passionnée, je vous relirai avec grand plaisir.

« Excusez moi et croyez à tous mes sentiments, cordiaux.

« Jules Claretie. »
25 octobre 1901.