L’Australie, son histoire physique et sa colonisation/03

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L’Australie, son histoire physique et sa colonisation
Revue des Deux Mondes2e période, tome 53 (p. 959-995).
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L’AUSTRALIE
SON HISTOIRE PHYSIQUE ET SA COLONISATION

III.
PEUPLEMENT ET ORGANISATION D’UN CONTINENT.
LES CONVICTS ET LES IMMIGRANS LIBRES[1].

I. The History of New South Wales, by R. Flanagan; London 1862. — II. The Colony of Victoria to the end of 1863, by W. Westgarth ; London 1864. — III. A Vacation tour at the antipodes, by B. A. Heywood; London 1863. — IV. On Australasian climates, by S. Dougan Bird; London 1863. — V. Statistical Tables presented to both houses of parliament, 1861, etc.

C’est un sujet d’étude assez rare que d’examiner comment se peuple et s’organise un continent nouveau. Certes le hasard intervient bien un peu dans le choix des emplacemens où se fixent les premiers colons : le hasard réunit sur une même plage des hommes d’origine diverse, de mœurs, de langues et de religions différentes; mais si ce petit noyau est assez abandonné à lui-même pour que la vitalité s’y développe, on verra bientôt apparaître l’esprit qui lui est propre. Les élémens variés dont il se compose s’amalgament et manifestent une prompte tendance à former un ensemble où un observateur attentif distinguera le caractère particulier d’une nation. A l’inverse de la tour de Babel, les petites sociétés, si dépareillées qu’elles soient, sont entraînées, par le fait seul de la juxtaposition, à se fondre dans un moule commun. Les mœurs se modifient aussi bien que les aptitudes physiques, et s’adaptent au climat, aux capacités et aux productions du sol. Les frontières du nouvel état, que les fondateurs avaient fixées par des considérations arbitraires, se rectifient, en sorte que la colonie tend insensiblement vers ses limites naturelles; territoire et caractère, hommes et choses, tout se constitue à la fois par l’effet des réactions singulières qu’exercent sur un peuple les conditions géographiques au milieu desquelles il prend son essor. L’Australie offre à ce point de vue un spectacle d’autant plus curieux qu’il est plus spontané, et qu’elle réunit en des régions très voisines de son immense surface des établissemens parvenus aux divers âges de l’enfance et de l’adolescence

Issue d’un dépôt pénitentiaire, recrutée parmi les aventuriers de toutes les nations pendant la période d’attraction des mines d’or, la population de la Nouvelle-Galles du Sud est néanmoins aujourd’hui saine et laborieuse. Il pourrait paraître étrange qu’il n’y fût plus question des convicts, et néanmoins il est bien vrai que la race des condamnés semble éteinte ou modifiée, quoique la transportation ne soit abolie que depuis vingt-cinq ans à peine. Au milieu de la foule des immigrans libres, dont beaucoup avaient quelques motifs de cacher leur vie passée, les descendans des anciens convicts se sont confondus dans la masse en se lavant du stigmate d’infamie que devait leur infliger leur origine. Bien peu d’entre eux ont hérité des mauvaises tendances de leurs pères, et la plupart des transportés qui ont fait souche s’étaient déjà réhabilités de leur vivant par une conduite irréprochable. La population australienne s’est épurée par l’œuvre du temps, comme un ruisseau dont la source serait trouble s’éclaircit à mesure que les eaux s’éloignent du lieu d’origine. Ce serait même un argument considérable à faire valoir en faveur de la déportation que ce grand nombre de familles honorables issues d’une source impure, tandis qu’en Europe le crime et la débauche semblent être un héritage imprescriptible. Quoi qu’il en soit, après que l’Australie a présenté pendant quarante ans le spectacle d’une dépravation abominable, on croirait aujourd’hui qu’il n’y a jamais eu en ce pays que des immigrans volontaires, et si la question de la transportation y est encore agitée, c’est qu’on retrouve dans les bas-fonds de la société coloniale des échappés des pénitenciers d’alentour, triste voisinage dont l’Océanie ne veut plus, et que l’Europe lui impose malgré elle. Bien que le caractère initial des établissemens se soit effacé, il n’est pas inutile d’étudier ce que les convicts ont été et ce qu’ils ont fait à la Nouvelle-Galles du Sud. On a dit souvent que la prospérité de ces colonies leur est due : la raison répugne à l’admettre, et il est bon de montrer d’après de récentes publications qu’elles ne sont au contraire devenues florissantes qu’à mesure que la proportion des criminels déportés y était moindre.


I.

Lorsque la colonie de Botany-Bay fut créée, l’Angleterre ne songeait qu’à établir un dépôt pénitentiaire, afin d’y reléguer les criminels qui encombraient ses bagnes et ses prisons. Que le pays fût sain et tellement éloigné de l’Europe que les hommes libérés ne pussent revenir dans la mère-patrie, on n’en demandait pas davantage; peut-être aussi entrevoyait-on que les déportés pourraient se convertir au travail, défricher le sol, et que, dans un avenir lointain, un royaume britannique se développerait sur ce rivage avec l’aide d’immigrans libres. Dès 1794 arrivèrent des familles volontaires auxquelles l’autorité locale distribua des lots de terrain. Les officiers de l’armée de terre, retenus aux antipodes par le service militaire, entreprirent aussi quelques cultures aux environs de Sydney. Certains condamnés même, après avoir achevé le temps de leur peine, firent des plantations et s’établirent au bord des rivières; mais l’immigration fut pendant longtemps très restreinte. Il serait inutile de suivre pas à pas les progrès de ce pays depuis sa fondation jusqu’à l’époque actuelle : sans remonter trop loin, il suffira de prendre l’état de la société australienne en 1828. À cette époque, les convicts, tant ceux qui subissaient leur peine que ceux qui étaient libérés, formaient encore la majorité de la population[2]. Une garnison considérable, des états-majors nombreux, nécessaires pour administrer une multitude de si mauvais aloi et pour y maintenir le bon ordre, donnaient à la colonie un aspect militaire très prononcé. Les convicts arrivés depuis peu, ou dont la conduite exigeait une surveillance plus étroite, étaient détenus dans des baraques et conduits chaque jour par troupes de deux à trois cents aux chantiers de travaux publics. On les employait beaucoup aux routes, qui furent de la part des gouverneurs l’objet d’un soin particulier. Les autres étaient distribués entre les colons, qui en faisaient des bergers, des maçons, des charpentiers ou des laboureurs, suivant les besoins et les facultés de chacun ; mais ils étaient presque tous accaparés par les gros propriétaires de l’intérieur, qui s’en faisaient donner trente et quarante à la fois, au détriment des petits cultivateurs, qui avaient peine à en obtenir. Tous ces condamnés étaient d’ailleurs traités avec une extrême sévérité, souvent avec barbarie : les moindres infractions étaient punies par le fouet, que les principaux colons, magistrats de leur district, avaient le droit de leur infliger. Ceux qui les employaient ne pensaient guère à les ramener au bien, et le gouvernement local ne semblait pas s’en préoccuper davantage : le règlement ne parlait que de la durée du travail journalier que ces hommes devaient accomplir, de la quantité de nourriture qui leur était due et des vêtemens auxquels ils avaient droit. On n’avait même pas le soin de les diviser en catégories suivant leur degré de culpabilité et la nature des crimes qui les avaient amenés dans la colonie. Commettaient-ils quelque nouveau méfait, on les expédiait à l’île de Norfolk, où s’entassait la lie de cette société criminelle. Beaucoup d’entre eux, poussés au désespoir par les mauvais traitemens ou entraînés par des instincts sauvages, se réfugiaient dans le désert. Perdus dans les montagnes, ils périssaient misérablement de faim, ou bien ils devenaient batteurs de buissons (bushrangers), attaquant les maisons isolées, infestant les routes, et sans autre perspective que d’être pendus aussitôt qu’ils étaient pris. La statistique judiciaire du temps fait voir combien l’état moral était déplorable. En deux années, 1826 et 1827, il y eut cent trois condamnations à mort dans la Nouvelle-Galles du Sud sur une population d’à peu près 30,000 âmes. Les historiens de la colonie racontent avec complaisance les aventures de certains de ces déportés dont la corruption dépassait tout ce qu’on peut imaginer. Il est inutile de s’appesantir sur de telles existences : l’histoire des criminels célèbres, dénuée d’enseignemens, ne satisfait, en dehors de l’intérêt juridique, qu’une curiosité malsaine.

Tant s’en fallait cependant que tous les déportés persistassent dans leurs habitudes de dépravation ; beaucoup d’entre eux manifestaient un repentir sincère. Celui qui avait achevé le temps de sa détention sans encourir de nouveaux châtimens, ou bien qui avait mérité par sa bonne conduite une remise sur la durée de sa peine, devenait libre et était nommé emancipist. Obligé de résider dans le pays, à moins qu’une décision spéciale n’eût autorisé son rapatriement immédiat, il obtenait une concession de terre, travaillait pour son propre compte et pouvait acquérir l’aisance ou la richesse. Quand on se rappelle que ces hommes avaient tous été condamnés pour crime, on serait tenté de croire qu’il leur était presque toujours impossible de recommencer une nouvelle existence : il n’en était pas ainsi pourtant. Ceux qui avaient été entraînés au mal par de violentes passions trouvaient, une fois l’expiation accomplie, à faire un bon usage de leur énergie de caractère dans un pays neuf. Les voleurs que les tribunaux de Londres et des autres grands centres manufacturiers des îles britanniques envoyaient en quantité aux antipodes n’avaient souvent besoin que d’être mis à même de gagner honnêtement leur vie. On remarquait toutefois que ces derniers se corrigeaient en général moins aisément que les hommes coupables d’attentats contre les personnes. Il y avait encore dans le nombre des convicts des ouvriers de manufactures qui, aveuglés par des doctrines antisociales, s’étaient rendus coupables de bris de métiers, et des déportés politiques de la Grande-Bretagne et de l’Irlande[3]. Il n’était pas étonnant que ces deux dernières classes fournissent des colons probes et laborieux; on peut dire d’une façon générale que les caractères se poussaient à l’extrême dans ces vastes pénitenciers. Les plus corrompus s’enfonçaient plus avant dans le crime et finissaient bientôt sur l’échafaud; ceux qui n’avaient à expier qu’une heure d’égarement revenaient bien vite à des sentimens meilleurs, et saisissaient avec joie l’occasion qu’on leur offrait de se réhabiliter par le travail.

Il est triste de constater que les emancipists récemment convertis montrèrent plus d’activité, de persévérance et de savoir-faire que les immigrans libres. Soit comme cultivateurs, soit comme ouvriers d’art ou petits marchands, ils firent fortune plus vite, et quelques-uns parmi eux devinrent très riches. Mariés n’importe comment et la plupart avec des femmes condamnées, ils subirent une transformation complète, à tel point qu’on prétendait alors à Sydney qu’on pouvait avoir plus de confiance dans les négocians emancipists, qui avaient à tâche de se faire une bonne réputation, que dans les autres, qui n’avaient jamais failli. Les premiers avaient conscience que leur conduite était surveillée de plus près par le public que celle des gens qui n’avaient rien à se faire pardonner dans leur passé; mais ils étaient toujours considérés comme formant une classe à part et traités avec dédain par les autres colons. On ne voulait avoir aucune relation sociale avec eux, si bien qu’au départ de l’un des gouverneurs, sir Thomas Brisbane, en 1825, les immigrans libres, les purs, comme on les appelait, ne voulurent pas s’asseoir à côté d’eux dans un dîner d’adieu que la colonie offrait à ce haut fonctionnaire, et, malgré les tentatives de conciliation dont sir Thomas prit l’initiative, ils s’abstinrent de paraître à cette réunion.

La classe des immigrans volontaires, si peu nombreuse encore, n’était pas seulement composée, ainsi qu’on pourrait le croire, d’artisans et de laboureurs sans éducation ; on y comptait des représentans des grandes maisons de commerce de l’Angleterre qui venaient établir des relations avec l’industrie naissante de cette contrée. Des jeunes gens qui avaient reçu une instruction supérieure dans les universités de la métropole tentaient la fortune avec un petit capital, et se livraient avec succès à l’élève des troupeaux. Des officiers de l’armée des Indes se retiraient avec leur famille aux environs de Sydney, dont le climat doux et tempéré convenait bien à des hommes fatigués par un long séjour sous les tropiques, et ils étaient encouragés par le gouvernement, qui leur offrait en supplément de leur pension de retraite une concession de terres en Australie. Enfin les fonctionnaires de la colonie, les magistrats, les officiers de l’armée active composaient une société choisie autour du gouverneur et formaient l’aristocratie du pays. Cette société exclusive, fière de sa position officielle, se regardant, avec raison à cette époque, comme supérieure à ce qui l’entourait, avait commencé par être si étroite que les colons y étaient rarement admis; mais le cercle s’en élargissait peu à peu, bien que les emancipists en fussent toujours rigoureusement bannis.

Ainsi en 1828 une grande quantité de convicts, un grand état militaire, deux classes de colons séparés par une barrière en apparence infranchissable, voilà ce qu’était la société australienne. On ne peut appeler cela une colonie dans le sens historique du mot; c’est plutôt un dépôt pénitentiaire, une station militaire et navale. La population pure de toute condamnation était insignifiante en nombre; l’espace occupé par les cultures et les colons était peu considérable. Il avait fallu quarante ans pour en arriver là avec les déportés seulement; mais l’état des choses allait changer rapidement, grâce à l’arrivée d’une multitude d’immigrans volontaires.

Bien que les convicts fussent mis à la disposition des colons pour les travaux des champs, ceux-ci se plaignaient toujours que la main-d’œuvre leur manquât; ils ne pouvaient tirer parti de toutes les richesses que le sol recelait, faute de bras. La distance qui sépare l’Australie de l’Angleterre est si considérable que les ouvriers étaient rarement assez riches pour entreprendre la traversée à leurs frais ; on sentait donc la nécessité d’aider au déplacement des classes pauvres. Le premier essai de ce genre fut dû à l’initiative de l’un des hommes qui ont le plus fait en faveur du développement matériel et moral de l’Australie. Le docteur Lang, voulant créer à Sydney un collège presbytérien, se rendit en Angleterre afin de recruter non-seulement le personnel enseignant, mais aussi les ouvriers nécessaires à l’érection des bâtimens projetés. Le gouvernement anglais fit l’avance d’une partie de la dépense d’expatriation de ces hommes, et M. Lang revint dans la Nouvelle-Galles du Sud, en 1831, avec un détachement de cinquante-neuf artisans, maçons, charpentiers, serruriers, qui étaient presque tous accompagnés de leurs femmes et de leurs enfans. La colonie ne pouvait compter jusqu’alors pour les travaux de construction que sur les convicts, hommes impropres en général à de telles occupations, ou trop débauchés pour suffire à de vastes entreprises : les immigrans du docteur Lang furent donc une précieuse acquisition pour le pays. Ils s’étaient engagés à rembourser en cinq ans le prix de leur passage, — c’est-à-dire une somme de 625 francs, — au moyen d’une retenue sur leur gain de chaque semaine. Aucun d’eux ne faillit à cet engagement pécuniaire, et leurs bras furent trouvés si utiles que la colonie prit bientôt la résolution de subventionner l’immigration sur une large échelle.

À cette époque précisément, les paysans du sud de l’Angleterre se trouvaient dans un état de misère tel que le gouvernement crut utile de favoriser le départ de tous ceux qui n’avaient pas de travail assuré. L’Australie pouvait contribuer sans peine à la dépense, car la vente des terres de la couronne lui fournissait chaque année des ressources considérables, et l’arrivée de nouveaux colons devait accroître cette source de revenus. Des sommes importantes furent en effet consacrées au transport des ouvriers; mais l’exécution de cette mesure ne fut pas sans difficulté. D’abord, sous prétexte de peupler le continent austral, les paroisses de l’Angleterre cherchèrent à se débarrasser du rebut de leur population; elles expédiaient aux antipodes des hommes impropres au travail manuel, ou vicieux et débauchés, et bien différens de ceux que la colonie réclamait. Aussi les provinces de l’Australie en vinrent-elles plus tard à entretenir dans les grandes villes des îles britanniques des agens spéciaux qui avaient charge d’examiner les futurs émigrans et de n’accepter que ceux qui méritaient les sacrifices de l’état. On recommandait surtout de les choisir dans les campagnes plutôt que dans les villes, où la population est moins sobre et moins laborieuse. Quant au transport, il était opéré par des armateurs qui entreprenaient l’émigration en grand, et qui recevaient une prime de 375 francs pour chaque adulte rendu dans la colonie. Ce système était simple, mais ne présentait que des garanties insuffisantes : les navires affectés aux transports étaient souvent mal choisis et mal disposés; la nourriture y était mauvaise; la mortalité était grande parmi les hommes embarqués; de plus l’indiscipline et l’immoralité régnaient à bord, et les jeunes émigrans réunis pendant plusieurs mois dans un étroit espace y puisaient trop souvent une corruption précoce. Aussi l’on essaya de recommencer ce que le docteur Lang avait fait pour les premiers artisans amenés à Sydney : des ouvriers de bonne volonté étaient recrutés et embarqués sans frais, à la condition qu’ils rembourseraient sur leur salaire une partie du prix de passage. Cette combinaison eut peu de succès parce que les émigrans, se trouvant endettés avant même d’avoir mis le pied sur le sol de leur nouvelle patrie, n’étaient pas encouragés au travail par l’intérêt personnel. S’acquitter de l’avance qu’on leur avait faite était une lourde charge à laquelle beaucoup d’entre eux cherchaient à se soustraire, prétendant qu’ils avaient été trompés quant aux avantages que la colonie était en état de leur offrir.

Plus ou moins active suivant les ressources que la vente des terres domaniales rendait disponibles, l’émigration a coûté jusqu’à 7 millions de francs en certaines années très prospères, vers 1840 ou 1841 . Les Irlandais formaient la majorité des nouveau-venus, ce qui, en raison de ce qu’ils appartenaient à la religion catholique, amena quelques réclamations des sectes dissidentes. Le gouvernement répondait que l’Irlande fournissait d’excellens ouvriers agricoles, laborieux et de bonne conduite, tandis que l’Angleterre proprement dite n’aurait envoyé que des ouvriers de manufactures, sa population rurale n’étant pas assez dense pour émigrer en masse. De 19,523 colons qui arrivèrent en 1841, 4,563 étaient Anglais, 1,616 Écossais, et 13,344, près des deux tiers, Irlandais. Le nombre des décès survenus pendant la traversée était de 630, soit près de 3 pour 100, résultat qui n’avait rien d’excessif. Tous ces immigrans trouvaient d’ailleurs aisément de l’emploi aussitôt qu’ils étaient débarqués. Une association s’était formée à Sydney pour centraliser tous les renseignemens utiles aux nouveaux colons; elle correspondait avec les magistrats et les principaux propriétaires de chaque district, s’enquérait de leurs besoins et leur envoyait les hommes demandés; elle s’entendait même avec les commissaires de l’émigration en Angleterre, leur indiquant quelle sorte d’hommes convenait le mieux au pays et en quelle quantité il fallait recruter les gens de chaque métier.

Pendant les quinze années qui précédèrent la découverte de l’or, l’émigration fut la grande affaire des colonies australes. Commissions, enquêtes, discussions, rapports, rien ne fut négligé de ce qui pouvait éclairer le pays sur une question qu’il considérait comme capitale, et pour laquelle il accordait de plein gré des subventions énormes. Si abondant que fût le flot de population qui arrivait en Australie, en dépit même des crises commerciales qui entravèrent les progrès de la colonie, industriels et propriétaires terriens répétaient tous et toujours qu’ils manquaient de bras. En 1847, le conseil législatif de la Nouvelle-Galles du Sud déclarait que les ouvriers faisaient de plus en plus défaut, que la prospérité du pays dépendait de la prompte introduction d’une grande quantité d’hommes, et que s’il arrivait vingt mille individus dans l’année, on trouverait aisément à les employer. A supposer que la vente des terres ne fût pas suffisante pour subventionner une telle immigration, il valait mieux, disait-on, contracter un emprunt en donnant pour gage le revenu territorial des années subséquentes. En présence de tels efforts, on comprend mieux comment l’Australie avait déjà réussi à attirer une population de 250,000 âmes avant que les mines d’or ne fussent découvertes. Plus tard, la population s’accrut avec tant de rapidité que les gouvernemens provinciaux n’eurent plus qu’à se préoccuper d’assurer le recrutement de certaines professions d’élite et de maintenir une juste proportion entre les deux sexes. En 1861, il arrivait 44,760 immigrans, dont 5,445 seulement avaient reçu l’assistance de l’état, et les dépenses s’élevaient à 1,600,000 fr., ce qui donne un peu moins de 350 fr. par individu. Au reste, les diverses provinces n’ont sur ce sujet ni les mêmes façons de penser ni les mêmes moyens d’action. L’Australie méridionale, qui ne peut offrir aux Européens la grande attraction des mines d’or, reçoit proportionnellement plus d’immigrans assistés que les autres parties du continent. Victoria ne fournit guère le passage gratuit ou à prix réduit qu’aux femmes; la Tasmanie délivre encore des billets de passage à prix réduit aux ouvriers qui s’engagent à rester quatre ans dans le pays; la Terre-de-la-Reine, où le sol n’attend que les travailleurs, donne à chaque adulte débarqué un lot de terrain d’une valeur de 450 francs, qu’il peut rétrocéder à l’armateur par lequel il a été transporté. Cette colonie étant la plus éloignée d’Angleterre, le prix du passage est aussi plus élevé, et monte précisément à cette même somme de 450 fr., en sorte que l’ouvrier est amené sans aucun frais jusqu’à sa nouvelle patrie. S’il n’a aucune ressource personnelle, il se trouve, en débarquant, aussi pauvre qu’au moment où il est parti d’Europe; mais il se procure sans peine du travail, un salaire élevé; la nourriture est à bas prix, et après deux ans de résidence la colonie lui fait un nouveau don gratuit d’environ 6 hectares. Il peut alors s’établir sur son propre terrain et travailler pour son propre compte. Dans la Nouvelle-Galles du Sud, on n’encourage plus que l’immigration des femmes ou des jeunes ménages et des ouvriers qui sont réclamés par un habitant du pays. Ainsi les hommes établis depuis plusieurs années en Australie peuvent obtenir des billets de passage à prix réduit pour leurs parens et pour les artisans qu’ils ont l’intention d’occuper. Certains squatters ont usé largement de cette faculté pour introduire des familles entières qu’ils établissaient sur leurs domaines; de même un manufacturier peut faire venir d’Europe sans une dépense considérable les ouvriers dont il a besoin. Ce système a cela d’avantageux, qu’il ne profite qu’à des hommes de choix, qui sont une bonne acquisition pour la colonie, et non à des êtres déclassés qui en seraient le fléau. Le colon à la demande duquel les billets de passage sont accordés est intéressé à ce qu’il en soit fait bon usage.

Si les émigrans mâles eurent souvent à se plaindre de la façon dont ils étaient traités à bord des bâtimens de transport pendant le long voyage de trois mois au moins entre les côtes d’Europe et celles du nouveau continent, c’était pour les femmes une épreuve bien autrement redoutable. Au début de toute colonie, les femmes sont en minorité, c’est l’histoire de tous les temps. Rétablir la proportion entre les deux sexes fut sans doute une pensée sage, mais d’une exécution difficile. Lorsque les convicts formaient la plus grande partie de la population, la société australienne était d’une immoralité révoltante : les femmes transportées étaient en général bien plus corrompues que les hommes, car ceux-ci étaient souvent condamnés à la déportation pour des crimes qui n’annonçaient pas une nature perverse, tandis que les femmes n’étaient expulsées de la métropole qu’après qu’il avait été reconnu impossible de les amender. L’immigration libre ne fournit pas d’abord de beaucoup meilleurs résultats. Les femmes qui se présentaient volontairement pour aller aux antipodes appartenaient presque toutes aux classes les plus dégradées, et les bâtimens de transport étaient le théâtre de scènes scandaleuses. Les désordres furent tels que le gouvernement fut obligé d’intervenir et de placer sur chaque navire affecté à ce service un chirurgien de la marine royale qui, investi de l’autorité d’un dictateur, était chargé de maintenir le bon ordre et la discipline.

Il était sans doute délicat de recruter dans la population anglaise des femmes qui ne fussent pas un sujet de honte pour la société coloniale. Dès 1831, il arrivait d’Irlande cinquante jeunes filles orphelines qui avaient été élevées dans les principes de vertu et de religion et formées aux devoirs de la vie domestique : elles se marièrent promptement. Les orphelinats de l’Angleterre fournirent plus tard un grand nombre de jeunes filles de quinze à vingt ans qui s’expatrièrent volontiers, mais qui étaient peu propres en général à tenir leur place dans un monde à demi sauvage. Dressées pour la plupart à gagner leur existence par des travaux de couture, elles ne possédaient pas toujours la variété d’aptitudes nécessaire à la femme au sein d’une société nouvelle. Elles étaient placées d’abord comme servantes chez les anciens colons. A certaines époques, elles arrivaient en si grand nombre qu’il était impossible de leur trouver tout de suite de l’emploi. D’ailleurs ces jeunes filles avaient besoin d’être protégées depuis le moment où elles quittaient la ville natale jusqu’à ce qu’elles eussent trouvé une position stable dans leur nouvelle patrie. Peut-être le gouvernement eût-il été impuissant à régulariser lui-même ce mouvement d’émigration et à donner toute sécurité à cette classe intéressante de jeunes voyageuses; mais une femme d’un grand mérite et d’une activité prodigieuse, mistress Chisholm, s’y consacra avec un dévouement infatigable. De 1840 à 1845, pendant une période de temps où le pays prit un accroissement considérable, elle établit à Sydney une maison de dépôt où les nouvelles arrivées pouvaient attendre qu’elles eussent trouvé une position. S’étant mise en relation avec les colons de l’intérieur aussi bien qu’avec les habitans des villes, elle savait toujours vers quel point il convenait de diriger ses protégées. Puis elle était leur avocat d’office, poursuivant la réparation des torts qu’elles avaient éprouvés durant la traversée, préparant leurs contrats d’engagement avec les maîtres qu’elles allaient servir, les conduisant elle-même par troupes jusqu’aux localités où elles devaient demeurer; enfin elle restait leur protectrice au milieu des dangers qu’une société troublée présentait à des femmes novices et sans expérience. Les services que mistress Chisholm a rendus ont compté pour beaucoup dans l’amélioration notable qui est aujourd’hui constatée dans les mœurs de la colonie.

Les émigrantes ne furent choisies pendant longtemps que dans les basses classes de la société anglaise. C’étaient, à peu d’exceptions près, des orphelines ou des filles de paysans pauvres qui se contentaient à leur arrivée d’être employées comme servantes dans les familles de colons; encore reprochait-on aux Irlandaises, qui étaient les plus nombreuses, leur malpropreté habituelle et une ignorance complète des usages de la vie. Peut-être y avait-il souvent aussi un préjugé de religion contre ces jeunes filles, qui étaient presque toutes catholiques. Elles se mariaient bientôt, mais étaient peu capables, faute d’éducation première, de relever le niveau moral de la colonie. La société coloniale demandait cependant des femmes plus distinguées. On commença d’abord, ceci est à remarquer, par réclamer des gouvernantes. Les squatters enrichis par le commerce de la laine, ceux qui avaient fait fortune en cherchant l’or ou en se livrant à des opérations commerciales, éprouvèrent le louable désir de faire donner à leurs enfans l’instruction qu’ils n’avaient pas eux-mêmes. Dans les villes, les écoles ne manquaient pas; mais dans l’intérieur du pays, les enfans, ne pouvant participer à l’enseignement commun, devaient recevoir l’instruction à la maison paternelle. Or la plupart des colons n’étaient guère propres à remplir ce devoir de famille. Les gouvernantes furent donc indispensables. La Grande-Bretagne pourvut encore aux nouveaux besoins qui se manifestaient. Une société charitable fut instituée en Angleterre pour favoriser l’émigration des femmes instruites. Cette institution s’assurait de l’aptitude que les femmes avaient pour les emplois requis dans la colonie, et leur facilitait le voyage non-seulement par une remise sur le prix du passage, mais encore en veillant à ce qu’elles pussent accomplir sans péril une si longue traversée. On annonçait dernièrement que le secrétaire de cette société, miss Rye, venait de s’embarquer accompagnée de cent jeunes filles de diverses conditions destinées aux nouveaux établissemens de la Nouvelle-Zélande. Elle se proposait de passer à son retour par Melbourne et Sydney, afin de s’assurer par elle-même du nombre d’émigrantes qu’on pouvait diriger en ce moment sur chaque province du continent.

Telle est cette singulière traite des blanches, qui n’a cessé d’être inspirée par les sentimens les plus honorables et les plus désintéressés, et qui a su conduire jusqu’aux antipodes, en parfaite sécurité, des milliers de jeunes filles confiées à ses soins. On ne sait ce que l’on doit le plus admirer du dévouement qui inspire de tels actes ou de l’esprit pratique d’un peuple qui sait pourvoir à ses besoins les plus divers. Les Australiens, de même que les fondateurs de Rome, se sont trouvés dépourvus d’épouses; mais entre l’enlèvement des Sabines et l’émigration volontaire des femmes de la Grande-Bretagne il y a toute l’épaisseur de la civilisation moderne. L’Angleterre, toujours commerçante, a très habilement appliqué les principes du commerce au recrutement de ses colonies. Suivant les demandes qu’elle en recevait, elle leur a expédié des ouvriers d’abord, puis des servantes, puis des femmes d’une classe plus élevée. Pour éviter le retour des désordres qui accompagnèrent au début ce grand mouvement de personnes, des sociétés charitables, s’instituant de leur autorité privée, secoururent les émigrans de leurs fonds et de leur influence. Après avoir infecté le continent austral de ses condamnés les plus criminels, la métropole a reconnu la faute qu’elle commettait; elle lui donne aujourd’hui ses meilleurs enfans, pauvres ou riches, mais tous honnêtes et entreprenans. Il ne fallait pas moins que le concours de tous ces efforts pour rétablir l’ordre dans une contrée où l’or qui brille à la surface du sol attire, comme le miroir les alouettes, les déshérités, les déclassés, les hommes dont l’existence perdue ne peut se refaire que par un hasard.

Mais ce grand courant d’émigration si bien dirigé, qui a entraîné vers les rivages de l’Australie tant de malheureux que la misère accablait dans leur pays natal, serait peut-être resté stérile, s’il ne s’y était mêlé une foule de volontaires d’une classe plus élevée qui apportaient avec eux les ressources du capital et de l’intelligence. A côté des émigrans assistés, laboureurs ou ouvriers de manufactures sans emploi, il en vient d’autres, doués d’une instruction supérieure ou possesseurs d’une petite fortune, qui aident à mettre en valeur les richesses de leur pays d’adoption et à y relever le niveau de la civilisation. Ces derniers contribuent peut-être plus encore à maintenir des relations réciproques entre la métropole et sa colonie; si éloignée que soit celle-ci, ils en reviennent tôt ou tard et enrichissent la mère-patrie des trésors qu’ils ont acquis au-delà des mers. En outre ce mouvement alternatif de population assure entre les deux nations un échange de rapports affectueux, favorisés d’ailleurs par la saine politique que le gouvernement impérial[4] pratique à l’égard de ses possessions lointaines.

On se figure volontiers que les colonies de formation récente sont des contrées barbares, peuplées d’hommes aventureux ou débauchés, qui se sont expatriés parce qu’ils ne pouvaient réussir dans leur pays natal. Représenter un jeune homme qui a scandalisé sa famille, épuisé la patience de ses parens et compromis son nom, partant pour les contrées lointaines et en revenant quelques années plus tard avec des richesses immenses, c’est une fiction favorite des romanciers. Rien de plus faux en réalité, au moins en ce qui concerne l’Australie. Les qualités indispensables à qui veut réussir en Europe ne sont pas moins nécessaires aux antipodes. Peut-être y faut-il un peu plus d’activité et moins d’instruction, une plus grande initiative et un peu moins d’intelligence; toutefois les qualités morales ont partout la même valeur. Les circonstances peuvent être plus ou moins favorables; mais en tout pays la fortune vient du travail et de la persévérance. Aussi n’aurait-on jamais créé une colonie florissante avec des convicts, fléau de la société européenne, si intéressant que soit le spectacle que quelques-uns présentent par un sincère retour au bien, ni avec des fils de famille sans argent ou aptitude physique, ni avec de pauvres journaliers que la misère a souvent dégradés ou découragés. N’oublions pas que les défauts s’aggravent chez l’homme placé dans une société inconnue qui n’exerce aucune autorité sur lui. Le jeune homme de bonne éducation qui a péché par indolence n’acquerra pas la force de caractère qui lui manque, et il y a beaucoup de chance pour qu’il perde le respect de lui-même. L’homme adonné à l’ivrognerie deviendra incorrigible, il vivra et mourra dans la débauche. Avec de telles gens, on ne peut rien créer; les colonies ne se fondent qu’avec l’élite d’une nation. Cette vérité a été bien comprise en Australie. Chaque province considère comme un de ses devoirs les plus importans de diriger elle-même l’immigration. A telle époque, on manque d’artisans, plus tard les laboureurs font défaut. Le temps n’est plus où chaque colon devait se suffire à lui-même et faire tour à tour tous les métiers. Il faut aussi maintenir une proportion convenable entre les deux sexes. La vente des terres domaniales promet pour longtemps encore de telles ressources aux budgets australiens que les provinces naissantes pourront introduire une population soigneusement triée à côté de la masse d’immigrans volontaires qui arrivent d’eux-mêmes aussitôt qu’une nouvelle région du continent est ouverte à la colonisation.


II.

Il serait injuste de méconnaître les services que pendant les premières années les convicts rendirent aux colonies australes. Faute d’ouvriers libres, les colons étaient heureux d’avoir ceux-ci à leur disposition. Grâce à cette main-d’œuvre d’un bon marché plus apparent que réel, de grands travaux publics furent exécutés, et la Tasmanie, où les déportés furent plus nombreux et restèrent plus longtemps que dans les autres provinces, profite des belles routes auxquelles ces hommes ont travaillé jadis. Si l’on rapprochait la dépense du résultat obtenu, on trouverait sans doute que ces travaux ont coûté infiniment plus que leur valeur réelle. Les convicts étaient des ouvriers à bon marché pour ceux qui les employaient, mais très onéreux pour le trésor public; cependant, en dépit de ces avantages, les colons libres réclamèrent l’abolition de la transportation dès qu’ils se virent en majorité. De 1835 à 1849, il y eut entre la colonie et sa métropole de longs débats qui amenèrent un ralentissement graduel de la transportation, et la firent définitivement supprimer.

Les colons avaient de nombreuses raisons à faire valoir contre l’introduction des convicts en Australie. Ils ne pouvaient circuler dans la contrée ni même parcourir les routes les plus fréquentées sans avoir à craindre la rencontre de bandits, vivant de meurtre et de rapines, qui venaient attaquer les voyageurs jusque dans le voisinage de la capitale. La dépense de garde et de surveillance de ces nombreux condamnés absorbait une forte part des ressources locales. Quant à ceux qui, après avoir accompli le temps de leur détention, s’étaient établis dans le pays, et y étaient connus sous le nom d’emancipists, ils étaient encore poursuivis par la réprobation sociale, et l’on attribuait à leur présence, non sans raison, la répugnance que le gouvernement anglais témoignait à doter l’Australie d’institutions libres. Touchée de ces plaintes, la chambre des communes demandait en 1839, à la suite d’une enquête parlementaire, que la déportation fût supprimée sur le continent austral, et que les convicts ne fussent plus envoyés qu’à l’île de Van-Diemen ou à l’île Norfolk, où il était plus facile de les surveiller. Plus tard, en 1844, l’Angleterre, ne sachant plus comment se débarrasser des nombreux criminels condamnés par ses tribunaux, voulut au moins envoyer en Australie ceux qui avaient subi un emprisonnement de quelques années, et qui avaient appris dans les maisons de détention un métier au moyen duquel ils pouvaient gagner leur vie. Malgré les protestations de la colonie, plusieurs navires amenèrent en effet à Port-Phillip des hommes de cette catégorie. Enfin, deux ans plus tard, sur l’avis qu’il avait été résolu à Londres de remettre en vigueur l’ancien système de transportation, les habitans de la Nouvelle-Galles du Sud s’émurent des dangers dont cette résolution menaçait la paix publique et la sécurité de leur territoire : ils tinrent de nombreux meetings adressèrent à l’Angleterre des pétitions couvertes de milliers de signatures, et organisèrent une ligue pour la suppression définitive de la transportation. Il est digne de remarque que les emancipists et les descendans des anciens convicts montrèrent autant d’ardeur que les immigrans volontaires contre le retour à un établissement pénal. Ces efforts furent couronnés de succès : les envois de condamnés cessèrent tout à fait. Cependant on ne peut dire que la déportation soit virtuellement abolie; elle est seulement tombée en désuétude, et le gouvernement impérial ne s’est jamais engagé à ne plus expédier aux antipodes les hommes qui sont un embarras pour l’Angleterre. La suppression de fait ne fut pas d’ailleurs accordée en même temps à toutes les provinces, car le régime pénitentiaire fut encore appliqué à la Tasmanie jusqu’en l’année 1853.

On ne sait pas au juste combien la Grande-Bretagne a expédié de condamnés en Océanie pendant le demi-siècle que la transportation a duré. Pour la Tasmanie seulement, on en évalue le nombre à 60,000 environ. L’Australie a reçu en outre de l’Europe et des autres parties du monde bien près d’un million d’immigrans. Par la comparaison de ces deux chiffres, on peut concevoir comment s’est effacé peu à peu le souvenir du mauvais recrutement des premières années. La plupart de ces hommes frappés par la justice de leur pays sont morts; d’autres ont réussi à s’échapper et à retourner en Europe; quelques-uns se sont amendés et sont devenus chefs de familles distinguées parmi les plus honorables de la colonie. Aujourd’hui on ne se préoccupe plus de savoir d’un homme si lui ou son père était convict ou immigrant volontaire: tous, à quelque titre qu’ils soient venus, prennent une part égale aux affaires publiques, et apportent leur contingent d’activité et de richesse à la prospérité du nouveau continent. Ce résultat ne doit-il pas être attribué en partie à l’influence vivifiante des institutions parlementaires, qui ont aboli les anciennes distinctions sociales et confondu tous les habitans, quelle que fût leur origine, en une seule classe de citoyens? Cependant la transportation vient de donner lieu à de nouvelles discussions. L’Australie occidentale avait réclamé le secours des convicts à l’époque où les autres provinces n’en voulaient plus. Dans cette contrée, divisée en grandes concessions mal cultivées, les immigrans n’arrivaient pas volontiers, et les propriétaires, qui ne pouvaient ni cultiver leurs immenses domaines, ni les louer à de petits cultivateurs, demandèrent que leur pays fût transformé en établissement pénitentiaire. Le gouvernement anglais, faisant droit à leur demande, leur expédia chaque année de 2 à 300 convicts, environ 3,000 en tout pendant une dizaine d’années. Ce fut peut-être une décision plus nuisible qu’utile à ceux qui l’avaient provoquée, car ce voisinage honteux effraya la population libre, qui se porta de plus en plus vers la Victoria, la Terre-de-la-Reine et la Nouvelle-Zélande. Aujourd’hui l’Australie occidentale, quoique plus rapprochée de l’Europe que les autres établissemens de l’Océan austral, ne renferme que 20,000 habitans à peu près sur un territoire d’une immense étendue. L’Angleterre, plus que jamais embarrassée des condamnés qui remplissent ses prisons, a songé à les déverser en masse sur ce territoire abandonné : il a suffi que ce projet fût annoncé pour déterminer de la part des autres provinces d’innombrables protestations. L’Australie occidentale est à la vérité séparée de ces provinces par des déserts que personne n’a encore pu traverser, et les convicts ne peuvent s’en échapper que par la voie de mer. Malgré ces difficultés et en dépit de la surveillance qui est exercée aux ports d’embarquement, ils réussissent à passer sur les navires qui vont d’une colonie à l’autre. Du reste, lorsque ces hommes ont achevé le temps de leur détention, ils acquièrent de nouveau le droit de circuler dans tout le pays. La province de Victoria a voulu repousser les libérés, et la législature de Melbourne a voté leur expulsion; mais cette mesure, dont la légalité a été contestée par le gouvernement impérial, s’est trouvée illusoire. En fait, les convicts échappent aux entraves de toute sorte par lesquelles on essaie de les retenir : les plus dangereux d’entre eux sont aussi ceux qui se résignent le moins à demeurer dans le lieu de leur déportation; les grands centres de population, tels que Melbourne et Sydney, les attirent aussi bien que Londres. Les plus inoffensifs restent seuls dans l’Australie occidentale, occupés par les colons aux divers travaux du squattage et de la culture des terres. Du reste, les Australiens n’ont pas seulement à se plaindre de la mère-patrie sous ce rapport : ils ont vu avec regret la France imiter l’Angleterre et créer, elle aussi, un dépôt pénitentiaire dans la Nouvelle-Calédonie, à quelques centaines de lieues de leurs côtes.

Il n’a été question jusqu’ici que de l’émigration anglaise. En réalité, la masse de la population australienne est bien réellement d’origine britannique. Les derniers recensemens ont constaté que l’élément étranger ne forme pas un dixième du total, dont moitié est fournie par la Chine et le reste par tous les pays du globe, mais surtout par l’Allemagne. En somme, la proportion entre les sujets britanniques et les colons d’origine étrangère est à peu près la même que dans les grands ports du royaume-uni. Seulement il y a plus de variété dans la population étrangère, et on peut dire que tous les peuples sont représentés sur cette terre d’abondance où la fortune facile les a attirés. Outre les Anglo-Américains, qui sont en immense majorité, et les rares représentans des autres nations européennes, et sans parler même des Chinois très nombreux, on y rencontre des nègres venus de l’Afrique on ne sait comment, des Polynésiens et même des Maoris de la Nouvelle-Zélande accourus pour fouiller les champs d’or de la Victoria avant que l’on eût découvert des terrains aurifères dans les montagnes de leur île. La plupart de ces représentans des races inférieures ne font qu’un court séjour, et peu d’entre eux s’établissent en Australie sans espoir de retourner dans leur pays natal. L’émigration allemande fournit au contraire des colons qui s’attachent au pays, quoique conservant les mœurs de leur mère-patrie. Sur cette terre étrangère, ils vivent en famille, se rapprochent les uns des autres et cultivent le sol avec ardeur sans se laisser entraîner par les séductions des champs aurifères. Ce sont surtout des Prussiens et des Suisses, artisans, vignerons, jardiniers, agriculteurs. D’année en année, leurs succès attirent quelques nouvelles familles; mais cette émigration n’est pas assez active pour créer une rivalité dangereuse à la race anglo-saxonne. Il n’en est pas de même de l’émigration chinoise, dont nous avons déjà montré l’importance, et sur laquelle il faut revenir. En 1837, alors que la main-d’œuvre était rare, certains habitans de la Nouvelle-Galles du Sud eurent l’idée d’importer des travailleurs chinois; néanmoins ce ne fut que vers la fin de 1848 qu’on vit arriver le premier navire chargé d’une centaine de ces immigrans qu’un armateur amenait par spéculation. Il n’y avait que des hommes sur ce navire, et les colons prudens manifestèrent dès cette époque la crainte que leur inspirait l’invasion de ces Asiatiques, inférieurs en intelligence, privés en outre de la société de leurs femmes et de leurs enfans, dont la présence les eût maintenus. Quelques années plus tard, lorsque la réputation des mines d’or de Ballarat se répandit dans le monde, les Chinois arrivèrent d’eux-mêmes, mais encore sans se faire accompagner par leurs femmes. Aujourd’hui cette nation est représentée dans la province de Victoria par plus de 25,000 individus, dont huit femmes seulement, presque tous occupés au travail des mines ou cantonnés dans les villes qui environnent les districts miniers. Sobres, travailleurs, économes, pacifiques, les Chinois font preuve d’excellentes qualités, et cependant la colonie ne veut pas d’eux. Ils forment une petite société à part au milieu de la grande famille européenne. Dans les villes, ils habitent un quartier qui leur est réservé, ils ont même leurs cimetières séparés. Bien plus, en voyant que les Européens ne les admettaient pas volontiers à leurs côtés, ils ont établi pour leur usage particulier des services de voitures publiques qui desservent les principaux centres de la province. Ils ne se livrent pas, comme les autres colons, aux excès de liqueurs fortes qui ont fait tant de ravages dans la population; mais ils manifestent une passion effrénée pour le jeu. Au reste, ils sont mêlés à toutes les affaires. A Melbourne, où ils sont assez nombreux pour occuper une rue entière, on trouve de riches armateurs chinois qui font un commerce très étendu avec l’Asie. Humblement soumis à toutes les obligations légales de la contrée où ils viennent s’établir, ils y conservent néanmoins leurs habitudes; ainsi ils ont leurs bouchers, leurs marchands d’opium. Doués d’une ténacité extraordinaire et d’une patience inépuisable, ils ne dédaignent pas les plus minces profits, si bien qu’on les voit laver les minerais aurifères qui ont déjà été exploités par les Européens. Ils pratiquent volontiers toutes les fraudes qui peuvent passer inaperçues, et ils ont la réputation d’être les plus adroits contrebandiers du pays. On prétend aussi qu’ils sophistiquent la poudre d’or qu’ils retirent des mines. En somme, ce sont des êtres passifs, que la colonie européenne ne peut ni ne veut s’assimiler, quoiqu’ils soient peu importuns et peu bruyans. On s’est dit que, si la Chine, contrée énormément peuplée, se mettait à envoyer en Australie l’excès de sa population, elle envahirait tout, et que les millions d’émigrans dont elle peut disposer étoufferaient bien vite les Européens. De cette crainte et de l’antipathie des races sont venues les mesures restrictives que le gouvernement local a édictées contre les Chinois.

Une enquête qui fut faite vers la fin de 1854, sur la situation des districts aurifères, révéla, au grand étonnement de la colonie, que les Chinois étaient déjà au nombre de plus de 10,000 dans la seule province de Victoria; en même temps on vit arriver à Melbourne plusieurs navires qui portaient chacun de 3 à 400 Asiatiques, attirés, de leur propre aveu, par la perspective de réaliser aux mines une prompte fortune. « Pouvons-nous, disait-on, nous laisser déborder par la marée montante de cette invasion mongole? Ils vont dégrader la colonie par le spectacle de leurs mœurs à demi barbares, la démoraliser par le funeste exemple de leur passion pour le jeu et de leurs absurdes superstitions. » Il y avait dans cette conduite une singulière anomalie. La même province qui a ouvert ses ports aux aventuriers de toutes les nations sans leur demander, autrement que dans un intérêt de police, d’où ils viennent ni ce qu’ils ont fait, les mêmes Anglais qui considèrent comme un article du droit des gens la faculté de circuler en tout pays et de s’établir où leurs intérêts les appellent, contestaient à d’inoffensifs et laborieux immigrans la liberté de prendre une modeste part aux richesses du continent austral. Après quelques débats, la législature vota un impôt de 250 francs à payer par chaque Chinois établi dans la contrée et par chacun de ceux qui débarqueraient à l’avenir dans l’un des ports de la province. Quoique contraire aux principes habituels du gouvernement anglais, et en opposition avec les traités qu’il avait conclus récemment avec le Céleste-Empire, cet impôt obtint l’assentiment royal. Il produisit peu d’effet, car les Asiatiques prirent alors une voie détournée : ils arrivèrent aux mines par les frontières de terre, après avoir débarqué sur la côte de l’Australie méridionale. Lorsque cette dernière province eut établi le même impôt d’arrivée afin de favoriser les intentions de la Victoria, les Chinois abordèrent à Sydney et vinrent dans les districts aurifères en traversant toute la Nouvelle-Galles du Sud. Le gouvernement local, encore une fois désappointé, établit alors une capitation de 25 francs par trimestre, et la Nouvelle-Galles du Sud vint bientôt à l’appui de ses intentions en votant aussi un impôt au débarquement. Ces mesures restrictives eurent un effet considérable. Les Asiatiques n’eussent pas été découragés par les avanies dont on les abreuvait; l’impôt personnel était suffisant pour éloigner beaucoup d’entre eux. Pour ceux, en petit nombre du reste, qui étaient riches et faisaient des affaires considérables, la capitation n’était rien ; mais la plupart se contentaient de petits profits, et la surtaxe qu’on leur imposait était une mesure véritablement prohibitive. Le corps législatif reconnut bientôt que cette façon d’exclure un peuple était non-seulement injuste et d’un mauvais exemple, mais nuisible à la colonie. La chambre de commerce de Melbourne demanda par voie de pétition que les Chinois fussent affranchis de toute taxe spéciale. Elle faisait valoir avec beaucoup de sagesse que ces mesures fiscales, sans avoir attiré un Européen de plus, avaient eu pour résultat de priver le pays de quelques milliers de travailleurs. Elle disait encore combien il était désirable que l’Australie se mît en relations fréquentes avec l’Asie orientale. Si l’on ne les avait pas repoussés, il y aurait maintenant 75,000 Chinois dans la colonie au lieu de 25,000; or le mouvement commercial auquel donne lieu cette population flottante n’est pas à dédaigner. La cause des Asiatiques semble aujourd’hui gagnée; les taxes spéciales ont été réduites, et d’un jour à l’autre on les supprimera tout à fait. Le gouvernement en a si bien reconnu l’injustice qu’il a soin de réserver autant que possible le produit de cet impôt pour les besoins spéciaux de la colonie chinoise.

Si peu que l’on s’intéresse au sort du peuple chinois, la question dont il s’agit ici n’est pas dénuée d’importance; il faut d’ailleurs l’envisager d’un point de vue plus élevé. La conduite des Australiens en cette circonstance a été un démenti aux principes de liberté économique qui ont fait la fortune de leur pays. Qu’ils traitent les Asiatiques avec dédain, comme les Américains du Nord traitent les nègres, on ne s’en étonnerait pas beaucoup, c’est un préjugé de race que l’autorité locale ne peut pas détruire; mais leur interdire le continent, ne pas vouloir qu’ils concourent à l’œuvre commune de la mise en valeur d’un pays nouveau, c’est imiter la politique étroite et personnelle des Chinois eux-mêmes, qui ont fermé pendant si longtemps leur empire aux Européens. C’est surtout un mauvais précédent. Les Anglais, peut-on se demander, n’eussent-ils pas agi de même, si, au lieu d’une invasion de Mongols et de Tartares, ils s’étaient vus menacés par une invasion d’immigrans français ou allemands? L’Angleterre n’occupe encore qu’une bien faible partie du continent austral, et cependant nous nous habituons volontiers à considérer ce continent tout entier comme un domaine qui lui appartient. Il n’en serait plus ainsi le jour où elle aurait la prétention d’en exclure tous autres que les sujets britanniques. Du moment que l’Australie ne serait plus un champ ouvert à l’activité de tous les peuples sans distinction de race ni d’origine, chacun d’eux ne serait-il pas fondé à y réclamer sa place ?

On vient de voir quelle part les diverses nations du globe prennent à l’immigration australe. Les tableaux statistiques officiels ne font pas connaître seulement le chiffre total de la population et sa répartition par nationalités ; ils indiquent encore les naissances et les décès. On peut donc étudier comment cette population se conserve et se multiplie, suivre le sort des immigrans et examiner à quel point le climat convient aux Européens du. nord, qui semblent dépérir lorsqu’ils sortent des latitudes froides qui furent leur berceau.


III.

Les habitans de l’Australie nés dans le pays même sont encore en minorité, tant le recrutement extérieur a été actif depuis la découverte des mines; cependant les mariages, qui sont en général très féconds, contribuent pour une forte part à l’accroissement de la population. Ainsi, en comparant les provinces australiennes à ceux des départemens français qui ont à peu près le même total d’habitans, on trouve que le nombre des mariages est relativement presque le même qu’en France, que le nombre des décès est un peu moindre, et que le nombre des naissances est environ de 60 pour 100 plus considérable. Le même fait a été observé, on le sait, dans tous les pays neufs, notamment dans les états de l’Amérique du Nord. Ce qui est plus étonnant, les provinces de l’Australie, à part les districts d’occupation récente, contiennent peu d’habitans issus des provinces voisines. Les colons manifestent donc déjà une certaine tendance à s’attacher au canton où ils sont nés. Sauf les brusques déplacemens que cause l’attraction des mines d’or, l’immigrant reste de préférence sur le sol où il s’est fixé dès son arrivée. Ce sentiment, favorisé par la variété des climats et des conditions physiques, peut transformer, par la suite des temps, chaque province en une nationalité distincte.

On s’est beaucoup émerveillé du rapide accroissement de la population australienne en quelques années. La province de Victoria avait 12,000 habitans en 1841, 77,000 en 1851, année de la découverte de l’or, et 540,000 en 1861[5]. Ce mouvement progressif paraît se modérer. Il n’y aura plus sans doute de ces afflux subits d’émigrans qui bouleversaient toutes les habitudes des colons primitifs. L’accroissement annuel suit un cours plus régulier : par suite, la colonie jouit de plus de calme; la main-d’œuvre, les denrées de consommation ne subissent plus les oscillations de prix qui amenèrent des fortunes et des ruines subites. La disproportion entre les deux sexes tend aussi à disparaître. Le petit nombre des femmes émigrées fut l’une des causes principales des graves désordres qui éclatèrent à diverses époques, et le gouverneur de la Victoria, sir C. Hotham, disait un peu cyniquement, mais avec beaucoup de raison, à propos des troubles de Ballarat en 1854, que c’était un régiment de femmes et non un régiment de soldats qu’il fallait envoyer aux perturbateurs de la paix publique. Les femmes arrivent maintenant encore en moins grand nombre que les hommes malgré le dévouement que deux dignes et charitables personnes, mistress Chisholm et miss Rye, ont prodigué aux émigrantes. On observe aussi que la proportion des naissances mâles aux naissances femelles est plus élevées qu’en Europe, fait bizarre et inexpliqué qui se rattache à quelque mystérieuse loi de l’embryogénie. Néanmoins, comme ce sont surtout des hommes qui se rendent maintenant de l’Australie dans la Nouvelle-Zélande, l’équilibre entre les deux sexes tend à se rétablir, et la disproportion n’est plus choquante. Sur 100 habitans, on compte à peu près 57 hommes et 43 femmes : la différence est encore trop considérable, surtout en un pays qui n’a pas de grandes armées permanentes.

Au point de vue sanitaire, on ne saurait tirer des conclusions certaines des rapports qui existent entre le nombre des habitans, celui des naissances et celui des décès, car les calculs de vie moyenne ne sont exacts qu’autant qu’ils s’appliquent à un grand nombre d’êtres qui ont vécu dans des circonstances identiques. En ce moment, on compterait une naissance par an pour 24 et un décès pour 58 habitans, tandis qu’en France on compte, année moyenne, une naissance pour 35 et un décès pour 41 habitans. Le climat de l’Australie paraîtrait donc au premier abord particulièrement sain; les colonies lointaines ont en général sous ce rapport une si mauvaise réputation qu’il n’est pas inutile d’insister sur ce point : peut-être les influences sanitaires ont-elles eu une large part dans la prospérité des établissemens de l’Océan austral.

On ne peut jeter les yeux sur une mappemonde sans être frappé de la différence que présentent les deux hémisphères au point de vue de la distribution des terres et des mers : l’un, le boréal, plus terrestre que maritime; l’autre, l’austral, presque exclusivement maritime, sauf un grand continent et quelques milliers d’îles disséminées sur sa surface. Les vents et les courans marins font le tour de l’hémisphère austral sans être arrêtés nulle part. Or l’on sait quelle influence salubre et vivifiante les vents de la mer exercent sur le climat de tous les pays. La côte méridionale de l’Australie est placée dans des conditions particulièrement favorables, exposée en plein aux vents du sud-est, du sud et du sud-ouest, qui lui arrivent chargés d’émanations bienfaisantes après avoir traversé une immense étendue de mer. Les chaînes de montagnes dirigées de l’est à l’ouest sont au reste assez peu élevées pour ne pas arrêter ces courans d’air, qui pénètrent au loin dans l’intérieur des terres et y portent la vigueur et la santé. Toutes les parties de l’Australie qui sont déjà occupées ont ce qu’on appelle un climat marin, chaud et fortifiant, et néanmoins l’air y est relativement sec, parce que les vents dominans, qui arrivent du pôle, se réchauffent à mesure qu’ils s’avancent vers l’équateur, et deviennent susceptibles, comme nos vents du nord, dont ils jouent le rôle, d’absorber la vapeur d’eau en plus grande quantité. Ces phénomènes climatériques sont surtout appréciables dans les provinces méridionales, les plus peuplées jusqu’à ce jour. Quelquefois, il est vrai, elles sont exposées aux vents du nord, qui ont pris une température suffocante en passant au-dessus des régions centrales du continent; mais ces vents, qui rappellent le simoun et le sirocco de l’Afrique septentrionale, soufflent rarement, et chaque fois pendant quelques heures seulement : encore paraissent-ils perdre en partie leur caractère brûlant depuis que les districts de l’intérieur ont été défrichés en partie.

La température, qui dépend à la fois de la latitude et de la direction des vents, n’est pas moins propre à entretenir un état sanitaire satisfaisant. Cette contrée est si grande et s’étend sous des latitudes si diverses que la température moyenne de l’année varie beaucoup du nord au sud du continent; cependant elle est partout moins élevée que dans notre hémisphère, à latitude égale. Ainsi la Tasmanie a le même climat que le centre de la France, quoique plus rapprochée du pôle de quelques degrés. Melbourne, située à peu près comme Palerme, a la moine température moyenne, que Montpellier, Nice, Gènes ou Florence, de 14 à 15 degrés centigrades, avec cette différence que l’écart de l’hiver à l’été est moindre, c’est-à-dire qu’il fait à Melbourne moins froid en hiver et moins chaud en été. Lisbonne représente assez bien le climat habituel de la province de Victoria; Sydney peut être comparé à Naples, et Brisbane à Alger. Quant aux côtes septentrionales, elles sont plus chaudes encore ; mais, proportion gardée, elles paraissent l’être moins que les contrées de l’hémisphère boréal qui sont à la même distance de l’équateur. Les pluies sont aussi plus rares que dans nos contrées, si l’on excepte certains points de la côte oriental : il ne tombe que 43 centimètres d’eau par an dans la vallée moyenne de la Murray, à Echuca; Melbourne en reçoit 70 centimètres, et Sydney 124 centimètres, mais les pluies sont plus abondantes et durent moins longtemps qu’en Europe. En somme, le Climat de l’Australie méridionale est d’habitude chaud et tempéré; l’air est sec et tonique; le ciel est rarement couvert de nuages. Au printemps et à l’automne, qui sont les saisons les plus délicieuses de l’année, les jours sereins se succèdent sans intermittence, légèrement rafraîchis par une douce brise du sud. Le souffle vivifiant de la mer, l’air pur comme dans les hautes montagnes, l’éclat du soleil, tout contribue à soutenir la santé : l’homme se sent vivre avec bonheur, et il a conscience qu’il puise de la vigueur dans l’atmosphère.

Il est certain que le sol et le climat de cette contrée sont merveilleusement propres au développement de la vie organique, végétale ou animale. Dépourvue d’arbres à fruit, privée des animaux domestiques qui sont la première richesse de l’homme civilisé, elle s’approprie avec une admirable facilité toutes les espèces qui y ont été importées. Le cheval et le mouton s’y améliorent; les arbustes d’Europe s’y développent dans les jardins des colons à côté des productions tropicales. Les céréales de la Victoria ont été admirées à l’exposition universelle de 1862; la vigne y donne des produits délicats qui ont déjà une réputation. Le tabac et le coton réussissent comme s’ils étaient indigènes. Tous les essais de culture nouvelle ont dépassé les espérances de ceux qui les entreprenaient. Il n’est aucune région du globe où la science un peu vaine de l’acclimatation ait produit d’aussi beaux résultats.

Pourquoi l’homme n’aurait-il pas sa part dans l’amélioration incontestable que les plantes et les animaux éprouvent lorsqu’ils sont transportés sur le continent austral ? On a cru remarquer que le corps humain y supporte plus vaillamment la fatigue et la chaleur que dans les contrées de l’ancien monde. De longs voyages à cheval sont entrepris même par des femmes délicates; la température de 35 à 40 degrés centigrades que l’on éprouve par certains jours où souffle le vent du nord n’y interrompt pas les travaux extérieurs. Il ne paraît y avoir nulle part de ces cantons malsains que l’on rencontre partout ailleurs, et la région tropicale ne semble pas sujette aux maladies endémiques qui déciment d’habitude la race blanche dans les régions voisines de l’équateur. Ces régions sont encore, il est vrai, peu connues; mais les colons de la Terre-de-la-Reine s’en rapprochent à grands pas, et d’ailleurs les essais de colonisation qui ont été tentés, il y a quinze ou vingt ans, sur la côte septentrionale, n’ont pas prouvé que le pays fût insalubre. La grande ville de Melbourne, bâtie en un jour et dépourvue pendant longtemps des puissans moyens d’assainissement que réclame toute agglomération d’hommes, n’a jamais été le siège d’une épidémie.

On serait bien embarrassé d’expliquer au juste à quoi tient la salubrité du climat australien. Dire que, dans un pays neuf et longtemps abandonné, la nature a des forces toutes fraîches, et que dans l’ancien monde elle s’est épuisée à produire tous les ans, c’est se contenter d’une explication bien vague. On a voulu trouver la raison de cette exubérance de vie dans un phénomène purement chimique. L’atmosphère contiendrait, dit-on, en plus grande abondance que partout ailleurs un agent mystérieux, l’ozone, qui joue un rôle important dans la végétation des plantes et la respiration des animaux[6]. La douceur du climat, qui permet de vivre en plein air pendant au moins dix mois de l’année, n’est pas assurément non plus sans influence sur la santé des habitans. Il faut encore tenir compte de ce que le taux élevé des salaires et le bon marché de la viande font qu’une nourriture substantielle est accessible aux plus pauvres. La pureté habituelle de l’air, les exercices variés de la vie coloniale, l’abondance des alimens, ne peuvent agir d’ailleurs que dans un sens favorable sur l’état physique et moral des immigrans, qui la plupart ont abandonné le climat brumeux de l’Angleterre et une vie de privations pour une existence si différente. On a remarqué que les maladies les plus fréquentes dans la population transplantée d’Europe aux antipodes ne sont plus les mêmes; ainsi la phthisie, qui exerce tant de ravages en Angleterre, est peu commune en Australie, tandis que les affections intestinales y sont plus fréquentes. Le même contraste se produit entre les saisons, l’hiver étant la saison la plus salubre du nouveau continent, tandis qu’il est marqué dans les pays froids de l’Europe par une mortalité plus grande. Les mois chauds de l’année sont plus particulièrement nuisibles aux jeunes enfans, dont il meurt un nombre deux fois plus grand pendant l’été, de janvier à avril, que pendant l’hiver, de juillet à novembre.

Les statistiques semblent confirmer que la vie moyenne de l’Européen transplanté aux antipodes sera au moins aussi considérable que dans les contrées les plus saines de l’ancien monde. On objectera peut-être que les immigrans, étant en général adultes et dans la force de l’âge, fournissent des points de comparaison trop favorables; dans l’armée cependant, qui est composée partout des mêmes élémens, la mortalité est moindre en Australie non-seulement qu’aux Indes, aux Bermudes, à l’île Maurice et autres localités à climat excessif, mais moindre même qu’en Angleterre et dans les stations coloniales les plus salubres. Un fait plus significatif de la convenance du climat pour la race européenne est que les caractères distinctifs de la race ne s’y modifient pas après plusieurs générations. L’Anglais transplanté sur les rivages de l’Amérique du Nord est devenu le Yankee aux traits proéminens, à la charpente osseuse, aux cheveux bruns et épais; dans la Tasmanie, colonisée depuis soixante ans, et qui, dépourvue de mines d’or, n’a pas eu en ces dernières années une trop abondante invasion d’émigrans, l’Anglais conserve le type national. Il se retrouve là, il est vrai, dans des conditions climatériques presque semblables à celles des îles britanniques. Au milieu du continent, dans la Nouvelle-Galles du Sud, sous l’influence d’une température plus chaude, un œil exercé peut reconnaître déjà que les caractères de race se dégradent. Quant aux parties tropicales du continent, elles ont été défrichées si récemment que la population n’y a pu éprouver encore l’effet du climat; il n’est guère douteux que les générations à venir ne conserveront qu’une empreinte très effacée de la mère-patrie.

Si la nature humaine est soumise, comme il n’est guère permis d’en douter, à l’influence du climat et des productions du sol, on peut prévoir que la population de l’Australie ne sera pas toujours aussi homogène qu’elle l’est actuellement. Les divisions administratives et politiques de l’époque présente contiennent sans doute en germe autant d’états distincts. Quoique issus d’une même souche, les établissemens fondés en divers points du continent ont déjà trop de tendances à s’isoler. A mesure que le pays se peuple et se colonise, les questions qui agitent toutes les nations du globe, revendications de frontières, sécessions de provinces, se soulèvent l’une après l’autre. Jusqu’ici, il est vrai, elles ont été résolues, sinon sans aigreur, au moins sans effusion de sang, ce qu’il faut attribuer à la modération des parlemens locaux et à la sage fermeté du gouvernement impérial, qui guide d’une main légère les destinées de contrées si lointaines.


IV.

Les colonies anglaises de l’Océan austral, Australie, Terre de Van-Diemen et Nouvelle-Zélande, furent désignées pendant longtemps dans le langage officiel sous le nom unique de Nouvelle-Galles du Sud et administrées par un gouverneur-général qui résidait à Sydney Les annexes les plus éloignées du pouvoir central étaient régies par des députés-gouverneurs auxquels appartenait une certaine initiative dans la solution des affaires courantes. C’est ainsi que l’île de Van-Diemen ou Tasmanie depuis 1825, l’Australie occidentale depuis 1829, l’Australie méridionale en 1836, époque où elle fut créée, et la Nouvelle-Zélande en 1840 furent considérées comme des colonies indépendantes qui ne relevaient guère que nominalement du gouverneur-général. La Nouvelle-Galles du Sud proprement dite comprenait encore la moitié orientale du continent, et, lorsque des colons de la Tasmanie vinrent fonder la ville de Melbourne sur les bords du Port-Phillip, ils se trouvèrent placés sous l’autorité de ce gouvernement, quoiqu’ils en fussent plus éloignés que de la colonie dont ils étaient originaires. A mesure que Melbourne s’accrut, les habitans sentirent plus vivement les inconvéniens d’une telle dépendance. Aussitôt que le régime représentatif leur eut été accordé, ils prétendirent qu’aucun d’eux ne pouvait s’absenter assez longtemps de sa résidence pour siéger au parlement de Sydney. En fait, il n’y avait pas de raison bien impérieuse qui commandât de conserver sous la même autorité deux grandes villes, Sydney et Melbourne, qui avaient chacune des ressources propres et un commerce direct avec l’Europe. Après des discussions qui durèrent plusieurs années, la séparation fut prononcée en 1850, et la province constituée aux dépens de la Nouvelle-Galles du Sud reçut le nom de Victoria. En 1859, une nouvelle scission eut lieu : la Terre-de-la-Reine fut formée de tous les établissemens septentrionaux dont Brisbane devint la capitale.

En l’état actuel, le continent australien est donc divisé en cinq grandes provinces[7] qui jouissent chacune de leur autonomie, et deux autres états séparés sont constitués dans la Tasmanie et la Nouvelle-Zélande. Chacune de ces provinces possède un gouverneur nommé par la reine, un parlement local élu par le suffrage universel plus ou moins restreint et un ministère responsable devant le parlement. Au bas de la côte orientale s’étend la Nouvelle-Galles du Sud (New South Wales) colonie-mère dont toutes les autres se sont successivement détachées. Elle conserve encore une certaine suprématie qui est due tant à l’ancienneté de sa création qu’aux relations plus actives qui ont toujours existé entre Sydney, son chef-lieu, et l’ancien monde. Bornée à l’est par la mer et au sud par la Murray, qui la sépare de la Victoria, la Nouvelle-Galles du Sud n’a des deux autres côtés que des frontières de convention. A l’ouest, c’est le méridien de 141 degrés[8]; au nord, une ligne qui se confond avec le 29e degré de latitude, sauf près du littoral, où la frontière suit une crête de montagnes plus septentrionale. Cette province renferme des districts pastoraux, des terrains aurifères; elle a des manufactures, des mines de cuivre et de charbon. L’agriculture y a pris beaucoup d’extension. Bref toutes les industries y prospèrent, tous les produits peuvent en sortir. On trouve de grandes villes sur le littoral et au-delà des montagnes d’immenses plaines où il y a à peine des villages.

La Terre-de-la-Reine (Queensland), qui occupe l’angle nord-est du continent, ne contenait pas encore 35,000 habitans en 1861 sur un territoire trois fois grand comme la France; encore la population est-elle concentrée dans les districts méridionaux qui avoisinent Brisbane, la capitale. Cependant il y a déjà la cinquième partie de la surface totale qui est concédée à des stations pastorales, et l’occupation européenne y marche d’un tel pas que la colonie a demandé et obtenu que sa frontière occidentale fût reculée du 141e au 138e degré de longitude. Elle a englobé ainsi le territoire que parcoururent Burke et Wills dans l’expédition où ils perdirent la vie. L’élève des troupeaux est pour le moment la principale occupation des colons; mais l’agriculture, qui s’y développe peu à peu, obtiendra à coup sûr beaucoup de succès, le pays étant susceptible de produire la vigne et les céréales aussi bien que le coton, le sucre et le café, auxquels convient à merveille son climat tropical. La Terre-de-la-Reine a un développement de côtes d’environ 3,500 kilomètres, tant sur le Pacifique que sur le golfe de Carpentarie. Quoique ce littoral soit barré sur presque toute sa longueur par les récifs de coraux, on y trouve de bonnes baies, surtout à l’embouchure des rivières, et c’est là que s’agglomère naturellement la partie de la population qui n’est pas vouée à l’élève des troupeaux. Les villes sont petites, de faible importance, comme on doit s’y attendre en un pays dont l’industrie pastorale fait tout le succès. Les relations avec l’Europe sont rares, le commerce se faisant, à peu d’exceptions près, par l’intermédiaire des négocians de Sydney. Cet état de choses changerait, si la navigation du détroit de Torrès pouvait être améliorée. Actuellement la Terre-de-la-Reine est la colonie la plus éloignée de nous, parce que les marins préfèrent passer au sud du continent, où ils n’ont pas à craindre ces terribles barrières de coraux.

La Victoria est à la fois la moins étendue et la plus peuplée des cinq parties du continent. Les mines d’or ont commencé sa fortune; l’agriculture, le squattage et l’industrie y ont pris ensuite un énorme développement. Outre Melbourne, la cité la plus brillante du Pacifique du Sud, on y compte plusieurs villes secondaires, Ballarat, Geelong, Sandhurst, qui ont de 15 à 25,000 habitans. La population, éparse dans les districts pastoraux, est au contraire dense sur les terrains aurifères. Après avoir atteint en peu d’années une prospérité merveilleuse, la Victoria est menacée de rester stationnaire, ou de traverser au moins une période d’accroissement plus lent, en raison de l’attraction que les mines de la Nouvelle-Zélande exercent sur les chercheurs d’or. Le nombre des émigrans a dépassé plusieurs fois en ces dernières années celui des immigrans. Cette décroissance de la population, dont la cause est bien connue, n’a rien d’inquiétant pour l’avenir du pays, car si les hommes qui s’en vont chercher fortune sur d’autres rivages sont les travailleurs les plus robustes, ce sont aussi les plus turbulens.

A l’ouest de la Victoria et de la Nouvelle-Galles du Sud s’étend l’Australie méridionale (South Australia), qui n’en est séparée que par une frontière de convention, le 141e degré de longitude. Adonnée à l’industrie pastorale et à l’agriculture, cette province aurait bien voulu découvrir aussi des mines d’or, afin de retenir les travailleurs qui lui échappent. Malgré les recherches de ses explorateurs, elle n’a trouvé que des mines de cuivre et de plomb argentifère qui donnent déjà lieu à une exploitation considérable. Les squatters de cette contrée, n’ayant rencontré vers l’ouest que des déserts infranchissables, s’étendent à leur aise vers le nord, et ont la prétention de pousser bientôt jusqu’au golfe de Carpentarie, à travers les territoires que Stuart, leur compatriote, a parcourus le premier. En ce moment, la limite septentrionale de la province, limite purement fictive, est le 26 degré de latitude. L’Australie méridionale, à part son chef-lieu, Adélaïde, qui renferme déjà près de 20,000 habitans, ne contient que des villes de peu d’importance. Il y a sur la côte plusieurs ports excellens; néanmoins les relations avec l’Europe sont rares, et les produits de la contrée sont exportés à Melbourne, qui sert d’intermédiaire et d’entrepôt pour les relations d’outre-mer.

L’Australie occidentale (West Australia), qui s’étend nominalement sur près d’un tiers du continent, entre la côte occidentale et le méridien de 129 degrés, ne mérite guère d’être nommée après les provinces voisines. Quelques points seulement sont occupés à l’angle sud-ouest; les villes d’Albany, de Perth et de Freemantle s’y développent lentement. C’est à peine si les colons connaissent eux-mêmes la dixième partie du territoire de la province. On y rencontrera sans doute, comme partout ailleurs, des terres propres à l’industrie pastorale et à l’agriculture; mais il est peu probable que le sol renferme des mines d’or, cette région étant trop éloignée de la grande chaîne des Montagnes-Bleues, qui est le principal réceptacle des dépôts aurifères. Quant à la portion septentrionale du continent qui a été laissée en dehors de toutes les divisions établies jusqu’à ce jour, elle formera sans doute plusieurs états distincts, lorsque les colons, n’ayant plus de place ailleurs, se détermineront à s’y installer.

Des frontières qui sont tracées sur la carte au moyen des degrés de longitude et de latitude n’ont, on le conçoit, qu’un caractère provisoire : ce sont des liai i; es en terrain désert. A mesure que le pays se peuplera, les nouveaux colons qui s’établiront dans ces régions indécises, sur les frontières de deux états, chercheront à se rattacher à l’un ou à l’autre suivant les avantages qu’ils en attendront, suivant les distances ou les relations sociales qu’ils auront conservées. Lorsque ce moment viendra, il surgira infailliblement des querelles entre les provinces limitrophes au sujet de ces territoires douteux. On en peut voir déjà un exemple. Quand la Terre-de-la-Reine fut séparée de la Nouvelle-Galles du Sud, il eut semblé rationnel que la délimitation des deux états fût tracée à distance à peu près égale des deux capitales, Brisbane et Sydney. Le 30e degré de latitude semblait désigné en particulier pour servir de frontière naturelle, la contrée qui s’étend tout au long de ce parallèle étant d’un caractère tel que les communications terrestres y sont fort difficiles. Il n’en fut rien cependant, on reporta la ligne de séparation vers le nord, aux dépens de la province de nouvelle formation, et de façon à conserver à la colonie-mère deux comtés du littoral, ceux de Richmond et de Clarence, qui se seraient donnés plus volontiers au gouvernement de Brisbane. Depuis cinq ans que la scission est consommée, les habitans de ces deux comtés n’ont cessé d’adresser des pétitions au gouvernement anglais afin d’être rattachés à la jeune colonie avec laquelle ils ont toutes leurs relations d’affaires. Le parlement de Sydney ne résiste pas avec moins d’énergie à leurs prétentions.

Au fond, quand on examine comment la population se distribue sur les terrains vacans de l’Australie, on reconnaît sans peine que les subdivisions politiques actuelles de ce continent sont un peu factices, et, n’eût-on pas entendu parler des tendances que les colons accusent, on peut aisément prévoir que les provinces constituées aujourd’hui se morcelleront tôt ou tard. Il y a pour ce morcellement une raison générale. Entre les relations assez rares que le citoyen conserve avec l’état duquel il relève et les relations quotidiennes qu’il a nécessairement avec l’agglomération municipale, il se présente un nombre infini d’affaires qui doivent ressortir d’une autorité intermédiaire moins lointaine que le gouvernement de l’état, placée plus haut que la commune. L’état, la province et la commune, tels sont à tous les âges de la vie d’un peuple les trois degrés où réside l’autorité. Répartir équitablement les prérogatives entre ces trois pouvoirs a toujours été l’un des grands problèmes que les constitutions aient à résoudre. Dans les sociétés qui commencent, la commune a en général une action prépondérante; au contraire, chez les nations parvenues à une civilisation très avancée, l’état absorbe à peu près tout. En Australie, si l’on a bien saisi comment le pays se colonise, c’est l’autorité provinciale qui domine. Le gouvernement anglais, à qui appartiennent les prérogatives impériales, se tient à l’écart de toutes les affaires que son éloignement ne lui permettrait pas d’apprécier. La commune est faible, faute d’une agglomération suffisante, dans les districts pastoraux, et n’a pris un peu de force que sur le littoral et dans les districts aurifères. En fait, les colons disséminés dans l’intérieur de la contrée échappent tout à fait au lien municipal et ne sont que citoyens de la province. La question de pondération des pouvoirs a donc été tranchée au profit de celle-ci. Sans affirmer que cette solution soit la meilleure en thèse générale, on peut dire que dans le cas dont il s’agit elle a produit des effets excellens, et qu’elle convenait à merveille au pays.

Or il arrive, comme en tout pays, que la capitale, où siègent le gouvernement et l’administration centrale, prend plus qu’elle ne fournit au budget commun : c’est une conséquence inévitable de la centralisation, si peu développée qu’elle soit, et l’on ne peut prétendre que ce soit un vice d’organisation, puisqu’il s’agit de subvenir à des dépenses dont tous profitent; mais les districts ruraux savent calculer bien juste ce qu’ils gagneraient à conserver une existence indépendante. A la jalousie qu’excite dans les cantons éloignés l’influence absorbante de la capitale s’ajoute un autre motif de scission bien puissant chez des hommes qui aiment autant que les colons anglais à s’occuper des affaires de la communauté : c’est l’impossibilité de rattacher leur existence politique à un centre trop éloigné. Quelque pauvre que soit l’immigrant à son début, dès que sa famille est assurée du pain de chaque jour, il veut prendre part aux affaires de la communauté dont il est un des membres. L’un des grands argumens que les habitans de Melbourne mirent en avant pour obtenir d’être séparés de la Nouvelle-Galles du Sud fut, on le sait, que leurs députés n’avaient pas le loisir d’entreprendre chaque année un long voyage afin d’aller siéger au parlement de Sydney, et, pour démontrer par l’absurde ce que cet éloignement avait de fâcheux, ils élurent comme député le ministre des colonies lui-même, le comte Grey, prétendant que le noble lord pourrait aussi facilement qu’eux se rendre à Sydney pendant la durée de la session. Il n’est pas douteux que l’immense territoire dont se compose aujourd’hui la Terre-de-la-Reine se démembrera pour ce motif aussitôt que la population y aura acquis une certaine densité. Que faut-il en définitive pour composer une province? Une grande ville qui soit en même temps un port de mer et qui ait établi des relations directes plus ou moins fréquentes avec les pays d’Europe, puis en arrière de ce port une superficie telle, comme qualité et comme étendue, que la communauté puisse devenir assez riche et assez nombreuse. Cela suffit pour constituer un petit monde à part qui n’a plus besoin de l’assistance de ses voisins; c’est un état complet qui a une existence propre et qui peut vivre sur son propre fonds sous la haute surveillance du gouvernement impérial.

Comment le continent australien se subdivisera-t-il quand ces principes seront mis en application? La Terre-de-la-Reine sera sans doute l’une des premières à se morceler. Brisbane, sa capitale, est située près de l’extrémité méridionale de la province. En remontant vers le nord, on rencontre des villes en voie de formation, Rockampton, à l’embouchure de la rivière Fitz-Roy, Bowen, sur le port Denison, près de la rivière Burdekin, qui n’ont avec Brisbane que des communications maritimes. Ces établissemens en viendront à réclamer leur autonomie, et leurs limites respectives semblent déjà marquées sur le terrain. La région des hauts plateaux, dont est formé l’angle nord-est du continent, est coupée transversalement d’orient en occident par de petites chaînes de montagnes qui sont des frontières naturelles. Ainsi l’on indique dès à pressent comme limite future de la Terre-de-la-Reine une ligne qui coïnciderait à peu près avec le 25e degré de latitude. La zone septentrionale constituerait une province nouvelle sous le nom de Capricornie, en raison de ce qu’elle est située sous le tropique. Plus tard, un second démembrement pourrait être opéré au profit des colons groupés dans les plaines de la Terre-Promise, au fond du golfe de Carpentarie.

Les mêmes tendances à la sécession se produisent en d’autres parties de l’Australie. La région que l’on appelle la Riverine, comprise entre le Darling et la Murray, manifeste l’intention de se séparer de la Nouvelle-Galles du Sud, à laquelle elle enlèverait à peu près la moitié de son territoire. Les districts qui la composent sont uniquement pastoraux et ne renferment que de petites villes dont aucune n’est en état de jouer le rôle d’une capitale; ils sont à 5 ou 600 kilomètres de la mer, et n’ont pour exporter leurs produits que la navigation assez incertaine de la Murray ou le chemin de fer récemment construit qui traverse la Victoria. Il n’y a peut-être pas là les élémens d’un état indépendant. Aussi les colons de la Riverine se sont-ils contentés d’abord de demander au gouvernement de Sydney des immunités locales qui leur auraient permis de diriger à leur guise les travaux publics de leur territoire. C’est précisément au sujet des travaux publics que les intérêts de ces cantons éloignés sont le plus en opposition avec ceux de la capitale. Les squatters de la région des rivières voudraient canaliser la Murray, qui porte leurs laines à Adélaïde, et leurs concitoyens de la côte orientale s’opposent à toute entreprise de ce genre, qui aurait pour effet de détourner le commerce vers les provinces méridionales au détriment de Sydney. Ces deux portions d’une même colonie, séparées par une haute chaîne de montagnes, ne peuvent manquer d’avoir des intérêts opposés, et la capitale veut faire prévaloir les projets favorables à sa prospérité. On a conseillé à la Riverine de demander son annexion à la province de Victoria, dont elle n’est séparée que par le lit d’un fleuve; mais les squatters de la Nouvelle-Galles du Sud, qui ont conservé quelques-uns des privilèges de l’ancien régime pastoral, considèrent avec effroi le système tout démocratique de la province limitrophe, où les bestiaux sont chargés de taxes excessives, où les terres sont mises sans restriction à la disposition des agriculteurs, sans égard pour les droits de pâture primitivement concédés. Il n’y a donc pour la région des rivières d’autre parti à prendre que de réclamer une indépendance complète de ses voisins; elle est en instance pour l’obtenir du gouvernement britannique.

Entre la province de Victoria et celle de l’Australie méridionale, un territoire très étendu réclame aussi son autonomie, et voudrait se constituer en colonie indépendante, avec Portland pour chef-lieu. Il fait valoir à l’appui de ses prétentions qu’on ne lui rend en dépenses locales que 5 millions de francs sur les 8 millions et demi qu’il fournit au budget de la colonie. En un mot, il se manifeste aux extrémités de chaque province une tendance générale vers la sécession et la décentralisation. La législature de la Victoria a donné une satisfaction partielle à ces idées en laissant à la disposition de chaque comté une portion des taxes qui y sont perçues. Chaque district peut ainsi exercer une plus large influence sur ses propres affaires et décider par lui-même de l’exécution des travaux publics qui l’intéressent le plus vivement. Le morcellement de l’Australie en un grand nombre de provinces distinctes n’en est pas moins certain; le gouvernement impérial considère même cette perspective d’un œil favorable. Il paraît démontré que la sécession fortifie plutôt qu’elle n’affaiblit l’attachement que les Australiens portent à la métropole. Chaque nouvelle province qui se détache de la colonie-mère se fait un honneur d’être l’un des fleurons de la couronne britannique. L’opposition des colons aux autorités locales ne remonte jamais jusqu’aux ministres de la reine, qui exercent une tutelle lointaine et paternelle sur l’ensemble de toutes les possessions australes.

On ne peut contester que l’attachement des Australiens aux institutions anglaises, leur loyalty (c’est le mot consacré), ne se manifeste à tout propos. Dans le langage des colons, l’Angleterre est toujours le home la patrie, même pour ceux, déjà nombreux, qui sont nés aux antipodes et y ont passé leur vie. On pourrait citer bien des preuves de ces sentimens d’affection que les établissemens lointains conservent pour la métropole. Pendant la guerre de Crimée, les ministres de la Nouvelle-Galles du Sud obtinrent l’approbation du parlement en lui proposant de déclarer qu’au cas où la guerre continuerait, ce serait un devoir pour la colonie de fournir un subside à l’Angleterre. L’Australie a souscrit des sommes importantes pour la guerre de l’Inde, pour le soulagement des ouvriers du Lancashire. Ces sentimens de gratitude sont entretenus avec soin par les hommes d’état de la Grande-Bretagne, qui évitent de froisser les susceptibilités de leurs compatriotes d’outre-mer, et s’abstiennent de faire acte d’influence dans les affaires locales autrement qu’en ce qui concerne les prérogatives légitimes de la couronne. Le lien si élastique et néanmoins si solide qui rattache l’Australie à l’Angleterre ira sans doute en se relâchant de plus en plus à mesure que les nouveaux états trouveront en eux-mêmes de plus amples ressources. L’ingérence de la métropole dans le gouvernement des colonies australes sera de moins en moins justifiée; mais on ne peut prévoir encore que ce lien doive être rompu tout à fait. Le jour où ces colonies ne trouveraient plus à Londres un aréopage bienveillant et désintéressé qui tranche leurs différends intérieurs avec une sollicitude paternelle et règle avec impartialité leurs rapports de voisinage, elles ne tarderaient pas à s’organiser en fédération. Or il y a maintenant entre les diverses provinces une jalousie, une rivalité qui ne peut laisser place à une alliance intime. Les luttes intestines qui ont précédé le morcellement des territoires sont encore trop vivaces. Deux grandes cités, Melbourne et Sydney, exercent une influence incontestable sur la région qui les avoisine : ce sont les entrepôts du commerce, les centres de l’industrie, les flambeaux de la civilisation naissante; mais ni l’une ni l’autre ne peut prétendre à être la capitale du continent entier. D’abord les considérations géographiques s’y opposent; puis Sydney s’arroge la suprématie en vertu de son ancienneté, Melbourne en raison des richesses infinies que les mines d’or lui procurent. Les autres chefs-lieux de province sont si fiers de leur indépendance qu’ils n’accepteront jamais la prééminence de l’une ou de l’autre de ces capitales. Sous le lien fédéral, on aurait toujours la crainte de voir renaître la centralisation du pouvoir, que l’on a voulu détruire, et s’effacer le gouvernement local (self-government), auquel on attache tant de prix. Pour rapprocher ces membres épars d’un grand continent, il faudrait un danger commun, et surtout que ce danger vînt de l’Angleterre. Rien ne fait présager que cette occasion se présentera.

Cependant une union plus intime des diverses provinces paraît bien désirable dès à présent. Les tarifs douaniers, qui changent d’un pays à l’autre et qui n’ont de fixité nulle part, les relations postales, l’organisation des banques, auraient besoin d’être réglés par une entente commune. Un député du corps législatif de Melbourne avait proposé, il y a sept ans, que les quatre provinces nommassent une assemblée générale de délégués qui auraient pouvoir de légiférer les tarifs intercoloniaux, de trancher les questions de tracé de routes et de chemins de fer, d’établir sur un mode uniforme le service postal et les phares, enfin d’assurer l’exécution des travaux qu’elle aurait votés au moyen d’une taxe proportionnelle au budget particulier de chaque état. Ce projet n’ayant pas abouti, les gouvernemens voisins n’ont d’autre moyen de s’entendre que dans des conférences accidentelles, dont les opinions ne sont obligatoires pour personne.

Au fond, la population australienne a plus d’homogénéité qu’on ne serait tenté de le croire au premier abord. L’Angleterre, en peuplant cette contrée, lui a donné son langage, ses mœurs, ses habitudes; l’émigrant qui débarque ne se trouve pas dépaysé. Ceci explique en partie que tant de milliers de familles consentent à s’expatrier sans amertume, sinon sans regret, pour aller habiter à l’autre bout du globe. Il faut dire aussi qu’aux yeux des Anglais l’Australie n’est pas aussi éloignée que nous sommes portés à le croire. Grâce à la vapeur, les communications postales se font en cinquante jours environ entre l’Europe et le continent austral par la voie de Suez et d’Aden. Quant aux émigrans qui ne peuvent profiter de ces transports rapides, la durée de leur voyage a été singulièrement abrégée depuis un demi-siècle. Autrefois un navire à voiles mettait quatre mois au moins pour franchir les 23,000 kilomètres qui séparent les ports de l’Atlantique des côtes de l’Australie. Lorsqu’on eut mieux étudié les routes de la mer, c’est-à-dire les parages où l’on trouve des vents favorables, on reconnut que la traversée au départ d’Europe devait toujours se faire par le cap de Bonne-Espérance, et celle de retour par le Cap-Horn. Dans un seul voyage d’aller et retour, on fait ainsi le tour complet du globe, et un navire bien dirigé, dans de bonnes conditions, pourrait accomplir ce périple en cent trente ou cent trente-cinq jours. D’habitude les bâtimens chargés d’émigrans mettent de soixante-dix à quatre-vingts jours pour la traversée d’Europe en Australie, et en général ils parcourent cette longue route sans voir une seule fois la terre entre le point de départ et celui d’arrivée. On plaindra sans doute les malheureux passagers réunis trois ou quatre cents ensemble pendant un si long espace de temps sans autre exercice que d’arpenter de long en large, comme l’écureuil dans sa cage, le pont du navire. Cependant les journées du voyage ne sont pas toutes sans charme pour des hommes habitués aux climats brumeux du nord de l’Europe. Quelques jours après être sorti de la Manche, dont la houle est une rude épreuve pour les novices, on arrive dans la région des vents alizés, où le soleil est brillant, l’air pur, la mer calme et bleue. Dans le lointain, on apercevra peut-être le pic de Ténériffe, dont le sommet neigeux dépasse les brumes légères de l’Océan. Couper l’équateur en un point convenable est l’affaire importante des capitaines qui veulent faire une courte traversée et s’attarder le moins longtemps possible dans les calmes de la zone équatoriale. Un spectacle nouveau vient varier la monotone uniformité du bord. Les oiseaux et les poissons du tropique, la phosphorescence des flots, toute la nature riche et variée des contrées bénies par le soleil vient captiver et distraire l’attention du voyageur. Le ciel même change d’aspect et se pare de nouvelles constellations inconnues à l’Europe. La Croix-du-Sud, l’orgueil de l’hémisphère austral, étincelle au firmament. Ce sont les plus beaux jours du voyage, car bientôt, après avoir dépassé la latitude du cap de Bonne-Espérance, le navire sera sûrement surpris par des coups de vent sur cette mer sans limites dont les vagues surpassent en hauteur et en étendue tout ce que l’on peut voir sur les autres océans du globe. Si l’on est dans la saison froide de l’année, quelques montagnes de glace, détachées du pôle sud, vogueront lentement à l’horizon, en marche vers les climats tempérés, dont la chaleur doit les fondre. Cependant on approche du but. Le navire, que la ligne inflexible du plus court chemin a entraîné dans les hautes latitudes, s’en éloigne maintenant et se dirige droit sur l’Australie. Déjà on sent les exhalaisons terrestres que la brise apporte le soir; on aperçoit au loin le phare du cap Otway, premier point lumineux du nouveau continent. Enfin on franchit l’entrée du Port-Phillip, et l’on peut se dire que l’on est dans un nouveau monde, où l’homme marche à l’opposite des Européens, où le premier jour de l’année tombe en plein été, Pâques à l’automne et Noël dans la canicule. La terre australienne se déroule autour de la baie, verdoyante de la verdure d’un autre climat, bizarre jusque dans sa végétation. Pour les uns, il n’y a qu’un champ d’or à l’horizon; à leurs yeux, la poudre d’or brille seule dans l’éloignement. D’autres verront des terrains à défricher qui comblent les vœux de l’agriculteur. Le savant et l’artiste s’étonneront de l’étrange apparence qu’ont les choses et les êtres. Pour tous, il y a là peut-être une nouvelle patrie, au moins une terre promise où l’on se flatte que les déceptions seront plus rares, la fortune moins rebelle, le champ moins rétréci que sur les anciens continens.


H. BLERZY.

  1. Voyez la Revue du 1er juillet et du 15 août 1864.
  2. Un recensement opéré en 1828 fit connaître que la population totale était de 36,598 âmes, dont 4,673 immigrans libres, 8,667 nés dans le pays en grande partie de parens déportés, 7,530 libérés et 15,728 convicts. Il y avait 27,611 hommes et 8,987 femmes. La colonie se composait alors de la ville de Sydney, dont la population agglomérée était déjà de 10,815 habitans, et de ses environs, des établissemens créés depuis peu dans l’île de Van-Diémen ou Tasmanie et de l’île de Norfolk, à 1,500 kilomètres au nord-est du Port-Jackson, où l’on déportait les condamnés dangereux ou incorrigibles. Pendant la période de 1825 à 1829, il arrivait en moyenne 1,000 immigrans libres par an.
  3. Au nombre de ces derniers se trouvait en 1798 un prêtre catholique, M. Dixon, qui, pendant dix ans qu’il séjourna dans la Nouvelle-Galles du Sud, fut seul à exercer son ministère au milieu de ses coreligionnaires. Lorsqu’il fut gracié dix ans après et obtint l’autorisation de rentrer en Europe, on ne vit pendant plusieurs années aucun prêtre de cette croyance, quoique les Irlandais fussent nombreux. Au reste, l’église anglicane n’était guère mieux desservie : il n’y avait que deux ou trois ministres pour une population déjà considérable, qui avait besoin plus que toute autre des secours religieux. Ne doit-on pas penser que cette incroyable incurie du gouvernement anglais contribuait à maintenir l’indiscipline et la dépravation au sein de la colonie naissante?
  4. Cette expression, — gouvernement impérial, — est passée en usage, on le sait, dans le langage colonial anglais. On désigne sous le nom d’empire britannique ce vaste ensemble de colonies et de royaumes que les Anglais ont fondés ou qu’ils protègent sur les côtes de tous les océans, et à l’égard desquels le chef de l’état n’exerce qu’une sorte de suzeraineté.
  5. On jugera mieux de la marche ascendante de la population par le tableau suivant, qui résume le nombre des émigrans partis de l’Angleterre pour l’Australie pendant trois périodes décennales :
    Total Moyenne annuelle
    1830—1839 53,274 5,327
    1840—1849 126,937 12,694
    1850—1859 498,537 49,854
  6. L’ozone, signalé par M. Schœnbein, qui s’était déjà fait connaître en dehors du monde savant par des découvertes ingénieuses dont la plus célèbre fut le pyroxile ou coton-poudre, ne parait être qu’une modification de l’oxygène. Ce gaz deviendrait sous cette nouvelle forme plus assimilable et plus propre aux fonctions vitales. Les expériences ozonométriques que de savans médecins poursuivent en divers pays sont encore tellement restreintes qu’il n’est guère possible d’ajouter une foi complète aux indications qu’elles fournissent. Peut-être donneront-elles la clé de bien des phénomènes physiologiques qui paraissaient bizarres. Il suffira de dire que les plateaux élevés et le littoral sont plus riches on ozone que les plaines, et surtout que les vallées étroites. L’influence de cet agent invisible sur la salubrité n’est donc pas sans fondement.
  7. Voici quelle était la population et la superficie de ces provinces au 31 décembre 1861 :
    Superficie en kilomètres carrés Population
    Nouvelle-Galles du Sud 828,000 358,278
    Terre-de-la-Reine 1,740,000 34,367
    Victoria 223,000 541,800
    Australie méridionale 980,000 130,627
    Australie occidentale 2,250,000 15,691
    1,080,763
    Les établissemens anglais comprennent encore les deux îles suivantes :
    Tasmanie 67,000 90,211
    Nouvelle-Zélande 274,000 106,315
    Total 1,277,289

    Les aborigènes ne sont pas compris dans ces chiffres. D’après l’accroissement normal de la population, on peut estimer qu’elle dépasse maintenant un million et demi. Afin de se rendre compte de l’étendue relative de ces contrées, il suffira de se rappeler que la superficie de la France entière est de 543,000 kilomètres carrés. Il reste encore au centre du continent un immense espace désert qui n’est rattaché nominalement à aucune province.

  8. Les longitudes qui délimitent les provinces de l’Australie sont comptées à l’orient du méridien de Greenwich. Si l’on veut les rapporter au méridien de Paris, ce qui est nécessaire lorsqu’on consulte des cartes françaises, il faut retrancher des chiffres donnés la différence de longitude entre Greenwich et Paris, soit environ 2 degrés 20 minutes.