L’Avenir (ode) (O. C. Élisa Mercœur)

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Œuvres complètes d’Élisa Mercœur, Texte établi par Adélaïde AumandMadame Veuve Mercœur (p. 47-52).


L’AVENIR.
ODE.


 

          Au livre du destin s’il essayait de lire.
L’homme verrait à peine une heure pour sourire
          Un siècle pour pleurer.

Élisa Mercœur

.....Le temps fuit et nous traîne avec soi :
Le moment où je parle est déjà loin de moi.

Boileau (Épitres).
 

Jadis, comme une fleur j’ai regardé la vie :
Qu’elle était pure alors ! Elle était embellie
              D’un reflet du bonheur.
Mais la fleur se flétrit, elle tombe, et la flamme
De ce timide espoir qui brillait dans mon âme
              Perd son éclat trompeur.


Seule, et loin de l’objet que j’idolâtre encore,
Le mal du souvenir lentement me dévore :
              Si je pouvais mourir !
Oui, pour mon cœur brisé, qui par degrés succombe,
Des trésors de la terre il n’est plus qu’une tombe :
              Qu’elle tarde à s’ouvrir !

Quand descendra sur moi l’ombre de la vallée,
Qu’on verse, en me nommant, sur ma tombe isolée,
              Quelques larmes du cœur.
Mais ces larmes, hélas ! qui viendra les répandre ?
Et, plaintif, tristement imprimer sur ma cendre
              Le pas de la douleur ?

S’il disait, à genoux sur la pierre glacée :
« Déjà telle qu’un rêve elle s’est effacée ;
               « Elle dort maintenant.
« Pour comprendre mon âme et plaindre ma misère,
« Un ange projeta son ombre sur la terre ;
               « Ce ne fut qu’un moment ! »

Peut-être, en l’effleurant de son aile azurée,
L’ange recueillerait sur sa bouche adorée
              Ses vœux et ses regrets.
Mais pourra-t-il pleurer s’il joue avec la vie ?
Le riche n’entend pas le pauvre qui mendie
              Sur le seuil du palais !


Rien ne t’interrompra, monotone silence,
Que le chant de l’oiseau, qui faiblement s’élance
              Comme un accent d’amour ;
Ou le bruit passager de la feuille agitée,
Ou le son languissant de la cloche attristée
              À chaque heure du jour.

Pourquoi donc s’égarer dans ces pensers funèbres ?
Nébuleux avenir, ah ! qu’au sein des ténèbres
              Tu sois caché toujours.
Du ruisseau de la vie, ou l’impide ou bourbeuse,
Je veux laisser passer l’onde capricieuse,
              Sans regarder son cours.

Ce voile dont le ciel couvre ta destinée,
Ce voile qu’en fuyant soulève chaque année,
              Pourquoi le déchirer ?
Au livre du destin s’il essayait de lire,
L’homme verrait à peine une heure pour sourire,
              Un siècle pour pleurer.

L’avenir, ce réveil des songes de l’enfance,
Vient effeuiller trop tôt les fleurs dont l’espérance
              Pare notre matin.
Incertain, tour à tour il attriste, il console :
C’est l’instant qui succède à l’instant qui s’envole,
              Ou c’est un lendemain.


Heureux qui, jouissant d’une fraîche existence,
Plein d’amour, de candeur, de calme et d’innocence,
              Attend son avenir.
Alors, au lendemain, une jeune pensée,
Vers un monde enchanteur bien souvent élancée,
              Attache un souvenir.

Le cœur est un miroir où se peint notre vie ;
Chaque objet s’en éloigne, et le miroir oublie
              Ce qu’il a retracé.
Bientôt cet avenir, ce destin qu’on ignore,
Déchirant le bandeau qui nous le cache encore,
              Ne sera qu’un passé.

Si tu veux que, semblable au torrent qui s’écoule,
Ou comme un horizon, à tes yeux se déroule
              Ton sort mystérieux,
Mortel, que tes regards s’arrachent à la terre,
Que d’un soleil divin un pur rayon t’éclaire :
              Cherche-le dans les cieux !

Mais, avant de le voir, interroge ton âme.
Silence… Écoute-la ! peut-être elle réclame
              Un juste repentir.
Eh bien ! voile tes yeux : si le matin de l’âge
Est encor dans ton cœur comme une douce image
              Contemple l’avenir.


Là, fermant pour jamais sa paupière lassée,
Le chrétien en mourant dirige une pensée,
              Qui monte dans les airs ;
Et d’élan et d’amour, tendre et sacré mélange,
Déjà sa voix s’unit comme la voix d’un ange
              Aux célestes concerts.

Là, s’exhale épuré l’encens de la prière ;
Là, tout s’évanouit ; et l’orgueil de la terre
              Meurt comme un faible son.
Les héros, dans ce monde, où pour eux la Victoire
Arrosa de ses mains les palmes de la gloire,
              Que laissent-ils ?… Un nom.

Mais des hardis palais qu’éleva leur génie,
Que le temps dévora, tel qu’un vaste incendie,
              Réponds, qu’est-il resté ?
Quelques débris cachés sous des feuilles de lierre,
Dont les siècles futurs jetteront la poussière
              Au regard attristé.

Tout s’enfuit entraîné dans l’abîme de l’âge :
Tel, un léger rameau balancé par l’orage
              Tombe à la fin du jour :
À ce terme ignoré qui finit l’existence,
Chacun, par le hasard, le doute et l’espérance,
              Est conduit à son tour.


À celui qui gémit sur l’objet qu’il adore
Comme un dernier espoir l’avenir reste encore ;
              Il se dit : « Elle est là !
« La mort, c’est le matin d’une céleste vie :
« Au tranquille séjour qu’habite mon amie
              Son amant revivra. »

Mais toi, dont l’art charmant décela comme on aime,
Qui, dépeignant l’Amour, te retraças toi-même,
              Doux chantre du plaisir,
Dis, quel fut ton destin ? L’exil et la misère !…
Seul avec des regrets sur la rive étrangère
              Il te fallut mourir.

Au moins, dans ton exil, si loin de l’Italie,
Tu possédais ta lyre, et sa corde amollie
              S’humectait de tes pleurs.
Oui, sur ton luth monté par la Mélancolie
Tu soupiras long-temps, en pensant à Julie,
              Ta flamme et tes malheurs.

La Mort vint te briser, douce lyre d’Ovide :
Alors son nom vola, comme un aigle rapide,
              À la postérité !
Ah ! suivons, s’il se peut, les belles d’Aonie ;
Qu’importe un jour de pleurs ! L’avenir du génie
              Est l’immortalité !


(Mai 1826.)