L’Edda de Sæmund-le-Sage/La Recherche du marteau
Les Eddas, Librairie de l’Association pour la propagation et la publication des bons livres, (p. 198-203).
VIII
LA RECHERCHE DU MARTEAU
1. Vingthor se mit en colère, lorsqu’en se réveillant il ne trouva plus son marteau à côté de lui ; sa barbe trembla, sa tête se troubla, et le fils de la Terre tâtonna autour de lui.
2. Et voici ce qu’il chanta d’abord : « Loke, écoute ! je vais te conter une chose que personne ne sait, ni sur la terre ni dans le ciel élevé : le marteau du dieu est dérobé. »
3. Ils se rendirent dans la jolie demeure de Freya, et ces paroles furent les premières que Thor chanta : « Freya, prête-moi ta forme emplumée pour retrouver mon marteau. »
4. Je te la prêterais quand elle serait d’or ; je te la prêterais, fût-elle d’argent.
5. Loke s’envola donc, et la forme emplumée siffla dans les airs jusqu’à ce qu’elle fût sortie de l’enceinte d’Asgôrd et arrivée dans le pays des géants.
6. Thrymer, le prince des géants, était assis sur la colline ; il attachait ses chiens gris avec des chaînes d’or, et, avec des ciseaux, il égalisait la crinière de ses chevaux.
7. Comment vont les Ases ? comment vont les Alfes ? Pourquoi viens-tu seul à Jœtenhem ?
8. Les choses vont mal pour les Ases, les choses vont mal pour les Alfes. Tu as caché le marteau de Hloride.
9. J’ai caché le marteau de Hloride à huit haltes de profondeur dans la terre : pas un homme ne pourra l’en retirer, s’il ne m’amène Freya pour épouse.
10. Loke s’envola donc, et la forme emplumée siffla dans les airs, jusqu’à ce qu’elle fût sortie du pays des géants et arrivée dans Asgôrd.
11. Thor le rencontra dans la cour, et lui adressa de suite ces paroles :
12. « As-tu réussi à remplir ton importante commission ? Raconte-moi les nouvelles de l’air. Celui qui reste assis s’égare souvent dans les traditions, et celui qui est couché raconte des fables. »
13. J’ai réussi dans mon importante commission. Thrymer, le prince des Thursars, a ton marteau ; pas un homme ne pourra le reprendre, s’il ne lui aliène Freya pour épouse.
14. Ils allèrent rendre visite à Freya la Jolie, et Loke chanta ces paroles : « Freya ! couvre-toi du lin des fiancées[1], et nous irons ensemble à Jœtenhem. »
15. Freya se mit en colère, sa respiration en fut accélérée ; tout le palais des Ases trembla, et le collier Brising bondit sur le sein de l’Asesse. « On me croirait folle d’hommes, si j’allais avec toi à Jœtenhem. »
16. Tous les Ases et toutes les Asesses se rendirent à l’assemblée, et délibérèrent sur le moyen de rentrer en possession du marteau de Hloride.
17. Alors Heimdall, le plus blanc des Ases (il était habile comme les Vanes), chanta : « Couvrons Thor du lin des fiancées et de Brising le grand collier.
18. « Que les clefs résonnent à son côté, que des vêtements de femme tombent autour de ses genoux ; parons sa poitrine de pierres précieuses et son bonnet de dentelles. »
19. Mais Thor, ce dieu sévère, chanta : « Les Ases pourraient me traiter de fou si je me couvrais du lin des fiancées. »
20. Loke, fils de Lœfœ, chanta : « Ne parle pas ainsi, Thor ; les géants bâtiront bientôt dans Asgôrd si tu ne vas point quérir ton marteau. »
21. On couvrit donc Thor du lin des fiancées et de Brising le grand collier ; des clefs résonnèrent à son côté, des vêtements de femme tombèrent autour de ses genoux, sa poitrine fut ornée de pierres précieuses et son bonnet de dentelles.
22. Loke, le fils de Lœfœ, dit : « Je serai ta suivante, et nous irons tous deux à Jœtenhem. »
23. Aussitôt on ramena les boucs de l’herbage, ils furent attelés et se hâtèrent ; ils fendaient les montagnes et embrasaient la terre. C’est ainsi que Thor se rendit à Jœtenhem.
24. Alors Thrymer, le prince des Thursars, chanta : « Levez-vous, géants, et parez vos bancs, amenez-moi pour fiancée Freya, la fille de Njœrd de Noatum. »
25. Dans la cour se promenaient les troupeaux à cornes d’or, les bœufs noirs, la joie du géant : « J’ai de l’or, j’ai des perles, Freya seule me manquait. »
26. Les voyageurs arrivèrent le soir de bonne heure, et la bière forte des géants fut apportée devant eux. L’époux de Sif mangea à lui seul un bœuf, huit saumons et tous les plats fins qui conviennent aux femmes. Il but trois tonnes d’hydromel.
27. Alors Thrymer, le prince des Thursars, chanta :« Où vit-on jamais une fiancée aussi gloutonne et avalant d’aussi grandes bouchées ? Je n’ai pas encore vu de femme buvant de la sorte. »
28. L’adroite suivante était là, et trouvait réponse aux paroles du géant : « Freya n’a rien pris depuis huit nuits, tant elle était impatiente d’arriver à Jœtenhem. »
29. Thrymer se baissa sous le lin pour embrasser l’Asesse ; mais il bondit en arrière jusqu’au fond de la salle. « Comment se fait-il que les yeux de Freya soient aussi pénétrants ? On dirait qu’ils lancent du feu. »
30. L’adroite suivante était là, et trouvait réponse aux paroles du géant. « Freya n’a point dormi durant huit nuits, tant elle était impatiente d’arriver à Jœtenhem. »
31. La laide sœur du géant entra et osa demander un cadeau : « Donne-moi les rouges anneaux que tu portes à tes doigts, si tu veux acquérir mon amour… mon amour et toute la bienveillance de mon cœur. »
32. Alors Thrymer, le prince des Thursars, chanta : « Apportez le marteau, pour l’offrir à ma fiancée ; posez-le sur les genoux de Freya, et mariez-nous avec la main de Vœr. »
33. Le cœur de Hloride rit dans son sein lorsqu’il sentit sur ses genoux le dur marteau : il tua d’abord Thrymer, le prince des Thursars, et assomma toute la race de ce géant.
34. Il tua aussi la vieille sœur du géant qui avait demandé une dot. Elle reçut un coup de poing pour l’argent qu’on lui avait donné, et un coup de marteau pour les anneaux. C’est ainsi que le fils d’Odin rentra en possession de son marteau.
- ↑ Le voile. (Tr.)