L’Edda de Sæmund-le-Sage/Le Poème antique sur Hamdir
Les Eddas, Librairie de l’Association pour la propagation et la publication des bons livres, (p. 432-436).
XX
LE POÈME ANTIQUE SUR HAMDIR
1. Laissez couler les pensées de tristesse et les larmes des Alfes qui troublent la joie. Le point du jour réveille toutes les souffrances des hommes.
2. Il n’en est point ainsi d’aujourd’hui seulement, ni d’hier ; mais depuis longues années les choses se passent de la sorte, et bien avant le temps où Gudrun, la fille de Gjuke, excita ses jeunes fils à venger Svanhild.
3. « Svanhild, ainsi se nommait votre sœur, que Jormunrek fit fouler aux pieds des chevaux blancs et noirs sur une route publique, aux pieds des chevaux gris, bêtes de somme des voyageurs.
4. « Depuis lors, princes du peuple, vous êtes les seuls rejetons qui me restent de ma race.
5. « Je suis isolée maintenant comme le tremble, je suis dépouillée de mes parents comme le sapin de ses rameaux, je suis privée de joie comme l’osier est privé de ses feuilles quand l’ouragan dévastateur arrive à la suite d’une chaude journée. »
6. Alors Hamdir-le-Magnanime chanta : « Gudrun, tu n’as pas exalté, je pense, les exploits de tes frères lorsqu’ils réveillèrent Sigurd plongé dans le sommeil : tu étais assise sur le lit, tandis que les assassins riaient.
7. « Tes draps nagèrent dans le sang de ton époux, ces draps bleu-blanc tissés avec art. Cependant Sigurd mourut, tu restas assise auprès de son cadavre ; tu ne songeais point à rire ; Gunnar te voulait ainsi.
8. « Ton intention était de nuire à Atle en tuant Erp et Eitil ; mais tu t’en trouvas mal. C’est pourquoi il faut se servir du glaive tranchant pour tuer, et de manière à ne point combattre contre soi-même. »
9. Alors Sorli chanta ainsi ; il avait de la sagesse dans l’esprit : « Je ne veux pas avoir de querelle avec ma mère ; les paroles nous manquent à tous deux. Tout ce que Gudrun peut demander, elle est sûre de l’obtenir par ses larmes !
10. « Pleure tes frères et tes jeunes fils ; ceux qui te sont nés les derniers se rendent au combat ; tu nous pleureras également tous les deux, car nous sommes destinés à la mort : nous succomberons loin d’ici. »
11. Ils partirent donc tout préparés au bruit des combats ; les jeunes princes traversèrent des montagnes humides sur des chevaux huns, afin de venger le meurtre de leur sœur.
12. Alors Erp chanta une première fois ; ce noble prince badinait sur son cheval : « Il est difficile de diriger un homme timide ; on dit que le fils de l’esclave a le cœur dur. »
13. Ils rencontrèrent sur la route l’homme aux grands exploits : « Comment le héros aux boucles brunes viendra-t-il à notre secours ? »
14. Erp, le meurtrier des boucliers, répliqua : « Le sage dit qu’il aidera ses parents comme un pied aide l’autre, ou bien comme une main vient au secours de la seconde. »
15. « Comment un pied peut-il en aider un autre, comment une main viendra-t-elle au secours de la seconde ? »
16. Sorli et Hamdir tirèrent le fer du fourreau, à la grand joie des démons, qui diminuèrent leur force d’un tiers, et renversèrent leur jeune frère sur le terreau.
17. Ils secouèrent leurs manteaux, rentrèrent le glaive dans le fourreau, et se couvrirent, ces descendants des dieux, du vêtement divin.
18. Ils continuèrent leur voyage, trouvèrent des sentiers de malheur, et le fils de leur sœur blessé, sur une branche de l’arbre glacé du meurtre. Ils se hâtaient, car il n’y avait pas de temps à perdre.
19. On parlait haut dans la salle ; les hommes, étant ivres, ne purent entendre le bruit occasionné par les arrivants, qu’au moment où l’on sonna du cor.
20. On se hâta de prévenir Jormunrek que des guerriers couverts de casques avaient été aperçus. « Songez à ce que vous avez à faire, les riches sont venus ; vous avez fait fouler aux pieds des chevaux une femme appartenant à ces hommes puissants. »
21. Jormunrek se mit à rire, passa la main sur sa barbe, demanda sa cotte de mailles (il combattait avec habileté), secoua sa tête brune, regarda les boucliers blancs, et se fit apporter promptement la coupe d’or.
22. « On pourra dire que je suis heureux quand Hamdir et Sorli seront dans les salles ; je les garrotterai avec des cordes d’arc, et ferai suspendre ces enfants de Gjuke à la potence. »
23. Roderglœd, chérie de la renommée, était debout sur l’escalier élevé. « Oui, roi, dit-elle à son fils, il en sera ainsi, puisqu’ils ont osé venir sans chance de succès. Deux hommes seuls peuvent-ils en garrotter dix fois autant dans ce château élevé ? »
24. Il y eut du bruit dans la maison ; les coupes furent jetées ; les héros étaient couchés dans le sang qui sortait de leur poitrine.
25. Alors Hamdir-le-Magnanime chanta : « Jormunrek, tu as souhaité notre arrivée, l’arrivée des deux frères dans ton palais. Maintenant tu vois tes pieds, tes — — — — tu vois tes mains, Jormunrek, jetées dans le feu brûlant. »
26. Odin, couvert de la cotte de mailles, rugit alors comme l’ours aurait rugi : « Jetez des pierres sur ces hommes, puisque les glaives ne mordent pas sur les fils de Jonaker. »
27. Hamdir-le-Magnanime chanta : « Mon frère, tu as fait du mal en ouvrant la bouche, puisque de mauvais conseils en sont sortis. »
28. « Hamdir, tu as du courage ; que n’as-tu aussi du jugement ? Il manque beaucoup de choses à un homme quand il est privé de raison. »
29. Ta tête serait déjà coupée, si Erp, le vaillant frère que nous avons tué en route, vivait encore ; les puissances du destin m’ont excité contre ce héros. Nous avons tué Erp, qui était saint parmi les hommes.
30. Ne ressemblons pas à des loups, en nous attaquant entre nous comme les chiens des Nornes nourris dans le désert.
31. Nous avons bien combattu, nous sommes debout sur les guerriers morts ; ils ont été fatigués par les coups du glaive. Nous avons conquis le nom de héros ; personne ne passe la soirée lorsque les Nornes ont prononcé leur sentence.
32. Sorli tomba sur le seuil de la salle et Hamdir derrière la maison.